Les toddiens auront reconnu l’expression. Elle est issue de l’ouvrage d’Emmanuel Todd « Après l’empire » Elle décrivait l’attitude de l’hyperpuissance de l’époque, qui pour accréditer encore quelques temps l’illusion de sa puissance, engageait des actions militaires aussi spectaculaires que scénarisées contre des ennemis mineurs.
On assiste au même phénomène avec la grippe A. Depuis la découverte de ce nouveau virus au Mexique en avril dernier, la lutte contre la pandémie mondiale a été mise en scène à grand renfort de catastrophisme pour bien signifier aux populations que les pouvoirs publics veillent et sont prêt à tout pour leur apporter la légitime protection qui leur est dû. Les autorités impuissantres impuissantes face à la crise et aux problèmes économiques, surinvestissent des dangers mineurs pour faire du micro-protectionnisme théâtral. Les menaces sociétales autrefois mises en avant (l’immigration, les banlieues, la drogue, la pédophilie, les accidents de la route…) tendent aujourd’hui à être remplacées par les problèmes sanitaires (l’alcool, le tabac, les OGM, les aliments gras, les virus…)
C’est ainsi que le gouvernement nous a expliqué tout l’été qu’il était déterminé à paralyser le pays s’il le fallait, pour épargner aux français deux jours de fièvre et une poignée de morts dus à d’improbables complications.
Par une drôle d’ironie, le micro-protectionnisme a subit le même destin que le micro-militarisme théâtral étasunien. L’opinion s’est retournée contre le protecteur en finissant par avoir peur de lui plus que des menaces dont il était sensé les protéger. Aujourd’hui les français sont 80% à déclarer ne pas avoir peur de la grippe. En revanche, l’inquiétude se porte de plus en plus sur la campagne de vaccination, dont on craint qu’elle soit le vecteur de vraies et graves maladies ! Beau résultat !
Dans une société envahie par la peur, il est devenu de plus en plus difficile pour les gouvernants de focaliser les inquiétudes de l’opinion sur des micro-risques sur lesquels ils pensent avoir prise. La peur a atteint aujourd’hui un tel niveau de diffusion qu’elle n’est plus canalisable ni manipulable. Elle a gagné jusqu’à la relation entre l’Etat et le citoyen, si bien que ce dernier n’arrive plus à croire que le gouvernement puisse réellement le protéger. La peur de la police l’emporte sur celles des accidents de voiture et celle du vaccin sur celle de la grippe !
Or, comme Philippe Cohen l’avait souligné dans un essai qui date déjà d’une dizaine d’année « protéger ou disparaître » la protection de l’Etat est au cœur du pacte social. Cela a toujours été leur mission première et leur premier devoir à l’égard de leurs sujets, puis de leurs citoyens. L’Etat ne peut pas ouvertement renoncer à sa mission de protection, sous peine de perdre toute légitimité.
Le problème de notre époque où tout est possible mais où l’on est plus sûr de rien, c’est que l’Etat tient un discours et mène des politiques qui ont pour effet d’exacerber les menaces et d’abaisser toutes les protections : Le marché du travail doit être flexible, on doit pouvoir changer d’emploi et de branche tout au long de la vie, les industries et les territoires doivent se reconvertir, on s’endette au détriment des générations futures … Quand on ne rajoute pas de la peur à la peur avec des discours catastrophistes sur la planète en danger, le changement climatique ou la mutation du virus de la grippe !
Alors plutôt que de sortir l’artillerie lourde contre des menaces qui ne sont, après tout, que des risques de la vie quotidienne, au point de sombrer dans des politiques qui deviennent de plus en plus franchement liberticides, l’Etat ferait bien de se concentrer sur les menaces qui relèvent de son action propre : assurer les jeunes d’un emploi à l’issue de leurs études, garantir le paiement des retraites et la pérennité de la protection sociale, limiter la précarité du travail, alléger la pression qui pèse sur le salarié…
Plus nos sociétés seront gouvernées par le principe de peur, plus les menaces, réelles ou supposées seront omniprésentes dans le discours comme dans nos vies, et plus le thème de la protection sera une valeur structurante du débat public. Après avoir fait l’apologie du risque, de la compétition, de la mutation, de l’innovation, de la flexibilité ou de l’ouverture, les politiques doivent apprendre se réapproprier le thème de la protection.
Nous somme peut être simplement en retard.
L'administration Bush avait utilisé les alertes terroristes oranges,jaunes , verte,rouges pour maintenir la peur.
La peur est importante si l'on veut soutenir notre système financier.
Rédigé par : Abdel | 26 septembre 2009 à 01:16
C'est clair, le climat de guerre est encore la meilleure solution pour focaliser l'inquiétude d'un peuple. Fort heureusement, la France n'en est pas encore à organiser des attaques terroristes sur son sol pour mettre en scène une lutte du bien contre le mal !
Rédigé par : Malakine | 26 septembre 2009 à 13:10
@Malakine
Ce papier est tout simplement excellent.
Rédigé par : David Desgouilles | 27 septembre 2009 à 10:15
ok avec ton analyse Malakine. Je voyus conseille la lecture dans le monde diplo de septembre "psychose de la grippe, miroir des sociétés" par Denis Duclot
Rédigé par : rodolphe | 27 septembre 2009 à 12:29
Bonjour Malakine,
Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est le fonctionnement de la machine à communiquer qui remplace maintenant de plus en plus l’information, qu’on voudrait au minimum réfléchie. On part d’un signalement somme toute banal d’un nouveau virus, puis tout se met en route. Les journalistes font monter la mayonnaise, les médias embauchent les inévitables consultants, spécialistes du tout et du rien, les bureaucraties nationales et internationales se mettent à pondre des statistiques et des synthèses, les gouvernements s’émeuvent et lancent des campagnes de prévention à tout hasard, les conspirationnistes développent l’idée de manipulations occultes de labos ou de politiciens forcement intéressés, les millénaristes en profitent pour proclamer la fin prochaine du monde civilisé, les rares avis sensés sont superbement ignorés, les laboratoires pharmaceutiques s’empressent de se positionner sur un nouveau marché potentiel et la machine profite de l’entrée de ces nouveaux acteurs successifs pour gonfler les voiles après avoirlargué les amarres de la réalité. L’important, c’est que ça tourne. Débarrassé de la réalité, on peut se lancer dans les suppositions les plus folles, des milliards de gens touchés, des dizaines de millions de victimes potentielles, les conseils les plus incongrus, n’oubliez pas de jeter vos mouchoirs en papier après usage, lavez-vous les mains vingt fois par jour, des projections économiques catastrophiques (comme si la crise actuelle n’étaient pas suffisante), alors qu’il suffit de consulter le dernier bulletin épidémiologique du 22 septembre 2009 pour constater qu’il y a en tout et pour tout à cette date en France 29 décès de malades porteurs du virus (ce qui ne veut pas dire qu’ils soient directement morts de ce virus) et 243 épisodes de cas groupés, c’est à dire peanuts pour un pays de plus de soixante millions d’habitants.
Bien sûr, sauf mutation catastrophique du virus (et qu’y pourrons-nous de toute façon ?), tout cela finira en eau de boudin, mais on aura prouvé que la société est organisée, prête à tout pour combattre tout dérèglement fût-il basé sur du vide. Mais, on aura surtout prouvé en fin de compte le dérèglement fondamental qui s’installe à notre époque, l’absence de tout repère un peu cohérent pouvant servir de base à une réflexion logique, l’absence de tout lien de cause à effet, ne cherchez pas à comprendre, il n’y a rien à comprendre, « Laissez faire, laissez passer ! » On est même plus au stade de la peur, on est au stade de l’irrationnel le plus complet
Rédigé par : baloo31 | 27 septembre 2009 à 20:17
Excellent papier... Philippe Muray (n'en déplaise à Emmanuel T)avait eu le même genre d'intuitions sur ce besoin théâtral de nos sociétés postmodernes.
Le temps de la refondation risque d'être long si l'on en croit les bonnes feuilles de l'ouvrage de Védrine:
http://www.fayard.fr/livre/fayard-344265-Le-Temps-des-chimeres-2003-2009-hachette.html
Rédigé par : René Jacquot | 30 septembre 2009 à 14:39
Pour prolonger le propos, un article très intéressant lu sur agoravox : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/grippe-h1n1-climat-crise-un-62430
Rédigé par : Malakine | 01 octobre 2009 à 13:04