Décidemment, la thématique de l’anti-système est à la mode ! C’est au candidat qui proposera de bouleverser établi avec le plus d’audace. L’ordre politique, s’entend, car l’ordre économique reste désespérément à l’abri du débat. Après la rupture sarkozienne, la féminité ségolénienne et le centrisme révolutionnaire Bayrouïen, voici que nos candidats promettent maintenant de changer de République. Ségolène Royal a même lancé l’idée d’une assemblée constituante ! Bientôt, pour nous faire croire qu’une ère nouvelle s’ouvrira avec leur élection, ils vont nous proposer de remettre le calendrier à zéro et de recommencer à compter les années. Si le sujet n’était pas si sérieux, il prêterait à rire.
Ces propositions de passer à une VIème république sont en effet assez ridicules. La cinquième repose sur deux fondamentaux qu’aucun candidat ne propose de remettre en cause : l’élection du président au suffrage universel et la primauté du gouvernement sur le parlement. Le reste, c’est de l’habillage. Aucune des réformes proposées ne pourra fondamentalement changer ce déliquescent qui en aurait pourtant en aurait bien besoin
Que Bayrou veuille changer les institutions peut se comprendre. Il a besoin de la proportionnelle pour échapper à la bipolarisation et faire émerger son grand parti centriste, en contre partie de quoi, il a besoin de renforcer la fonction présidentielle. Il ne toutefois pas jusqu’à proposer un régime présidentiel à l’américaine, même si l’orientation en ce sens est claire.
La proposition de Ségolène Royal est en revanche totalement vide de contenu. Elle n’est qu’une fuite en avant dans les slogans creux. La manière dont cette proposition a été mise dans le débat est d’ailleurs totalement symptomatique des dérives de la cinquième : une personnalisation du pouvoir, une action gouvernementale destinée avant tout à communiquer et un activisme législatif et réglementaire souvent sans effet.
On a trop tendance à n’apprécier la qualité des institutions qu’au regard de la stabilité du pouvoir. Fondamentalement, la question n’est pas là. On peut voir des ministres se succéder et la même politique se perpétuer. On a même vu des gouvernements changer radicalement de politiques au cours d'une même législature. La question n’est pas tant non plus dans l’adhésion populaire et la désormais fameuse « crise de la représentation » La qualité d’une politique ou d’un homme politique ne saurait se mesurer à sa « popularité ». La vraie question réside dans la capacité des institutions à produire des réformes efficaces permettant de répondre aux problèmes du pays ou pour employer les grands mots, à la capacité de l’Etat à être au service de l’intérêt général.
Or de ce point de vue, la cinquième république a largement failli. L’alternance systématique, l’incapacité des gouvernements successifs à entreprendre la moindre réforme sans mettre des milliers de Français dans la rue ou l’explosion de la dette publique ne sont que des symptômes d’une gouvernance totalement pervertie.
Roland Hureaux a décrit dans un essai passionnant, « l'antipolitique », méchamment sous titré « Peut-on avoir une classe politique encore plus nulle » décrit avec précision et détails les ressorts de cette faculté de nos institutions à aggraver systématiquement les problèmes en voulant les résoudre. L’auteur y développe la thèse audacieuse selon la France irait mieux si les gouvernements successifs n’avaient rien entrepris ces 15 dernières années.
A mon sens, cette mal gouvernance a deux causes fondamentales.
1- L’élection du président au suffrage universel qui personnalise le pouvoir à l’excès au point de plonger notre vie politique dans une campagne électorale permanente. Dès l’élection passée, la préacampagne de la suivante commence déjà. L’action ne devient plus qu’un prétexte à la communication pour les journaux télévisés du soir. On fait des lois pour parler des problèmes et incarner un semblant de volonté. On manie des symboles pour asseoir un positionnement tactique. Mais, jamais on ne s’attache à résoudre les problèmes au fond.
2- La constitution prévoit dans le détail un processus législatif, mais aucun processus sérieux de conception des réformes. Voici comme les choses se passent : L’opinion et les médias s’émeuvent d’un fait d'actualité. Le président demande au ministre concerné de préparer une loi. Le ministre en question demande à son cabinet de lui pondre en toute hâte un texte. Les conseillers, généralement des énarques sans imagination, élaborent un texte à partir de l’idéologie qui a court dans les administrations centrales. Le texte est ensuite soutenu par les uns, combattu par les autres, au regard de son seul titre, de son intention de départ ou de la charge symbolique qu’il véhicule. Jamais le diagnostic qui le sous tend, son contenu réel, ses effets supposés ou indésirables ou les éventuelles solutions alternatives ne sont discutées.
Le triste épisode du CPE de l’an passé illustre à la perfection ces dérives.
Quelques temps avant la réforme, le mouvement génération précaire se mobilise contre les abus des stages. Villepin se saisit du dossier, mais sa vraie motivation n’est pas de remédier au chômage des jeunes. Elle est de disputer à son concurrent pour la présidentielle le titre du meilleur réformateur libéral. Il décide donc, seul, sans même en parler avec son ministre de la cohésion sociale, d’étendre la recette miracle du CNE pour les jeunes. Autant comme la flexibilité du contrat pouvait inciter à l’embauche pour les petites entreprises qui sont soumises à une fluctuation de leur carnet de commande, autant comme elle est rigoureusement incapable de procurer un avantage déterminant à un jeune dans le cadre d’une procédure d’embauche. Quel DRH normalement constitué irait recruter un jeune plutôt qu’un type plus âgé qui correspondrait parfaitement au poste proposé, simplement parce qu’il pourra le virer librement ?
Le CPE était donc l’archétype de la mesure débile. Elle n’avait aucune chance de remédier au problème posé (le sous emploi des jeunes) En revanche, elle allait créer, à coups sûrs, des effets pervers terribles (la précarité des jeunes). Peut-importe. L’essentiel pour le système politique était à ce moment là, de pouvoir s’empailler sur des symboles. Villepin voulait démontrer son ardeur réformatrice et son courage face à la rue. La droite voulait en profiter pour réciter sa leçon sur la nécessaire flexibilité du marché du travail ; la gauche pour dénoncer une remise en cause du CDI. Tout cela n’avait rien à voir, ni avec le problème, ni avec le sujet, mais l’essentiel était de pouvoir prendre des positions clairement identifiables par l’opinion. C’est ainsi que la réforme a suivi son cours jusqu’au vote par le parlement. Sous la cinquième, nul ne s’oppose à la volonté de l’exécutif … sauf la rue.
C’est précisément à ce type de dérive qu’une réforme des institutions devrait répondre. De bonnes institutions ne devraient pas permettre à ce type de mesures de voir le jour !
La proposition de sixième république de Ségolène Royal est affectée exactement des mêmes tares. Elle ne figurait pas dans le programme du PS,au grand dam d’Arnaud Montebourg. La candidate l’a lancée de sa propre initiative, seule, probablement après une discussion avec l’une des ses conseillères en communication sur les moyens de contrer Bayrou. Elle l’a glissé dans un discours, comme Chirac , à l’occasion de ses voeux, annonçait des mesures sur lesquelles personne n’avaient jamais travaillé !
Quel est le diagnostic que la candidate porte sur nos institutions ? Quels sont les dysfonctionnements qu’elle veut corriger ? Nul ne le sait.
Dans quel sens veut-elle orienter une réforme ? Veut-elle un régime parlementaire qui donnerait tous les pouvoirs à son Premier ministre ? Veut-elle un régime présidentiel à l’américaine qui rendrait le parlement autonome de son gouvernement et risquerait de paralyser son action ? On ne sait pas.
Sur quels points majeurs veut-elle infléchir nos institutions ? La décentralisation, la décentralisation et le dialogue social ? Tout cela relève de la loi et non pas de la constitution …
Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est de CO-MU-NI-QUER !
La vraie réforme des institutions à conduire serait l’instauration d’un vrai processus de conception des réformes, comme il existe des méthodes de conception dans l’industrie. On ne peut plus au début du 21ème siècle, élaborer des réformes sur un coin de table avec pour seule perspective la communication politique. On ne peut plus s’en remettre à la volonté d’un seul homme ou d’une seule femme, fût-il élu au suffrage universel à la majorité absolu des suffrages exprimés. Cela ne fait pas de lui le dépositaire définitif de la volonté du peuple et de l'intérêt général. On ne peut plus résumer le travail des assemblées au choix de soutenir ou de s’opposer au gouvernement et à faire du lobbying pour leur territoire d’élections ou certaines corporations.
Le droit constitutionnel repose sur la séparation des pouvoirs, une idée vieille de deux siècles, lorsque l’enjeu était de prévenir du despotisme. Aujourd’hui, l’époque est à un pouvoir bavard et impuissant, quand il n’est pas nuisible à force de réformes impulsives et cosmétiques. L’enjeu n'est plus de faire semblant de séparer ou d'équilibrer les pouvoirs. Il est de bâtir des institutions permettant de rendre l’Etat intelligent malgré la médiocrité de son personnel politique et le conformisme de sa haute fonction publique. C’est cela, le véritable enjeu de la VI ème République.
PS : Pour aller plus loin je vous invite à lire un texte court que j’ai écrit il y a quelques semaines. Le point 2 de ces « Quatre ruptures pour une alternative politique » décrit la forme que pourrait prendre ce nouveau processus de gouvernance.
Le fond du problème politique et démocratique, ne me semble pas être les institutions, en tout cas pas principallement les institutions comme se fut certainement la cas à la fin de la IVe République.
Franchement, le problème c'est que dans la France, Nation politique par excellence, Le roi, c'est à dire l'Etat, est désormais nu... La mondialisation libérale, la Finance, les institutions internationales et, dans une moindre mesure, le "localisme", ont largmement entâmé les marges de manoeuvre du pouvoir politique....
Le débât institutionnel est intéressant et important, mais secondaire par rapport à la question de la défense de la souveraineté, entendue comme le moyen d'une action politique délibérée démocratiquement.
Franchement, que se soit un Président ou un premier ministre (ou les deux), avec ou sans proportionnelle, les contraintes internationales que la France doit affronter seront les mêmes. Quant à la respiration du "système" sensée être apportée par une réforme constitutionnelle, je suis sceptique, tant ce sont les élites et les médias dominants qui, dans une large mesure, influencent (pas toujours avec succés) le choix des électeurs...
que se soit sous la forme d'un l'oligopole PS-UDF-UMP ou d'une grande coalition à l'allemande, la question est avant tout de déboulonner la pensée unique et les élites au pouvoirs depuis les années soixante-dix... Le fait que les "reformes nécessaires à l'intérêt général" ne soient pas entreprises n'est pas, à mon avis, principalement du à l'organisation institutionnelle mais à une orientation politique (pensée unique).
Le pouvoir auquel il faut s'attaquer prioritairement n'est pas celui du président de la Ve République mais plutôt celui de l'oligarchie financière et des technocrates internationnaux... pas facile !
Ceci dit, je ne te fais pas le procés, cher Malakine, d'oublier ce dernier point auquel tu as déjà accordé de nombreux billets...Je suis d'accord avec la première partie de ton billet : ce débât est de la poudre aux yeux...
Franc-tireur
Rédigé par : le Franc-tireur | 23 mars 2007 à 09:15
Poudre aux yeux, je n'en suis pas sûr, quand je pense notamment à la manière dont les institutions ont été malmenées par l'exécutif à l'occasion de la loi relative au CPE.
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2264653&rubId=4076
Rédigé par : marcus | 23 mars 2007 à 10:12
Le débat sur les institutions reste un éternel tonneau des danaïdes.
Il est tjs frappant de comparer l'instabilité des institutions françaises avec celles de nos voisins. Sans aller jusqu'à comparer la constitution US qui tient depuis plus de 200 ans et nos errements successifs, on peut sans doute au moins tirer quelques principes.
La France reste une nation politique par excellence le simple fait de mettre cette question sur la table le démontre. La passion qui a accompagné le débat sur le référendum sur le TCE en est une autre éclatante démonstration.
La France se cherche, ne se trouve pas et ne se trouvera pas institutionnellement parlant car elle a été dépossèdée de sa souveraineté.
La constitution est caduque sur ce principe fondamental: la souveraineté n'émane plus de la Nation contrairement à ce que fixe la constitution, elle est corsettée par les traités européens Maastricht en premier lieu, dépossèdée de leviers comme la monnaie et les règlements commerciaux. Nous ne pouvons que constater notre impuissance et les Français ont le sentiment à juste titre que tout cela est du vent.
Dépossèdé par le haut, Europe et par le bas régions la mise à mort de l'Etat et de ses moyens de régulation le tout accompagné d'un matraquage médiatique et culturel abétissant le plus outrancié qui dépolitise les classes populaires et les conditionne dans un individualisme consumériste de plus en plus réducteur. la situation est bloquée.
On peut changer toutes les institutions que l'on veut, si celles ci restent démunies de pouvoirs réels elles ne peuvent qu'accompagner le déclin.
On peut continuer à disserter sans fin, c'est stérile.
Il n'y a que deux options de base.
1) relancer l'Europe sur de nouvelles bases et repenser politiquement sérieusement l'articulation pouvoir européen pouvoirs nationaux, c'est difficile mais je crois que la clef est là.
2) redonner leur pleines et entières souverainetés aux peuples des nations européennes.
Le reste c'est de la foutaise!!!!!
Si on continue ainsi on va se retrouver dans une situation comparable à celle de 1799 et la faillite du directoire, les risques de dérives sont très inquiétants.
Il n'y a pas pour l'heure de Bonaparte en embuscade, mais je vous invite à méditer cette phrase de Mussolini: "le peuple est une putain, il suivra toujours le mâle le plus fort".
Jamais je n'ai pensé que le peuple est une putain.
Bcp de prostitués sont ce qu'elles sont, non pas par leur faute mais par celles d'odieux proxénètes.
Nos hommes politiques ne se comportent-ils pas à notre égard de la sorte?
Ils sont en train de transformer le peuple en putain.
Ils creusent la tombe de nos démocraties de nos héritages politiques, économiques sociaux...
Petermac a raison quanq il dit qu'ils nous enterrent vivants et qu'ils en rigolent.
"que se vayan todos"
Rédigé par : chavinier | 27 mars 2007 à 12:11