Le G20 ne s’était pas encore réuni que tous les commentateurs annonçaient déjà une absence de décisions réelles propres à assainir sérieusement le monde de la finance pour que de nouvelles crises telles que celle qu’on a connu l’an passé ne survienne de nouveau. Pourtant, chacun y va de ses propositions.
Frédéric Lordon a profité de l’occasion pour exposer une nouvelle fois dans « si le G20 voulait » son programme d’arraisonnement de la finance dont il veut refaire un métier « terne et ennuyeux » Philippe Cohen, dans Marianne2, s’en est inspiré pour exposer lui aussi des grandes pistes de réformes qui devraient guider nos gouvernants. Soyons clair, ce ne sont pas les idées qui manquent. Il est probable que n’importe quel économiste à qui l’on demanderait ce qu’il convient de faire pour assainir le système financier aurait ses propres propositions radicales à proposer.
Pourtant rien ne bouge. L’attention de l’opinion est attirée sur quelques sujets périphériques comme le mode de rémunérations des traders ou les accords de coopérations fiscales, mais aucune des causes qui ont provoqué la crise financière n’est en voie d’être traitée. La « sortie de crise » va se faire avec un secteur financier qui continuera à rechercher et qui continuera à obtenir des gains mirifiques dans lune économie mondiale en stagnation, qu’elle continuera à vampiriser de toutes ses forces.
Je ne reviendrais donc pas sur les solutions. Je revois pour cela au dernier texte de Lordon. Ni sur les causes de disparition de la croissance ou sur les facteurs de risques qui subsistent. Je voudrais porter le regard sur les causes qui rendent toute réforme sérieuse de la finance impossible.
A l’occasion du précédent G20, j’avais déjà indiqué pourquoi cette pseudo instance ne pourrait jamais évoluer en gouvernement de la mondialisation et au-delà pourquoi l’idée d’une démocratie mondiale était une pure chimère. Je n’y reviendrais pas.
Frédéric Lordon le dit aujourd’hui autrement dans une interview donnée à Télérama :
C'est la nouvelle gentille doxa en matière de mondialisation : la mondialisation économique est allée un peu trop loin un peu trop vite ; il suffit que la mondialisation politique la rattrape et nous donne les bonnes institutions. Malheureusement, c'est ignorer que la construction d'institutions dotées de réels pouvoirs régulateurs suppose des conditions de puissance qu'on ne trouve que par l'adossement à une véritable communauté politique. Or la république mondiale n'est pas exactement à l'ordre du jour. Les appels incessants à la coordination mondiale sont devenus le passeport pour le statu quo ou le compromis a minima - on ne le voit que trop à propos de la finance
Une lutte des classes au niveau mondial
Le développement de la finance a généré une nouvelle classe sociale d’hyper-riches qui tirent tous les bénéfices du système. Il ne faut évidemment pas s’attendre à ce qu’ils se sabordent après avoir pris conscience de l’indécence de leur privilèges. Lordon évoque dans son texte, un ordre de domination verrouillé qui ne pourrait changer que par un évènement de l’ordre du soulèvement, c'est-à-dire en clair, une révolution mondiale. Une question toutefois : Comment des populations dominées pourraient s’unir pour lutter contre une classe dominante globalisée lorsqu’elles sont cloisonnées en autant de peuples et de nations que compte l’humanité et de surcroît mises soigneusement en concurrence féroce les unes contre les autres ?
Inutile non plus de compter sur la voie républicaine pour contenir le pouvoir de cette nouvelle classe globalisée d’hyperdominants tant elle est unie par des liens de consanguinité avec la classe des dirigeants politiques. L’ouvrage de Jean Michel Quatrepoint “La dernière bulle” (sur lequel on reviendra) décrit dans le détail la main mise de la banque d’affaires Goldmann Sachs sur l’administration Obama. Mais on pourrait en dire autant de la France à propos des passerelles entre la technostructure et les milieux de la haute finance. Comment un jeune inspecteur des finances de Bercy pourrait avoir la folle idée de proposer ou de mettre en œuvre des règlementations contraignantes à l’égard du secteur bancaire tant qu’il pourra espérer dans quelques années pouvoir pantoufler pour bénéficier à son tour de ces immenses privilèges ?
L’affaire Pérol l’a bien montré au printemps dernier. Il est évident que l’intéressé avait tout intérêt à préserver le système lorsqu’il était à l’Elysée et non de le nationaliser comme l’Etat aurait du le faire. Il avait un intérêt direct et personnel à pouvoir rejoindre une banque libre de ses mouvements plutôt qu’une banque retransformée en banal service public dont il n’aurait été qu’un triste administrateur.
De l’impossibilité d’éradiquer l’industrie financière
Lorsqu’on demande à Lordon comme le fait le journaliste de télérama s’il veut organiser l’exode des traders, il répond avec joie, arguant de l’inutilité sociale manifeste de cette activité. Quelle disparaisse du territoire national et l’économie ne s’en portera que mieux !
Je me permettrais pour une fois de marquer un point de désaccord avec Lordon. Cette idée est certainement juste à un niveau théorique et global, mais elle me semble fausse en pratique, si on la pense dans un cadre national ou territorial. Car si les extraordinaires revenus générés par l’activité financière sont bel et bien d’une manière ou d’une autre prélevés sur l’économie réelle (ce en quoi la finance de marché peut être regardée comme économiquement nuisible) ils retombent bien sous forme de dépenses privées dans l’économie réelle à un endroit ou à un autre. Concrètement, conduire les traders à l’exil priverait l’économie locale et nationale d’une source de revenus, et donc d’emplois, dans le commerce de luxe ou les services pour privilégiés que l’on trouve généralement dans les villes capitales. On peut comprendre qu’un président de la république rechignent à mettre en péril des pans entiers de l’économie nationale en prenant le risque de faire fuir des emplois aussi bien rémunérés.
La difficulté d’éradiquer la finance se comprend encore plus aisément au niveau macro. Dans la mondialisation certains pays se sont spécialisés dans les activités financières et, croyant à la viabilité de ce modèle, ont sacrifié leur industrie. On comprend qu’ils acceptent difficilement de faire une croix sur le seul moteur de leur économie. Comment les Etats-Unis pourraient financer leurs importations s’ils ne peuvent plus exporter en contre partie leurs produits financiers plus ou moins toxiques ? Par quels revenus de substitutions alimenter leur économie domestique particulièrement riche en services à la personne ? (ou emplois de domesticité pour parler comme un auteur bien connu)
On voit ici l’étendue du problème. L’arraisonnement de la finance entrainera des pertes d’emplois et de revenus considérables pour les pays (ou les villes) les plus financiarisés. Cette voie nécessite concrètement que des solutions alternatives pour la reconversion de leur économie leur soie ouvertes. On lisait récemment dans le monde un article sur les difficultés économiques de la grande Bretagne. Celui-ci se concluait par cette sentence hallucinante : « Le Royaume-Uni devra passer d'un modèle ayant pour moteur la demande, tirée par les actifs, à un autre modèle générateur de croissance grâce aux exportations nettes »
En clair, ce journaliste éclairé conseillait à la grande Bretagne d’inverser radicalement son modèle économique pour passer d’un statut d’économie consommatrice et importatrice à une économie productive et exportatrice ! Dans le même ordre d’idée, certains qui pensent que la croissance de demain sera tirée par les importations chinoises … Ceci n’est que pur délire. L’inversion des polarités de la mondialisation est tout aussi probable qu’une auto-dissolution de la classe des seigneurs de la finance.
Concrètement, le définanciarisation de l’économie ne pourra pas se faire seulement avec les remèdes du professeur Lordon. Elle s’inscrira dans un ensemble global qui inclura notamment un volet monétaire et un volet commercia ou ne sera pas.
Quelques remarques en vrac pour avoir le plaisir d'être le premier à poster.
Tu parles des dépenses des traders qui seraient perdues localement si il partaient. Mais de quels ordres de grandeur parle-t-on exactement ? Et de quel genre de dépenses ? Les millions qu'ils accumulent, ils ne peuvent pratiquement pas les dépenser entièrement. Ils investissent. Et puis ils voyagent aussi. Ils achètent des produits importés. Bref, je serais vraiment curieux de savoir quel leur impact réel sur l'économie locale.
Je suis d'accord avec toi qu'aujourd'hui ce ne sont pas les idées qui manquent mais la volonté politique. Ceux qui ont le pouvoir n'ont aucun intérêt à ce que les changements de structure préconisés par Lordon aient lieu. Je ne crois pas non plus à la révolution mondiale. Bref, c'est pas la joie.
Je n'ai pas bien saisi ta conclusion. Quand tu parles d'un volet monétaire (chacun ses marottes comme dirait Lordon) par exemple tu penses à quoi ? Une réforme du système bancaire ? L'apparition des monnaies libres ? Quoi exactement ?
Rédigé par : RST | 25 septembre 2009 à 22:47
Tu n'as pas tort. Les oligarques de la finances ne dépensent pas tout. Néanmoins il vivent bien quelque part avec tout ce que ça suppose de dépenses courantes, notamment dans le commerce de luxe.
Le volet monétaire c'est tout simplement la question de la compétitivité extérieure dans l'hypothèse d'une réindustrialisation des économies financiarisées : la valeur de l'euro, du dollar, de la livre, du yuan ... Je ne suis pas un obsédé des questions monétaires, mais quand même, les parités monétaires sont avec le protectionnisme et la politique industrielle l'autre instrument pour rééquilibrer ses échanges extérieurs.
Rédigé par : Malakine | 26 septembre 2009 à 13:17
En plus de l'itw en deux parties sur télérama, je signale une longue itw audio de Lordon dans l'émission "las bas si j'y suis"
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1745
Rédigé par : Malakine | 26 septembre 2009 à 18:36
Salut, (je suis pour les retrouvailles sobres)
« Les oligarques de la finance vivent bien quelque part ». Effectivement, la montée en puissance d’une hyperclasse transnationale et parasitaire de l’économie réelle (réelle dans le sens où elle pourrait se passer de la finance mondialisée pour exister) a eu pour corollaire le plus voyant l’explosion du prix de l’immobilier dans les centres de la majorité des grandes villes européennes. Prenez simplement une ville comme Marseille (désormais si proche de Londres ou de Paris), où l’histoire récente des énormes travaux de rénovation du centre ville est liée directement à la recherche effrénée de « Pied à terre » au bénéfice de cette nouvelle classe, et au détriment des anciens habitants autochtones souvent sommés de déguerpir.
Le bénéfice de l’opération ne me semble guère évident, car si ces populations sont plus à même, en principe, d’investir dans le luxe, ils ne rapportent pas plus que les anciennes au commerce traditionnel (la consommation de faux-filet d’un trader est-elle exponentielle en fonction de ses revenus ?). Celui-ci est d’ailleurs obligé d’aller chercher ailleurs une source de revenus moins volatile. Dans certains quartiers de Lyon comme de Marseille, il vaut mieux avoir ainsi envie d’acheter un sac en croco qu’une baguette de pain ou un café crème au comptoir. Quant au gâchis économique, urbanistique et environnemental qu’entraîne cette nouvelle configuration autour des villes, et forçant les nouvelles populations d’exil à s’organiser comme elles peuvent, il est bien connu aussi.
L’utilité économique locale de l’oligarchie financière est donc à prendre avec des pincettes. De toute façon il faudra bien choisir un jour entre cette utilité là et l’utilité de tous les autres acteurs de l’économie. Quand par exemple il faudra rembourser les emprunts considérables que l’on a contractés pour préserver à vue la paix sociale et la paix civile. Alors il faudra choisir : ce sera ces dernières ou la prospérité personnelle des petits soldats de la finance.
Rédigé par : Daniel Dresse | 26 septembre 2009 à 23:58
Bonjour (après une longue absence),
je reviens sur le commentaire de D Bresse. En effet quand Malakine écrit « Concrètement, conduire les traders à l’exil priverait l’économie locale et nationale d’une source de revenus ... » il ne fait qu’exprimer de manière intello ce que l’on entend tous les jours dans les milieux populaires « il faut bien qu’il y ait des riches pour que les pauvres aient du travail .. »
Cette question est donc très importante, car elle est enracinée dans nos croyances.
Pour suivre le commentaire de D Dresse, il me semble qu’il vaut beaucoup mieux pour l’économie et l’écologie, beaucoup de SMIC, de salaires « décents » qu’un seul gros salaire (revenu) à somme équivalente.
Ceci dit, je ne répond pas complétement, car, comme le dit Malakine, les traders seront ailleurs. Il faut coupler cette mesure d’une interdiction législative de spéculer sur fonds propres à toutes les banques ayant des guichets en France et recevant des dépots du public (techniquement c’est très facile, il suffit de refuser leur agrément). Dans ce cas on perdra marginalement quelques dépenses des quelques traders et banquiers (*), mais on gagnera sur la spéculation immobilière et autre, mais surtout on évitera dans 5 ans, ou 10 ans, ou plus d’avoir à rembourser leurs pertes faramineuses (voir Dexia et ce que cela coûte au contribuable). Et le bilan, dépenses des traders en moins dans le commerce local, remboursement de leur perte sera sans doute largement positif (du moins il l’aurait été).
Il serait utile de regarder de prés le cas de la City de Londres, centre financier important. En quoi cela a-t-il profité aux anglais autres que banquiers et traders ? Je n’ai pas la réponse, mais si quelqu’un a des éléments je serai très intéressé.
marc-sevres
(*) pour être honnête, il faut aussi compter les salaires de ceux qui leur permettent de travailler, à savoir encadrement bancaire, informaticiens...et les dépenses de leur famille (ou assimilée).
Nb : on retombe toujours dans le même débat : action au niveau national, ou attente d’un hypothétique accord international, européeen ou autre. Sans prétendre que tout peut être fait au niveau national, beaucoup peut être fait. Seulement nous prenons le prétexte de la « mondialisation » pour ne rien faire. Quand aux accords internationaux, il sont fait pour être rompus quand on le veut (qui se souvient de la contrainte de 3% de déficit inscrit dans le marbre des accords de l’euro ? qui a empêché Obama de prendre des mesures protectionistes sur les pneus chinois, contrairement aux accords de l’OMC ? etc ...).
Rédigé par : marc-sévres | 27 septembre 2009 à 18:19
Bonjour (et merci d'avoir repris la plume!)
Je suis très étonné de lire sur ce blog "conduire les traders à l’exil priverait l’économie locale et nationale d’une source de revenus, et donc d’emplois, dans le commerce de luxe ou les services pour privilégiés que l’on trouve généralement dans les villes capitales"
A mon avis, distribuer 100,000 euros de salaire à 1 personne ou 100,000 euros de salaire réparties sur 50 personnes n'engendre pas les mêmes retombées pour l'économie locale : aussi gourmand soit-il, le trader ne dépense pas 50 fois plus, sauf peut-être en produits "high tech bobo" dont l'utilité peut-être discutée. Et comme signalé par les commentaires précédents, les hyper riches ont tendance à générer une inflation des coûts de logement qui vident de leur population le centre des grandes villes.
Donc pour ma part je n'ai rien contre l'exil de ces parasites, bien au contraire.
Rédigé par : Bouboune41 | 28 septembre 2009 à 15:28
Je comprends que ça vous fait mal de lire que l'industrie financière à une utilité économique. Globalement non, vous avez raison, mais territorialement oui.
Prenez l'exemple du tourisme. On pourrait dire également que le tourisme c'est nul, que ça défigure les paysages, que ça développe la prostitution et la pédophilie, que ça comporte parfois un effet d'éviction des populations locales ... Pourquoi pas dire cela au niveau macro, en effet.
Mais les activités touristiques permettent de capter des revenus de l'extérieur pour faire tourner une économie locale. C'est ce qui se passe avec la grande Bretagne. Avec la City, elle capte une partie des revenus de la spéculation financière alimenter son économie. Si la City explose, Londres se reconverti comment ?
C'est tout ce que je voulais dire : Il ne faut pas attendre des Etats qui ont les économies les plus financiarisées qu'ils se sabordent. Est-ce qu'on imagine la France vouloir bannir les touristes de son territoire ??
Rédigé par : Malakine | 28 septembre 2009 à 18:47
@Malakine
Je ne suis pas d'accord et l'exemple du tourisme est mauvais.
Vous citez l'exemple de pays où certains font du tourisme sexuel. On peut se poser des questions sur la structure sociale et politique de ces pays. Comme mauvais exemple, je pourrais avec mes euros faire du tourisme sexuel au Gabon. Mais nous oublions que le peuple est très pauvre ,mais que le Gabon est un émirat.
Contrairement à ce que l'on croit, la majorité du chiffre d'affaires du tourisme se fait dans des pays riches.
Pour la Grande Bretagne, je dirais qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Les gisements de Mer du Nord et le passé coloniale ont permis à la place londonienne de se faire un nom dans la finance.
Mais aujourd'hui, nous n'avons plus à faire à des investissements pour appareiller des navires pour l'autre bout du monde.
Aujourd'hui, on gagne un euro sur le baril ou le maïs ou le riz ou des dérivées de bidule, CDS, CDO etc...
Les arabes étaient des bons clients pour les anglais. La City recyclés les pétrodollars mais aujourd'hui ce n'est plus pareil. Dubaï a maintenant une expertise dans les investissements et les places comme Hong Kong ou Singapour offrent de meilleures avantages (surtout pour éviter le fisc).
Car ,oui la City avait ses bases arrières que sont les iles caïmans ou anglo normandes. Mais dans la concurrence internationale, la compétition est rude, les paradis fiscaux se multiplie comme des petits pains.
Compétition dont le seule intérêt est de saigner les états. Si vous avez le temps , regarder combien d'impôts payent les multinationales britanniques ou les filiales des banques françaises dans les pays off shore.
Allez aux USA, à part des îlots comme Beverly Hills ou Long Island, la des-industrialisation a dévasté la cohésion sociale.
Le format du commentaire est petit pour tout exprimer mais il y a investisseur et joueur de poker.
Mettre ses économies pour créer une PME ou avoir une ligne de crédits dans une banque pour investir des milliards dans le maïs car suite à des problèmes climatiques , les récoltes sont faibles.
PS: Lors de la crise asiatique de 1997, le premier ministre malais a eu l'audace de contrôler les entrées et sorties des capitaux.Au détriment des spéculateurs internationaux, son pays est cela qui a connu le moins de dégâts.
Rédigé par : Abdel | 29 septembre 2009 à 22:10