A chaque élection, la précampagne est marquée par le suspense autour des fameux 500 parrainages. Cette fois, il semble que les difficultés soit beaucoup plus sérieuses pour les petits candidats, et il se pourrait bien qu’en 2007, certaines familles politiques puissent ne pas être présentes dans la course. La surprise de cette élection sera peut-être qu’on ne retrouvera que 4 ou 5 candidats au premier tour de la présidentielle au lieu de la quinzaine à laquelle on est traditionnellement habitué.
Certains verront dans cette restriction de la compétition aux seuls candidats susceptibles d’être élus, une accession à maturité de l’élection présidentielle. D’autres au contraire y verront une formidable régression de la démocratie et un nouveau dysfonctionnement de nos institutions.
Dans l’immédiat, cette hypothèse, si elle se confirmait ouvrirait une séquence politique inédite aux conséquences imprévisibles et pourrait bien créer un séisme avant même le résultat du premier tour.
Le recentrage de l'élection sur son objet premier ...
Avant de traduire, un effondrement du PS ou une montée de l’extrême droite, le 21 avril 2002 a été un bug électoral. Les électeurs ont utilisé le premier tour de l’élection présidentielle comme un scrutin à la proportionnelle intégrale pour mesurer le poids respectif des différentes familles politiques, alors que pour la première fois, il a créé la surprise dans la sélection des deux prétendants pour le second tour.
Jusqu’en 2002, le premier tour était effectivement marqué par une dimension proportionnaliste, sans que cela pose problème compte tenu de l’ascendant des deux premiers candidats sur les autres. Cependant, d’élections en élections, l’écart entre le deuxième et le troisième n’a fait que se réduire. L’écart avec le premier éliminé, confortable en 1974 avec 17.5 points, n’a fait que fondre : 7.8 en 81, 3.4 en 88, 2.2 en 95 pour atteindre 0.5 en 2002. Cela s’explique par le discrédit croissant de la classe politique. La somme des scores de premier tour des deux qualifiés s’est effondré avec une grande constance: 75.8 en 1974, 54.2 en 1981, 54.0 en 1988, 44.1 en 1995 et 36.7 en 2002.
A ces facteurs tendanciels s’ajoute un nouveau. La perte de structuration idéologique du débat, qui n’a jamais atteint une telle dimension qu’en 2007, a rendu l’électorat totalement volatile. Aussi, le premier tour prend désormais une importance considérable, au point qu’il est possible que l’élection s’y joue comme en 2002. Il est d’ailleurs probable que cette année, ce ne soit pas seulement les 3 premiers qui arriveront dans un mouchoir de poche, mais le carré de tête, avec comme perspective improbable, un deuxième tour Bayrou – Le Pen !
Beaucoup d’électeurs se trouvent désormais face au dilemme suivant. Soit voter en son âme et conscience pour le candidat le plus proche de ses idées au risque sa voix se perde dans un score insignifiant. Soit chercher à qualifier celui que l’on préfèrerait voir élu à l’issue du deuxième tour parmi ceux qui en ont une réelle chance.
Cette nouvelle donne remet en cause la dimension proportionnaliste du premier tour. L’élection présidentielle tend désormais à n’avoir qu’un but, et un seul, celui de désigner celui qui gouvernera le pays. Cette tendance, est d’ailleurs renforcée par le quinquennat qui ramène la fonction de chef d’Etat à celle de chef du gouvernement. L’élection présidentielle se rapproche ainsi du modèle américain, caractérisé par une forte personnalisation de l’enjeu et un choix réduit à quelques candidats.
... se fait au prix d'une tentative de confiscation du jeu démocratique par une oligarchie politico-médiatique :
La présence des petits candidats apparaît dans ce contexte de moins en moins légitime. C’est le raisonnement que doivent certainement tenir les Maires, qui sont cette année semble t-il, beaucoup moins enclins à délivrer leur parrainage. La disparition des petits candidats serait donc le fruit d’une évolution de nos institutions qui renouerait ainsi avec l’esprit des origines. Elle traduirait une normalisation de l’élection présidentielle et une clarification des enjeux. On pourrait effectivement s’en réjouir. Trois éléments viennent cependant s’opposer à cette vision idyllique de la nouvelle donne institutionnelle.
les petits candidats sont indispensables au débat démocratique.
Pendant que les grands se livrent une bataille d’image dans le cadre d’un marketing politique de plus en plus consumériste et font campagne sur des thèmes consensuels dont la plupart sont pris aux adversaires, les petits candidats tentent de faire entendre leurs différences en amenant dans le débat des sujets dont les grands aimeraient faire l’économie.
On a besoin de Buffet, Laguiller et Besancenot pour parler du partage de la valeur ajoutée produite entre le capital et le travail. On a besoin de Voynet et de Lepage pour parler d’écologie et de changement climatique. On a besoin de Dupont-Aignan pour parler de souveraineté politique, d’Europe et de mondialisation. On a besoin de Villiers et Le Pen pour parler d’immigration et d’identité nationale. Sans eux, le débat s’appauvrirait considérablement et les Français auraient, à juste titre, le sentiment d’une tentative de captation de la République par une oligarchie politico-médiatique.
Le premier tour de l’élection est le dernier espace de respiration démocratique.
Le resserrement de l’élection à quelques candidats s’admettrait parfaitement s’il n’était pas la conséquence d’un discrédit de la classe politique et des grands partis. Les petits candidats sont là aussi pour permettre à l’électorat de signifier sa défiance à l’égard des grands, mais ils peuvent être aussi un début de réponse au discrédit et engager le renouvellement progressif des hommes et des idées.
Le jeu politique n’est pas, et ne peut être figé pour l’éternité. Le FN s’est imposé dans le paysage politique en vingt ans en partant de rien. En 2002, Bayrou et Chevènement jouaient en deuxième division. Aujourd’hui Bayrou prétend sérieusement à la victoire, et Chevènement s’il n’avait pas vendu son âme pour quelques postes, aurait certainement pu avoir les mêmes prétentions. Dans cette perspective, la présence de Dupont-Aignan en 2007 est nécessaire pour lui permettre de continuer sa progression et un jour, à son tour, émerger au plus haut niveau.
Il n’y a que l’élection présidentielle qui permet aujourd’hui une telle respiration démocratique. L’élection législative est parasitée par des considérations locales liées à l’implantation et la personnalité des députés, souvent par ailleurs maires ou notables. Elle a en outre un effet sélectif extrême à l’égard des petits partis dans la mesure où elle nécessite un appareil militant très dense et très structuré sur tout le territoire national. Il y eut également l’élection européenne, mais depuis la régionalisation du mode de scrutin, et avec le désaffection dont souffre l’Europe, elle a perdu beaucoup de sa force.
L’éviction des petits candidats s’effectue au travers de méthodes détestables.
L’éviction des petits candidats aurait pu se faire au terme d’une réforme du mode de sélection comme cela l’a été un temps envisagé. Elle aurait pu se faire aussi au travers d’une réforme institutionnelle qui aurait, par exemple, consacré le caractère présidentiel du régime. Cela aurait pu être accepté.
Cependant, le processus se fait au moyen de méthodes détestables. Tous les petits candidats dénoncent les pressions dont sont l’objet les Maires. L’explication serait déjà scandaleuse, en ce qu’elle signifierait une tentative de verrouillage par les partis en place, mais l’argument ne paraît toutefois guère convaincant.
Les élections municipales approchent. Compte tenu de l’age moyen des maires, une grande part ne se représenteront pas en 2008 et donc devraient être totalement insensibles aux pressions. Dupont Aignan devrait donc pouvoir trouver sans problème 500 parrainages parmi les anciens maires nostalgiques du Gaullisme. Voynet, de même, parmi les élus de gauche sensibles à l’écologie. Le Pen également compte tenu de la banalisation de ses idées et du recentrage de son image.
La réalité semble pire encore. Si les Maires répugnent à accorder leur parrainage, c’est que la menace porte non pas sur leur future carrière politique mais sur leur collectivité. Ce dont ils ont peur, c’est que leur commune soit privée de subventions par ses financeurs Etat, Région, et département. Que de telles pratiques soient possible en dit long sur le caractère clientéliste et arbitraire de notre organisation territoriale. Des Maires sous tutelle financière. Des grands élus régnant sur leur fief tel des féodaux, et accordant des subventions selon leur bon plaisir, en dépit de toute considération de l’intérêt des projets. Voilà la triste réalité de la décentralisation en 2007 !
La menace d'un séisme imminent :
Dans les conditions actuelles, l’éviction des petits candidats du premier tour apparaîtrait donc totalement illégitime et anti-démocratique. Elle ferait apparaître de manière éclatante la profonde déliquescence de nos institutions. Un mois avant le premier tour, on peut imaginer l’effet que produirait la nouvelle d’une élection où le choix serait réduit à Ségo, Sarko et Bayrou, et peut-être un ou deux autres candidats mineurs qui seraient, par miracle, passés au travers des mailles du filet !
Lorsque dans la Russie poutinienne, un parti politique ne parvient pas à se présenter lors d’une élection pour des raisons administratives, toute la presse française décrit avec délices une démocratie verrouillée par le Kremlin et à un retour à l’époque soviétique. C’est exactement, l’image que la France renverra à l’étranger. On peut faire confiance sur la presse étrangère pour ironiser avec le même délice sur la santé de la démocratie française !
Il y aurait aussi des conséquences graves et totalement sur le plan interne. Les reports de voix seraient très difficiles à anticiper, ce qui renforcerait encore l’instabilité du système. De même, le positionnement et la stratégie des candidats seraient immédiatement bouleversés. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, qui se disputent depuis des mois pour la place centrale sur l’échiquier politique, se verraient brutalement projetés aux extrêmes de leur camp. On imagine le niveau et l’ambiance de la campagne …
Qu’en serait-il du mécontentement des électeurs privés de candidat et de débat ? Comment iront-il exprimer leur révolte ? Difficile à dire, mais il est probable que l’élection législative de juin réservera quelques surprises, et que faute de réelle adhésion populaire et de vraie légitimité, le nouvel élu, se retrouvera face à une France rétive, pour ne pas dire rebelle et carrément ingouvernable.
Dans un contexte de discrédit historique de la classe politique et de rébellion du corps électoral qui s’exprime sous des formes différentes à chaque élection, les politiques prennent actuellement un risque immense à vouloir faire l’impasse sur le débat sur les grands enjeux du pays. Si les partis s’aventuraient à vouloir, en plus, verrouiller le choix à leurs seuls candidats, ils rendraient le jeu politique littéralement explosif.
... qui appelle une remise à plat des modes de scrutins :
Qu’il faille clarifier l’enjeu de la présidentielle et la recentrer sur sa fonction première est une évidence. Cela doit cependant se faire de manière transparente et réfléchie dans le cadre d’une vraie réforme institutionnelle qui puisse organiser parallèlement la nécessaire respiration démocratique et la représentation des différentes familles de pensée.
La solution la plus simple et la plus efficace serait d’organiser l’élection législative à la proportionnelle intégrale simultanément à l’élection présidentielle. Seule cette solution permettrait de concilier l’élection d’une personnalité à la tête de l’exécutif entre quelques prétendants véritables, et la représentation des différents courants de pensée au sein de corps législatif.
Le caractère hypermajoritaire et hyperpersonnalisé de l’élection présidentielle dans une cinquième république qui concentre tous les pouvoirs dans les mains d’un seul homme, doit absolument être compensé par une élection législative proportionnelle et collective. Le vrai problème est là.
Réunir les 500 signatures c’est pour les petits candidats disposer de 808.300 euros quelque soit le nombre de voix recueillies. Bon nombre de ces petits candidats ne disposent de personne au niveau des communes pour coller ne serait-ce une profession de foi sur les panneaux électoraux.
Si le candidat atteint les 5% le montant maximum passe à 8.083.000 euros, somme plus conséquente mais qui est sur le plan pratique reste le domaine réservé des candidats de partis structurés.
Une attitude responsable des « grand électeurs » me semble être de préserver les deniers publics en évitant la multiplication des candidatures fantaisistes.
Rédigé par : Constantin | 01 mars 2007 à 22:49
Constantin n'a pas tort.
Même s'il figure actuellement en 4ème position dans les sondages, le programme de Jean-Marie Le Pen, pour ne citer que celui-là, comporte des propositions si fantaisistes qu'aucun Maire digne de ce nom ne pourrait les soutenir !
... mais à 78 ans on a le droit d'être gâteux, et même paranoïaque.
Au fait, le Poliblog est ouvert à nouveau. Sous la pression des fans.
http://poliblog.canalblog.com/
:)
Rédigé par : Pascal L. | 02 mars 2007 à 01:27
"un deuxième tour Bayrou – Le Pen" : je l'envisage depuis plusieurs mois mais je n'ose pas trop en parler ...
Rédigé par : Xavier | 02 mars 2007 à 09:13
Pas vraiment le tps de disserter, mais je partage une bonne part de ton analyse... une restriction sur la proportionnelle intégrale
Rédigé par : Marc | 02 mars 2007 à 12:56