Cette semaine aura probablement été une semaine charnière dans cette campagne, et peut-être même dans l’histoire de la vie politique française. La fin définitive du chiraquisme, l’accession de François Bayrou au rang de grand candidat, les clins d’œil de Sarkozy en direction du FN et enfin la proposition d’alliance faite par Dominique Strauss Kahn à François Bayrou constituent autant d’éléments qui annoncent une recomposition profonde du jeu partisan et de l’offre politique.
Pendant les années 70 et 80, la vie politique était structurée autour de quatre partis. PC et PS à gauche ; UDF et RPR à droite. Dans les années 90 et 2000, l’effondrement du PC et l’émergence d’un FN ostracisé ont abouti à une organisation bipartisane autour du PS et de l’UMP autour desquels gravitaient quelques satellites.
Cette structuration est en train de voler en éclat avec l’effondrement de la gauche et la banalisation du Front National. La perspective d’un duel Bayrou Sarkozy dessine une nouvelle organisation en deux blocs relativement cohérents sur le plan idéologique, un bloc national populiste l’UMP-FN et un bloc social démocrate UDF-PS.
I – Les facteurs de la recomposition
La fin du Chiraquisme :
On a beaucoup dit que la présidence Chiraquienne aura considérablement déplacé l’axe de la vie politique vers la gauche. Traversé de contradictions sur la question européenne, très critique sur le libéralisme, résolument opposé à toute alliance avec le Front National, il aura été un vrai centriste qui aura toujours cherché à se situer au point d’équilibre de la société française. La période 1995 2007 a ainsi été marqué par une course des deux blocs vers une synthèse sociale libérale, ce qui n’a fait que réduire le poids cumulé des deux partis de gouvernement et rendre totalement floue la ligne de partage entre la droite et la gauche.
Nicolas Sarkozy, qui lui succède en tant que leader de la droite, n’a à l’évidence, pas du tout la même culture politique. Il est beaucoup plus franchement libéral sur le plan économique, beaucoup plus bonapartiste sur le plan politique, beaucoup plus critique sur l’Europe, et certainement beaucoup moins réticent à l’idée d’une alliance avec le FN, avec lequel il partage « quelques valeurs », comme disait son ancien mentor Charles Pasqua.
Le retrait de Chirac est le premier facteur de la recomposition de la vie politique. Elle rouvre le jeu politique en lui permettant de se recomposer autour d’options idéologiques beaucoup plus franches et de se réadapter à un mouvement de droitisation continue de l’opinion publique.
L’effondrement de la gauche
Alors qu’au début de la campagne, certains observateurs et notamment Emmanuel Todd, considéraient que l’électorat était plutôt à gauche compte tenu d’une critique sourde et violente des classes moyennes et populaires à l’égard du nouveau contexte économique néolibéral. On s’aperçoit au contraire que la vie politique dérive au contraire très fortement à droite.
Dans les derniers sondages, la gauche classique ne fait plus que 33 %, dont 26 % seulement pour l’ancienne gauche plurielle. C’est le niveau le plus faible depuis 1969. Ce niveau ne peut absolument pas lui permettre de gagner, même si par miracle, elle arrive à accéder au deuxième tour.
Cet effondrement n’est pas seulement lié à la personnalité de la candidate socialiste. Il s’agit d’un mouvement de fond de droitisation de l’opinion, qu’Eric Dupin a analysé dans son dernier essai « A droite toute » Le principal facteur de cette droitisation ou d’effondrement de la gauche est essentiellement, l’incapacité du PS à développer un discours de critique économique et sociale.
Après avoir renoncé à l’économie administrée dans les années 80, il a tourné le dos à l’économie mixte dans les années 90 pour s’adapter aux canons libéraux européens. Depuis le tournant européen de 1983, le clivage entre la droite et la gauche se faisait sur la question de la place de l’Etat dans l’économie et sur l’idée de redistribution pour corriger les inégalités sociales.
Aujourd’hui, ces thèmes ne font plus clivage. Comme Jospin l’avait lui même reconnu en 2001 « l’Etat ne peut pas tout ». Autrement dit, il est clairement impuissant pour corriger les dérives du capitalisme moderne. Quant à la redistribution, elle a d’ores et déjà atteint son maximum supportable avec un niveau de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires record, respectivement de 55% et 45 % du PIB, et ce dans un contexte de dette abyssale. Le PS est désormais inaudible lorsqu’il propose une fuite en avant dans un Etat providence qui est déjà en faillite et dont les effets pervers apparaissent désormais clairement au grand jour.
Désormais le débat politique s’organise autour de nouvelles lignes de fractures sur lesquelles le PS refuse de se positionner.
Les nouvelles lignes de fractures :
Le contexte socio économique a évolué. Le débat sur l’Etat providence aujourd’hui ne porte plus sur la correction des inégalités mais sur la capacité d’en assurer le financement et sur la lutte contre ses effets pervers, que l’on n’hésite plus à qualifier d’assistanat, même à gauche. La question du rôle de l’Etat a quitté le champ économique pour revenir sur le champs sociétal. Aujourd’hui, l’enjeu porte sur ses fonctions régaliennes traditionnelles : Police, justice, éducation, capacité à investir pour l’avenir pour exprimer, avant tout, une demande d’ordre et d’autorité. La question sociale dessine une première ligne de fracture entre ceux qui veulent préserver l’Etat providence en assurant son financement, et ceux qui cherchent les moyens d’en faire diminuer la générosité.
La question nationale est revenue à l’avant scène. Les émeutes des banlieues de 2005 ont fait apparaître la violente ligne de fracture qui existe désormais entre la jeunesse des quartiers populaires et le reste de la société française. La France a pris conscience à cette occasion que son identité nationale était à ce point en crise qu’elle ne parvenait plus à intégrer ni les populations immigrées, ni même sa jeunesse. Une deuxième ligne de fracture s’exprime entre ceux qui veulent réaffirmer une identité nationale forte et ceux qui acceptent avec bienveillance l’idée d’une France métissée faite d’une mosaïque de cultures et des systèmes de valeurs.
Enfin, les questions internationales sont redevenues clivantes. L’Europe ne fait plus consensus et la mondialisation inquiète. La ligne de fracture est manifeste depuis le référendum européen de 2005. Elle sépare ceux qui veulent poursuivre dans la voie de l’intégration politique et de l’ouverture des économies et ceux qui veulent au contraire restaurer des capacités d’intervention de l’Etat et des protections contre la concurrence mondiale.
II – Un duel Bayrou Sarkozy entraînerait nouvelle bipolarisation …
La recomposition mise en avant par Bayrou sur le monde de l’union nationale est à l’évidence une chimère. Comme tous les présidents, une fois élu, il cherchera à obtenir une majorité présidentielle et il ne pourra l’obtenir qu’avec une alliance avec le PS. Celui-ci appellera à voter pour lui, contre Sarkozy, au deuxième tour, puis passera à un accord de « désistement républicain » aux législatives « pour faire barrage à la droite et l’extrême droite »
Ce n’est pas tant l’accession de Bayrou au second tour qui fera « péter le système », que l’inévitable alliance entre l’UMP et le Front National qu’elle impliquera. Elle ne fera pas émerger une troisième force sur le mode de la IVème république. Elle déplacera simplement la ligne de démarcation vers la droite pour dessiner un nouveau quadropôle : PS-UDF / UMP-FN
Cette évolution apparaît inéluctable, parce qu’elle dessine deux blocs d’importance comparable autour de 45 % chacun, mais surtout parce qu’elle ferait émerger deux forces politiques relativement homogènes sur le plan idéologique compte tenu des nouvelles lignes de fractures.
en deux blocs cohérents sur le plan idéologique
Cette nouvelle gauche incarnera en fait la continuité du système, que ce soit dans l’engagement européen, l’ouverture de l’économie dans la mondialisation et le maintien, autant que faire se peut, d’un Etat providence généreux avec les retraités, les malades et les chômeurs et tous les accidentés de la vie.
Une alliance Bayrou – Borloo- Strauss Kahn fera émerger une sociale démocratie comparable à celle des autres pays européens. L’apport de Bayrou au PS sera de faciliter les réformes de nature récessive, sur les retraites ou la protection sociale, mais elle permettra au PS de revenir au pouvoir tout en conservant une posture du « toujours plus » qu’il pourra utilement valoriser dans les élections locales. Le PS y a donc un intérêt objectif.
La nouvelle droite sera au contraire beaucoup plus « réformatrice » sur l’Etat providence sous couvert de lutte contre l’assistanat et de restauration de la valeur travail. Son libéralisme sur le plan économique sera compensé par un autoritarisme et un conservatisme sur le plan politique et sociétal. Elle s’attachera à restaurer la verticalité du pouvoir et les fonctions régaliennes de l’Etat. Elle luttera avec force contre l’immigration, l’insécurité et les derniers résidus du libertarisme soixante huitard. Elle s’attachera également à restaurer les moyens d’actions de l’Etat sur le plan économique. Elle s’affichera protectionniste, contre les dérives de la financiarisation de l’économie, et contre l’impuissance auquel conduit l’Europe.
La nouvelle bipolarisation distinguera un social libéralisme, libre échangiste et redistributif, d’un coté ; et un national populisme, protectionniste, autoritaire et individualiste de l’autre.
Fondée sur une nouvelle alliance de classes sociales :
La représentation traditionnelle du clivage gauche droite recoupait la stratification sociale assez simple et caricaturale. Une droite sensée s’adresser aux riches et aux cadres du privé ; une gauche aux pauvres et aux agents du public. Cette nouvelle bipolarisation reposerait sur une nouvelle alliance, beaucoup plus complexe des classes sociales que les discours de Sarkozy font assez nettement apparaître. Elle opposerait les deux Frances, chère à Jacques Marseille. La France exposée à la concurrence internationale et la France qui en vit à l’écart.
A l’époque de la croissance et du toujours plus, chaque classe sociale regardait vers le haut et revendiquait des avantages des classes supérieures. Dans le nouveau contexte, désormais caractérisé par la régression, le sentiment qui domine est désormais la crainte du déclassement qui conduit chaque classe à regarder la classe sociale qui la précède avec crainte ou jalousie. Les classes supérieures veulent se détacher des classent moyennes et profiter de la dynamique inégalitaire de la modernité. Les classes moyennes ont peur d’être rattrapée par les classes populaires et de se prolétariser. Les classes populaires vivent très mal les avantages dont bénéficient les « assistés » dont ils pensent qu’ils ont un niveau de vie supérieur au leur sans travailler.
Ce contexte favorise une nouvelle alliance de classe. Les classes supérieures se découvrent un intérêt commun avec les classes populaires pour réduire la générosité de l’Etat providence et encourager le travail productif exposé à la concurrence internationale. Les classes moyennes salariées et les victimes du système ont, quant à elles, en commun l’intérêt de maintenir un système redistributif, créateur d’emplois publics, et à favoriser une tertiairisation de l’économie qui la déprolétarise.
Conclusion :
Dans l’affaire, les cocus seraient naturellement les tenants du non de gauche qui contestaient l’Europe et la mondialisation pour préserver un modèle social solidaire et égalitaire et la capacité de l’Etat à réguler l’économie. Le non de gauche paierait ainsi son incapacité à s’organiser en force politique depuis 2005, le prix de la lâcheté de Fabius de ne pas avoir osé casser le PS en espérant obtenir son investiture, le prix du retrait de Chevènement et celui de l’incapacité de la gauche antibérale à s’unir autour d’un projet cohérent.
Cette perspective de recomposition est encore très incertaine. Beaucoup de facteurs peuvent encore venir l’empêcher, qu’il s’agisse d’un retour en diabolisation du FN sciemment organisé par son chef historique, un rétablissement de la campagne socialiste ou un éclatement de l’UMP sur la perspective d’une alliance avec la FN. C’est néanmoins celle que dessine la perspective d’un duel au second tour entre Bayrou et Sarkozy.
Personnellement je pense que nous allons plutot vers une fractalisation électorale pour cause d'individualisme. L'explosion de l'electorat dans de nombreux partie de faible poid. Les electeurs sont de plus en plus volatiles , on passe facilement d'un parti à l'autre et l'idéologie libérale qui domine maintenant depuis 30 ans va finir par disparaitre. Je pense que Todd à tout de même raison la mojorité des français ont le coeur à gauche, mais la gauche actuelle n'est plus de gauche, d'ou l'explosion électorale Les socialistes on préféré l'international au sociale). La volatilité electorle permet d'imaginer le pire comme le meilleur, et pourquoi pas le retour d'un vrai parti Gaulliste et républicain protecteur et solidaire, n'est ce pas ces idées qui au fond sont les plus à même de diriger le pays. L'autorité et le protectionnisme de la droite, avec la régulation et la solidarité de la gauche, il faut que les républicains et les gaullistes s'unissent, peut-on imaginer Chevenement rejoindre NDA, puis s'associer à l'aile gauche du PS et au derniers gaullistes de l'UMP un tel sénario est-il improbable?
Rédigé par : yann | 11 mars 2007 à 13:40
très intéressant comme d'hab...
Rédigé par : Marc | 12 mars 2007 à 10:20
Merci à Malakine pour cette analyse si intéressante et à Yann, entre autres, pour un lapsus calami (lapsus de plume) particulièrement évocateur .
Selon Littré, un électeur volatil, une électrice volatile ont la capacité de voler mais restent des humains ; un électeur "volatile" appartient à la gent animale qui réside dans la basse-cour . Vers quels candidats se porteront donc les voix de ces "volatiles" emplumés ?
J'imagine que les autruches se cacheront la tête dans les sables de la pensée de François Bayrou et que les dindons de la farce iront vers Nicolas Sarkozy mais que, si Ségolène Royal respecte l'accord politique passé entre le PS et le MRC, les oies qui donneront de la voix pour elle seront en droit de se réclamer de celles de leurs illustres aïeules qui sauvèrent le Capitole !
Rédigé par : Ilysa | 12 mars 2007 à 12:42
Bolje moï, quel cauchemar!
Si cette recomposition devait avoir lieu, je devrais m'avouer totalement perdu.
Cette perspective tient il est vrai la route.
Le peuple peut encore, doit se mobiliser, la France est encore je le crois ou du moins je l'espère une Nation Politique.
Comme le référendum l'a montré, si les vraies questions sont mises en avant, le vrai débat est possible.
Je reconnais facilement que pour l'instant la campagne ne le permet pas.
Une priorité, cessons de tomber ds le piège de la sondagite, plus de 50% des electeurs n'ont tjs pas fait leur choix et bcp précisent que les avis exprimés ne sont pas définitifs.
Si la perspective que Malakine évoque se concrétisait, il resteraient celon moi 3 possibilités:
Emigration.
L'aventin.
La lutte armée?
En tous cas mon adage qu'ils s'en aillent tous deviendrait plus que jamais pertinent.
Rédigé par : chavinier | 12 mars 2007 à 12:49
Bonjour,
Passionnante prospective Malakine.
Je rebondis, sur certains de tes propos :
"La proposition d’alliance faite par Dominique Strauss Kahn à François Bayrou"…
n'est pour l'heure qu'une proposition de ralliement au second tour et à sens unique (qu'effectivement Fabius récuse par avance).
A ce stade il est difficile à DSK de dire autre chose, sans casser prématurément "la baraque de foire de la rue de Solférino" et sans passer pour le traître de service.
"La perspective d’un duel Bayrou/Sarkozy dessine une nouvelle organisation en deux blocs relativement cohérents sur le plan idéologique, un bloc national populiste l’UMP-FN et un bloc social démocrate UDF-PS."
A long terme c'est possible mais je n'y crois pas trop. En tout cas pas avec "le vieux". D'ici là, de l'eau aura coulée sous les ponts. L'UMP aura été sérieusement ébranlée. Sarkozy serait-il toujours leader ? Retour de Juppé, le sauveur ?
Symétriquement, L'UMP risque de se réduire au dernier carré d'une droite libérale dure. Radicaux Valoisiens, anciens de l'UDF, voir même certains gaullistes (s'il en est encore) auront eu le temps de se refaire une virginité et de retrouver Bayrou bien plus fréquentable du coup. Quand le vent souffle, les girouettes regardent toujours d'où vient le vent.
En outre, la perspective de changement de mode de scrutin peut très bien inciter le FN a faire cavalier seul.
"L’Europe ne fait plus consensus et la mondialisation inquiète"…
C'est rien de le dire.
"Dans l’affaire, les cocus seraient naturellement les tenants du non de gauche qui contestaient l’Europe et la mondialisation pour préserver un modèle social solidaire et égalitaire et la capacité de l’Etat à réguler l’économie…"
Exact ! Mais, pour autant, rien ne peut se faire sans nos partenaires. Un retour en force (et en grace) de la france à la table des négociations est donc indispensable. Bayrou est le mieux placé à cet égard.
Pour conclure, je verrais assez bien Jacques Chirac voler au secours d'une bipolarisation qui serait selon lui indispensable à la vie politique du pays : mise en garde sur la remise en cause des institutions de la Ve République qui ont fait leur preuve. Appel à l'unité sur un choix de société, pour mener les réformes qui s'imposent. Appel à ne pas faire le choix de l'immobilisme, à ne pas faire le jeu des extrêmismes en choisissant la confusion politique… etc, etc,
Bayrou ferait ainsi figure d'aventurier. Sarkosy serait implicitement soutenu sans le nommer.
Personnellement, je crois plutôt que le temps des femmes et des hommes de bonne volonté est venu et que l'électeur s'apprête à contraindre le politique à s'appliquer à lui-même le concept de "flexibilité". Juste retour des choses.
Rédigé par : marcus | 12 mars 2007 à 16:46
Il faut que j'avoue que ces perspectives de recomposition me troublent : c'est au moins la 3ème fois que je viens relire l'argumentaire !
C'est vrai, si Bayrou est présent au second tour, une recomposition "démocrate-sociaux / socio-démocrates" est fort probable et même assez naturelle. Ce serait l'éclatement du PS sur la ligne de démarcation interne du NON au TCE.
Faut bien reconnaître aussi que l'autre perspective, alliance UMP-FN, est une évolution qu'il faut désormais envisager.
Il y a quand même deux absents dans ce scénario : les tenants du non de gauche comme vous le dîtes mais aussi l'environnement en dépit ou à cause du départ en fanfare de Nicolas HULOT.
Une certitude, un final SARKOZY-BAYROU verrait probablement la défaite du premier plus que la victoire du second et les législatives seraient alors très disputées, incertaines et pas forcement déterminantes.
Mais, allez, rassurons-nous, il existe un vote au premier tour qui lève cette hypothèque !
Rédigé par : PeutMieuxFaire | 13 mars 2007 à 09:42