Je suis tombé lundi soir sur l’émission Mots croisés et j’ai assisté à une scène particulièrement étonnante. Sur le plateau étaient réunis Patrick Devedjian, Jean Christophe Lagarde, Manuel Valls et Olivier Besancenot. La discussion porte sur le pouvoir d’achat et les salaires.
Marine Le Pen prend la parole avec gravité et commence à faire un exposé sur la concurrence chinoise qui détruit les emplois productifs en France, en illustrant son propos d’articles à prix cassé qu’elle sort de son sac. Elle en appelle au rétablissement de frontières commerciales et de droits de douanes de nouvelle génération remboursables sur les exportations en direction de ces pays. Sourires gênés dans l’assistance.
Naturellement, on lui signale que la France vend aussi à la Chine et que le commerce va dans les deux sens. « Oui, mais quand on vend en Chine, on vend les usines avec ! ». Le malaise s’installe sur le plateau …
Jean Christophe Lagarde reformule la proposition de Marine Le Pen, en ressortant la tarte à la Crème désormais bien connue des libre-échangistes « On a vu ce que ça a donné dans les pays de l’est. D’un coté on roulait en Mercedes, de l’autre on roulait en Trabant, Vous êtes en train de nous proposer la Trabant comme un outil moderne ». Ah bon ? Les pays de l’est avaient comme seule tare d’être des économies protégées ? Bêtement, je pensais que c’était parce qu’ils avaient une économie planifiée gangrenée par la bureaucratie …
Le rondouillard député UDF poursuit en prônant une TVA Sociale afin de réduire le coût du travail. Imperturbable, elle approuve « L’un n’empêche pas l’autre ». Puis, ne se rendant probablement pas compte qu’il sort du sujet, il poursuit sur la proposition de Bayrou de créer deux emplois francs de charges sociales dans toutes petites entreprises. Une fois encore, on renonce à faire de la politique économique pour faire de la politique de l’emploi, sur fonds publics …
Vient au tour de Patrick Devedjian de commenter la proposition. Il aurait pu dire que la politique commerciale a été délégué à l’union européenne, que la France seule ne pouvait instaurer de droits de douanes sans sortir de l’Europe, que c’est à ce niveau que des protections commerciales doivent être instaurées, que Nicolas Sarkozy n’y ait d’ailleurs pas hostile et s’est à plusieurs reprise prononcée en faveur de la préférence communautaire.
Manifestement ce discours nouveau n’est pas encore passé. La greffe des idées protectionnistes a des difficultés à prendre sur le logiciel libéral. Devedjian s’est bêtement contenté de prôner un renforcement du tissu de PME afin de renforcer nos exportations. Comme si nos PME allaient exporter en Chine !
Que dit le PS sur le sujet ? Pas grand-chose de très différent. Manuel Valls sur le plateau a rappelé l’engagement du PS d’augmenter le SMIC. Comme c’est facile la politique avec les socialistes ! Faire l’impasse sur les questions compliquées : la concurrence mondiale, la compétitivité française, les échanges commerciaux, le risque de délocalisation et se contenter de proclamer de bons sentiments et de bonnes intentions …
La candidate socialiste a revanche pris position sur la question. Oui ? vraiment ? Avec une phrase compréhensible qui traduit clairement une pensée ? Oui, oui, clairement … Pour dire une fois de plus la même chose que la droite. Avec une proposition à la clé ?? Ah non, quand même pas ! Ségolène Royal ne fait pas de la politique. Elle fait de la morale.
A son retour de l’empire du milieu, la candidate a en effet déclaré que « la meilleure réponse aux délocalisations ce sont les exportations ! » se prononçant même en faveur des transferts de technologies. Bien sûr ! On veut s’inscrire dans la mondialisation en développant l’économie de la connaissance, la valeur ajoutée, et l’innovation mais on veut aussi transférer aux chinois le seul facteur qui peut encore asseoir notre « compétitivité » pour pouvoir leur vendre quelque chose …
Mais exporter quoi en Chine ? La France a surtout des biens d’équipements collectifs à vendre, qui par définition se produisent sur place. Combien d’emploi, par exemple, aurait généré la « vente » par Areva de sa centrale nucléaire EPR ? Non seulement Les échanges commerciaux sont déficitaires en valeurs (106 milliards d’€ de déficit pour l’ensemble de l’UE), mais, compte tenu de la nature des produits échangés, le contenu en emploi représenté par ces échanges est très différent. Un milliard d’importations chinoises représentent infiniment plus d’emplois, qu’un milliard d’exportations européennes.
En tout état de cause, il suffit de regarder les chiffres ou simplement de lire la presse pour s’apercevoir que la réponse à la mondialisation par le développement des exportations est une pure vue de l’esprit.
Entre 2004 et 2005, les exportations européennes vers la Chine ont progressées de 7%. Les importations de 24 %. La tendance n’est pas vraiment au rétablissement de l’équilibre, d’autant que la chine exporte de plus en plus de produits à haute valeur ajoutée avec des marges plus importantes. Leurs exportations de produits High Tech vient de croître de 30 %. Les derniers résultats du commerce extérieur chinois font apparaître un nouvel excédent record de 177 Milliards de dollars, soit une augmentation de 76 % !
Qui peut sérieusement penser que ce mouvement pourrait s’arrêter et que l’industrie française si elle était mieux structurée ou mieux organisée pourrait équilibrer les échanges commerciaux et « tirer parti de la croissance mondiale » ?
La réponse à la mondialisation par les exportations est condamnée par la structure de nos exportations. La quasi-totalité des exportations françaises se font dans l’union européenne et principalement en Allemagne. En 2005, les exportations vers la chine représentaient 5 Milliards d’euros quand celles vers l’Allemagne représentaient dix fois plus !
Or, si la croissance de l'Allemagne reprend (2.5 % cette année), c’est exclusivement par un accroissement de son commerce extérieur avec des exportations en hausse de 12%. Ce serait donc la preuve que ce modèle fonctionne et que c’est la voie à suivre pour la France ? Pas tout à fait car cette croissance n’a profité ni la demande intérieure (+0.6%), ni à l’emploi (+0.7%).
Les bons chiffres de la croissance du commerce extérieur allemand s’expliquent exclusivement par la délocalisation des productions à faible valeur ajoutée (les importations connaissent une hausse équivalente aux exportations) et une compression de sa demande intérieure, qui va encore être renforcée en 2007 par l’augmentation de la TVA. Cette stratégie ne profite pas en Allemagne qu’aux grands groupes, dont les profits explosent, et elle est en particulièrement nuisible pour ses partenaires et en particulier pour la France.
Le libre-échange est aussi une impasse écologique. Il paraît que les enjeux climatiques sont au centre de la campagne et que tout le monde s’accorde pour réduire les gaz à effet de serre. Uniquement toutefois pour l’activité économique qui se fait sur le sol européen, car les produits chinois, eux, restent dispensés de toute règle en la matière. Ils peuvent arriver chez nous sans aucune contraintes, ni taxes. Finalement la solution la plus facile pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre serait de délocaliser les fabrications les plus gourmandes en énergie et les plus polluantes. Rappelons que la chine est déjà enfer écologique. Elle compte 16 villes parmi 20 villes les plus polluées au monde et d’immenses problèmes de pollution des nappes, de pollution de l’air, avec déjà de graves conséquences sanitaires.
D’où, l’idée de bon sens, et d’essence tout à fait protectionniste, proposée par le Premier ministre à la commission européenne d’une taxe carbone qui frapperait à l’échelle européenne les produits importés de pays qui ne respecteraient pas le protocole de Kyoto. Après tout ce ne serait que justice pour rétablir les conditions d’une concurrence non faussée, et une manière d’inciter les pays les plus pollueurs à être plus vertueux. Réponse du commissaire à la concurrence, Monsieur Mendelson « c’est une fausse bonne-idée. La proposition est hautement problématique avec les règles de l’OMC et pas bonne sur le plan politique. Je reste convaincu que la liberté des échanges est source de croissance … ».
On ne saurait mieux caractériser ce dogme. La croyance dans les vertus du développement des échanges internationaux est placée à un niveau supérieur à un enjeu planétaire que tout le monde s’accorde à reconnaître comme majeur.
L’attachement de toute la classe politique au modèle de développement économique par les exportations et la compétitivité dans une compétition mondialisée est proprement stupéfiant. L’ouverture des économie au commerce international est une machine à détruire des emplois et à favoriser la fuite de nos capitaux. Cela est d’une telle évidence qu’il faudrait s’interroger sérieusement sur les facteurs qui conduisent la classe politique, et en particulier la gauche, à rester aussi attaché à ce dogme qui est pourtant contesté chaque jour, à la fois par les chiffres et par les analyses.
Après Emmanuel Todd et Hakim El Karoui, l’économiste Jacques Sapir vient d’entrer dans le débat pour défendre les thèses protectionnistes. Là, où son apport est intéressant, c’est qu’il ne s’appuie pas comme Todd, les conséquence du libre –échange en terme de tassement de la demande intérieure ou des salaires, ou comme El Karoui, sur la taille de la chine qui rend obsolète l’idée de spécialisation dans la division internationale du travail. Il s’appuie sur de pures théories économiques pour démontrer, par l’utilisation de modèles économiques et l’analyse de l’histoire, que le protectionnisme produit de meilleurs résultats que le libre-échange en terme de croissance, mais aussi d’échanges mondiaux !
En attendant, on nous ressert toujours que la fermeture des frontières nous conduiraient à revenir à la production de Trabant !
Emmanuel Todd et Hakim El Karoui ont dit chacun leur tour (y compris sur ce blog en ce qui concerne le deuxième nommé) que le thème du protectionnisme serait au cœur de la campagne et que le candidat qui mettrait au cœur de son discours l’idée de protection économique l’emporterait.
Malheureusement, depuis le retrait de Jean Pierre Chevènement (1), le seul candidat à contester le dogme libre-échangiste est Jean Marie Le Pen ! C’est extrêmement inquiétant, d’autant plus qu’il dévoie totalement l’idée en préconisant des mesures de protections nationales, et non européennes, et risque de la discréditer durablement.
Très curieusement, les politiques qui semblent actuellement les plus proches de ces thèses sont au pouvoir, et pourtant, pas en situation de se présenter. Enfin, c’est ce qu’on dit … Jacques Chirac et Dominique de Villepin, ont en effet fait tout deux des signes très clairs récemment en direction du protectionnisme européen, l’un en se prononçant dans ses voeux aux forces vives de la Nation pour une réforme de la politique commerciale pour l’adapter à la mondialisation, l’autre en invitant Emmanuel Todd à ouvrir la conférence sur les revenus et les salaires.
J’attendais avec impatience, mais sans trop d’illusions, les déclarations de Ségolène Royal sur la question de la mondialisation et des délocalisations après son voyage en Chine. La voilà définitivement disqualifiée. Elle une candidate de plus de la pensée unique et de l’ordre économique mondial …
(1). Je serais curieux de savoir aujourd’hui combien parmi mes anciens camarades qui ont comme moi soutenu la candidature éclair de JPC, pensent encore que Ségolène Royal s’est « Chevènementisée ».
- Je crois que l'UMPS ont trés bien intégrés que pour gagner l'élection présidentielle (+ de 50%), il fallait avoir un discours social-libéral (Pour le P.S) et sécuritaro-libéral (Pour l'UMP).
- Qui croit que Sarkozy serait tenté par un protectionnisme européen? Toute l'action de l'UMP ne s'est-elle pas inscrite dans une libéralisation généralisée, une ouverture internationale et débridée s'alignant sur les préconsiations les plus délirantes du MEDEF...?
- Oui le risque Le Pen est présent car le débat est, une fois de plus, escamoté au profit des interets de la classe politique elle-même...
Rédigé par : Chevillette | 11 janvier 2007 à 17:26
C'est en effet de plus en plus catastrophique.
Suporter pratiquement inconditionnel de Chevènement j'ai cru et j'espère encore que l'accord PS MRC replacerait, replacera Ségolène Royal et le PS sur les chemins de la raison.
Mais à l'écouter elle, ou jack Lang qui se contente de nous débiter les mêmes sornettes de toujours sur l'intelligence, j'en viens à douter de plus en plus.
Il y a d'autres candidats, même si ils risquent d'être hors compétition finale...
Malakine nous livrera t'il ses avis et remarques sur NDA ou même Jacques Cheminade?
Personnellement c'est vers eux que mon interêt se porte, attention je ne dis pas qu'il faille voter pour eux et que je le ferais.
J'aimerais des avis de Malakine ou d'autres, merci d'avance et meilleurs voeux à tous, pas bonne année parceque vu comment sa tousse....
Rédigé par : chavinier | 11 janvier 2007 à 20:34
L'article de Sapir ne semble pas tellement tenir la route ... pourquoi ne pas aller porter la contradiction là http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2007/01/10/701-fisking-jacques-sapir ou là http://www.telos-eu.com/2007/01/le_conformisme_des_protectionn.php#more ?
Rédigé par : Yogi | 12 janvier 2007 à 00:41
Vous écrivez ceci :
"Malheureusement, depuis le retrait de Jean Pierre Chevènement (1), le seul candidat à contester le dogme libre-échangiste est Jean Marie Le Pen ! C’est extrêmement inquiétant, d’autant plus qu’il dévoie totalement l’idée en préconisant des mesures de protections nationales, et non européennes, et risque de la discréditer durablement."
Je ne partage pas votre conclusion. Il me semble évident que lorsque JMLP parle de protectionnisme, il ne pense pas à un protectionnisme dirigé contre l'ensemble des pays du monde, mais contre les pays aux coûts salariaux faibles. 80% de nos exportations se font à l'intérieur de la zone euro. Un modèle français de proectionnisme vis-à-vis de l'Inde ou de la Chine porterait vite ses fruits et entrainerait à sa suite l'UE. Si l'on doit attendre que les 27 se mettent d'accord, on a largement le temps de mourir!
Il est grand temps pour tous les esprits intelligents de se conformer à la leçon du 29 mai 2005 : celle-ci est que la seule force politique actuelle capable de porter les valeurs du non est le FN. On peut le déplorer, mais si la tentative de Chevènement à échoué, c'est du à mon sens à son ancrage à gauche, voué à l'échec (je conseille "impasse adam smith" de JC Michéa pour comprendre pourquoi).
Néanmoins, via protectionnisme.eu, je découvre avec grand intérêt votre blogue. J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop d'y ajouter ce commentaire que certains esprits jugeront "extrémiste".
Mais l'extrêmisme, c'est toujours relatif au dogme de l'époque...
Rédigé par : lingane | 12 janvier 2007 à 13:52
Pour répondre à Lingane je pense personnellement que le protectionnisme moderne doit se concevoir en partenariat régional ou plus exactement continental.
De fait une telle politique ne peut être mise en oeuvre que si des partenaires sont succeptibles de rejoindre le projet, le mouvement... on peut aussi entre ces partenaires développer des accords bilatéraux à partir du momment où une ou des complémentarités sont possibles.
L'exemple actuel de l'Amérique du sud entre différents Etats et les initiatives de la république bolivarienne du Vénézuela me semble interessante. Lié personnellement à l'Argentine je maitrise quelques aspects de ces problèmatique.
La perspective Lepen est ds cette optique tout à fait stérile.
En effet aucun partenariat ou partenaire n'est possible!
Personne n'est prêt, compte tenu des autres aspects véhiculés par Lepen, à le rejoindre pour entreprendre une politique commune.
Le protectionisme isolé est voué à l'échec!
De fait une expérience Lepen ne ferait que renforcer les adversaires d'un protectionnisme réaliste et j'ose le dire intelligent.
Rédigé par : chavinier | 13 janvier 2007 à 01:10
Le retrait de Jean-Pierre Chevènement - 10 décembre 2006
Ce n’est qu’une demi-surprise que d’apprendre aujourd’hui le ralliement de Jean-Pierre Chevènement à Ségolène Royal, qui est donc aussi celui du MRC au PS.
Du point de vue de JPC c’est certainement un calcul qui peut se tenir : étant donné que son tropisme fondamental est de chercher à conseiller un chef de parti susceptible de gouverner, il a peut-être en effet, avec S. Royal, un leader politique moins structuré et donc plus susceptible de l’écouter, que ce ne fut le cas avec Mitterrand et Jospin.
Mais du point de vue de la politique de notre pays cela ne change rien, car voilà 40 ans déjà que JPC échoue dans cette tentative, et on ne voit pas pourquoi et comment le PS de 2007 accepterait soudain les politiques qu’il a toujours réfusé, ni pourquoi les éléphants cèderaient à l’homme qu’ils accablent depuis le 21 avril 2002 comme étant le responsable de l’échec de Jospin au premier tour. Ils feront peut-être des concessions du bout des lèvres, pendant la campagne, mais au pouvoir, vu les états de service gouvernementaux de ce parti, ses positions sur le référendum sur la "constitution européenne", la teneur des récentes primaires, et tant d’autres points, on peut légitimement en douter !
Source: http://www.plateforme2007.net/spip.php?breve1
Rédigé par : Plateforme2007 | 16 janvier 2007 à 16:39
pour répondre à chavinier
certes, je suis bien d'accord que le protectionnisme doit surtout se concevoir à l'échelle européenne
mais soyons pratiques : nous l'allons pas attendre que les 27 se mettent d'accord. Il faut lancer le mouvement. Les autres suivront car ventre affamé n'a pas d'oeuillères.
(il faudra bien sûr penser l'Europe AVEC la Russie, source de matière grise et de matières premières)
Par pitié, que les protectionnistes ne se divisent pas!
Rédigé par : lingane | 16 janvier 2007 à 19:25