Emmanuel Todd annonçait au début de la campagne que le candidat qui oserait proposer une régulation de la mondialisation serait certainement élu. Selon lui, l’élection de 2007 devait se jouer sur la question du protectionnisme, tant la mondialisation produit de dégâts dans la société française et tant sa logique inégalitaire fait l’objet d’un rejet profond dans le Pays.
Avec son ami, Hakim El Karoui, ils se sont efforcés de mettre cette question au centre du débat et de faire connaître leur thèse du « protectionnisme européen » auprès de tous les candidats à l’élection présidentielle ou de leur entourage. Avec un certain relatif puisque Emmanuel Todd s’est vu invité par Dominique de Villepin à la conférence sur les revenus et les salaires de Matignon qu’il a ouvert sur un réquisitoire implacable contre le libre échange, et dans la mesure où on a pu entendre quelques échos de ses théories dans le discours de certains candidats.
Pourtant, la prophétie d’Emmanuel Todd ne s’est pas réalisée. Le thème est bien dans le débat, mais il n’est pas porté par le candidat qui était supposé le défendre, et surtout, il ne fait pas clivage.
L’opinion y est fortement favorable au protectionnisme. 40 % des Français considèrent que le France devrait plus se protéger du monde (1) 72 % perçoivent la mondialisation comme une menace pour les emplois (2). L’idée est en revanche toujours violemment rejetée comme fausse et dangereuse par la plupart des commentateurs. Néanmoins, le débat a désormais droit de cité dans les milieux intellectuels.
Vendredi dernier, le Figaro consacrait une page entière au thème du protectionnisme en prenant appui sur le débat qui fait rage outre atlantique sur le sujet. A force de battre des records de déficits commerciaux, les Etats-Unis s’interrogent de plus en plus sur les bienfaits du libre échange. Georges Bush commence même à avoir de vrais problèmes pour faire adopter par le nouveau congrès démocrate les accords de libre-échange.
Généralement, nos élites, et surtout la presse de droite, sont plutôt du genre à adopter de manière béate tout ce qui vient des Etats-Unis comme un facteur de progrès et de modernité. En l’espèce, ce n’est pas le cas (pas encore ?). Le Figaro nous a livré un article incroyablement orienté, présentant comme à l’accoutumée, le protectionnisme comme une dangereuse tentation, un repli derrière une illusoire ligne Maginot, une rhétorique populiste ou encore un piège. Aux Etats-Unis, elle ne serait que le fruit de démagogues, soumis au poids des lobbyies et cherchant des prétextes pour s’opposer au président Bush.
Le Figaro n’a bizarrement pas osé exposer les motifs pour lesquels l’opposition démocrate et les syndicats revendiquaient un retour à des pratiques protectionnistes. Peut-être apparaissaient-ils trop légitimes « défendre les travailleurs et les entreprises de notre pays, ainsi que de meilleures normes en matière de droit du travail et de protection de l'environnement. »
Manifestement le débat existe aux Etats-Unis, loin de l’hystérie et de la caricature auquel il donne lieu en France. C’est le privilège des nations souveraines que de pouvoir penser librement.
Le Figaro poursuit son dossier par une analyse de la pénétration du thème dans la campagne présidentielle pour en tirer la rassurante conclusion que « la tentation protectionniste n’est pas au cœur du débat ». L’expansion traite également du sujet cette semaine, mais cette fois sans aucun a priori idéologique, en se contentant de rendre compte des positions des différents partis et en donnant la parole à des intellectuels des deux bords(3).
Certes, le protectionnisme n’est pas au cœur du débat. On n’assiste pas à la campagne que nous annonçait Emmanuel Todd, entièrement structurée autour de ce thème, comme la campagne de 1995 s’est jouée sur la fracture sociale et celle de 2002 sur l’insécurité. On aurait pu en effet rêver à l’opposition entre une droite qui aurait voulu adapter le modèle français à la mondialisation par moins d’impôts, moins de charges, moins de salaires pour plus de « compétitivité », et une gauche qui aurait voulu remettre en cause les fondamentaux de l’ordre économique en réinvestissant le projet européen, en réclamant des protections commerciales aux frontières de l’union et une politique de relance par la demande intérieure. C’eût été une campagne passionnante. Un vrai choix entre deux modèles de société.
Malheureusement l’inconsistance de la candidate socialiste et le retrait prématuré de Jean Pierre Chevènement n’a pas permis à ce clivage de se structurer autour de l’axe droite-gauche.
La thématique n’est aujourd’hui présente qu’à droite. Seul le Front National en a fait un thème fort en proposant assez habilement des droits de douanes modulables en fonctions des pays d’origine et des produits, et remboursables sur les exportations. Malheureusement, l’idée a été dénaturée en s’inscrivant dans un cadre exclusivement national.
Dans l’arc républicain, Sarkozy est le seul candidat à avoir pris des positions particulièrement critiques sur le libre échange. Il n’a jamais osé toutefois s’afficher ouvertement comme protectionniste. Il tient un discours syncrétique promettant tout à la fois la purge libérale et la protection économique. Nicolas Dupont-Aignan la défend avec conviction mais dans le désert médiatique. Pour le reste, c’est le silence total. La gauche est désespérément muette sur la question au point qu’elle semble avoir décidé de faire l’impasse sur les questions économiques et sociales. Quant à l’extrême gauche, son inculture économique l’empêche d’aller au delà du diagnostic sur les patrons voyous et les licenciements boursiers.
Le thème du protectionnisme européen était en effet destiné à un candidat gaulliste (Chirac ou Villepin) ou à un candidat du non de gauche (Fabius ou Chevènement) Au final, aucun des candidats potentiels n’a pu aller jusqu’au bout.
Mais pour que la prophétie d’Emmanuel Todd se réalise, il aurait fallu aussi qu’il y ait un candidat pour défendre l’ordre économique mondial. Or, il n’y a plus aujourd’hui de politiques qui ose se faire l’apôtre de la "mondialisation heureuse". Comble du paradoxe, c’est même le candidat le plus libéral qui adopte les positions les plus protectionnistes.
Ce paradoxe trouble considérablement la structuration de la campagne. L’intérêt tout à fait inattendu de Sarkozy pour la France industrielle et les thèmes protectionnistes déstabilise profondément la candidature sensée représenter la gauche. Le repositionnement de Sarkozy, va l’acculer de plus en plus à une candidature réduite aux classes moyennes protégées et des « assistés » en tout genre.
Là, où la prophétie d’Emmanuel Todd s’avèrera très probablement juste, c’est quand il disait que celui qui mettrait au cœur de sa campagne la notion de protection économique, l’emporterait.
(à suivre)
(1) sondage du CEVIPOF commenté ici
(2) Sondage Eurobaromètre commenté ici
(3) Jacques Sapir y apparaît curieusement parmis les anti-protectionnisme alors qu'il participe activement au site du protectionnisme européen.
"C'est le privilège des nations souveraines que de pouvoir penser librement". Tout est là.
Le sujet que vous évoquez est occulté dans une campagne que le système s'efforce de réduire à des faux-semblants pour cacher l'essentiel-à savoir que nous allons élire un Chef d'Etat sans Etat.C'est pourtant un secret de Polichinelle!
Rédigé par : DLRO6 | 07 février 2007 à 14:17
Les 2 candidats se serviront du thème de la protection contre la mondialisation si et seulement si, ils pensent que leur image en profitera.
Sarko ds son entreprise de raccolage tous azimuths a effectivement commencé à aborder la thème, mais de loin et en sous main, pour voir comment sa tousse, et atirer à lui comme il l'a annoncé aux siens ces "gogos de gauche".
Le recentrage à gauche de Ségolène amorcé hier laisse peut être entrevoir un retour plus articulé de ces thématiques.
La candidate si elle veut rassembler et mobiliser à gauche ds une tactique mitterrandienne bien connue doit, c'est pour elle une obligation, reprendre la main sur des thèmes structurants, la synthèse des oui et non de gauche exprimés le 29 mai 2005 est sur ce thème réalisable.
Cela se limitera t'il à une posture de campagne?
C'est à craindre.
Mais si cela générait une dynamique et des espoirs...
On est en droit de rêver encore un peu.
Rédigé par : chavinier | 07 février 2007 à 15:30
Ce paradoxe trouble considérablement la structuration de la campagne. L’intérêt tout à fait inattendu de Sarkozy pour la France industrielle et les thèmes protectionnistes déstabilise profondément la candidature sensée représenter la gauche.
- Qu'entends tu par cette phrase? Comme je l'ai dit Sarkozy ratisse large et drague le centre et l'électorat F.N (comme hier soir à Toulon), ce qui lui vaut quelques saillies sur l'islam et la défense de notre industrie. Bref rien de nouveau...il avance masqué comme toujours? Quel serait l'écho populaire et électorale de proner une "mondialisation
heureuse" inégalitaire?
- Il est probable que Ségolène Royal réponde à Sarkozy par plus de théories de "Gauche"(Egalité, modération des privatisations, discours "républicain sur l'Europe"..etc) pour rallier les gauchistes indécis et contrer l'épouvantail Bové. Sera t'elle plus crédible pour autant?
Le repositionnement de Sarkozy, va l’acculer de plus en plus à une candidature réduite aux classes moyennes protégées et des « assistés » en tout genre.
- Je pense qu'on assiste juste à un partage démagogique des concepts qui (croient-ils) permettront à l'UMP ou au P.S de damer le pion à son rival...
- Je crois que (même si je respecte beaucoup Emmanuel Todd) qu'il s'est trompé sur ce coup-là, à moins que Le Pen ne gagne les élections!
P.S: Qu'appelle tu les classes moyennes protégés et les assistés en tout genre???
Rédigé par : Chevillette | 08 février 2007 à 12:36
@ chevillette
Evidemment toute campagne a un aspect marketing. Ce que je veux dire c'est que le positionnement de Sarkozy est redoutablement efficace. Par son discours sur les protections économiques, sur la france qui se lève tôt, par ses visites dans les usines, il parle à la France industrieuse. Cela est un fait, un peu inattendu, qui contribue a casser toute dynamique de la campagne PS. D'ailleurs, jusqu'à preuve du contraire, le PS n'est pas très loin dans ses positions de la mondialisation heureuse. Quand j'entends Royal qui dit que la réponse aux délocalisations c'est les exportations, ou Bianco qui dit que dans l'économie moderne la production peut être délocalisée tant que le coeur, la conception, le marketing reste en france, cela ne me semble pas être des critiques violentes de la mondialisation, et à mon avis, ce discours ne doit pas trouver beaucoup d'échos dans la france industrieuse et les classes populaires.
Ségolène, je l'ai dit, je n'en attends rien. Je pense que le PS n'est qu'un parti de notables avides d'honneur et de postes, et qui n'ont plus aucun fond doctrinal. Ceux qui espère sur un grand discours fondateur pour le 11 février me font penser à ceux qui pensaient que Chevènement allait convertir Ségolène à ses thèses. On a vu ...
Pour les classes moyennes protégéés et les assistés, je faisait évidemment référence au discours de Sarko. A force de parler au nom de la france exposée à la concurrence internationale et à la france qui se lève tôt, il renvoit ségolène à une candidate porte parole des classes sociales au nom desquels il ne parle pas, ses ennemis désignés, les fonctionnaires et ceux qui vivent de revenus d'assistance. Il me semble que ce serait un piège mortel dans lequel le PS ferait bien de faire attention de ne pas se laisser enfermer.
Enfin, je pense que E. Todd ne s'est pas trompé. L'objet de cet article était de dire que la campagne ne se passerait certainement pas comme annoncé sur le rapport à la mondialisation. En revanche, je persiste à penser qu'aucun candidat ne pourra gagner s'il en reste à défendre la mondialisation heureuse. Le rejet en dehors des grandes métropoles.
Rédigé par : Malakine | 09 février 2007 à 00:10
Sur ce thème du protectionnisme européen, une étude d'un jeune chercheur, "OMC, régulation mondiale des échanges et préférence européenne", est en ligne sur le site de la Fondation Respublca - rubrique "bourses de recherche".
Etude intéressante et très documentée, qui, si elle montre toute la validité de la thèse d'un protectionnisme européen, en montre également toute les difficultés de mise en oeuvre en regard des accords internationaux (Union européenne et OMC) en vigueur.
A méditer, la question de la réversibilité des politiques économiques - plus loin de l'état réel de la démocratie dans ce qui s'apparente de plus en plus à un "piège" européen.
Rédigé par : Cosme | 16 février 2007 à 19:34