Je suppose que le terme de "néo-républicanisme" va en faire sursauter plus d’un,qui considèrent que République est un idéal indépassable qui n’a nullement à être revisité. Je pense le contraire, justement.
L’idéal républicain se traduisait jusqu’ici par des valeurs tels que la souveraineté populaire, la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, les libertés publiques, la capacité des citoyens à se prononcer en raison sur les choix publics, ce qui implique la laïcité, l’égalité des citoyens devant la loi et même un certain souci de l’égalité réelle, ou en tout cas, de la cohésion sociale.
Cette idéologie a inspiré tout un courant de pensée depuis deux siècles dont nous sommes aujourd’hui les héritiers.
urMême si ce modèle reste d’actualité, il doit aujourd’hui répondre aux défis du monde moderne. La construction européenne nous a privé d’une grande part de notre souveraineté pour la mettre entre les mains de technocrates sans volonté ni ambition. La mondialisation induit une forte dynamique inégalitaire au sein des sociétés et détruit les Nations en tant que communauté de destin (1). L’extension inexorable de la sphère marchande réduit l’espace de l’intérêt général au profit de la seule efficacité économique. De grands médias privés détruisent peu à peu tout esprit critique et manipulent les consciences aussi efficacement qu’autrefois les églises …
Une idéologie républicaine qui resterait enfermée dans un cadre national et se contenterait de défendre ses valeurs traditionnelles : autorité de l’Etat, lutte contre les communautarismes, laïcité, indépendance nationale, serait non seulement perçue comme ringarde et passéiste, mais n’aurait rigoureusement aucune chance d’aboutir à un quelconque résultat tant les mouvements de fond qu’il s’agit de combattre trouvent ses racines dans une évolution mondiale.
Pour survivre en tant qu’idéologie et pouvoir repartir à la conquête des Etats, l’idéologie républicaine doit désormais se projeter en dehors des frontières de l’Etat Nation. Elle doit repenser l’Europe et le Monde pour s’attaquer à toutes les forces qui sapent silencieusement les fondements de la République. Elle doit être en mesure de proposer aux autres peuples un nouveau cadre intellectuel et normatif pour reconstruire à plus grande échelle les conditions d’une résurgence d’Etats réellement républicains, partout où les peuples le souhaiteront.
Nous devons reconstruire un monde où le Droit et l’intérêt général pourront prévaloir sur la loi des plus forts, un monde où les citoyens pourront toujours peser sur le cours de leur destin, sans qu’on vienne leur opposer une doctrine officielle dictée par les classes dominantes, un monde qui pourra regarder l’avenir sans l’angoisse d’un cataclysme imminent qu’il soit économique, social ou écologique. Nous devons rebâtir les fondements d’une civilisation durable, juste et au service de l’épanouissement humain.
Dans cette révolution à faire, la France a une responsabilité toute particulière, car plus que tout autre peuple, elle a inscrit dans ses gênes, l’attachement au droit, à l’égalité et à la justice. Parce que, de part sa vocation, elle s’adresse à l’Universel et est dépositaire d’idéaux qui la dépassent.
L’idéal républicain doit se renouveler pour s’adapter aux enjeux du 21ème siècle. La France doit se le réapproprier et en refaire sa matrice idéologique. Elle doit ensuite la faire partager aux peuples d’Europe, pour que notre continent retrouve lui aussi sa vocation de berceau de la civilisation et de phare du monde libre, reprenant le leadership mondial à cette Amérique décadente, prédatrice et irresponsable.
Telle est l’ambition de la doctrine néo-républicaine.
La première étape de ce sursaut aura été en 2003 l’opposition de la France aux Etats-Unis dans leur folie belliqueuse de guerre contre l’Irak en contradiction avec tous les principes du droit international.
La seconde étape aura été l’opposition franche au traité constitutionnel européen qui symbolisait pour le peuple français, sa soumission au nouvel ordre mondial.
La troisième sera d’élire un Chef d’Etat capable d’engager cette deuxième révolution française par des initiatives diplomatiques permettant de refonder la construction européenne et réformer en profondeur le système économique et politique mondial.
L’évolution du discours de Jean Pierre Chevènement entre 2002 et 2007 traduit très clairement cette évolution du républicanisme classique au « néo-républicanisme ». En 2002, ses thèmes de campagnes étaient exclusivement nationaux. Il s’agissait de refonder l’Etat et la République. En 2007, les questions internationales et européennes sont désormais au centre de son discours. Il ne s’agit plus de retrouver des instruments de souveraineté pour, tel un village gaulois se protéger des influences du monde, mais d’utiliser l’Union Européenne comme levier pour efficacement agir sur le cours des choses. Sa candidature est, cette fois, résolument moderne, presque avant-gardiste, et de mon point de vue, littéralement révolutionnaire.
Car contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, la France n’est pas isolé en Europe. Certes le peuple français est en pointe dans le rejet contre la mondialisation, mais il ne fait que précéder un mouvement massif de l’opinion publique européenne. En 2003 une étude de l’Eurobaromètre sur la mondialisation indiquait qu’elle constituait une menace pour 39 % des citoyens de l’Union à 15. La même question au printemps 2006 donne 47 % pour l’Union à 25. L’évolution a été particulièrement forte dans les anciens pays membres (+19 points). La France est passée de 58 à 72 % et l’Allemagne de 35 à 59 % !
Il ne faut cependant pas s’illusionner. Dans la mondialisation, il y a des perdant, mais aussi beaucoup qui en tirent profit. Il n’y a pas que « les élites ». Il y a également les détenteurs de patrimoine, petits et grands, qui « s’enrichissent en dormant » comme disait Mitterrand, mais aussi les habitants des grandes métropoles où l’économie est diversifiée, riches en emplois supérieurs, et où le pouvoir d’achat grandissant des élites irrigue toute l’économie locale(2). Elle reste une minorité, mais par son influence elle tient le reste de la société.
Le système tient sa stabilité de l’emprise idéologique qu’ont les théories qui servent à le légitimer. On connaît par cœur le discours dominant. La mondialisation est inéluctable. La France souffre par ce qu’elle ne sait pas s’y adapter et n’est pas assez « compétitive ». Les délocalisations ont un impact mineur sur l’emploi. La France ne travaille pas assez. Trop de charges fiscales et sociales pèsent sur le dynamisme de l’économie ect … On connaît trop comment cette pensée hégémonique étouffe toute contestation dans l’oeuf : ostracisme à l’égard de tous les tenants d’une pensée dissidente, manipulation de l’opinion par les médias, terrorisme intellectuel qui fait aussitôt passer pour un dangereux crétins ceux qui parlent de protectionnisme européen …
Les républicains d’aujourd’hui doivent s’efforcer de comprendre le monde moderne tel qu’il fonctionne et voir où il nous conduit. Nous devons nous attaquer aux vraies causes du mal, comme nos ancêtres l’avaient fait il y a un siècle, lorsque, pour installer la République, ils militaient pour le suffrage universel, les libertés publiques, combattaient l’emprise de la religion ou soutenaient le développement de l’instruction publique.
Le monde d’aujourd’hui nous propose de nouveaux combats. Contre la mondialisation, le libre-échange, l’expertocratie, la manipulation de l’opinion par les médias, l’hégémonie culturelle et intellectuelle de l’Amérique, l’idéologie de la compétition de tous contre tous, le primat du capital sur le travail, et bien d’autres encore …
Combattre la pensée dominante ne suffira pas. Les républicains ne sont pas les « anti-libéraux » pour qui la posture de contestation de l'ordre établi tient lieu de programme. Les Républicains, eux, ont vocation à gouverner pour faire de leur idéal une réalité. Nous devrons donc aussi élaborer une nouvelle utopie, proposer de nouvelles règles et déterminer les conditions de la transition, bref construire une véritable alternative politique et offrir au 21ème siècle, un nouvel horizon.
Le combat, nous le gagnerons par les idées, car, nous, républicains, croyons à la force des idées et à la capacité de conviction par la Raison.
La campagne présidentielle de 2007, et notre soutien à la candidature de Jean Pierre Chevènement, n’est que le début d’une longue marche.
(1) Je reprends ici la thèse développée par Emmanuel Todd dans l’illusion économique selon laquelle le développement de l’enseignement supérieur a créé au sein des élites de toutes les nations un sentiment d’appartenance à une même classe, plus important que le sentiment d’appartenance national. La mondialisation n’est selon lui, qu’une conséquence d’une dynamique inégalitaire qui traverse toutes les sociétés modernes.
(2)Ce dernier point a été mis en évidence dans mon récent article sur le dernier sondage du CEVIPOF qui marquait une adhésion beaucoup plus forte des habitants de l’Ile de France a tous les items caractéristiques du système dominant Mondialisation, Profit, Etats-Unis, Ouverture des frontières …
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