Jean Louis Borloo a été l’homme du Week-end, avec le congrès du parti radical et ses invitations chez FOG et au Grand Jury. J’espérais, il y a quelques semaines, qu’il viendrait troubler le jeu de la présidentielle à droite. Il a clairement écarté l’éventualité d’une candidature autonome et même d’un possible soutien à Bayrou. Il se rangera très probablement derrière Sarkozy, mais entend bien influencer le programme du candidat de l’UMP.
Il a commencé en mettant dans le débat deux sujets importants qui méritent qu’on s’y arrête un moment : le transfert de la moitié des cotisations sociales sur d’autres assiettes que le travail et l’objectif que 100 % d’une classe d’âge sorte du système éducatif avec un diplôme professionnalisant.
Le radicalisme signifie depuis l’origine vouloir traiter les problèmes à la racine. Ces deux propositions s’inscrivent clairement dans la tradition de ce mouvement. Elles visent à traiter à la racine, les problèmes de perte compétitivité du pays, de stagnation du pouvoir d’achat et de la fracture sociale. Rien de moins !
Quand on écoute Borloo, on sent qu’il a passé ces dernières années à travailler plus qu’à faire de la politique. Il a manifestement beaucoup lu de rapports et de notes et consacré beaucoup d’énergie à tenter de comprendre les causes profondes du mal français. Cela fait de lui l’un des hommes politiques, les plus intéressant à écouter, et probablement le plus innovant dans ses analyses et ses prises de positions.
Actuellement sa pensée est encore un peu trop « le nez dans le guidon » car trop empreinte de son expérience de ministre du travail. Il a certainement besoin de prendre un peu de recul pour se nourrir d’autres points de vue et laisser mûrir sa réflexion, mais on reparlera de Borloo dans les années à venir. C’est une chose certaine.
Ces deux propositions ne sont encore formulées qu’à l’état d’objectifs, mais leur ambition mérite tout de même qu’on les examine. Ce n’est pas si fréquent de rencontrer dans le débat des propositions de réforme aussi profondes.
Le transfert des charges sociales vers d’autres assiettes que le travail.
Pour Borloo, le financement de la protection sociale sur le travail était adapté au temps des trente glorieuses, période de plein emploi et d’économie protégée. Aujourd’hui l’ouverture de l’économie dans une compétition mondiale exacerbée et la persistance d’un chômage de masse imposent de rapprocher le salaire brut du salaire net et, donc, de trouver d’autres sources de financement pour la protection sociale.
Cela aurait l’avantage non seulement d’améliorer la compétitivité de l’économie à l’exportation en abaissant le coût du travail, mais aussi de relancer l’augmentation des salaires. Selon Borloo, le fait qu’une partie importante du salaire versé soient mangée par les charges, n’incite pas les entreprises à consentir à des augmentations. Le système actuel les incite même à comprimer les salaires dans la mesure où les cotisations sont d'autant plus importantes que les salaires sont élevés.
Les propositions de la droite classique, et notamment celles de Sarkozy, visent à réduire le poids des cotisations, et donc le niveau des prestations. Pour Borloo, il n’est pas question de remettre en cause notre modèle social. La réforme doit se faire à périmètre constant. Il propose donc de transférer la moitié des charges (environs 300 milliards) vers d’autres assiettes, telles que les droits de successions, les droits de mutations, la TVA, une fiscalité écologique du type taxe carbone, ou l’IRPP.
Je ne suis pas économiste et certainement pas très légitime pour apprécier cette proposition. Comme toute mesure de ce type, elle entraînera certainement des effets pervers ou indirects qui nous échappent aujourd’hui, d’autant plus que ses effets réels dépendront, pour beaucoup, des assiettes de substitution qui seront choisies. Néanmoins, l’idée me semble juste. Quand on y réfléchit, il est aberrant de taxer quelque chose que l’on veut promouvoir : le travail et les salaires. Seule la création de richesse et les activités socialement nuisibles devraient être taxées.
La proposition de Borloo rejoint d’ailleurs deux propositions que j’ai déjà formulées : l’augmentation des droits de successions pour financer les dépenses de retraite et de vieillissement, et l’anticipation des coûts de sortie de l'ère du pétrole par une taxe sur la consommation d’énergies fossiles. J’aimerais me risquer à une troisième proposition qui a germé dans mon esprit ces dernières mois et sur laquelle j’aimerais bien avoir des avis autorisés : la forfaitisation des cotisations patronales et leur modulation en fonction des secteurs d’activités. Je la développe dans une contribution annexe.
En tout état de cause, je ne peux que souscrire à l’idée de faire cotiser les revenus du capital (successions et mutations) qui sont dans modèle économique actuel, non seulement les assiettes les plus dynamiques, mais aussi celles qui sont le plus créatrices d’inégalités, notamment entre les générations.
Les propositions de Borloo vont, de ce point de vue, à rebours des propositions de Sarkozy. Il y a donc lieu de se réjouir de voir, celui qui sera certainement l’un de ses principaux soutiens, le contredire aussi directement sur le volet le plus « anti-social » de son programme. Il faudra suivre leurs échanges avec attention.
L’objectif de 100 % d’une classe d’âge sortant du système éducatif avec une qualification.
Jean Louis Borloo est ministre de l’emploi. A ce titre, il a une vision particulière du développement économique. Il propose un renversement complet de la perspective. Pour lui, l’emploi n’est pas une résultante de la croissance, mais l’un de ses facteurs déterminant : Le développement des qualifications augmentera la valeur ajoutée et l’augmentation de la population employable créera de l’activité.
On connaît les liens qui unissent démographie et croissance. L’idée n’est pas certainement pas stupide, mais qu’elle soit révolutionnaire ou simplement partiellement juste, le fait que 30 % d’une classe d’âge sorte du système éducatif sans aucune qualification, soit près de 200 000 jeunes chaque année, est un vrai problème, d’autant que cette proportion serait en augmentation constante.
J’ai pu me rendre compte de ce fléau lorsque, dans une vie antérieure, j’ai été DRH. J’ai été très marqué par le nombre de personnes littéralement inemployables qui envoyaient leur CV. La plupart était non seulement dépourvu de toute qualification, mais s’exprimaient dans un français très approximatif et avec une orthographe lamentable. Ca encore, c’est de l’écrit, mais en entretien l’impression était encore pire.
Les emplois non qualifié ont disparu de notre société. Même la caissière du monoprix du coin se doit d’avoir une certaine capacité d’expression et de dialogue avec les clients. Ces jeunes sont à coups sûrs condamnés au chômage puis au RMI.
On ne peut pas accepter la désindustrialisation, vouloir une économie de la connaissance et tolérer que le tiers d’une classe d’âge démarre dans la vie sans aucune compétence ni qualification.
Ceci étant dit, Borloo n’a pas dit lors du grand jury comment faire, si ce n’est se mettre tous autour de la table et travailler de concert. Hurler à la faillite de l’éducation nationale et prôner une réforme centrée sur la transmission des savoirs fondamentaux qui rendent employables, ne sera certainement pas suffisant.
A mon sens, on ne pourra pas résoudre ce problème sans que la société envoie aux jeunes un message clair leur signifiant l’impérieuse nécessité qu’il y a à se former. Aucune liberté de ne pas se former ne doit leur être reconnue, pas plus que le projet vivre de revenus d’assistance ne doit être accepté. C’est le drame du chômage persistant. Il finit par devenir un statut à part entière et presque un projet de vie alternatif tout à fait acceptable.
Il faudrait certainement envisager un système de récompense / sanction. La récompense pourrait se trouver dans le système proposé par DSK de petit pécule pour démarrer dans la vie. Il serait alors réservé aux seuls détenteurs d’une qualification, même minimale. La sanction est plus difficile à déterminer. Un remboursement des frais de scolarité paraît difficile à envisager. En revanche pourquoi pas envisager une inscription obligatoire à une école de la deuxième chance dans le cadre d’un service civil éducatif, naturellement dans le cadre d’un encadrement militaire. (1)
Borloo vient de mettre sur la table deux vrais sujets. Il faut espérer maintenant que les médias et les autres candidats s’en emparent et en débattent. Quand on voit que la seule phrase que les médias ont retenue du discours de Sarkozy dans les Ardennes, c’est l’engagement de supprimer les SDF dans un délai de deux ans, il y a de quoi être pessimiste, mais après tout, c’est aussi à cela que servent les blogs. Alors, vous ? Que vous inspire ces deux propositions ?
(1) Notez mes efforts pour me Ségoléniser ! A ce propos, je suis désolé de ne pas plus parler d’elle en ce moment, mais à part un article sur l’orthodontie adulte, je ne vois vraiment pas ce que je pourrais écrire.
la proposition de Borloo, comme la vôtre, vont dans un sens souhaitable, mais le transfert de ces cotisations vers la TVA est bien préférable (certains appellent ça la TVA sociale).
Pourquoi ?
Si nous importons un bien, il supporte comme seul impôt la TVA, et les faibles impôts du pays d'origine qui fait du dumping social et fiscal, alors que le même bien produit en France, outre la TVA, va supporter toutes sortes de fiscalité interne, dont les cotisations sociales des employeurs etc.. Pour rétablir la simple égalité, l'idéal serait de transférer tous ces impôts internes sur la TVA, en l'augmentant.
Mais attention, au moment de l'augmentation de la TVA, les ménages de bas revenus vont être pénalisés d'un impôt "supplémentaire". Il y aura donc lieu de compenser cette baisse de revenu par un transfert adéquat des entreprises qui n'auront plus ces cotisations, vers ces ménages (augmentation de salaires etc..)
La TVA sociale ne solutionne pas tous les problèmes de compétitivité, mais au moins elle permet une moindre pénalisation de nos entreprises.
De plus la TVA peut être plus augmentée sur les produits que nous ne produisons pas (ex: produits agricoles importés) ou que nous voulons défavoriser (ex: voitures forte consommatrices d'essence ..)
L'avantage de la TVA, par rapport aux taxes écologiques, aux droits de douane ou autres , c'est que cela ne pénalise pas nos entreprises exportatrices (elles peuvent déduire la TVA).
Rédigé par : marc-sevres | 20 décembre 2006 à 23:34
Transférer toutes les charges vers la TVA reviendrait de fait à une dévaluation de l'euro. J'y suis plutôt favorable. En revanche, il faut bien mesurer ses effets pervers. Il ne faut pas oublier que la TVA, c'est le consommateur qui la paie. Aussi, avant d'avoir un effet sur l'appareil productif, l'emploi et les salaires, la mesure risque de fortement amoindrir le pouvoir d'achat, notamment des inactifs. C'est pourquoi je pense comme JLB qu'il faut rechercher plusieurs assiettes, mais sur le principe, oui, à la TVA sociale.
Rédigé par : Malakine | 21 décembre 2006 à 09:30
@Malakine
vous avez raison de dire que la TVA sociale va impacter les bas revenus, et qu'il est nécessaire de prévoir des mesures compensatoires à leur égard, comme on devrait le faire quand on dévalue.
L'avantage par rapport à une dévaluation, c'est que l'on peut moduler ses effets d'une manière plus ciblée (moins augmenter sur les produits de première nécessité, alimentaires, plus sur les voitures neuves....). De plus l'avantage pour les entreprises est plus important pour un même montant.
les Allemands vont augmenter leur TVA en 2007 exactement pour cela.
Ils ont pris en compte les effets négatifs de cette augmentation, en adoptant notamment des mesures de relance préalables. Il sera très intéressant de suivre les enseignements de cette "première".
Bien sûr les allemands ont une classe dirigeante plus soucieuse de leur intérêt national que la nôtre. Ils ne nous ont pas demandé notre avis (ce sera plus dur pour nos entreprises, sachant que c'est notre premier client). Comme au moment de la réunification, nous allons payer une partie de l'addition. Avez-vous entendu un seul de nos dirigeants s'en émouvoir ?
Nous nous plaignons de l'euro fort, ils agissent ...
Cordialement
Rédigé par : marc-sevres | 21 décembre 2006 à 19:27
Il y a 20% des jeunes qui sortent de l'EN sans qualification, et non 30, et c'est déjà beaucoup: à ce niveau, on est incapable de résorber le chômage d'une partie de cette population
Vouloir les réduire à 0 me parait relever du voeu pieux. Par contre, les diviser par deux parait un objectif ambitieux mais réaliste eu égard à ce qu'on peut observer dans les pays qui ont les meilleurs résultats dans ce domaine
Rédigé par : Verel | 22 décembre 2006 à 19:27