Il y a deux ans, démarrait « la révolution orange » à Kiev. Tout le monde se souvient avec émotion de cette foule orange, déterminée et pacifique qui a campé pendant plusieurs semaine par -5°C sur la place de l’indépendance afin de rétablir la sincérité d’un scrutin, de son héros au visage ravagé par un attentat chimique d’origine mystérieuse, Viktor Yushenko, et de sa pasionaria, la belle Yulia Tymoshenko aux longues tresses blondes et au caractère de fer, de ces étudiants hyper organisés regroupés sous la banière Pora, de leur détermination à rompre avec le post-soviétisme pour aller vers la démocratie et la prospérité, symbolisées, à leurs yeux, par l’Union européenne …
Que reste t-il deux ans après de la révolution orange ? Pour l’Ukraine pas grand-chose. La démocratie et les libertés politiques se sont confortées, mais la rupture avec le post-soviétisme n’a pas eu lieu. Pour l’Europe en revanche, la révolution ukrainienne a marqué le début de la crise du projet européen. Alors que l’un des plus grands pays d’Europe menaçait de sombrer dans la guerre civile au nom de ses valeurs et pour la rejoindre, l’Europe est restée désespérément muette, ne sachant jamais comment se positionner ni vis-à-vis de l’Ukraine, ni vis-à-vis de la Russie.
A titre personnel, j’ai vécu la révolution orange avec une grande intensité. Je l’avais senti venir. Je l’ai même annoncé un mois avant le scrutin. Je savais que l’un des candidats voulait faire campagne pour rejoindre l’union européenne. Je savais qu’une grande partie de la population ukrainienne n’accepterait pas de rupture avec le grand frère russe. Je savais surtout que Poutine n’accepterait jamais que le cœur historique de la Russie rejoigne l’occident. L’Ukraine et la Russie, s’ils constituent depuis 1991 deux états, sont en fait, un seul et même peuple. Il y a un proverbe en russe (язык до киева доведет) qui signifie, « la langue te conduira jusqu’à Kiev » Les ressorts de cette élection contenaient tellement de tensions et de contradiction que je craignais qu’elle ne puisse se dénouer qu’au prix d’une guerre civile qui aurait totalement bouleversé la géopolitique en Europe, définitivement ridiculiser l’Union, fait revenir les USA dans le jeu européen et enfermé la Russie dans l’image d’une nouvelle Union soviétique totalitaire et brutale.
Fort heureusement cela ne s’est pas passé ainsi. L’Ukraine, y compris ses territoires les plus russes (la Crimée et le Donbass) ont accepté le jeu démocratique. Les bleus ont finalement accepté la loi de la majorité, et les oranges n’ont jamais contesté la légitimité de leur opposition. Pendant cette révolution, l’Ukraine s’est constituée en Nation politique. Au sein des frontières, qui n’étaient que des frontières administratives internes sans grande substance du temps de l’URSS s’est érigé le sentiment d’appartenir à une communauté soudée non pas par l’appartenance à un peuple, mais par des règles démocratiques qui lui permettait de maîtriser le cours de son destin.
Cela reste le principal acquis de la Révolution Orange. L’Ukraine s’est installé avec fierté dans la démocratie. Les libertés politiques se sont affirmées. Les dernières élections qui ont vu le retour au pouvoir de l’ancien opposant Viktor Yanukovitch, aujourd’hui premier ministre, se sont d’ailleurs déroulées régulièrement et sans contestation. En revanche, les réformes économiques ont été bien timides. La croissance s’est effondrée, passant de 12.5% en 2004 à 2.5% en 2005 et la corruption reste forte.
L’Ukraine s’est installée dans un entre-deux. L’intégration dans l’Union européenne reste la perspective officielle, mais elle tâche désormais de ne plus fâcher moscou. L’accord récent sur le prix du gaz en témoigne de ce compromis. L’Ukraine a négocié un prix de 130 Dollars les 1000m3, loin du prix extérieur (290 pour l’union) ou même du tarif demandé à la Géorgie qui elle a poursuivit son entêtement dans son opposition à Moscou (230) L’Ukraine est restée dans l’orbite russe, à la porte de l’Europe.
Si la révolution orange n’a pas été à la hauteur des espérances de ses instigateurs en matière de rapprochement avec l’Union, l’Union européenne en porte une grande responsabilité. Elle n’a jamais saisi la main que lui tendait l’Ukraine avec enthousiasme et espoir. L’Union a eu une attitude scandaleusement passive même aux pires moments de la Révolution, quand le pays menaçait de se déchirer sur la question de son appartenance à la sphère russe ou sa vocation européenne. On a entendu les pays voisins Pologne et Géorgie, les Etats-Unis, l’OTAN, mais jamais l’Union européenne n’a été capable de faire entendre une voix claire sur la question – pourtant simple – de savoir si l’Ukraine avait ou non vocation à la rejoindre. On pourrait dire la même chose à propos de la Géorgie.
Certains expliqueront cette inertie par des carences institutionnelles, le fait que l’Union ne soit pas dotée d’une autorité politique et d’un ministre des affaires étrangères comme le prévoyait le projet de constitution. Non. La Vérité est plus simple. L’union n’a plus de projet. La crise ukrainienne l’a mis en évidence avant même le rejet du TCE.
La question Ukrainienne renvoie au rapport avec la Russie et illustre l’absence de toute politique claire de l’Union vis-à-vis de la Russie. Elle est d’ailleurs profondément divisée sur la question. Les anciens pays communistes, Pologne en tête, sont partisans d’une adhésion de l’Ukraine pour repousser plus à l’Est l’influence de l’ancien grand frère et sont hostiles à toute vraie coopération avec la Russie. L’Allemagne et la France souhaitent en revanche resserrer les liens, au besoin par des accords bilatéraux (L’Allemagne pour le gaz, la France pour l’espace …)
L’Europe ne sait pas quelles sont ses frontières et ne sait même plus dire aux pays candidats le sens qu’aurait leur adhésion. L’intégration dans le « marché unique » n’a plus guère de portée dès lors que l’Union a abaissé toutes ses protections douanières. Les politiques communes, et principalement celles des fonds structurels, se sont tellement affaiblies depuis le dernier élargissement, qu’elles ne peuvent plus constituer une perspective pour les nouveaux entrants. Le dernier élargissement s’est fait à budget constant et avec beaucoup de mal. Il est clair que les prochains entrants ne pourront pas bénéficier d’une manne importante venant de l’Europe …
L’Union européenne continue d’exister mais elle ne sait plus, pourquoi, pour qui et dans quel but. Ce constat pouvait être fait dès novembre 2004. C’est encore plus vrai depuis le rejet du TCE par les peuples français et Néerlandais. L’Europe est aujourd’hui à repenser totalement, dans ses frontières, dans ces buts et dans ses conditions de fonctionnement.
Cette question est centrale. Elle devrait être au cœur du débat présidentiel. L’Europe a été le seul horizon de la classe politique pendant vingt ans. Il est proprement ahurissant qu’elle reste inerte face à l’implosion de son projet et au rejet dont tout ce que l’Europe symbolise.
Seul Jean Pierre Chevènement met au cœur de son projet la réorientation de la construction européenne en proposant une alternative claire : la relance économique de la zone euro et alliance avec la fédération de Russie dans le cadre d’une grande Europe à construire.
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