Le débat au PS ne doit pas nous faire oublier que Nicolas Sarkosy reste le grand favori de la présidentielle. L’homme est si contradictoire et ses propositions parfois si incohérentes, qu’il vaut mieux garder un œil sur ce qu’il dit pour se faire une idée sur « la France d’après » qu’il nous prépare.
Cette semaine, il a donné une longue interview dans les Echos et un grand discours à Saint Etienne sur le thème de la mondialisation. Si le discours continue d'évoluer dans un sens moins libéral et plus souverainiste, les propositions sont de plus en plus néoconservatrices. Entre inscription dans la tradition gaulliste et fascination pour le Bushisme, Sarkosy accentue son grand écart.
Je l’ai dit dans mon avant propos. J’ai choisi de m’intéresser plus au fond et aux idées nouvelles, qu’aux positionnements tactiques et à la compétition électorale, tant je suis convaincu que l’intérêt majeur de cette campagne résidera plus dans la ligne politique qui en sortira que de l’identité du nouvel occupant de l’Elysée. L’exercice est plus ardu mais c’est ma « ligne éditoriale » Je passerais donc sur sa tentative de récupérer l’héritage gaulliste ou d’intégrer à son discours une dimension plus sociale pour corriger son image trop droitière.
Il y a des choses intéressantes dans ces deux dernières interventions. Au niveau des valeurs comme des propositions. Les deux ne semblent pas toujours d’ailleurs en cohérence. Ses positions de principes s’inscrivent dans les tendances récentes qui se sont cristallisées le 29 mai par le rejet du modèle qu’incarne l’Europe. Ses propositions apparaissent en revanche classiquement libérales, ou plus exactement « de droite » Sarkosy est en effet un bonapartiste fasciné par les Etats-Unis plus qu’il n’est un vrai libéral de type anglo-saxon. Une alliance improbable et extrêmement instable entre De gaulle et Bush.
Sa position sur la mondialisation est particulièrement balancée. Il la considère à la fois comme un fait dont on doit prendre acte avec fatalité, mais aussi comme un progrès pour l’humanité dont on peut pouvoir profiter. Pour appuyer le propos, il indique que la France réalise 30 % de son PIB à l’export, mais tout le monde de sait que l’essentiel est réalisé au sein de l’union européenne. Quant à l’évidence de la mondialisation, elle reste à prouver. On vivait bien sans avant … En même temps, sa vision est très lucide. Il ne manque pas de souligner tous ses effets pervers.
Ce serait refuser de voir la détresse au milieu de l’abondance. Ce serait refuser de voir, derrière l’espérance d’une hausse du niveau de vie pour tous, la précarité qui monte dans les pays qu'on dit riches. Ce serait oublier la misère matérielle et morale de millions d'individus, hommes, femmes et enfants, qui sont encore exploités comme des bêtes de somme pour gagner à peine de quoi survivre. Ce serait oublier la souffrance provoquée par la dégradation des conditions de travail dans les entreprises confrontés à une concurrence de plus en plus âpre. Ce serait oublier les terribles cicatrices infligées à certains territoires et à certaines familles par les restructurations d'activité et les délocalisations. Je veux prononcer ce mot car il décrit une réalité douloureuse et parfois inacceptable. Ce serait refuser de voir derrière les succès, le creusement des inégalités et la montée de la violence.
On est bien loin du discours sur la mondialisation heureuse d’il y a 10 ans et on ne peut que se féliciter.
De même sa position sur le libre échange est complexe.
Je le dis pour que l'on me croie car on peut toujours essayer d'expliquer à l’ouvrier de l’industrie que les délocalisations « c’est un phénomène marginal ».
On peut toujours dire aux habitants des bassins industriels sinistrés que si l’on détruit des emplois ici ce n’est pas si grave parce qu’on en crée ailleurs.
On peut toujours annoncer aux patrons de PME victimes du dumping et de la contrefaçon que ces distorsions disparaîtront d’elles-mêmes dans 30 ou 40 ans, quand les ouvriers chinois ou indiens auront réclamé leur dû.
On peut toujours le dire…mais à l'arrivée on ne sera pas cru parce que les Français ne se contentent plus de discours. Ils veulent des faits, des actes, des décisions. Je veux être celui qui les propose, qui les imagine et surtout qui les mette en œuvre. C'est comme cela qu'on endiguera la montée du vote protestataire, le rejet de la mondialisation, le ralliement de couches de plus en plus larges de la population aux thèses protectionnistes.
Tout le problème est là. L'Etat doit protéger sans être protectionniste.
Je crois qu’il a non seulement commencé à voir ses effets destructeurs pour les couches populaires, et qu’elles le rejettent ce système qui « met la richesse d’un coté et les populations de l’autre » (Chirac) ou « qui tend à "enrichir les riches des pays pauvres et les pauvres des pays riches » (Villiers je crois).
Il évoque ainsi la notion de préférence communautaire et de protections commerciales. Sa position reste tout de même ambiguë quant il évoque le thème de la réciprocité, notamment avec l’affaire Bombardier / Alstom. Il semble tout de même que sa préférence va à la notion d’économie ouverte sous réserve qu’elle soit ouverte aux deux parties, plus qu' l'idée de marché intérieur. Les protections dont il est questions semblent s’apparenter à de simples mesures de sauvegardes à caractère exceptionnel. Il envisage ainsi une TVA sociale ou une taxe européenne sur les pollutions pour faire contribuer aussi les produits importés, respectivement à la protection sociale ou aux dépenses de recherche, plus volontiers que des droits de douanes qui eux, permettraient de préserver le marché intérieur de tout dumping fiscal social ou environnemental. Néanmoins, le thème est nouveau et je ne peux que saluer cette évolution.
Son discours se montre également relativement interventionniste. Il réaffirme ainsi la nécessité pour la puissance publique (Etat ou Union selon les sujets) d’intervenir pour réguler, soutenir ou protéger. Il n’est manifestement pas un adepte du laissez faire.
« Je ne suis pas venu vous dire que l'Etat n'a pas d'autre avenir que de s'occuper de la police, de la justice, de la diplomatie et de la défense, en regardant passivement le marché s'occuper de tout le reste. Cela n’existe nulle part au monde. Allez voir aux Etats-Unis ! Allez-voir au Japon ! Allez voir en Chine ou en Corée du Sud ! Y aurait-il donc une fatalité française ou européenne à ce que l’Etat ne puisse plus rien alors qu’il peut partout ailleurs dans le monde ? ».
Il n’y a pas lieu de douter sur ce point de sa sincérité. Il a prouvé son interventionnisme au moment de l’affaire Alstom, qu’il a littéralement sauvé du dépôt de bilan. Sur ce point, ses propositions sont clairement en phase avec le discours. Il propose non seulement une attribution spécifique de marchés publics aux PME, mais il va même jusqu’à envisager des prises de participations minoritaires de l’Etat dans les secteurs stratégiques ou une politique nouvelle sur la question du transfert de technologies. Cela aussi, on doit s’en féliciter. La tradition industrielle française est trop empreinte d’étatisme et l’enjeu trop important pour qu’on puisse confier au seul CAC 40 le soin de développer une industrie de pointe en France. En la matière, il y a beaucoup d’exemples étrangers dont on peut s’inspirer. J’ajouterais à la liste qu’il a cité, les instituts Fraunhofer allemands. .
Sarkosy réaffirme également – et c’est moins étonnant – l’espoir d’une europe puissance.
Face à la mondialisation et aux forces immenses qu’elle met en œuvre, la France a besoin de l’Europe. C'est à cette échelle que nous parviendrons à agir de manière décisive sur le cours des événements.
L'Europe est la seule entité capable d'encadrer la toute-puissance du marché. La seule capable de transformer la mondialisation de l’intérieur. La seule capable de se mesurer aux pays-continents avides de puissance. La seule capable dans le cadre d'un dialogue transatlantique apaisé de pondérer la vision mondiale de notre allié américain
Le problème, c’est qu’il adosse ce projet à la hyperpuissance américaine qui constitue la référence permanente de ses propositions. Après son voyage chez Bush, c’était la moindre des choses qu’il pouvait faire, mais pour assumer, il assume.
« La mondialisation que la France souhaite, je voudrais enfin dire qu'elle ne peut advenir dans la rupture avec les Etats-Unis. Qui peut croire que c'est sans eux que nous pourrons faire prévaloir les valeurs démocratiques qui sont les nôtres. »
Je ne l’avais pas non plus compris avant de lire « après l’empire » de E.Todd, c’est que l’amérique a changé de nature depuis l’effondrement de l’URSS. De chef de file du monde libre, elle est devenue un empire, le centre du système capitaliste financier mondialisé, qui connaît des déficit commerciaux et budgétaire tels, qu’il draine vers lui, un pays qui emprunte chaque jour 1.9 Milliards de dollar pour maintenir son niveau de vie, un pays qui est responsable du quart des émissions de carbone, dont l’essentiel provient de ses automobiles surdimensionnées.
Au contraire de Sarko, je suis persuadé que l’Europe ne pourra se construire et défendre une autre vison de la mondialisation que lorsqu’elle ne se concevra plus comme la matrice des USA, son redevable perpétuel, son éternel obligé. Qu’elle osera s’affirmer comme une aire de civilisation autonome portant des valeurs spécifiques.
Ce discours, malgré sa tonalité « souverainiste » reste néanmoins un discours de droite classique au point qu’on puisse légitimement se demander si ces grandes envolées patriotiques et volontaristes, ne servent pas qu’à habiller un catalogue de mesures dont la plupart apparaissent être au profit des classes aisées et qui vont toujours dans le sens d’une réduction de la pression fiscale : Suppression des droits de mutation en cas de départ pour raison professionnelle, suppression des droits de succession (j’y reviendrais tellement la proposition me scandalise), défiscalisation des emplois de service à domicile, obligation pour les chômeur d’accepter l’emploi que l’ANPE aura considérer comme relevant de leur compétences, réforme de la taxe professionnelle une nouvelle fois proposée sans qu’on sache toujours dans quel sens, suppression des 35h, exonération de cotisations sociales pour les heures supplémentaires, service minimum garanti dans les services publics, autonomie des universités, contrat de travail unifiant de l’intérim au CDI, contrats de missions … J’en oublie sûrement.
Sarkosy est pénétré de contradictions. S’il me semble convaincant sur son interventionnisme économique, son nouveau discours sur le thème de la protection extérieure s’inscrit bien mal avec le modèle de société fait de précarité et d’inégalités qu’il nous vend.
Je crois tout simplement que Sarkosy n’a pas encore compris qu’il se présentait en France et non aux Etats-Unis.
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