Et voilà de nouveau le petit monde politico-médiatique de nouveau en ébullition sur l’un de ses sujets préférés : le rapport entre laïcité et l’Islam ou les libertés menacées par les religions. Il est de bon ton en ce moment de manifester sa solidarité avec Charlie Hebdo et de le défendre au nom de la liberté de la presse dans son procès intenté par l’UOIF et la grande Mosquée de Paris dans le cadre de l’affaire des caricatures.
En ce qui me concerne, je n’ai aucune envie de défendre Charlie Hebdo et de hurler à la censure pour défendre une liberté qui ne me paraît en rien menacé dans cette affaire. Mon soutien irait plus volontiers aux plaignants et ma critique aux bonnes âmes qui croient devoir soutenir le journal satirique.
Plus que la liberté de la presse, la vraie question dans cette affaire est la manière dont l’islam et la République peuvent s’accorder lorsque leurs valeurs s’opposent. En l’espèce deux principes s’affrontent. Une interdiction religieuse du blasphème d’un coté, un principe de liberté d’expression de l’autre.
La liberté de la presse n’est toutefois pas sans limites. La loi interdit et sanctionne pénalement la diffamation, l’injure ainsi que l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse. C’est tout à fait heureux qu’il en soit ainsi. Il y a des principes qui se situent au-dessus de la liberté dans l’échelle des valeurs. Toute liberté doit être encadrée et bornée par les règles de la vie en commun et l’intérêt général. La liberté ne peut pas être une valeur absolue. Cela vaut toutes les libertés et tous les droits.
En l’espèce, le Droit a déjà trouvé le moyen de résoudre le conflit de valeurs, entre liberté de la presse et respect dû aux religions. La critique des religions est permise, l’offense interdite, le nœud se trouvant dans la notion d’injure publique.
Charlie hebdo a publié des caricatures dans le but exclusif de prouver son attachement à la liberté d’expression. Se faisant, il a commis un acte explicite de provocation à l’égard du monde musulman. L’intention était plus que douteuse. Les dessins également. Certains y ont vu un acte de stigmatisation raciste. D'autres y ont vu un acte de mauvais goût et une inutile provocation qui ne peut que nourrir l’islamisme. Personne en revanche n’y a vu l’expression d’une opinion construite et argumentée. Entre provocation imbécile et injure, la frontière suffisament floue pour rendre le procès légitime.
Il n’est donc pas possible de défendre Charlie hebdo au nom de la liberté d’expression en faisant l’économie de la discussion sur le caractère injurieux ou non des publications. Faire cela, c’est contribuer à radicaliser le débat et à dresser les parties l’une contre l’autre de manière totalement irresponsable. C’est prétendre défendre un droit absolu à la liberté d’expression qui n’existe pas et qui n’a pas vocation à exister. Les soutiens de Hollande, Sarkozy ou Bayrou, sont de ce point de vue lamentables de démagogie. Ils visent soit à capitaliser le vent mauvais d’islamophobie qui parcoure l’opinion, soit à s’ériger à bon compte en défenseur des libertés, qui ne sont en l’espèce nullement menacées.
Le journal a-t-il été interdit de publication ? Les associations musulmanes ont-elles lancé un fatwa appelant au boycott de Charlie ou à la mort de Philippe Val ? Ou est la censure dans cette affaire ? Les plaignants ont simplement fait ce qu’on doit faire en pareil cas dans un Etat de droit : saisir la justice pour demander une sanction face à ce qu’ils considéraient être une injure à l’encontre de leur communauté. L’attitude des plaignants est de ce point de vue bien plus républicaine que celle des nos apprentis avocats. Les pressions que les politiques exercent sur la justice sont inadmissibles, surtout de la part d’un ministre en exercice.
S’il s’agit pour eux de considérer que la liberté d’expression est un principe intangible et sacré qui ne doit souffrir d’aucune restriction, alors qu’ils demandent à ce que le code civil, le code pénal et la loi sur la presse soit expurgés de toute disposition venant sanctionner les excès de langage.
S’il s’agit de considérer que ces caricatures ne présentaient aucun caractère injurieux à l’encontre de la religion musulmane, alors ils sortent totalement de leur rôle. Dans un Etat de droit, la justice est rendue par des tribunaux dans le respect de procédures garantissant le respect des droits de la défense et le principe du contradictoire. On n’a rien inventé de mieux pour arbitrer les différends et apaiser les tensions sociales.
Les politiques doivent de temps en temps savoir donner l’exemple en montrer qu’ils sont capables d’attendre sereinement une décision de justice dans une affaire qui heurte leur sensibilité. Sinon, comment dire à des jeunes de banlieues de ne pas mettre le feu aux cités après une bavure policière ou un décès accidentel de l’un des leurs dans une centrale électrique ?
En volant au secours de Charlie Hebdo, les politiques ont commis une atteinte manifeste à la séparation des pouvoirs. Ce n’est pas nouveau. La Justice se rend de plus en plus dans les médias, face à l’opinion et sous l’influence de ses passions du moment. Cette dérive est une dégénérescence de l’esprit républicain autrement plus préoccupante que ces prétendues atteintes à la liberté d’expression.
La liberté d’expression n’est d’ailleurs pas ce qui préoccupe ses défenseurs du moment. Ce sont les mêmes qui ont lynché Georges Frêche, lorsqu’il avait déclaré que le nombre de noirs en équipe de France n’était pas exactement représentatif de la proportion de noirs dans la société française. Je n’ai d’ailleurs jamais compris en quoi ces propos étaient racistes ou à l’égard de qui, ils étaient injurieux. L’attitude juste et respectueuse de la liberté d’expression dans cette affaire eut été de porter plainte et d’attendre sereinement le verdict de la Justice. Frêche, a exécuté, sans procès, en place publique, sans aucun souci de sa liberté d’expression, ni de ses droits à la défense.
La tyrannie de la bien pensance, qui vient systématiquement sanctionner tout propos un tant soi peu déviant par un impitoyable lynchage médiatique, est d’ailleurs un facteur de recul de la liberté d’expression bien plus puissant que la légitime revendication des musulmans à être considéré avec respect.
Pourquoi défendre la liberté d’expression de Charlie Hebdo quand il publie des dessins ni drôles, ni intelligents qui n’ont d’autre objet que la provocation, quand on atomise Frèche lorsqu’il soulève la question de la représentativité ethnique de l’équipe de France de foot au moment où tout le monde ne parle que de diversité ? Sur le plan des principes, rien ne peut justifier une telle différence de traitement entre ces deux affaires, tout à fait similaires au regard des libertés.
La différence s’explique pour une part par l’identité de l’accusé - Il est plus valorisant de défendre un journal satirique qu’un roitelet mégalomane – mais surtout à mon sens, par l’objet du délit. La différentiation ethnique (alors même qu’elle n’entraîne aucun jugement de valeur) est contraire au sacro-saint principe d’égalité et joue sur les mauvaises consciences. En revanche, le discrédit des religions est un sport national qui date de plus d’un siècle.
Il s’agit bel et bien de régler ses comptes avec l’Islam. Pour Charlie, comme pour les politiques qu’ils le soutiennent, cette affaire n’est qu’un prétexte pour humilier les musulmans.
Trés bon analyse, c'est à peu prés ce que je pensais, mais à chaque fois que je l'ai évoqué en société on m'a traité d'affreux ringard, non progressiste..
Je n'arrivais pas à analyser en quoi c'était faux, que j'avais raison, tu l'as fait pour moi! merci ;-)
Rédigé par : Chevillette | 10 février 2007 à 18:21
L'analyse paraît assez fouillée et intéressante. J'ai pourtant le sentiment qu'elle n'épuise pas le sujet.
J'y reviendrai dans un second temps.
Rédigé par : Pierre | 10 février 2007 à 19:41
Deux remarques après relecture de votre texte:
1-Vous écrivez en conclusion: "Pour Charlie comme pour les politiques qui le soutiennent, cette affaire n'est qu'un prétexte pour humilier les musulmans".
Je doute fort que Bayrou, Hollande ou Sarkozy(pour ne parler que des politiques)méritent pareille accusation.Une accusation tellement grave et infondée(sauf informations que je n'ai pas)qu'à la reflexion, je n'irai pas plus loin dans la discussion avec vous sur le sujet. Et j'en suis désolé!
Rédigé par : Pierre | 11 février 2007 à 13:06
A l'époque, j'avais acheté ce "charlie-hebdo" spécial caricatures des reiligions...ils avaient publié beaucoup de dessins faits par leurs journalistes sur les religions (d'ailleurs beaucoup plus pertinents et dérangeants que les caricatures danoises). Cependant, celles de charlie n'ont pas été attaqué...Ce sont les danoises car elles n'étaient pas drôles et en effet trés limites. CQFD.
La "liberté d'expression" ne veut pas dire publier tout et n'importe quoi sans distinction. Si je mets un gros plan pornographique au milieu du journal et que je suis censuré, est-ce une atteinte à "la liberté d'expression"...??
Rédigé par : Chevillette | 11 février 2007 à 23:22
Je te reconnais un vrai talent d'avocat ! ;-)
Super article. Je suis convaincue.
Rédigé par : Boréale | 27 août 2007 à 23:03