Dans une lettre ouverte publiée notamment dans Marianne2, Jacques Sapir a gentiment « tiré les oreilles » de Benoit Hamon suite à ses prises de position récentes sur la dette publique selon lesquelles « la France serait ruinée ». Celui-ci a répondu dans une tribune sur laquelle Sapir a ensuite réagi.
Le débat est intéressant car les positions des contradicteurs sont en réalité très proches. Tout deux sont pour une relance par la demande et l’instauration d’un certain protectionnisme. Leurs analyses divergent en revanche sur l’Europe. Pour Hamon, le cadre européen est compatible avec une politique de relance sous réserve de certaines modifications. Pour Sapir, le cadre européen nous conduira à la déflation et celui-ci doit être considéré comme intangible. La situation impose donc d’en sortir. Pour le professeur Sapir, la dette globale de la France reste mesurée comparée
à celle de nos voisins. Mais surtout le déficit public est absolument
nécessaire en cette période où le danger principal est présenté par la
déflation. Cependant, Sapir précise qu’à terme la France, comme d’autres pays
européens devra envisager une sortie du cadre européen : financement de la
dette par des prêts à taux nul de la banque centrale, sortie de l’euro,
dévaluation de 25% et relance vigoureuse de l’économie.
Benoît Hamon vient de lui répondre dans Marianne2.
La première partie de son texte est sans surprise et n’appelle guère de
commentaires tant le propos est juste. Hamon souligne que le gouvernement crée
avant tout de la « mauvaise dette » avec une politique fiscale
injuste et inefficace de cadeaux fiscaux. Là où Hamon marque un point de
désaccord majeur avec Sapir, c’est qu’il exclue toute sortie du cadre européen.
Pour lui, l’Euro permet aujourd’hui une politique de relance par la demande,
sans qu’il soit nécessaire de dévaluer comme cela avait été le cas lors de la
relance de 1981.
Benoit Hamon exprime toutefois le souhait que
quelques (petites) règles européennes soient modifiées : réactivation du
tarif extérieur commun (protectionnisme européen), abandon du pacte de
stabilité, possibilité de financer les déficits publics par création monétaire,
et enfin modification des statuts de la
BCE pour imposer un alignement de la politique de taux
d’intérêt sur celle de la FED.
Sapir lui a objecté dans un rapide commentaire que ces solutions étaient à la fois illusoires pour cause d’exigence d’unanimité à 27 et irréalistes car l’existence d’un pacte de stabilité strict est une des conditions vitale au maintien de la zone euro. Il confirme donc sa préférence pour l’hypothèse de sortie de l’Euro, une solution certes difficile mais non impossible.
Il semble qu’on s’approche enfin du vrai débat. La première question est technique : Une politique de relance est-elle compatible avec le cadre des traités européens ? L’autre est purement politique : Doit-on encore tout miser sur une refondation de l’Europe ou doit-on oser envisager une solution autonome ?
La relance est-elle eurocompatible ?
Cette question peut être rapidement tranchée. Car même si Benoît Hamon affirme
en conclusion que « l’absence de
coordination européenne des politiques de relance et malgré un euro trop fort,
une stimulation de la demande (consommation et investissement) opérée dans un
seul pays « à la 1981 », tout en restant dans la zone Euro, ne pose aucun
problème . Un pays qui adopterait
une politique de gauche et dont le commerce extérieur se dégraderait
temporairement ne serait pas obligé de dévaluer ou, comme ce fut le cas en
1983, d’ouvrir la parenthèse de la rigueur. » Il met tellement de conditions , que l’on
peut dire que la relance est intenable dans l’état actuel des règles communautaires
et du fonctionnement de l’Europe.
On ne peut toutefois émettre quelques doutes sur la
conclusion de Hamon, tant elle semble frappée d’une contradiction interne. Si
la monnaie est surévaluée, le pays ne connaît pas un problème conjoncturel de
commerce extérieur mais un problème durable et structurel de compétitivité.
Penser qu’un financement massif de l’investissement productif (par la dette)
suffirait à rétablir la compétitivité est a minima un sacré pari !
Le
schéma de la relance dans une économie ouverte et plombée par des problèmes de
compétitivité structurels ressemble fort à une « perfusion faite à un
malade souffrant d’hémorragie » (pour reprendre l’expression de Stiglitz).
Ce schéma risque fort de se traduire par une très
forte dépendance de toute l’économie à la dépense publique, donc à une envolée sans
fin de la dette. D’où les conditions posées par Hamon (suppression du pacte de
stabilité, baisse de la valeur de l’euro, protectionnisme européen,
monétisation des dettes publiques) La position de Hamon n’est peut-être pas réaliste,
mais au moins on ne peut pas lui reprocher de ne pas être cohérent.
L’Europe, on
la change ou on la quitte ?
Le débat n’est pas nouveau parmi les eurocritiques
entre ceux qui croient en la possibilité d’un changement politique au sein de l’Europe
et ceux qui n’y croient pas. J’ai fais partie de la première catégorie, jusqu''à ce que les évènements finissent par avoir raison de mon europhilie.
Comment ne pas désespérer du système politique quand on observe qu'il n'a produit aucun débat sur un contre projet après le non de 2005., que malgré
ses discours de campagne, Sarkozy n’a pris aucune initiative ni
pour lutter contre la surévaluation de l’Euro ni pour mettre en œuvre la
préférence communautaire, que la
dernière campagne européenne s’est faite sur le thème « sauvons la planète
des dérèglements climatiques » et que les partis eurocritiques campent toujours
sur un nonisme stérile ...
Alors certes, on peut espérer que la prochaine
campagne européenne se fasse sur le thème de « l’Europe on la change ou on
la quitte » On peut espérer … Mais si vous voyez un candidat prêt à
endosser ce discours, dîtes, car moi je ne vois pas ! Si même Hamon n’ose
pas briser ce tabou …
Il semble aussi qu’à mesure que le temps passe, le
problème ne fait que s’épaissir. Il y a encore deux ans, la revendication
portait sur l’instauration d’un protectionnisme européen, ce que les esprits éclairés jugeaient déjà totalement irréaliste pour cause d’opposition de l’Allemagne. Aujourd’hui, - on le voit avec ce débat - l’enjeu ne se limite plus au protectionnisme, mais à
toute une série de réformes aussi substantielles qu’explosives ! Et
encore, le camarade Hamon a oublié de mentionner dans sa liste des points à obtenir de nos partenaires européens :
l’édiction de règles encadrant strictement le pouvoir actionnarial et la
finance spéculative, une harmonisation fiscale pour en finir avec les pratiques
de dumpings ou la fameuse « Europe sociale » des droits qu’il faut
faire converger par le haut …
En outre, la
crise étant passée par là, on voit bien l’esprit européen s’est sérieusement
émoussé et que le mode du chacun pour soi revient en force. Plus le temps
passe, plus les politiques économiques divergent, notamment celle de la France et de l’Allemagne. On imagine la réponse de la chancelière en 2012 à un président français
qui lui présenterait la liste de nos exigences « Ecoutez, si vous n’êtes pas
capable de vous soumettre à la discipline de la loi commune, vous sortez ! »
C’est pourquoi Jacques Sapir a raison de ne pas
attendre la prochaine étape de la crise, pour affronter le tabou du respect du
cadre européen. Une chose est sûre : le débat doit se poursuivre. C’est
pourquoi je publie un nouveau texte inédit de Jacques Sapir où il présente sa
stratégie de sortie du carcan monétaire que constitue l’Euro aujourd’hui.
Malakine
Article publié dans Marianne2 sous le titre "Il faut accepter une sortie de l'Euro"
Je pense que Jacques Sapir a raison : les réformes de l'UE prendront trop de temps à être prises parce qu'il faut un consensus à 27.On a bien vu le temps nécessaire pour obtenir de nos partenaires la TVA à 5,5% pour la restauration. On aura le temps de mourir, le temps que l'UE se mette d'accord!
Je pense que la crise financière et économique non résolue imposera des solutions que Benoît Hamon et tous ses amis socialistes le veuillent ou non!
Rédigé par : cording | 08 octobre 2009 à 19:59
"Dans les conditions actuelles, je ne vois pas en quoi une réforme de l'Europe et de la zone Euro incluant une révision drastique du statut de la BCE, un abandon du pacte de Stabilité, et l'autorisation de financer une partie des déficits par la Banque Centrale apparaît moins illusoire qu'une sortie de l'Euro", dit Jacques Sapir en réponse à Benoît Hamon. Certainement, mais on pourrait presque lui adresser l'objection inverse, tant nos hommes politiques n'osent pas aborder ces questions (en tout cas dans le débat public) dont Jacques Sapir nous aide à comprendre les enjeux.
Malakine, il est presque impossible de poser le problème de la sortie de l'Europe comme tu le fais (avec d'autres). Dans les circonstances actuelles, sauf aggravation dramatique de la situation économique, à peu près personne ne veut entendre cela, sauf dans quelques petits groupes politiques très minoritaires, et pas toujours fréquentables (pour moi, bien entendu).
La seule manière d'être entendu sur les questions économiques, par ceux qui ne considèrent pas l'Europe comme le mal absolu s'entend, c'est de dire, comme Emmanuel Todd, que le projet européen n'est viable qu'à condition d'en changer l'orientation, et d'exiger de l'Allemagne qu'elle prenne ses responsabilités. Cela tombe bien, c'est exactement mon état d'esprit. :-) Non, sans rire, sinon on se met à dos tous ceux qui seraient éventuellement prêts à changer (et parfois le souhaitent effectivement) l'orientation néo-libérale de l'Europe, mais qui tiennent au projet européen.
C'est pourquoi je n'attends presque rien du front de gauche et de sa quête identitaire (et puis bonne chance s'ils veulent suivre les recommandations de Jacques Sapir avec le PCF et le NPA). On peut juste attendre qu'il contribue à flanquer une déculottée au PS, et espérer que celui-ci se réveillera.
Personnellement, je pense qu'il existe un candidat*, qui a commencé à évoluer sur ces questions - même s'il n'ose pas (encore?) aller très loin -, susceptible de porter, dans le cadre d'une campagne présidentielle, au moins certaines des idées que nous (disons au moins toi et moi, je ne veux pas engager les autres) défendons ici. Si en tout cas on ne braque pas sa famille politique. C'est pourquoi j'aimerais que, quelque légitimes que soient leurs critiques, les nonistes soient moins... disons nonistes.
* Sur ce dernier point, j'admets parfaitement que l'on se foute de ma gueule. Pour l'instant. :-)
Rédigé par : Archibald | 09 octobre 2009 à 13:58
J'ai l'impression que Sapir oublie la politique de terre brulée menée par la droite depuis la crise.
Cet argent distribué injustement met tout de même la France dans l'obligation d'une rigueur budgétaire imminente ou d'une inflation fiscale.
Cette dette sera l'argument principal pour faire passer cette pilule, injuste une fois de plus (car on ne peut attendre autre chose de ce gouvernement).
Rédigé par : EtienneB | 11 octobre 2009 à 02:02