J’ai annoncé la nouvelle samedi dans une note de bas de page après un article qui n’a pas été très lu, peut-être parce que la photo de Dominique de Villepin était en illustration. Je reviens donc sur l’information de manière plus claire, notamment à l’attention de tous ceux qui arrivent sur Horizons en recherchant des informations via les moteurs de recherche sur Emmanuel Todd ou Hakim El Karoui. A ce propos, je leur souhaite la bienvenue. Vous êtes ici chez vous !
Julien Landfried vient de nous gratifier d’un nouveau site dédié au protectionnisme européen. On devrait donc y trouver toutes leurs interventions dans le débat public, ainsi que les réactions qu’elles susciteront. J’ai syndiqué le contenu de ce site dans une nouvelle rubrique que vous trouverez dans la colonne lien. Je vous invite donc à vous y reporter régulièrement et à en assurer la promotion.
Même si je salue l’initiative, je reste toutefois dubitatif sur le vocable. Dans ce monde où la pensée est réduite à des slogans, je me demande si le « protectionnisme européen » est bien l’appellation la plus porteuse, d’autant plus qu’elle ne résume pas toute la doctrine. Une pensée dissidente doit d’abord pouvoir franchir la barrière des préjugés avant d’accéder à la sphère de l’intelligence et entreprendre de convaincre. Manifestement le mot « protectionnisme » suscite une réaction de rejet par le système de pensée dominant. Il faudrait trouver un cheval de troie qui permettrait d’éveiller l’intérêt et d'entraîner l'adhésion.
J’ai écouté ce matin l’émission « l’esprit public » (en ligne sur protectionnisme.eu) où les intervenants commentaient l’intervention d’Emmanuel Todd lors de la conférence sur l’emploi et les revenus. Hallucinant ! Sur le fond, les analystes sont presque en phase avec le concept, mais le mot de protectionnisme passe tellement mail qu’ils n’ont pu s’empêcher de le caricaturer outrageusement. Rétablir des barrières douanières transformerait en quelques années des BMW en Trabant (1) ! Voilà le type d’ineptie que j'ai entendu !
Si le mot de protectionnisme est tellement discrédité qu’il empêche d’être compris, abandons le. Mais comment résumer cette doctrine en un slogan ?
Emmanuel Todd parle souvent de protection économique, mais ce n’est finalement que l’équivalent. En mettant en avant un aspect défensif, on encourre toujours le risque d’être disqualifié pour frilosité et repli sur soi, et finalement on passe à coté de l’essentiel.
Vincent Champain dans son article dans débat2007 se déclare contre le protectionnisme mais pour des taxes destinées à défendre notre modèle social. Cela revient strictement au même, mais présente l’avantage de mettre en avant l’idée de justice plus que l’idée de protection.
On est bien au cœur du sujet. Parce que, nous, européens sommes des gens raisonnables et responsables, nous nous imposons un certain nombre de règles, en matière de droit du travail, de protection de l’environnement, de lutte contre l’effet de serre, et tentons à préserver les droits sociaux. Naturellement, cela renchérit les coûts de production des entreprises. En revanche, nous ouvrons nos frontières très largement aux pays qui ne respectent aucune de ses normes, sans aucun mécanisme de compensation. C’est au final, une véritable préférence pour le dumping fiscal et environnemental que l’Europe organise !
Ce propos, tout le monde peut le comprendre et l’accepter. Il faudrait donc parler, non pas de droits de douanes, mais de taxes d’ajustement sociales et environnementales. Et non pas de protectionnisme mais de défense de notre modèle social, voire de commerce équitable.
Je reste toutefois dubitatif, car je crains que cette perspective aboutisse à déporter le problème vers l’espace national et les questions fiscales. Une TVA sociale ou une taxe carbone qui pèserait sur les produits importés de pays qui n’appliquent pas le protocole de Kyoto (2) constitueraient certes des avancées mais ne constituerait pas des réponses à la hauteur de l’enjeu.
Jean Pierre Chevènement, à la fin de son ouvrage « la Faute à M. Monnet » parle de « République européenne ». J’ai moi-même, proposé le terme de néo-républicanisme ou de métarépublicanisme. A l’évidence, ces vocables sont trop complexe et ne parlent guère par eux même.
On évoque aussi la notion de préférence communautaire, mais rappelant la préférence nationale, elle évoque trop les idées de Le Pen.
Hakim El Karoui met en avant l’idée de souveraineté européenne. Le concept est bon et rend bien compte du problème fondamental de soumission de l’Europe à un ordre mondial qui va contre l’intérêt de ses populations, mais je crains que l’idée soit aussitôt disqualifiée par la pensée officielle sur le mode « mais vous ne vous rendez pas compte, la France est le seul pays en Europe a vouloir une Europe puissance. L’Europe ne sera jamais une France en grand ect … »
Le même Hakim El Karoui évoque également l’idée, à plusieurs reprises, de Mondialisation égalitaire. Ce vocable, lui, me semble très riche et très porteur. La notion d’égalité y joue le rôle de cheval de Troie, et en proposant une vision globale du monde, elle a une portée universelle qui manquait aux autres perspectives.
El Karoui présente en effet la mondialisation comme inégalitaire. C’est un des apports de son livre.
Inégalitaire tout d’abords par la dynamique qu’elle induit dans toutes les sociétés qui y sont confrontées, car elle tend à reproduire au sein des espaces nationaux les inégalités qui existent au niveau de la planète. Les élites des pays émergents se rapprochent de la condition des milliardaires américains, et dans le même temps, le prolétariat des pays riches est prié d’être aussi « compétitif » que l’ouvrier chinois …
Inégalitaire aussi dans ses fondements théoriques. Le libre-échange s’appuie sur la théorie des avantages comparatifs de Ricardo qui veut que chaque nation se spécialise sur ses atouts intrinsèques. Elle repose donc sur le postulat d’une inégalité des génies nationaux. Les Chinois seraient plus doués pour la production manufacturière. Les américains pour la technologie et la finance. Les Européens sur les biens d’équipement produits à haute valeur ajoutée. Les Russes sur la production de matière première et d’énergie etc …
Cette conception des échanges, si elle pouvait être juste, au niveau des échanges entre nations comparables, ne l’est plus au niveau des ensembles continentaux. Une spécialisation aussi poussée de sociétés de plusieurs millions de personnes est un leurre. Les chinois produisent des ingénieurs en masse et investissent également dans la recherche. Un jour, pas si lointain, leur production sera aussi technologique que les productions américaines et européennes. Les Chinois, ne sont pas, par nature, condamnés aux industries de main-d’œuvre. Penser cela, c’est considérer qu’ils seraient définitivement moins intelligents que nous, ce qui procèderait tout simplement d’un racisme hors d’âge !
Cette conception inégalitaire des échanges ne fonctionne pas d’avantage pour l’Europe. L’adaptation à la mondialisation par l’économie de la connaissance est un leurre. Non seulement parce que l’on sera un jour concurrencé par les pays émergents sur ce terrain, mais aussi parce qu’il est illusoire de penser que l’ensemble des sociétés occidentales pourra muter vers des emplois à haute valeur ajoutée. Nous avons aussi besoin de travail non qualifié. Toute la population ne vît pas dans des métropoles et ne pourra jamais accéder à des hauts niveaux de qualifications. La France, comme toute société, conservera toujours un prolétariat et des régions à vocation strictement industrielle ou rurale.
Enfin la mondialisation est inégalitaire parce qu’elle repose sur des déséquilibres sans cesse croissants. Le déficit commercial américain est financé par les excédents commerciaux chinois. L’Europe, quant à elle, paye son tribut, à la fois en finançant les déficits américains et en contribuant aux excédents chinois.
La mondialisation égalitaire est finalement une idée simple et séduisante.
Elle suppose une égalité fondamentale des génies propres aux grands ensembles continentaux. Elle conteste toute idée de supériorité naturelle d’un continent sur les autres, qu’il soit sectoriel ou global. Elle revendique donc, non pas la fermeture des économies régionales sur elles-mêmes, mais un strict équilibre des échanges et des mouvements de capitaux entre ceux-ci, ainsi qu’une parfaite équité des termes du commerce mondial. Elle reconnaît à l’ensemble des aires de civilisation le droit imprescriptible à développer sur leur sol, l’ensemble des activités humaines
Les moyens qui permettront de corriger la mondialisation seront toujours en eux-mêmes discutables et porteurs d’effets pervers potentiels (euro moins fort, barrières douanières, taxe sur les mouvements de capitaux…). Il y aura toujours une voix autorisée pour affirmer d’un ton péremptoire qu’ils ne sont pas réalistes. Plus que les remèdes, c’est donc un diagnostic sur les effets du libre-échange qu’il faut mettre en avant et la mondialisation égalitaire qu’il faut promouvoir comme idéal.
(1) Les Trabants étaient les voitures en vogue dans l’Allemagne de l’est. Ceux qui ont vu cet extraordinaire film « Good Bye Lenine » s’en souviennent.
(2) Proposition récente et intéressante de Dominique de Villepin.
Bonjour,
En réponse au choix du slogan ou du nom du site : "protectionisme européen" j'ai d'abord, comme vous, douté de l'opportunité de cette appellation.
Mais n'est-ce pas la bonne appellation s'il s'agit de (re)mettre en place des protections douanières aux portes de la Communauté et de faire du marché européen le débouché prioritaire de nos productions ?
Il est en tout cas une mesure en laquelle je crois personnellement : remplacer progressivement une partie des charges sociales par une TVA sociale.
- "Progressivement", "une partie" parce que nous n'avons pas de recul sur les éventuels effets pervers induits par cette mesure, rien ne sert de s'embaler.
- Cette mesure présente, à mes yeux deux avantages :
° n'être pas une taxe ou un impôt de plus sur le coût salarial
° n'être pas un frein aux exportations qui, par définition, n'y seraient pas soumises.
Vous affirmez que cette réponse ne serait pas à la hauteur de l'enjeu.
Pourriez-vous préciser ?
On ne peut que constater que la "mondialisation est inégalitaire". Quel serait le moyen et l'outil permettant de la corriger ?
Une O.M.C. qui s'appuyerait sur ce concept (mondialisation égalitaire) un peu comme la CE l'a fait avec le principe de la "libre concurrence" et du libre-échange ?
Cordialement, PMF
Rédigé par : PeutMieuxFaire | 20 décembre 2006 à 10:00
bravo pour ce texte, et pourtant je m'interroge sur quelques points.
d'abord une question de méthode: certes il existe de nombreux souhaits que nous pouvons avoir, tant au niveau européen que mondial. Mais ces souhaits ne seront, au mieux, que réalisable à long terme. Personne n'imagine pour
la prochaine législature pouvoir corriger l'attitude majoritairement libre échangiste de l'Europe, encore moins de l'OMC.
La question qui est posée est donc que faisons nous dans ce contexte ?
Nous devons composer avec ce contexte, et c'est pourquoi les mesures qu'il faut prendre doivent permettre à nos entreprises de prospérer, en attendant de convaincre nos partenaires.
La TVA sociale (voir le post de "PeutMieuxFaire") me paraît tout à fait nécessaire. C'est d'ailleurs, sous un autre nom, ce que va faire l'Allemagne en 2007 (il faudrait discuter en détail les modalités d'application pour ne pas pénaliser les
bas revenus). Cette augmentation de TVA doit s'appliquer préférentiellement aux produits massivement importés pour réorienter la consommation vers les produits majoritairement produits en France (le gros avantage de la TVA c'est qu'elle peut être modulée par produit, par exemple plus forte pour les produits agricoles importés).
Mais cela ne suffira pas. Il faut faire face au dumping social européen (fiscalité des entreprises plus basse dans certains pays). Pour cela à nouveau il faut sans doute quitter l'Euro, et revenir au Franc. C'est un autre tabou. Mais qui ne voit que les anglais, les suisses, les norvégiens ... ne se portent pas plus mal d'avoir gardé leur monnaie.
Alors j'en viens à votre suggestion "la mondialisation égalitaire". L'ennui de ces expressions, c'est qu'elles sont
"acceptables" justement parce qu'en remettant la solution à un hypothétique accord mondial ou européen, elles permettent, et justifient de ne rien faire en attendant.
Pourquoi les expressions "protectionisme" "retour au franc" "préférence nationale" "défense de nos entreprises" etc.. sont-elles innaceptables par nos dirigeants (et nos médias) ? Justement parce qu'elles disent que nous devons agir chez nous, sans attendre. Et cela ils ne le veulent pas, car ils font partie des français qui profitent de la mondialisation (merci pour eux).
Quand la classe dirigeante d'un pays est d'accord, elle ne se gêne pas pour le dire et le faire. Par exemple les Etats-Unis, avec l'acier et le coton etc...
En conclusion, il me semble qu'abandonner le terrain national, c'est obscurcir le débat, et je n'ai jamais rencontré un ouvrier, un agriculteur, un employé "délocalisable" qui n'accepte de discuter de termes qui font "horreur" à nos économistes. (n'oublions pas qu'il y a eu de grands théoriciens du protectionisme en Allemagne, dont List, lorsque celle-ci a construite son industrie face à l'Angleterre).
Cordialement
nb: dans l’émission « l’esprit public » faite par France Culture, il y a Bourlange, député UdF Européen, Michault, socialiste libéral, etc.. De plus ils sont dans des fonctions préservés de la mondialisation. Ils en bénéficient. Il est
normal qu'ils aient "une réaction de rejet" aux propositions de Todd. Ils défendent leurs intérêts "personnels".
Rédigé par : marc-sevres | 20 décembre 2006 à 22:45
Excellent commentaire ! Il ne faut pas en effet abandonner le terrain national et avancer des propositions que l'on sera en mesure de mettre en oeuvre. Cependant, je pense qu'il faut aussi voir plus loin, penser l'europe et le monde pour ne pas être taxé d'archéo-souverainiste, replié sur soi-même et frileux devant les évolutions du monde.
Rédigé par : Malakine | 21 décembre 2006 à 09:36
Sur l'usage du mot "protectionnisme", il y a eu débat mais finalement, je crois qu'il faut utiliser ce mot-repoussoir à la fois pour se faire entendre des milieux populaires mais aussi parce que tout autre concept moins scandaleux risquerait de passer à la trappe. A l'heure de la communication reine, il faut jouer avec les armes du moment...
Enfin, dans protectionnisme, il y a protection et il me semble évident que le thème central de la campagne 2007 sera la protection économique, comme en 95 la fracture sociale et en 2002 la sécurité
Rédigé par : Hakim El Karoui | 24 décembre 2006 à 16:15
Sur l'usage du mot "protectionnisme", j'ai évolué après avoir lu les interventions très intéressantes de Gréau, Sapir sur radio Aligre par P Fourier (qui a le bon goût d'avoir transcrit les interviews, ce qui permet un accès beaucoup plus rapide et facile qu'un podcast)
http://www.des-sous-et-des-hommes.org/
Ils emploient le mot "néo-protectionisme", ce qui me paraît astucieux: cela donne un coté "new look" "moderne" "adapté à la situation actuelle" qui désamorce la couleur "rétro" de protectionisme, sans enlever le sens.
Rédigé par : marc-sevres | 10 février 2007 à 20:09