Patrick Artus est très certainement l’économiste orthodoxe le plus lucide et le plus clairvoyant que nous ayons. Il a entre six mois et un an d’avance dans la compréhension de la crise et de ses développements sur tous ses collègues du conseil d'analyse économique. Il avait annoncé le caractère irréversible de la crise il y a environ un an, et annoncé en octobre dernier, dans une note qui avait fait sensation, l’inévitable choc d’austérité qui se profile, propos qui commence seulement à être relayé avec zèle par nos bons éditorialistes, en attendant que les politiques s’y mettent.
Entre deux notes consacrées à l’étude des hypothèses d’éclatement de la zone euro ou à l’analyse des tares congénitales de l’union monétaire, Patrick Artus vient de nous livrer une petite pépite. Titrée « Comment faire repartir la croissance en Europe ? » elle apporte une réponse d’une étonnante simplicité qui fera la joie des gens de gauche. Mais plus important encore, au passage il enterre discrètement la stratégie de Lisbonne qui était censée guider notre adaptation dans la mondialisation.
Jusqu’à présent, lorsque Patrick Artus s’interrogeait sur les possibilités de reprise, il aboutissait comme beaucoup de ses collègues à l’espoir de voir l’économie européenne tirée par la croissance des pays émergents ou sur le développement de nouvelles industries à haute valeur ajoutée, probablement dans les secteurs de la croissance verte. Ces hypothèses sont désormais explicitement évacuées. Son analyse de la croissance des émergents est devenue définitive : elle n'aura guère d'impact sur les économies occidentales. On voit en effet que la part des importations dans la production manufacturière chute très rapidement, ce qui signifie qu'à terme, les émergents produiront eux même tous ce dont ils ont besoin. Quant au mirage de la réindustrialisation par l’économie verte, elle a carrément disparue de l’analyse !
Incidemment, Artus fait également un sort à la fameuse stratégie de Lisbonne grâce à laquelle les pays européens devaient pouvoir échapper à la concurrence par les coûts des émergents en se spécialisant sur travail sur les tâches à haute valeur ajoutée, la conception et les technologies de pointe. Ben, non finalement, ça ne marche pas !
Artus constate tout d’abord amèrement qu’aucun des pays occidentaux n’a vu la part des produits haut de gamme dans ses exportations augmenter depuis 10 ans. Pire, les cancres en matière d’efforts de R & D, Espagne et Italie, voient son score rester stable aux alentours de 10 % alors que le champion Etasunien, voit la part du haut de gamme dans ses exportations chuter très sensiblement de 36,8% à 28.1 % Finalement le seul pays pour lequel on peut constater une nette montée en gamme de ses exportations, c’est … la Chine !
Il examine ensuite le cas de deux « bons élèves » qui consacrent tout une part élevé et croissante de leur PIB à l’effort d’innnovation, le Japon et la Suède. Si cette politique a produit des résultats notables en termes de dépôt de brevets ou de nombre de chercheurs, on ne constate malheureusement aucun impact sur la productivité du travail. Artus nous l’annonce clairement : « Il faut être réaliste, Le succès de ces politiques restent incertain. Les pays émergents montent en gamme très rapidement et font d’énormes efforts de R&D et d’éducation supérieure. Même si ces politiques structurelles réussissent, elles ne produiront leurs effets que sur le long terme »
Exit donc, la stratégie de Lisbonne ! Envolé l’espoir d’une domination de l’occident dans la mondialisation grâce à l'intelligence intrinsèque de l'homme blanc sur ces Chinois juste bon à produire pour pas cher ! Il reste maintenant à en tirer les conséquences qui s’imposent. A quoi bon rester exposé à une intense concurrence sur les coûts dans un libre échange non régulé, si l’on a aucune chance de tirer notre épingle du jeu ?
Bien évidemment les facteurs de dépression, eux, sont toujours présent : Le désendettement privé et public qui continuer à comprimer la demande intérieure, ainsi que le l’augmentation des taux d’intérêts lorsque viendra l’heure de la « déglobalisation financière » (lorsque les excédents des pays émergents ne viendront plus financer les déficits des pays occidentaux)
Il n’y a plus qu’un espoir et un seul. Un seul levier pour recréer de la croissance. Il est simple, évident, tout ce qu’il y a de plus classiquement keynésien. Inutile de demander à une nouvelle commission Attali de rechercher des recettes magiques: Il faut stimuler la demande intérieure par une déformation dans le partage des revenus au profit des salaires, en clair : augmenter le pouvoir d’achat de la population. L’économie est parfois d’une réjouissante simplicité !
Seulement, voilà : le système s’oppose à une telle solution. L’emploi diminue, de même que la progression des salaires. Les profits continuent de manger les gains de productivité. Le capital continue son oeuvre prédatrice de manière inexorable et imperturbable. On n’a même entendu ces derniers temps qu’il faudrait à notre tour comprimer nos salaires et notre demande intérieure pour rejoindre nos amis allemands sur le chemin de la compétitivité !
La réduction de la fiscalité sur les revenus du travail pour la basculer sur les revenus du capital, proposition sur laquelle Artus conclue sa note, reste une solution praticable. Cependant, dans un contexte de totale liberté de circulation de la richesse et des capitaux, cette politique de rééquilibrage par la fiscalité semble exiger un minimum de coordination européenne.
Qui se charge d’expliquer cela à Angela Merkel ?
Malakine
@Malakine
Tient il est drôle de voir enfin un penseur du dedans s'apercevoir de l'impossibilité de se spécialiser des le hitech. Il suffit d'ailleurs de regarder l'histoire des pays actuellement développés pour voir que chaque fois qu'un pays était en rattrapage, il a toujours réussit à s'aligner scientifiquement sur les anciennes puissances industrielles. L'Allemagne, et le Japon l'ont bien fait par rapport à la Grande-Bretagne et aux USA pourquoi les chinois n'y arriveraient il pas?
Par contre comme d'habitude rien sur le protectionnisme, il faut croire que Artus ne réalise pas qu'en relançant la demande comme il le dit il va surtout accélérer encore la croissance asiatique. C'est d'ailleurs ce que j'ai expliqué à propos du Japon, ce pays n'arrive plus à faire grimper ses salaires.Et ce, malgré un chômage assez faible et des plans de relance qui se sont succédés pendant les années 1990-2000. Seule la dette publique a enflé et aujourd'hui l'excédent japonais décline, il sont même en déficit commercial depuis quelques mois. Si les japonais n'arrivent pas à créer une société du savoir nous ne risquons pas d'y arriver.
Rédigé par : yann | 01 avril 2010 à 13:25
Note très intéressante de Patrick Artus qui fait le bon constat et fait des propositions bien vues sur la fiscalité.
Malgré tout, ses propositions sont beaucoup trop limitées (pas de protectionnisme, de fin de la monnaie unique....
Et surtout, ne sacralisons pas les propos de Patrick Artus. Jean-Luc Gréau m'a passé une interview du même Artus en août 2008 au Nouvel Obs. Je ne résiste pas à vous donner quelques extraits (nous sommes en août 2008) :
Nouvel Obs : La France est-elle en train de s'enfoncer dans la récession ?
PA : Avec le contre-choc pétrolier, l'économie va repartir mécaniquement à la hausse. 10% de baisse du prix du baril, c'est un quart de point de croissance en plus (...) Donc on ne peut pas dire effectivement que la France soit menacée par la récession.
PA : "Si nous accusons aujourd'hui ce recul de 0.3% (PIB 2ème trimestre), c'est d'abord en raison du retournement du marché de l'immobilier et de la contraction du crédit. Ce qui n'est pas une conséquence de la crise des subprimes outre-Atlantique, mais... une crise née des évolutions économiques propres de la France"...
Rédigé par : Laurent Pinsolle | 01 avril 2010 à 13:37
Sacré Malakine...
J'y ai cru, puis j'ai relu la date....
Un 1er avril, nous faire cela....
;-)
CM
PS : Bon, blague mise à part, depuis le retournement de Saint Etienne vis à vis de l'€, tout est possible... en théorie !
Rédigé par : CM | 01 avril 2010 à 15:15
Jacques Sapir fait une analyse plus détaillée et propose des solutions qui permettent à l'Europe de s'en sortir sans pour autant en faire bénéficier l'Asie.
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=3010
Rédigé par : Zigfrid | 01 avril 2010 à 15:37
Nicolas Dupont-Aignan avait écrit un article très intéressant le mois de janvier dernier :
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2949
Depuis, je rajouterais que :
- Huawei est passe numéro deux dans les sur le marché des équipements de réseaux mobiles.
Huawei, fait allégrement du bon "business " en Europe.
-Geely a acheté Volvo cars.
Ce qui empêche les chinois de venir vendre en Europe, c'est la sécurité des véhicules.
Là,"jackpot", pour un peu de liquide (avec 500 millions de prêts de l'Etat Suédois et 800 millions de la Banque européenne d'investissement), il achète le spécialiste mondiale :
http://www.leblogauto.com/2007/04/volvo-80-ans-de-securite.html
http://www.garage-bruttin.ch/Files/xc60.pdf
Si j'étais chinois, j'installerai des puissants ordinateurs Lenovo (chinois) –anciennement IBM- avec des routeurs et serveurs de Hauwei pour télécharger tous les fichiers 3D et outils des suédois. Fabriquer des voitures en Chine et les exporter en Europe.
A moins que Jacques Calvet revienne réimposer les barrières douanières comme il l'avait fait avec les japonaises ;-)
Que cela soit une blague ou pas, je trouve que les économistes "officiels" sont longs à la détente par rapport a ce que l'homme de la rue voit.
Rédigé par : Abdel | 01 avril 2010 à 16:49
@Malakine,
Pour la haute technologie, je peux te dire, à ma connaissance, bien sûr, que l'informatique en France, c'est mort. Tout les grands projets sont délocalisés vers l'Inde principalement. Autant dire que la recherche et développement dans ce secteur, c'est terminé... Même quand tu cherches dans les emplois CES (actuellement CAE)des postes dans ce secteur, tu ne trouves RIEN.
Je pense que l'on viendra au protectionnisme, pur et dur, parce que l'on ne peut pas laisser des millions de gens au chômage, sans que cela dégénère salement. Je ne sais pas si c'est la bonne solution, mais il va falloir faire quelque chose, je me souviens d'une vidéo de Bernard Maris qui disait qu'il fallait faire quelque chose avant que des mecs en chemise brune viennent embarquer des chômeurs dans des camions et les amènent dans des casernes...Je peux te dire que par mon statut, je suis obligé de fréquenter les ANPE, et là, cela devient vraiment dur pour tous les gens qui essayent de garder leur dignité...
Rédigé par : baloo31 | 02 avril 2010 à 12:22
@ Malakine
C’est quoi ces photos pourries de P.Lamy ? Tu veux nous faire faire des cauchemars ?
« L’économie est parfois d’une réjouissante simplicité ! » C’est souvent le cas quand elle est pratiquée par des gens compétents et pas par des charlatans ou des cyniques !
« Qui se charge d’expliquer cela à Angela Merkel ? » Et à Sarkozy ?
La conclusion d’Artus vaut la peine d’être citée in-extenso :
« Il paraît donc légitime :
• de réduire la pression fiscale sur les revenus du travail, pour soutenir la demande et l'emploi ;
• d'accroître la pression fiscale sur les revenus du capital, puisqu'il y a faible besoin d'investissement, et sur la pollution. »
Rédigé par : RST | 02 avril 2010 à 16:57
"… ce qui signifie qu'à terme, les émergents produiront eux-mêmes tout ce dont ils ont besoin".
Ben oui ! Et on ne peut déjà plus en dire autant, c'est bien le problème… Sans doute était-ce d'ailleurs PLANIFIE, depuis le début, par les gouvernements desdits pays émergents… qui ont su profiter intelligemment de la cupidité immonde de nos dirigeants, lesquels ont vu là un moyen de demeurer "plus riches que riches" pour dix générations - ils risquent néanmoins d'être déçus car leurs "amis" émergents n'auront bientôt plus besoin d'eux… ni de nous évidemment.
Un petit lien pour compléter :
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/04/RIMBERT/17031
Rédigé par : Joe Liqueur | 02 avril 2010 à 23:14
Lucide Artus ? Bof : Challenges en avrilÞ2008Þ:
«ÞLa crise est finie». Avec des arguments savants il affirmait que «l’essentiel de la crise des subprimes est derrière nousÞ», que les États-Unis ne connaîtraient pas
de récession et que la Chine ne connaîtrait pas de ralentissement.
Rédigé par : Philippe COhen | 04 avril 2010 à 19:48
Sur le fond, un minimum de protectionnisme bien pensé serait utile à tout le monde. en fait c'est déjà ce qui se passe dans beaucoup de pays émergents. La Chine, l'Inde, Singapour, etc. sont des pays qui pratiquent un protectionnisme sans état d'âme. C'est à dire qu'ils protègent (ou tentent) les intérêts de leurs nations. Aux USA et en Europe, le degré de protectionnisme est beaucoup plus faible, car ce qui est recherché n'est pas la défense des intérêts des peuples, mais celle de leurs oligarchies industrielles et financières, ce qui est très différent.
Depuis des dizaines d'années nous avons dû subir les arguments les plus débiles : maintenir une avance technologique permanente (ce qui suppose que les autres soient plus cons que nous), se spécialiser dans les domaines où nous avions des avantages comparatifs permamanents (lesquels ? : le tourime ?). Bien évidemment ces "solutions" sont de la poudre aux yeux. En attendant, notre monde s'écroule, et personne ne semble en vue au niveau politique français et européen pour adopter les stratégies de vraie rupture qui pourraient nous aider.
Le futur s'annonce très sombre.
Rédigé par : BCM | 05 avril 2010 à 09:26
Les analyses de P. Artus peuvent sembler à certains des lecteurs de ce blog soit bien tardives soit incohérentes avec celle faites par lui même il n'y a de cela que quelques mois: je crois qu'il faut reconnaitre plutôt
1. l'honnéteté intellectuelle de quelqu'un qui "avance" dans le cadre d'une démarche très structurée (tout en étant très claire à l'immage de l'ensemble des notes Natixis publiée et à disposition librement sur le Net dont ce post extrait une des dernières)
2. le fait positif que des personnes potentiellement influentes commencent à converger vers une analyse en phase avec celle exposée dans ce blog.
Converger sur l'analyse et le constat est un point très important. Maintenant reste le plus difficile (et de loin) qui est de trouver des "solutions". Je mets "solutions" en guillement car avant de trouver une "solution", il faudra aussi se mettre d'abord sur une cible et c'est en fait le point le plus critique: c'est bien sûr là qu'intervient la notion de "politique". Quel projet pour la France/ les Français? Projet "réaliste" (étant donné les circonstance et les contraintes qui pèsent sur nous) mais pouvant/ devant rallier une majorité de citoyens... sachant que bien sûr (et c'est là le point le plus "tricky") le résultat sera lié aussi à notre capacité à nous mobiliser ensemble vers un objectif partagé en tant que société.
C'est pourquoi, au lieu de critiquer les uns ou les autres, il faut à mon avis plutôt profiter de toutes les opportunités de dialogues/ convergences.
Et dans ce cadre, je ne peux qu'applaudir ton initiative Malakine, le contenu et le ton de tes billets. Bravo et bonne suite.
Rédigé par : Franck FRR | 06 avril 2010 à 21:23
@ Franck
Je suis conscient de tout ça. Il n'y aucun changement à espérer tant que le bon diagnostic ne fait pas consensus et qu'un projet alternatif et son mode d'emploi n'auront pas vu le jour. Actuellement, il n'y a ni l'un ni l'autre.
Pour ce qui est du diagnostic, ça avance doucement comme cette note le montre, et connaissant l'effet moutonnier des économistes de plateau, il ne s'en faudrait de pas beaucoup pour qu'ils s'alignent tous sur le constat d'une insuffisance structurelle de la demande corrélée à une explosion des besoins.
Pour ce qui est de la recherche d'alternative, la question est ouverte. On a tous quelque chose à apporter et on peut effectivement prendre quelques initiatives ... ;-)
Rédigé par : Malakine | 06 avril 2010 à 22:58
Heureusement notre Pascal Lamy national garde le cap !
"Commerce international: mythes et réalités, selon Pascal Lamy"
http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-ries/140410/commerce-international-mythes-et-realites-selon-pascal-lamy
Rédigé par : Bouboune | 14 avril 2010 à 18:25