L'ampleur de la mobilisation de la journée du 29 janvier est une divine surprise. On croyait la France atomisée par l'individualisme, fragmentée en communautés et en corporation antagonistes, dépourvue de culture économique pour pouvoir penser la crise et définitivement incapable s'unir dans une contestation utile du système. Toute crise sociale apparaissait même impossible en dehors d'une provocation du pouvoir.
Pourtant, alors que les gros effets de la crise ne se sont pas encore fait sentir et que le pouvoir est sagement resté inerte depuis des semaines, une gigantesque vague de contestation unitaire a submergé le pays, de la capitale aux plus petites villes, toutes classes sociales, toutes générations et toutes corporations réunie dans une même protestation.
Cet étonnant mouvement quasi spontané a suscité la plus totale incompréhension à l'étranger comme dans les cercles dirigeants du pouvoir ou chez les penseurs officiels : Crispations dirigée contre la personne haïe du président ? Rébellion puérile contre une crise mondiale imprévisible et irrésistible ? Une poussée de fièvre en forme de révolte anarchisante et irresponsable ? Non ! Le début d'une révolution ! Voici le récit de sa genèse.
La journée du 29 mai ne peut prendre sens que si on la remet dans la perspective historique de ces dix ou vingt dernières années.
La France n'a jamais vraiment aimé ni le capitalisme comme principe économique ni la concurrence comme principe de d'organisation sociale ni la mondialisation comme seul horizon, à tel point qu'on a dit d'elle qu'elle avait été une union soviétique qui aurait réussi. Son modèle traditionnel c'est plutôt le capitalisme d'Etat, le service public à monopole, la grande entreprise industrielle intégrée et l'économie administrée.
Néanmoins, de plus ou moins bonne grâce,la France s'est adaptée au nouveau standard économique qui s'est imposé dans le monde à partir des années 80. Tout d'abord sous couvert de construction européenne, puis d'impérieuse nécessité faute de quelconque autre alternative possible. C'était la réforme libérale ou le déclin.
Même s'ils se rebellaient parfois, dans la rue contre telle ou telle réforme jugée absolument nécessaire ou dans les urnes, en votant malpensant ou contre la sacro-sainte Europe, les Français ont fini par se faire à la nouvelle donne économique. Sans jamais réussir pourtant à s'y adapter pleinement et encore moins à en tirer profit. Les Français ont toujours été les cancres d’un système néolibéral qu’ils continuaient à réprouver.Toutes les études d'opinion montraient que les Français ont toujours été le peuple d'Europe qui rejetait le plus massivement les mots clés de la modernité économique, du capitalisme à la mondialisation. Encore récemment, un sondage commandé par le gouvernement confirmait cette tendance lourde : 53 % des français pour une réforme en profondeur du capitalisme et 59 % pour considérer que l'Etat n'intervenait pas assez dans l'économie !
Cette révolte silencieuse contre un système qui ne correspond pas à ses valeurs profonde ne pouvait cependant pas trouver à s'exprimer, faute de débouché politique et d'alternative raisonnable … Jusqu'à la crise.
Les Français ont rapidement compris que la crise ne venait pas de leurs insuffisances ou de leur archaïsme comme on leur avait dit depuis des années, mais du cœur du système et des valeurs mêmes qu'on leur avait présenté comme le fin du fin de la performance et de la modernité. La crise est partie de la terre natale du libéralisme mondialisé, des Etats-Unis et principalement de Wall Street. L'épicentre du séisme se trouvait dans les banques et les salles de marchés.
Très vite après le déclenchement du volet financier de la crise, elle a entendu avec étonnement son président, qu'elle avait pourtant connu comme un zélote du libéralisme à l'américaine, tenir un réquisitoire d'une extrême violence contre l'idéologie du marché devenu loi de la jungle, le capitalisme financier prédateur, les banquiers qui s'enrichissent au-delà de l'indécence, une mondialisation totalement déréglée... Il fallait tout repenser, refonder le capitalisme, moraliser la finance, tourner une page. Nous entrions dans un monde nouveau.
Dans un premier temps, la France a accueilli ces discours avec amusement. Ce président narcissique et prétentieux en faisait vraiment trop pour se mettre en valeur ! Néanmoins, le tabou du « il n'y a pas d'alternative » était levé. On était plus comme dans les années 70 dans un choix binaire entre deux systèmes. On se retrouvait face à une page blanche, en pleine inconnue. Le système tant honni n'avait désormais plus de défenseurs et ses premiers accusateurs étaient les faits eux même.
Quand elle a vu les indices de bourses plonger et les banques faire faillite, elle a accueilli la nouvelle avec le sourire. Elle a pensé que c'était une crise de riches, causée par les riches au détriment les riches. Tant mieux !
Puis, elle vit des milliards d'un argent public qui se faisait si rare, aller s'engloutir sans limite dans le puits sans fond des pertes bancaires, ce qui la fît moins rire. Elle a vu les premiers effets de la crise, le chômage partiel, les plans sociaux préventifs, ce qui commença à l'inquiéter.
Elle savait que son niveau de vie, déjà en recul, était l'une des conditions de la reprise. Si elle se remettait à consommer, la machine repartirait. Mais on lui disait que c'était impossible, car si on augmentait ses revenus, seuls les chinois allaient en profiter. On leur avait dit que de faire partir les usines leur ferait gagner du pouvoir d'achat, et maintenant qu'elles étaient parties ont leur disait qu'on ne pouvait plus l'augmenter. La France prit alors conscience que le système se refermait sur elle comme un piège.
Finalement elle se rendit compte que ceux a qui on a demandé tant d'effort pour s'adapter au système étaient les véritablement les seuls à payer la facture de la crise. Ceux qui en ont toujours tiré profit en était en revanche épargné. Les manageurs et les traders continuaient à se verser des faramineux bonus, les grandes entreprises à faire des profits par milliards, les actionnaires à toucher leur juteux dividendes, les banques à continuer à les rançonner.
Cela ce n'était pas acceptable. Une tempête touche tout le monde de manière égalitaire, la maison du patron comme celle de l'ouvrier, celle du chômeur comme celle du rentier. Cette crise ne s'abattait que sur les victimes du système en épargnant les responsables du désastre. Insupportable !
Alors la France a décidé de reprendre ses vieux habits de peuple révolutionnaire et voulu changer les règles. Elle descendit naïvement dans la rue pour réclamer la fin des licenciement et le retour des augmentation de salaires, une vraie politique de relance, une sérieuse protection contre la crise et un juste partage de l'effort., sans se rendre compte que c'était le système lui même qu'elle attaquait.
Ce n'était pas une révolte de plus, mais une nouvelle révolution qui s'engageait.
Malakine
Demain la suite : “Après la grève”
Bonjour Malakine
Lapsus révélateur : au 4ème paragraphe, vous avez écrit "29 mai" au lieu de "29 janvier" (:-)))
Après avoir attendu qu'il vive d'abord sur votre site, je viens de mettre votre article sur ma page.
Merci pour vos écrits et réflexions.
Un truc sur le fond : je ne partage pas votre analyse d'un "mouvement spontané". Non, ce n'était pas spontané. Cette mobilisation a réussi parce qu'elle a été préparée trois mois en amont, et s'est nourri de rivières de mobilisation sociale (lycées, fermetures de sites industriels, etc.), pour aboutir à ce grand fleuve. Et c'est ce que n'en fait pas un "mouvement spontané" mais un vrai mouvement social, organisé, enraciné, qui a su créer une adhésion spontanée.
Bien cordialement
C LA ROSE
Rédigé par : C LA ROSE | 05 février 2009 à 13:37
oups... désolée pour les si nombreuses fautes de frappe ! ;-)
Rédigé par : C LA ROSE | 05 février 2009 à 13:38
@Oppossum,
Je suis d'accord avec tout ceux qui pensent ici que "l'autorégulation" est une stupidité.
Non pas parce que Lordon ou un autre l'a dit, mais tout simplement parce que personne n'a jamais vu des être humains qui profitent d'un système avoir envie de s'autoréguler.
Ce n'est pas moi qui dit que la lumpen intelligentsia française déteste autant le bons sens que l'équité...
C’est au café du commerce que l’on croit qu’une idée peut-être bonne simplement parce qu’elle a l’air bonne ! lol
Je me contente de dire : Mon plus cher désir serait de découvrir qu'il existe des gens capables de proposer un cahier des charges précis sur un modèle de protectionnisme moderne, tenant compte des contingences réelles du commerce international et compatible avec la réalité des désirs des gouvernements des 27 pays Européens.
Hors, à chaque fois que je demande cela, il se trouve que personne ne peut répondre.
Même dans les domaines techniques, il existe des chapelles, qui durent le temps que la théorie soit expertisée et définie, quelque fois même quand la théorie est expertisée et définie... Il se trouve très souvent un petit fait mineur, un grain de sable que l'on avait mésestimé, et qui rend impossible la belle idée.
Il faut être d'une incommensurable naïveté (dans le sens de manque d'expérience dans un domaine précis), pour croire qu'une idée est pertinente, sans l'avoir définie très exactement et sans en avoir établi un cahier de charges chiffré, et sans en avoir fait l’expérimentation sur, au moins, une zone test.
"La pensée ne commence qu'avec le doute" est un fait que tous les chercheurs et concepteurs ont perpétuellement à l'esprit, et sans lequel aucun projet innovant ne peut aboutir.
Le scepticisme de l'intelligence doit s'accompagner de l'optimisme de la volonté, comme dirait notre MIMI nationale.
Concevoir un projet de protection de notre économie réelle dans le monde actuel (LE DEFENSIONNISME ?), n'est pas impossible du tout. Encore faut-il en définir avec précision les tenants et les aboutissants… pour commencer à en entrevoir la possibilité.
Rédigé par : Gilbert | 05 février 2009 à 17:33
Encore un article sur le retour du protectionnisme sur DeDefensa : http://www.dedefensa.org/article-panique_a_downing_street_04_02_2009.html
Rédigé par : M'ENFIN! | 05 février 2009 à 17:34
@Oppossum,
je suis d'accord avec tout ceux qui pensent ici que "l'autorégulation" est une stupidité.
Non pas parce que Lordon ou un autre l'a dit, mais tout simplement parce que personne n'a jamais vu des être humains qui profitent d'un système avoir envie de s'autoréguler.
Ce n'est pas moi qui dit que la lumpen intelligentsia française déteste autant le bons sens que l'équité...
C’est au café du commerce que l’on croit qu’un idée peut-être bonne simplement parce qu’elle a l’air bonne ! lol
Je me contente de dire : Mon plus cher désir serait de découvrir qu'il existe des gens capables de proposer un cahier des charges précis sur un modèle de protectionnisme moderne, tenant compte des contingences réelles du commerce international et compatible avec la réalité des désirs des gouvernements des 27 pays Européens.
Hors, à chaque fois que je demande cela, il se trouve que personne ne peut répondre.
Même dans les domaines techniques, il existe des chapelles, qui durent le temps que la théorie soit expertisée et définie, quelque fois même la théorie est expertisée et définie... Il se trouve très souvent un petit fait mineur, un grain de sable que l'on avait mésestimé, qui rend impossible la belle idée.
Il faut être d'une incommensurable naïveté (dans le sens de manque d'expérience dans un domaine précis), pour croire qu'une idée est pertinente, sans l'avoir définie très exactement et sans en avoir établi un cahier de charges chiffré, et sans en avoir fait l’expérimentation sur, au moins, une zone test.
"La pensée ne commence qu'avec le doute" est un fait que tous les chercheurs et concepteurs ont perpétuellement à l'esprit, et sans lequel aucun projet innovant ne peut aboutir.
Le scepticisme de l'intelligence doit s'accompagner de l'optimisme de la volonté, comme dirait notre MIMI nationale.
Concevoir un projet de protection de notre économie réelle dans le monde actuel n'est pas impossible du tout. Encore faut-il en définir avec précision les tenants et les aboutissants… pour commencer à en entrevoir la possibilité.
Rédigé par : Gilbert | 05 février 2009 à 17:38
Sympa la définition de Horizons par 'careagit.blospot.com' dans 'ses sites de la semaine' (page 7) sur le Vendredi de ce jour :
..."Passionnant par son identité, quasi unique sur la Toile"...
Je suis d'accord avec lui!
Rédigé par : mimi | 06 février 2009 à 10:56
Regardez ce graphique hallucinant. C'est le graphique du commerce extérieur de la France depuis 1999.
http://www.lesechos.fr/info/france/300327836-le-deficit-commercial-a-atteint-55-7-milliards-d-euros-en-2008.htm
Vous vous rappelez les belles promesses au moment du référendum sur le traité de Maastricht ?
En 1992, on nous expliquait : " Une monnaie unique, ce sera davantage de prospérité. "
En 1992, on nous expliquait : " L'euro, ce sera davantage d'exportations. "
En 1992, on nous expliquait : " L'euro, ce sera le progrès économique. "
Dans la réalité, l'euro ne nous a protégés de rien du tout.
Dans la réalité, l'euro ne nous a pas protégés de l'appauvrissement généralisé du peuple français.
Dans la réalité, l'euro ne nous a pas protégés d'une catastrophe économique.
Dans la réalité, l'euro ne nous a pas protégés d'une catastrophe sociale.
Rédigé par : BA | 06 février 2009 à 11:57
B.A.
Et oui, La presse Nationale et économique passe son temps à parler de ce qu'elle ne connaît pas, et nous comme des pommes, à continuer à les lire !
De la même manière Nicolas Sarkozy a parfaitement expliqué aux Français ce qu’il a eu raison de faire et excellemment oublié de dire ce qu’il lui fallait cacher. Pourvou qué çà doure !
http://blog-ccc.typepad.fr/blog_ccc/2009/02/nicolas-sarkozy-a-parfaitement-expliqu%C3%A9-aux-fran%C3%A7ais-ce-quil-a-eu-raison-de-faire-et-excellemment-oubli%C3%A9-de-dire-ce-qu.html#comments
Rédigé par : Gilbert | 06 février 2009 à 19:03
Un article intéressant sur ContreInfo, comparant le protectionnisme à la paroi qui permet aux organismes vivants de subsister : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2556
Rédigé par : M'ENFIN! | 07 février 2009 à 13:57
@M'ENFIN,
M'enfin ! Les choses sont claires !
M'enfin ! N'importe quel écolier peut comprendre qu'il est important de se protéger et coller des étiquettes sur les choses (sport préféré de la médiocratie médiatique !)
Allons nous le faire de manière intelligente et productive, où revenir à de vieilles lunes éculées ?
THAT is the question.
Rédigé par : Ozenfant | 07 février 2009 à 19:15
Bakchich.info publie un dossier spécial Bernard Kouchner.
De la page 5 à la page 12, nous pouvons lire des informations incroyables, tout simplement incroyables, sur l’homme politique le plus populaire de France.
Désormais, il n’y a plus qu’une question, une seule question :
Quand Bernard Kouchner va-t-il démissionner ?
http://bellaciao.org/fr/IMG/pdf/Bakchich110lite.pdf
Rédigé par : BA | 08 février 2009 à 21:43