On parle souvent de la dislocation de la Nation française à propos de l’immigration et des difficultés que les populations d’origine étrangère éprouvent à se sentir français (1). On parle moins de la sécession des élites. Et pourtant, l’absence totale de solidarité qu’ils expriment à l’égard des intérêts de la collectivité est le symptôme le plus évident et le plus préoccupant de la dislocation du sentiment national.
L’affaire de l’exode fiscal de Johnny Hallyday, et les réactions qu’elle a entraîné du coté des amis de Sarkozy, nous en ont encore fournit une illustration ce Week-End.
L’exode fiscal du Johnny est à l’évidence une affaire scandaleuse. Si encore, il avait construit sa fortune après une carrière internationale, il aurait pu choisir librement de se domicilier à l’étranger. Seulement ce n’est pas le cas. Malgré son horrible pseudonyme américanisé, Johnny n’a rien d’une star mondiale. C’est un pur produit franco-français. Sa carrière doit tout au système français, son public, sa politique de l’exception culturelle à laquelle on doit d’avoir encore des chanteurs nationaux. C’est l’argent des français qui s’est accumulé dans ses poches !
A ces arguments, le sieur Johnny a répondu par un très élégant « J’en ai rien à foutre », et a justifié sa décision par un égoïsme conceptualisé, très représentatif de la génération du baby-boom dont il a été l’idole. En effet, ce monsieur est libre. Il n’a de compte à rendre à rien ni personne. Aucun principe, aucune morale n’est susceptible de venir s’opposer à l’intérêt de son compte en banque. Il est libre et irresponsable. Egoïste et ingrat. A l’image de cette génération qui a érigé l’individualisme le plus absolu, au rang de religion.
Cette affaire m’en rappelle une autre qui m’avait tout autant scandalisé, il y a quelques mois. J’avais d’ailleurs commencé ma première tentative de blog par un coup de gueule contre les expatriations vers le Maroc, de retraités recherchant à maximiser le pouvoir d’achat de leur pension de retraite et à pouvoir investir à bon compte dans un immobilier bon marché. Un phénomène que les médias avaient naturellement présenté, sous un angle exclusivement consumériste, comme un phénomène très « tendance », feignant d’ignorer la trahison que ces exils dorés traduisaient pour la société qui continue de payer leur retraite et leur protection sociale.
Cette affaire va bien au-delà du cas individuel du crétin des Alpes. Elle soulève la question de tous les nouveaux expatriés, qu’il s’agisse des retraités qui jugent plus avantageux de se la couler douce au Maroc, de nos cerveaux qui migrent dans les laboratoires de recherche des Etats-Unis, de nos jeunes diplômés que les universités expédient au quatre coins du monde lors de stages avant que des multinationales les y exilent pour de bon. Ce phénomène d’expatriation est très mal connu dans son ampleur réelle. On sait en revanche qu’il est en pleine explosion depuis quelques années (2).
Plus encore que le phénomène lui-même, c’est l’absence de réaction qu’il suscite qui est préoccupant. Comme si toute la société acceptait comme une évidence que la France est un pays fini où il n’était plus possible de réussir sa vie qu’en la quittant pour l’étranger. Personne n’évoque l’idée que les exilés ont une dette à l’égard de la société, soit parce qu’elle a fait leur fortune, soit simplement parce qu’elle a payé leurs études.
La relation entre l’individu et la société n’est plus perçue qu’à sens unique. L’individu à tous les droits. La société plus aucun. On sait très bien exciper d’un prétendu statut de victime, mille créances à l’égard de la société. On reconnaît même désormais aux milliardaires un statut de victime de la pression fiscale pour justifier leur fuite. Jamais on n’évoque en revanche ce que l’individu à apporter à la société en échange de ce qu’il a reçu, la dette dont il peut être redevable, ou ce qu’il est possible d’apporter au bien commun. L’impôt auquel on doit s’acquitter quand on a réussit, n’en est que la traduction matérielle. La crise du sentiment national dépasse largement les questions fiscales. Elle est spirituelle et atteint la Nation dans son fondement le plus profond. L’individualisme agit comme un cancer sur la République et est en train de la tuer à petit feu.
Il est grand temps que de renouer avec une morale du vivre ensemble et avec une certaine sacralisation de l’intérêt général. Il faut espérer que la perte d’influence de la génération vieillissante des soixanthuitards, et l’émergence de celle qui suit, celle des enfants de la crise, traduira une évolution en ce sens.
Mais restons sur le plan fiscal et revenons à l’affaire Hallyday pour évoquer les réactions politiques.
Dans l’ensemble, elles ont été satisfaisantes. Ségolène Royal avec son coté nunuche moraliste, auquel il va malheureusement falloir s’habituer, a rappelé l’exigence de solidarité. Dominique de Villepin a affirmé que la situation fiscale ne pouvait en aucun cas justifier de tels exodes. Chirac a fait part de sa désapprobation. La seule voix discordante est venue de Sarkozy et de ses sbires, qui, eux ont compris la décision, et y ont vu un signe qu’il y avait effectivement un problème de relation du pays avec la réussite et un excès de pression fiscale pour les plus fortunés dans notre pays.
Cette majorité a baissé les impôts pour les plus riches, et a instauré le bouclier fiscal, mais non, ce n’est pas encore assez ! La position de Villepin, a eu au moins le mérite de la cohérence. Pour lui, le problème a été traité. Pour Sarko, non, ce n’est jamais assez. Son modèle de société c’est non seulement la liberté de s’enrichir (au besoin par l’héritage), le droit de ne pas payer d’impôt, et même de quitter le pays avec le magot.
Il n’est même pas libéral. Il est le porte voix des classes dominantes. Quand on a été le Maire de Neuilly à 28 ans, il doit être difficile de se défaire de certains schémas de pensée … Dans une logique libérale, le développement des inégalités et l’accumulation du capital par quelques-uns est souhaitable parce que qu’elle entraîne toute l’économie. C’est une conception discutable mais c’est une conception qui s’appuie sur une certaine vision de l’intérêt général.
Seulement si les riches en question s’exilent ailleurs pour fuir ce pays ringard qui refuse la réussite et ne supporte pas les riches, le système s’effondre. Rien ne peut plus justifier les inégalités et l’accumulation de richesses insensées par quelques privilégiés.
Si Sarkozy était un républicain, un patriote, s’il avait tout simplement une vision de l’intérêt général, il aurait protesté plus que quiconque devant cet exode de capitaux qui vient mettre à bas son modèle économique. Non. Il comprend, soutient et légitime cette décision. Pourquoi ?
Parce que c’est une décision fondée sur l’intérêt l’individuel de son auteur, une décision d’un riche représentant les intérêts de classe qu’il défend, une décision d’un soutien qu’il ne faut pas fâcher. Parce que Sarkozy déteste la France et ses valeurs. Parce que Sarkozy voit la France avec les yeux d’un américain parvenu. Parce que le modèle proposé par Sarkozy c’est une société du chacun pour soi, du démerde toi tout seul et du fais comme bon te semble.
Comme le répétait régulièrement Jean Pierre Chevènement lors de sa campagne de 2002 « Le poisson pourrit par la tête » Il y aussi un proverbe qui dit, « l’escalier se balaie par le haut ». Il y a bien quelque chose de pourri dans la tête de nos élites et cette pourriture gangrène toute la société.
Les élites accusent sans cesse le peuple de ne rien comprendre aux fantastiques promesses de l’économie mondialisée et de s’opposer avec bêtise et entêtement aux nouvelles formes de la modernité. Il est temps de les mettre à leur tour face à leurs responsabilités et de le rappeler avec force quelques règles fondamentales de la morale publique.
(1)- Je reviendrais prochainement sur ce sujet. Le livre d’Hakim El Karoui « L’exception française » démontre le contraire, chiffres à l’appui. L’assimilation est par essence un processus violent. Les heurts que l’on constate actuellement tant chez les jeunes de banlieue que dans la population française de souche, sont précisément des signes que le processus est à l’œuvre.
(2) – Le chiffre des expatriés inscrits a augmenté de 25% entre 2001 et 2004, soit 255 000 personnes, mais tous ne sont pas inscrits. La réalité est bien supérieure, et la tendance a certainement du se poursuivre. Si quelqu'un arrive à trouver des chiffres plus fiables et plus récent, je suis preneur.
Peut-être tout simplement que ceux qui s'expatrient n'aiment pas la France! ils n'ont donc rien à faire de l'intérêt général.
Ce qui a tout gangrèné, c'est le capitalisme !
Le profit , l'appât du gain ont fait perdre toutes "valeurs humanistes " et ont développé non seulement l'individualisme mais la rivalité avec l'autre.
Solidarité et Fraternité retrouvez votre place dans nos esprits et dans nos coeur!
Rédigé par : soixante huitarde désabusée | 18 décembre 2006 à 21:09
Bravo, du grand Malakine au sommet de son art.
La démonstration et l'argumentation sont parfaites.
Modestement, je m'emploie ds le cadre de mon activité professionnelle à tenter de faire connaître ce type d'idées auprès des jeunes.
Il m'apparait que, passé un premier temps de doute et de méfiance, de nombreux élèves, une fois les choses mises en perspectives ds un contexte global, sont sensibles et réceptifs aux exposés qui reprennent ces thèmes.
Oui il y a un espoir, mais il reste petit et il faut le développer.
Merci à Jean-Pierre Chevènement d'avoir réintroduit l'enseignement de l'éducation civique car c'est ds ce cadre que, un peu en marge des programmes officiels, je le concède, personnellement je tente d'y contribuer.
Rédigé par : chavinier | 18 décembre 2006 à 23:08