La sanction délirante que la justice a infligé à Jérôme Kerviel est un véritable scandale d’Etat. Plus encore que la sévérité de la condamnation pénale, la disproportion des dommages et intérêts c’est l’exonération de toute responsabilité directe ou indirecte de la Banque dans son préjudice qui choque.
On comprend bien la volonté de la Société générale – et à travers elle l’ensemble du système bancaire – à trouver un bouc-émissaire pour exonérer ses activités spéculatives de toute responsabilité dans les pertes subies. Alors certes, il y a eu faute, et peut-être fraude. Mais Kerviel n’est pas Madoff. Il n’était qu’un salarié modeste la hiérarchie dans la nouvelle aristocratie des seigneurs de la finance, un simple agent économique d’un système qu’il servait avec zèle. Peut-être a t-il bidouillé et dépassé les limites, mais c’était avant tout pour faire gagner un maximum d’argent à son employeur. Il devait être sanctionné pour sa faute, pas pour ses conséquences.
Quel salarié qui enfreint les règles internes de son entreprise dans le but d’obtenir un petit avantage ou se faire bien voir de sa hiérarchie risque de faire perdre 5 milliards d’Euros, faire disparaître des milliers d’emplois voire causer une crise financière systémique ? Comment ne pas prendre en compte les risques inhérents à l’activité spéculative ? On se demande d’ailleurs à quelle entreprise on pourrait comparer les dommages potentiels que peut créer une salle de marché pour elle-même et son environnement, si ce n’est peut-être à une usine d’armes bactériologiques qui aurait pignon sur rue ? Est-ce qu’on imagine que la justice aurait mis à la charge du salarié fautif d’AZF s’il avait survécu, la totalité des dommages causés par l’explosion ? Pourtant il y a forcément eu erreur humaine, donc manquement à une obligation prudence ou méconnaissance d’un règlement, donc faute civile et pénale.
Une confirmation de la décision en appel qui exonérerait à nouveau l’employeur de toute responsabilité inaugurerait un nouveau principe juridique, celui de la responsabilité des salariés pour les risques inhérent à l’activité à laquelle ils participent. On ne sanctionnera les fautes au regard de leur gravité intrinsèque, mais au regard de leurs conséquences économiques. Ce serait une forme de Rousseauïsme inversé. Non plus « l’homme est bon, c’est la société qui le corrompt » mais « le système économique est bon, c’est l’homme qui le fait dérailler. » Ce que l’on pourrait très bien qualifier de totalitarisme capitaliste.
A ce compte là, on pourrait tout aussi bien engager la responsabilité personnelle de tous les dirigeants politiques qui se sont succédé à la tête de l’Etat et leur demander réparation pour tous les coûts sociaux et les souffrances causées par le chômage et la précarité, les intérêts sur la dette que l’on paye indûment aux banquiers et tous les autres préjudices causés à l’intérêt du peuple et de la nation. Si le système est toujours bon et si les responsabilités ne peuvent être qu’individuelles, pourquoi ne pas mettre en jeu la responsabilité civile des dirigeants politiques ?
Demandons donc à Sarkozy de rembourser personnellement le coût de toutes les mesures du paquet fiscal et en particulier l’exonération des intérêts immobiliers dont le gouvernement lui-même dit aujourd’hui qu’elle était mal foutue et sans effet positif possible. Certes, cette « erreur » n’était pas constitutive d’une faute pénale, mais d’une faute civile donnant lieu à dommage et intérêt, pourquoi pas. Demandons aussi à Eric Woerth, qui lui pourrait bien s’être rendu coupable de délit de prise illégale d’intérêt, de payer les impôts de Mme Bethencourt que le fisc sous sa direction s’est abstenu de lui réclamer en négligeant de procéder au contrôle fiscal que ses revenus imposait !
L’exonération de toute responsabilité de la société générale en tant que système économique, au moins en tant que facteur amplificateur des dommages (sans parler des négligences qu’elle aurait pu commettre elle-même), est tellement aberrante qu’elle ne peut être le fruit d’un raisonnement juridique tordu ou d’un juge qui aurait déraillé. Il fallait absolument absoudre la banque. Comme l’a dit l’avocat de la Société Générale dans sa plaidoirie rapportée par Flore Vasseur dans Marianne2 : « Monsieur le Juge, le monde entier vous regarde » Sous-entendu, la finance globalisée compte sur vous.
Cette affaire met en pleine lumière le statut tout particulier qu’a acquis le pouvoir financier dans notre univers d’hypercapitalisme globalisé. Il est intouchable, infaillible, insusceptible de critique et encore moins de condamnation. Il est devenu le véritable souverain. La finance est toujours parfaitement légitime à gagner des montants astronomiques, sans que l’on ne s’interroge jamais sur les conséquences sociales de ces gains ou même sur leur justification économique. Mais dès qu’elle perd, ce n’est jamais de sa faute. La facture doit être aussitôt répercutée soit sur la collectivité, soit sur le salarié fautif. La finance ne peut que gagner, jamais perdre. On savait déjà que l’autorité du pouvoir financier s’imposait sur celui des Etats et les banques centrales. On sait désormais que la justice lui a fait également allégeance.
Aujourd'hui, il s'agit de la finance. Demain il s'agira peut-être de toutes les entreprises qui feront payer leurs erreurs au premier lampiste venu. Prenons garde. Nous sommes tous des Kerviel en puissance.
Malakine
"Nous sommes tous des Kerviel en puissance"
Ca aurait fait un superbe titre, non ?
Rédigé par : RST | 06 octobre 2010 à 22:27
Sans vouloir défendre la Soc Gen ,la raison proviendrait des USA. Des actionnaires américain ont porté plainte contre elle suite à l'affaire Kerviel.
Blanchir la banque la sauve d'une jurisprudence dévastatrice face au système judiciaire américain.
Rédigé par : Abdel | 06 octobre 2010 à 23:50
@Abdel
Si la raison est liée à une plainte provenant des USA contre la SG c'est encore plus grave !
@Malakine
Je suis entièrement d'accord sur le risque encouru par le 1er lampiste venu. Si le jugement Kerviel est confirmé en appel, il faut s'attendre demain non pas à une levée de bouclier mais à une "levée de parapluies" :-) par les employés de tous niveaux, chefs de projets, ingénieurs, etc ... vis à vis de leurs hiérarchies.
S'il entérine la seule responsabilité de J. Kerviel le jugement de cette affaire sera comme un coup de tonnerre dans l'entreprise où désormais la plus grande défiance s'intallera entre un salarié et son responsable direct. C'est pourquoi, je crois que la peine de prison ferme (3 ans)sera transformée en prison avec sursis en appel.
Rédigé par : Santufayan | 07 octobre 2010 à 08:21
> RST
Figure toi que j'ai hésité, mais je n'ai pas osé n'étant pas certain de mon analyse. Mais je crois que je vais suivre ton conseil car apparemment cet argument fait écho à votre ressenti.
> Abdel
Effectivement, si tel est le cas, la Justice est instrumentalisée par le grand capital 'pour parler comme le grand Georges)
> Santufayan
Plus que la sanction pénale c'est à l'importance des dommages et intérêts qu'on pourra mesurer la part de responsabilité que la justice imputera à la SG.
Rédigé par : Malakine | 07 octobre 2010 à 10:17
Excellemment dit !
En admettant que la banque se soit laissée bernée (sa ligne de défense), ne serait-on (ses usagers) pas alors en droit de lui demander des comptes (procès) sur ses manquements ?
Sa responsabilité, c'est quand même d'avoir laissé faire ces agissements de son plein gré (complicité) ou à son insu (incompétence).
En parlant de jurisprudence, belle ligne de défense à venir pour les compagnies aériennes :
le prochain crash d'avion - faute humaine du pilote, compagnie aérienne absoute, et comme le pilote évidemment décédé, action en justice éteinte !
Rédigé par : PeutMieuxFaire | 07 octobre 2010 à 10:23
Pour ceux qui veulent creuser l'aspect juridique de la question, je renvoie au blog de Maître Eolas, où j'ai découvert avec stupéfaction que la Société Générale serait fondée à se retourner contre l'Etat pour être indemnisée en raison de l'insolvabilité du coupable !!
http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/10/06/Tout-ce-que-vous-avez-toujours-voulu-savoir-sur-le-jugement-Kerviel
Rédigé par : Malakine | 07 octobre 2010 à 10:37
Il n'y a pas risque de jurisprudence, car c'est déjà le cas : un chauffeur de bus écrase un cycliste, il est condamnable mais pas la société de transport alors qu'il conduisait dans le cadre de son travail.
Si le cas de Kerviel est choquant alors il faut le généraliser à toutes les entreprises...
D'ailleurs, on réfléchissant bien, je pense qu'il faudrait être trés prudent sur les comptes à demander aux banques, et éviter le cadre pénal. L'objectif est d'arriver à une amélioration, pas à une "vengeance" des banquiers, ou du personnel, à forcer les ets à des D&I faillitaires ou à vouloir "nationaliser" toutes les entreprises ayant fauté.
Réquisitionner une banque peut faire fantasmer, mais un transporteur !!!
Rédigé par : amike | 08 octobre 2010 à 09:52
J'avoue ne pas partager la crainte de Xavier (ou Malakine, je ne sais pas bien comment vous appeler... Je trouvais que Xavier était plus sympa, mais si vous souhaitez que je vous appelle Malakine aucun pb) sur le fait que nous serions tous des J Kerviel en puissance et que l'on peut faire payer au premier lampiste venu toutes les fautes de son employeur.
Oui, nous sommes tous des criminels en puissance. Maintenant, et c'est heureux, la loi ne condamne pas cela (c'est tout le débat sur la présomption d'innocence et sur l'introduction du conflit d'intérêt dans notre droit). Au contraire, la loi condamne la réalisation des actes criminels et délictueux, ce qui suscite en nous une crainte légitime et que chacun sent justifiée. C'est cette crainte qui nous empêche de prendre notre batte de baseball et d'expliquer notre façon de penser aux divers imbéciles que nous croiseront dans notre vie.
Et là, il est évident que JK était fautif (peut-être pas dans les proportions dites, sur ces sujets, je pense que je serais assez réceptif aux théories complotistes selon lesquelles la Banque aurait grossi la note pour refourguer à Kerviel tout un tas de pertes). Il est également évident qu'il était conscient de l'énormité de ce qu'il faisait. Bref, rien de comparable avec vous et nous.
Sur l'arrêt en lui-même, je pense que le tribunal aurait pu considérer qu'effectivement la Banque était quelque peu fautive et modérer son préjudice: il ne s'agit pas de reprendre l'accusation de JK (sur la soi-disant complicité), mais simplement de considérer que par la défaillance de ses systèmes de contrôle, la Banque a participé à la réalisation de son propre dommage.
@ Amike
Ce que vous me dites m'étonne beaucoup... Pour que l'employeur soit exonérée (je vous passe les détails), il faut une faute détachable de ses fonctions, ce qui est, vous en conviendrez, difficile à imaginer dans le cadre que vous m'indiquez.
Rédigé par : Tythan | 08 octobre 2010 à 16:25
sur le système financier actuel en Europe, des Economistes Atterrés alertent, et d'autres confirment dans différents médias, ça commence à prendre de l'ampleur, restons optimistes pour l'avenir ou tout capote et nous avec
Rédigé par : Annie | 08 octobre 2010 à 19:30
Cette condamnation est évidemment choquante mais également prévisible. Kerviel est seulement un bouc émissaire qui est victime d'un système. Alors bien sur, il n'est pas exempt de toute faute mais il me semble impossible que la soc gen ne se soit rendu compte de rien, ou alors ce sont vraiment des chèvres ce qui est encore plus inquiétant ...
La hiérarchie a laissé faire Kerviel du moment qu'il gagnait de l'argent puis lorsqu'il a commencé à perdre, on s'est miraculeusement aperçu de ses agissements. D'ailleurs, rien ne dit que des pertes liées aux subprimes ne lui ont pas été mises sur le dos !
Maintenant, je ne suis pas sûr que l'on soit tous des Kerviel en puissance. En effet, je pense que ce jugement est directement lié au contexte économique et au type d'entreprise concerné. Un tel dédouanement d'une entreprise ne me paraît pas forcément possible dans d'autres secteurs (Cf BP).
Rédigé par : Tomgu | 09 octobre 2010 à 22:02
@Tythan
Règle de base : une banque doit se protéger contre les fraudeurs externes : fausses cartes bancaires, etc ... mais également contre ses propres salariés lorsque le salarié agit en connaissance du risque (c'est le cas de Kerviel) ou bien lorsqu'il agit par maladresse.
La SG disparaitra (se fera racheter) après avoir eu raison juridiquement ! Elle en est responsable vis à vis de ses salariés.
Rédigé par : Santufayan | 10 octobre 2010 à 09:47
Plus de nouvelles de Malakine ... malade ?
Rédigé par : A-J Holbecq | 12 octobre 2010 à 20:14