L’affaire des délits d’initiés à EADS et ses prolongements liés au rachat des actions Lagardère par la caisse des dépôts a donné l'occasion aux libéraux de rouvrir le procès de l’Etat actionnaire. Lorsque, l’Etat se mêle de gestion d’entreprises, cela conduirait toujours à des catastrophes industrielles ou à diverses formes de corruption.
Depuis 20 ans et les premières privatisations, le capitalisme d’Etat n’a plus les faveurs d’aucun parti politique. Même le parti communiste ne défend plus les nationalisations ou la présence de l’Etat dans le capital des grands groupes en dehors du champ du service public. L’idée que l’Etat doive se tenir à l’écart des entreprises est aujourd’hui une idée communément admise. Et même lorsqu’il en est actionnaire – comme dans le cas d’EADS – il est fait en sorte qu’il s’abstienne de siéger au conseil d’administration et soit représenté par un « vrai » industriel ! Sans que cela ne choque personne. La pensée unique considère aujourd'hui que la vocation de l'Etat n'est plus de participer à la gestion de l'industrie mais seulement à fixer quelques règles et à redistribuer les richesses.
L’origine de cette disgrâce de l’Etat actionnaire est pour moi un vrai sujet d’étonnement. A part quelques scandales comme celui du crédit lyonnais, on ne voit pas en effet quelle catastrophe a pu à ce point discréditer ce mode d’intervention de l’Etat dans l’économie. Si le modèle de l’économie planifiée est effectivement mort avec l’effondrement des régimes communistes et si l’économie administrée n’est plus de mise dans le contexte européen, le modèle de l’économie mixte apparaît toujours comme une option ouverte et une solution crédible. Plusieurs arguments plaident en effet en faveur d’un certain renouveau du capitalisme d’Etat.
Dans l’affaire EADS le sénateur-blogueur Jean Luc Mélanchon a fait entendre une voix dissonante considérant dans un article posté récemment sur le site de son courant « Pour la République Sociale », qu’elle mettait en évidence plus une carence de l’intervention de l’Etat qu’un excès d’interventionnisme. Il y appelle en conclusion à redonner à l’Etat « le pouvoir d’imposer la suprématie de l’intérêt général face aux appétits privés dans des industries vitales pour le développement économique, la sécurité du pays et l’emploi »
Dans un autre registre, l’économiste protectionniste Jacques Sapir a fait récemment l’éloge du capitalisme d’Etat dans une tribune publiée dans le Figaro sur la renaissance de l’économie russe sous Poutine. Selon lui, le modèle du "volontarisme économique" est seul à même de conduire une politique industrielle et d’assurer un développement de long terme. Il va même jusqu’à présenter la Russie en une « alternative crédible en matière de stratégie de développement économique et industrielle », un modèle à suivre pour les pays émergents et même les pays développés ! Il est vrai que la Russie, qui a connu en moins de vingt ans l'hyper socialisme puis l'hyperlibéralisme sous Yeltsine a pu mesurer les dégâts des deux systèmes et est peut-être en train d'inventer sous nos yeux avuglé par la propagande antirusse une voie médiane qui saurait tirer le meilleur des deux systèmes.
Pour en finir avec les références aux « mauvais penseurs » qui regrettent le temps où l’Etat était partie prenante de la vie industrielle, je dois également citer Roland Hureaux, chroniqueur sur Marianne 2, qui dans son essai passionnant « l’antipolitique » développait la thèse selon laquelle les privatisations se sont surtout traduites par des cadeaux aux puissances financières et n'ont été qu’une libéralisation en trompe l’œil. Selon lui, la véritable mesure de l’interventionnisme étatique se trouve dans le taux de dépenses publique par rapport au PIB qui, lui, n’a jamais cessé d’augmenté.
A titre personnel, je vois quatre arguments principaux qui plaident en faveur d’un retour de l’Etat dans le capital des grandes entreprises. Il ne s’agit naturellement pas de prôner un retour aux nationalisations à 100 %, l’Etat n’en aurait d’ailleurs plus les moyens. Il s'agit de s'interroger sur la pertinence et l'efficacité d'un système où l’Etat détiendrait des participations minoritaires et des minorités de blocages dans les grands groupes industriels, ceux qui constituent des moteurs pour le reste de l'économie.
Le premier est financier. Le Figaro nous apprenait hier que l’Etat actionnaire percevrait cette année 3.9 milliards d’euros au titre des dividendes contre seulement 900 millions il y a 4 ans. On imagine la manne que cela représenterait si on n’avait pas autant privatisé ces dernières années (62 Milliards en 10 ans). Il ne faut jamais perdre de vue d’une privatisation représente une ressource ponctuelle mais qui privent ensuite l’Etat de ressources récurrentes. Il est d’ailleurs paradoxal de voir que ce sont les mêmes qui soutiennent les privatisations et la retraite par capitalisation. A l'heure où l'Etat a des besoins de plus en plus importants pour restaurer ses fonctions régaliennes ou financer tous les coûts liés au vieillisement de la population et où la matière taxable (le travail ou le capital) est devenue mobile, donc insaisissable, avec l'ouverture des économies, pourquoi en effet ne pas rechercher des ressources, comme tout à chacun, dans l'actionnariat ?
Un retour du capitalisme d’Etat serait en outre une excelente mesure défensive contre les OPA hostiles. A l’heure où le protectionnisme financier revient à l’ordre du jour contre la menace constituée par les "fonds souverains", la détention par l’Etat de minorités de blocage serait de nature à rendre plus difficile les OPA hostiles de groupes étrangers.
D’une manière générale, les groupes du CAC 40 n’ont plus grand-chose de français. Ils sont détenus à 40 % par des actionnaires étrangers et réalisent 65% de leur chiffre d’affaires à l’international. Le risque est grand que ces groupes, à force d'internationalisation, perdent totalement de vue l’intérêt national en n’investissant que dans les pays « à forte croissance », suppriment les emplois en France, voire délocalisent leurs centres de décisions ou leur appareil de recherche. Un minimum de contrôle de l’Etat permettrait de les arrimer plus fortement au sol national et de prévenir ainsi les choix stratégiques les plus « antipatriotiques ».
L’intervention de l’Etat dans le capital des entreprises pourrait également redevenir un formidable outil d’orientation de la politique industrielle pour, par exemple, inciter à l’investissement contre la logique financière de court terme (Aujourd’hui le monde financier prélève plus de capitaux qu’elle n’en apporte à l’économie réelle) ou favoriser la mutation écologique pour entrer le plus vite possible dans l'ère de l'après pétrole. Ne parlons même pas de politique salariale ou de défense de l’emploi …
Un renouveau de l’économie mixte serait enfin une réponse bien adaptée aux contradictions l’économie mondialisée : Toujours moins de ressources fiscales pour toujours plus de besoins sociaux pour l’indemnisation des perdants et de subventions aux emplois faiblement qualifiés (65Mds € d’aides aux entreprises par an soit 4% du PIB).
L’Etat pourrait ainsi bénéficier du développement des grands groupes sur les marchés émergents. Lorsqu’Alstom, Total ou Bouygues signent de gros contrats à l’étranger, non seulement les emplois et les investissements se font sur place mais les profits échappent presque totalement au fisc français. L’économie nationale ne pourra vraiment profiter de leurs gigantesques profits (près de 100 milliards d’euros en 2006) ou de la formidable croissance des pays émergent qu’au titre des dividendes sur les actions qu’elle détiendrait dans le capital de nos « champions nationaux ».
Pour que la participation de l’Etat au capital des grandes entreprises puisse être au service d’une vraie stratégie industrielle il convient encore qu’il ose utiliser les prérogatives qu’il tient de son statut d’actionnaire pour faire valoir le point de vue de l’intérêt général et du long terme dans les décisions stratégiques de ces groupes. On a vu dans l'affaire EADS que ce n'est pas le cas, l'Etat étant aujourd'hui un actionnaire par défaut, un peu honteux qui n'ose ni siéger dans le CA d'EADS ni même donner des instructions à la Caisse des dépôts pour sa politique d'acquisition. Actuellement, l’actif de l’Etat, qu’il soit détenu par l’agence des participations de l’Etat (504Mds €) la caisse des dépôts (37 Mds) ou le fonds de réserves des retraite (33 Mds€) est en effet géré de manière essentiellement patrimoniale, mais il suffirait de peu de choses pour qu’il devienne l’outil d’une nouvelle politique industrielle et un nouvel outil de régulation du capitalisme financier.
Ce qui est étonnant c'est qu'il est reproché à l'état de mal gérer ses entreprises, alors que bien des scandales financiers récents viennent des secteurs privés( Enron, Parmalat, Andersen, d'une certaine façon EADS récemment, mortgage banques ...) et d'autre part beaucoup de grands groupes français privés sont sous la direction d'anciens énarques ayant officié dans la fonction publique, sont ils devenus compétents aussitôt dans le privé ?
Pas mal de réussites techniques viennent de l'état : TGV, EDF, France Télécom, espace, aéronautique, le nucléaire...
Actuellement, il y a dans le privé une différenciation courante entre les compagnies share holder et family holder( propriété familiale ), ces dernières garantissant une politique à plus long terme de ses investissements( recherche en particulier ) et pouvant être rapprochées sur ce plan de l'état investisseur à long terme, donc ayant la patience de tempérer les à coups de la finance boursière, rôle d'amortisseur trivialement dit.
L'autre avantage du capitalisme d'état serait d'éviter les fuites dans les paradis fiscaux qui sont assez colossalement croissantes depuis des décennies et échappent au fisc français. Bercy aurait le rôle d'auditeur des comptes des entreprises sous contrôle étatique pour éviter ce genre là.
Certains ont mis en avant des études montrant que le rôle de l'état a été primordial dans le développement depuis 150 ans des pays développés ou récemment des pays émergeant( Corée, Japon, même la Birmanie ).
Donc, pour ma part, plutôt pour un retour de l'état acteur stratégique économique et pas seulement observateur arbitre. Mais l'Europe actuelle avec ses conceptions figées dogmatiques me semble bloquer tout sentiment de responsabilité économique de l'état qui s'en remet aux directives pour justifier le laisser faire de l'occulte main invisible, tellement invisible qu'on la cherche encore dans les faits.
Rédigé par : olaf | 19 octobre 2007 à 13:07
Intéressant débat sur France Inter ce matin à ce sujet, il semble que Jean-Marc Sylvestre ait bien du mal a justifier les privatisations autrement que par le dogme du « ce n’est pas le rôle de l’état » mais ou est donc passé le pragmatisme libéral ?
http://www.radiofrance.fr/franceinter/chro/ledebateconomique/
Quand le capitalisme s’illusionne sur sa puissance et que le marché pense avoir toujours raison cela fini en krach http://lemondequivient.typepad.fr/mon_weblog/2007/10/test.html
Rédigé par : Rickyny | 19 octobre 2007 à 16:02
Malakine,
Je n’ai pas très bien compris quels étaient les arguments développés par certains libéraux (lesquels et où) à partir de l’affaire EADS pour rouvrir le procès de l’Etat actionnaire. Ce que j’ai entendu c’est surtout la critique vis à vis de certains individus qui ont profité de leurs positions pour s’en mettre plein les poches. Certains travaillaient certes pour l’Etat mais le fait qu’ils aient été incompétents, sinon malhonnêtes, ne peut décemment pas être utilisé automatiquement pour mettre en cause leur employeur et son rôle. En fait, cette affaire devrait pouvoir être utilisée pour démontrer que le rôle de l’Etat (avec des gens compétents et honnêtes, il doit bien en exister ?) doit être renforcé spécialement pour les secteurs stratégiques.
A ce propos les partisans d’un retrait de l’Etat de la vie des entreprises devraient pousser leur logique jusqu’au bout et exiger par exemple, que le Président de la République cesse de jouer les VRP de luxe pour Alstom, Areva et …. EADS en Chine (où il doit se rendre fin Novembre).
Quant à la question "pourquoi en effet ne pas rechercher des ressources, comme tout à chacun, dans l'actionnariat ? " je répondrai qu’il y a un préalable à cela qui est que le système boursier arrête de marcher sur la tête.
A ce sujet j’avoue avoir été assez surpris d’entendre H.Guaino récemment, lors d’une conférence, indiquer que d’après lui nous n’étions pas dans une économie de marché mais dans une économie de rente avec beaucoup trop de gens qui jouent avec l’argent des autres. Il a reconnu que la planète financière marchait un peu sur la tête et proposé des pistes de réflexion assez à contre-courant comme par exemple limiter drastiquement la gestion collective (revenir à une gestion plus individuelle avec des gens qui jouent leur argent) ou supprimer les cotations en continu, un fixing par jour étant largement suffisant.
J’ai un peu digressé mais en conclusion je pense qu’il faut remettre sérieusement de l’ordre dans le fonctionnement de la finance (et principalement de la bourse et des banques qui ne jouent plus leur rôle) avant d’envisager que l’Etat se remette à … boursicoter.
Rédigé par : RST | 19 octobre 2007 à 20:38
Merci à Richard de ce lien. J'aurais pu ajouter bernard Maris à ma liste des mauvais penseurs qui croient aux vertus de l'entreprise publique. J'en profite pour signaler la création de son site dont il m'a dit par mail qu'il partagerait ma même culture qu'Horizons. A décourvrir donc : http://lemondequivient.typepad.fr/
@ RST
Quand je parlais des critiques des libéraux je faisais surtout références aux propos de Yvan Rioufol à On refait le monde, mais il n'a pas du être le seul.
Je ne connaissais pas ces position d'Henri Guaino (qui est loin d'être aussi con que tout le monde se plaît à le dire) sur la finances, mais elles me semblent très intéressantes. Je l'avais déjà dit une fois, j'ai été très impressionné par les analyses de Frédéric Lordon que j'ai découvert cet été à propos de l'économie financière. Ce serait effectivement une sorte de diable qu'on aurait libéré et dont la puissance est sans limite. Les fonds d'investissements sont terrible car ils rendent caduque toute oppposition entre capital et travail. Avec ce type de fonds, les "capitaliste" qui poussent à la délocalisation et à la compression des salaires, c'est n'importe quel épargant qui a ouvert une assurance vie.
Frédéric Lordon aussi fait des propositions pour contenir de manière autoritaire la puissance de la finance.
Tu n'as pas de lien à donner sur cette conférence de Guaino ?
Rédigé par : Malakine | 19 octobre 2007 à 23:37
Malakine,
C’était un colloque de la fondation Res Publica
Voici le lien : http://www.chevenement.fr/Les-photos-du-colloque-de-la-Fondation-Res-Publica-Crises-financieres-a-repetition-quelles-explications-quelles-reponses_a443.html
J'ai eu la chance d'y assister et j'ai effectivement été impressionné par H.Guaino.
C'était... gratuit et passionnant. Il y avait environ 200 personnes. J'ai toujours du mal à comprendre les motivations de gens aussi "importants" que H.Guaino, C.Bébéar ou C.Noyer qui prennent la peine de venir s'expliquer et faire de la pédagogie avec la "populace".
J'ai en fait la faiblesse de croire que c'est peut-être une caractéristique de ce qu'on appelle .... la démocratie.
Si ça t' intéresse, je peux faire un petit compte rendu de ce que j'ai noté de leurs interventions et te l'envoyer par e-mail (ça m'obligera à formaliser).
Pour la petite histoire, j'étais assis à côté du journaliste-blogueur E.Dupin
Rédigé par : RST | 20 octobre 2007 à 00:03
La fondation Res Publica est en lien dans la rubrique "les anti pensées uniques" en principes, il publient au bout d'un certain temps le texte des interventions. Je lirais donc ça à ce moment là. J'avais suggéré à Julien Langfied (qui en est je crois le directeur) de filmer les conférences pour les mettre en ligne mais il ne m'avais pas répondu. Dommage ...
Vous en avez quand même de la chance les parisiens de pouvoir assister à ce genre de conférence ! C'est le seul motif pour lequel je regrette de ne plus vivre en ile de france ...
PS : Ca fait quand même bizarre qu'il n'y ait plus personne dans les commentaires. Même Yann ne vient plus ...Enfin, comme je dis aux blogueurs débutants, il faut écrire pour soi même, pour le plaisir, ne jamais penser aux stats ni aux lecteurs, sinon c'est soi la déprime, soit l'esclavage ...
Rédigé par : Malakine | 20 octobre 2007 à 01:56
L'affaire EADS illustre-t-elle vraiment le capitalisme d'Etat, dans la mesure où l'Etat (chiraquien à l'époque) a montré une conception particulièrement dévoyée dudit concept consistant en un pacte gagnant-gagnant pour certains: je récompense mes amis en disposant à leur avantage des fauteuils les plus rutilants de l'étage directorial, et je ne mets pas mon nez dans la gestion ou la politique de l'entreprise.
Le Ministre actuel de l'Economie et des Finances gagnerait en crédibilité si l'enquête interne actuellement diligentée s'étendait au détail des interventions et activités des représentants de l'Etat dans les instances d'EADS, et les rendait publiques puisque c'est le public, en tant qu'actionnaire, qui attend des explications.
Il y a une logique interne au système... il faut l'utiliser!
Rédigé par : Dominique | 20 octobre 2007 à 10:27
bien vu pour les avantages de nationalisations.
Pour ma part je préfererais le terme de mise sous tutelle publique car je n'aime guere le mot nation, trop synonyme d'élites et de bourgeoisie
A mon sens une nationalisation a un avantage supplémentaire : elle a un effet didactique sur l'opinion.
Une nationalisation, dans la mesure ou elle est bien conduite et bien démontrée didactiquement, pourrait servir à un transfert de la propriété aux membres du personnel, ou a d'autres transferts de ce type dans des secteurs appropriés.
Pierre le Belge de Lille
Rédigé par : Belgo3.0 | 21 octobre 2007 à 12:42
Si le capitalisme d'Etat a encore un sens, l'effort ne devrait-il pas davantage porter au niveau d'entreprises plus petites ou plus jeunes, là où la croissance et les emplois se jouent avec un levier bien plus puissant que chez EADS, Renault ou Lafarge ?
Rédigé par : john.reed | 21 octobre 2007 à 16:54