Depuis plusieurs semaines, les médias et les hommes politiques s’inquiétent de la valeur de l’euro qui n’en finit plus d’augmenter, ce qui, dit-on, nuit à notre compétitivité. Cette idée est désormais tellement partagée qu’elle ne va pas tarder à entrer dans les tables de la loi de la pensée unique. Il n’y a plus guère que quelques sadomasochistes qui estiment que la France n’a qu’à suivre l'exemple de l'allemagne en procédant aux réformes structurelles nécessaires pour retrouver sa compétitivité …
J’ai toujours été pour ma part assez réticent avec la critique de l’Euro fort, que l’on entend pourtant souvent sous la plume des souverainistes, des nonistes et des adversaires de l’Europe.
La hausse de l’Euro me semble être un faux problème en tant que tel. Plus qu’un facteur sur lequel on pourrait agir pour restaurer notre compétitivité, l’appréciation de l’Euro me paraît surtout révéler la mauvaise posture du continent dans une mondialisation qu'il ne fait que subir. La hausse de l’Euro est essentiellement entraînée par l’effondrement du dollar, ce qui nous expose indirectement aux dumpings asiatiques.
La vraie question n’est pas celle de la valeur relative de notre monnaie ou le montant des taux d’intérêts de la BCE, mais bien la place de l’Europe dans la mondialisation. Comme le déplorait récemment le commissaire européen aux affaires économiques, « l’Europe est en train de payer les conséquences des déséquilibres mondiaux dont elle n'est pas responsable »
Valeur de l’Euro et compétitivité
Ce discours sur l’euro fort semble concevoir le libre-échange comme l'horizon indépassable de l'économie mondiale : Les importations des pays à bas coûts seraient inévitables, seules les exportations nous permettront de regagner les emplois perdus.
Les exportations vers les pays à bas coûts sont pourtant dérisoires. Notre économie exporte vers la Chine autant que vers la Suisse ! La plupart du temps ce que la France exporte, elle le construit sur place !
L’argument de la compétitivité ne s’applique réellement qu’à l’aéronautique où le concurrent est américain. Certes, la santé d’Airbus est quelque chose d’important pour le pays, mais toute notre économie ne se résume pas à la construction de l’A380 ! Sur quel autre terrain en effet notre économie est-elle en compétition avec l’économie américaine ? L’essentiel des exportations de la France se fait vers l’Europe et en particulier la zone euro, et là, la force de la monnaie ne joue pas.
Le vrai problème est en fait moins la compétitivité à l’export que la perte de compétitivité sur les produits importés. Concrètement , c'est la valeur de la monnaie chinoise, dont la valeur est souverainement liée à celle de la monnaie américaine, qui nous le plus souffrir. Le Yuan est en effet sous estimé d'environs 50 %, ce qui exacerbe la compétitivité du "modèle" chinois. La sous évaluation du Yuan doit cependant être appréhendée globalement en posant également la question des normes sociales et environnementales de l’empire du milieu, le poids de ce géant démographique dans le monde de demain ou les déséquilibres financiers qui affectent l’économie mondialisée. Il est clair, comme le souligne Roland Hureaux dans un excellent billet paru sur Marianne2 que l’Europe se fait actuellement « couillonner » par le duopôle Chine-Amérique.
Nous ne pouvons cependant pas grand-chose à la hausse de l’Euro. Il est essentiellement lié à l’effondrement progressif du dollar, que l’Euro est en train de supplanter en tant que monnaie de réserve. L’Euro s’apprécie parce que sa crédibilité est plus grande, parce que l’économie européenne apparaît comme une économie solide à l'échelle du monde.
Hier, on pouvait lire dans le Figaro économie sous le titre « l’Iran vend son pétrole à 85 % en devises autres que le dollars » qu’à l’heure actuelle 65% de la vente du pétrole se fait en euro et 20 % en yen. Seulement 15 % de la vente du pétrole est libellée en Dollars et l’Iran est en train de remplacer progressivement cette part avec des devises "plus crédibles". Depuis 2004 la valeur du dollar a baissé entre 30 et 35 %. Par conséquent, conserver ses capitaux en dollars signifie pour l’Iran une perte conséquente de ses avoirs. On pourrait penser que l’attitude des Iraniens est motivée par une haine farouche de l’empire américain. Ils ne sont pourtant pas les seuls. On pouvait lire dans le Figaro d'aujourd'hui que l’émirat du Quatar avait, lui aussi, réduit de plus de moitié son « exposition au dollar », ne détenant plus dans son fond souverain que 40 % de ses actifs dans la monnaie américaine et qu’il n’excluait pas une nouvelle baisse de cette part.
La chute du dollar est programmée. Elle serait tout à fait logique compte tenu de la réalité des performances réelles de l’économie américaine et de la politique monétaire expansive conduite par la FED depuis le Krach de la bulle internet.
Faut-il baisser les taux d’intérêt ?
La force de l’Euro me semble donc être, en tant que tel, un faux problème. La question qui peut en revanche se poser est celle de la politique monétaire de la BCE. Les opposants à l’Euro fort préconisent en effet une baisse des taux d’intérêt. Compte tenu du caractère de plus en plus marqué de « monnaie refuge » de l’Euro, il n’est pas certain que cela puisse endiguer la baisse relative du dollar et du Yuan. La question du niveau des taux d'intérêt doit être appréciée au regard de son impact sur l’économie européenne elle-même bien plus que sur la compétitivité à l'export.
On a pu constater avec l’affaire des subprimes que des taux d’intérêts trop bas stimulaient moins l’investissement que la valeur des actifs. Cela créé un effet de richesse. Cela permet à certains de s’enrichir considérablement avec les plus values. Cela permet aussi aux Etats de s’endetter à moindre coût, mais il n’est pas certain que cela profite beaucoup au dynamisme structurel de l’économie. En revanche, on en connait les conséquences sur la montée des inégalités entre ceux qui détiennent du patrimoine et ceux qui n’en détienne pas ou concrètement entre les vieux et les jeunes.
Une baisse des taux aurait un intérêt si elle avait pour effet de relancer l’inflation, ce qui aurait un effet redistributif entre les prêteurs (les vieux, les rentiers) vers les emprunteurs (les jeunes, les entrepreneurs)
Malheureusement, la pression sur les coûts exercée par les pays émergents est telle que les économistes considèrent maintenant que l’inflation n’est plus de mise dans les économies ouvertes. Il est donc à craindre qu’une baisse des taux n’aboutisse qu’à laisser filer l’endettement public et à des bulles immobilières ou boursières.
Nous entrons manifestement dans une ère durable d’Euro fort et de dollar faible. Cette nouvelle donne économique va pénaliser structurellement les exportations de la zone euro vers le reste du monde et va rendre nos économies de plus en plus exposées à la concurrence par les coûts des pays d’Asie, au moins tant que le Yuan est accroché au dollar.
La solution ne semble donc pas passer par une baisse des taux d’intérêt, ce qui n’aurait qu’un impact limité sur la valeur relative de l’euro. Faute de pouvoir s’attaquer aux causes du mal, il ne nous reste qu’à nous protéger de ses conséquences en mettant en place des protections commerciales, raisonnables et justes, aux frontières de l’Europe (ou de la zone euro) pour compenser cet handicap monétaire. Ensuite et seulement ensuite, il pourra être envisageable de baisser les taux d’intérêts et de relancer l’inflation afin d’accélérer le désendettement des Etats, de favoriser l’investissement et la croissance de notre base productive.
Malakine
Je viens de lire l'article de B.Maris et je ne peux m'empêcher d'évoquer rapidement la chronique de J.M.Sylvestre entendue en voiture (je fais partie de ceux qui se lèvent tôt) à propos des Stocks Options. C'était savoureux, on ne condamne pas, on est gêné...
très intéressant ton article sur l'euro fort. Je me rends compte que tu développes et que tu approfondis ce que je pense sans avoir le talent pour l'exprimer et surtout sans les infos que j'ai assez peu le temps de suivre.
Rédigé par : Philippe | 05 octobre 2007 à 11:23
Une protection commerciale de l'europe risque de ne pas faire l'unanimité, surtout chez les allemands qui exportent beaucoup en chine, en particulier leurs fameuses machines outils, domaine dans lequel ils se sont spécialisés depuis trente ans et ont conservé leur avance technique.
D'autre part, il serait intéressant de creuser le sujet concernant l'avis de l'OMC qui aurait peut être des réserves sur cette mesure. Ces deux points pourraient être bloquants.
Rédigé par : olaf | 05 octobre 2007 à 18:56
Un partisan du "protectionnisme" qu'il serait plus cosmétique d'appeler relocalisation pour s'éviter des volées de bois vert de ceux qui traduiraient par nationalisme. Sinon tout, beaucoup est affaire de mots. Peut être que le terme de relocalisation des économies serait plus porteur que protectionnisme :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=29376
Rédigé par : olaf | 05 octobre 2007 à 21:51
Plutôt que de débattre de la faisabilité du protectionnnisme, je préfèrerais qu'on parle de la force de l'Euro. Il est vrai que ce ne sera pas simple de remettre en place des protections commerciales,même si on en parle de plus en plus, même dans les cercles autorisés. En tout état de cause, cette voie ne paraît pas moins réalistes que de prier pour une remontée du dollars ou du Yuan.
La question sur laquelle j'aimerais avoir le point de vue de nos éminents commentateurs, c'est celle de savoir si une baisse des taux d'intérêt pourra réellement faire baisser la valeur de l'euro et si elle aura des effets positifs sur l'économie. Pour ma part, j'ai de gros doutes ...
Quant au terme protectionniste, j'avais moi même posé la question il y a un an. On pourrait effectivement trouver un terme plus "politiquement correct" mais après tout je ne vois pas le mal qu'il y a à se protéger contre des concurrences déloyales. Sarkozy emploie le vocable de préférence communautaire", ce qui me paraît avoir des relents lepénistes encore plus marqués ...
Rédigé par : Malakine | 05 octobre 2007 à 22:24
L'euro fort, à l'avenir, peut être un atout si l'inflation mondiale commence à reprendre du fait de l'augmentation des matières premières et des coûts de production par élévation des salaires dans les pays émergents. Greenspan a d'ailleurs évoqué ce cas de plus en plus probable. Sauf un nouveau cycle énergétique de kondratieff pas encore à l'horizon, c'est ce qui est le plus probable. Trichet a peut être eu tord jusqu'à ce jour mais il serait dommage qu'il se trompe encore en faisant l'inverse là où il aurait fallu appliquer sa ligne passée : "Une pendule en panne indique l'heure juste deux fois par jour..."
Le principe de relocalisation parait plus en phase avec la transition écologique et avec la notion de plates formes économiques de pays de même niveau.
Rédigé par : olaf | 05 octobre 2007 à 23:16
Je n'y connais pas grand chose mais sans l'euro fort, le pétrole ne serait-il pas payé plus cher?
Excuse-moi, Malakine, mais je suis vraiment très ignare!, un vrai béotien et j'apprends beaucoup de choses ici.
Rédigé par : Philippe | 06 octobre 2007 à 09:11
Sans être expert du domaine, est ce qu'en augmentant la dette des pays européens pour investir dans des améliorations d'infrastructures, de la fonction publique ou de rachat des rentes de situation (du type licence des chauffeurs de taxi en France) on aboutirait pas à une baisse de l'euro ?
Evidemment, l'augmentation de la dette c'est pas à l'ordre du jour.
Une dette pour investir, encore faut il savoir dans quoi.
Qu'en pensent les économistes du blog ?
Rédigé par : olaf | 06 octobre 2007 à 11:10
@Philippe,
Il n'y a pas forcément de lien entre dette publique et valeur d'une monnaie. Surtout dans le cas de l'euro qui est une monnaie unique pour des pays différents en termes de dette publique et d'inflation et qui est de surcroit géré par une Banque centrale indépendante.
Théoriquement, si la France décidait d'accroître son defficit budgétaire pour financer des investissements en infrastructures cela pourait avoir un effet positif sur les salaires et prix des industries du BTP. Tout dépendrait ensuite de la capacié de l'économie à enclencher le fameux "multiplicateur d'investissement", c'est à dire à entrainer un regain d'activité économique dans d'autres secteurs... Dans cette logique l'inflation pourrait effectivement augementer et faire baisser la monnaie. Hélas ce schéma n'est valable que dans le cadre d'une économie peu ouverte et dotée monnaie nationale.
Dans le cas de l'euro il y a des spécificités qui rendent improbable, pour ne pas dire impossible ce type de mécanisme :
- dans le cadre d'une économie ouverte à tout vents comme celle de l'UE, un éventuel investissement publique peut finallement bénéficier à des entreprises étrangère, que ce soit directement (si on commande des trains à Bombardier (ent. Caandienne) +tôt qu'à Alsthom)ou indirectement (si Alsthom, fait fabriquer ses composants à l'étranger).
- ensuite, combien même il existerait à cause de defficits publics ou d'inflation importante, une menace sur le cours de l'euro, la BCE interviendrait trés certainement sur le marché pour soutenir la monnaie.
- Enfin, la monnaie étant unique pour des pays différents, il ne suffit pas qu'un seul pays sur 1X augmente son defficit ou même son niveau d'inflation, car ceux-ci sont évalués en moyenne au niveau de l'UE.
D'aillerus, come l'a trés bien montré l'économiste Alain Cotta, le pb de l'euro c'est qu'il incite les états à se comporter en "passager clandestin" : comme l'euro est géré au niveau européen, un état qui laisse filler son defficit ou son niveau d'inflation n'est pas directement sanctionné via une dépreciation de sa monnaie... L'euro incite donc paradoxallement à laisser filer le defficit (c'est pour çà qu'il existe le pacte de stabilité qui oblige les états à respecter certaines règle communes sans lesquelles le compromis économique de l'euro exploserait.
Précisions ici, et ce point est crucial, que étant donné la politique restrictive que mène la BCE, le seul moyen d'injecter des liquidités pour stimuler l'économie est paradoxalement le defficit (que celui-ci soit public ou privé). D'où l'impossible quadrature de la politique économique européenne dans le cadre des institutions existantes...
Rédigé par : franc-tireur | 06 octobre 2007 à 23:38
Je trouve que le comportement des dirigeants Israeliens est révélateur du manque de confiance dans le dollar.
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7515&type=communique
Rédigé par : JLS | 08 octobre 2007 à 12:52
Salut Malakine,
je suis d'accords sur le fait que l'Europe est actuellement le dindon de la farce mondialisation, mais je pense contrairement à toi que l'euro est en lui même une absurdité.
Ton texte n'aborde pas par exemple la problématique de la régulation du commerce intra-européen, la disparition des monnaies nationales en Europe favorise largement l'Allemagne dont le système politique lui permet des dévaluation par fiscalité interposé pendant que les Italiens et les France ne peuvent plus dévaluer comme ils le pratiquaient avec succès autrefois.
Quand à la transformation de l'euro en remplaçant du dollars , il s'agit là d'une catastrophe. L'histoire du 19eme et du 20eme siècle montre à qu'elle point le fait qu'une devise national servent de monnaie de réserve est dommageable au pays à qui cette monnaie appartient. Que ce soit pour la Grande-Bretagne ou les USA cela s'est à chaque fois mal terminé. Si l'euro devient la nouvelle monnaie de réserve alors des phénomènes identiques à ceux qui ce sont produit aux USA et en Grande-Bretagne vont se produire chez nous. Déficit commercial, endettement croissance, désindustrialisation et finalement effondrement, je soupçonne d'ailleurs la Chine et son élite d'avoir une stratégie de destruction complète des économie occidentales.
On peut déjà imaginer, le dollars plonge l'euro devient la monnaie de réserves internationales. Sa valeur grimpe à des niveaux incroyables (comme le dollars dans les années 80 et fin 90), le continent perds de plus en plus de part de marché puis environ dix ans aprés son ascension c'est l'effondrement à l'américaine. Quel sera alors la seul région développée du monde? Nous ne devons pas rester dans ce piège, l'élite européennes tout aussi impérialiste que son homologue outre-atlantique rêve d'un euro devenant monnaie internationale mais c'est une victoire à la Pyrus.
Nous devons sortir de l'euro le plus tôt possible, même si le coup d'état de l'Europe hier avec le mini-traité semble momentanément faire croire aux oligarque qu'ils ont gagnés.
Il est aussi possible d'imaginer une solution intermédiaire, on peut faire de l'euro une monnaie de réserve tout en refaisant des monnaies nationales. Il est important d'avoir une monnaie d'échanges internationale mais pourquoi celle-ci devraient-elle être une monnaie national comme l'euro le Dollars ou le Yen? On peut trés bien imaginer une monnaie qui serait basé sur l'or et qui ne servirait qu'aux échanges internationaux et de valeur refuges. On éviterait ainsi à des pays d'avoir à gérer la contradiction entre leur politique monétaire et leur intérêt national. Keynes qui a vécu les difficultés provoqué par la gestion de la livre sterling en tant que monnaie international en avait conclus à la nécessité d'avoir une monnaie de réserve indépendante des nations, le fameux bancor en remplacement de l'instabilité des changes flottants suite à l'effondrement du sytème livre-or.
Faisons donc de l'euro une monnaie commune et non unique et invitons tout les pays du monde à transformer l'euro en monnaie uniquement international, garantissons là sur l'or. On met son siège en Asie (au cœur des vrai grandes puissances de notre temps)et nous éviterons l'horreur qui nous pend au nez.
Au fait pour ce qui est du dollars une information trés intérêssante a été soulevée dans une blog comme quoi les Etats-unis auraient eut une fuite de capitaux de près de 160Md$ en aout dernier ce qui veut dire que le déficit commercial n'est plus couvert... Nous vivons la fin d'une époque:
http://www.lafinducapitalisme.net/post/2007/10/18/Record-record-et-RECORD#comments
Rédigé par : yann | 19 octobre 2007 à 08:51