Comme on pouvait s’y attendre, Riposte Laïque a répondu au texte que je leur avais consacré. Causeur.fr ayant relayé cette polémique en publiant successivement les deux articles, il est difficile d’en rester là, d’autant que le débat n’a finalement été qu’esquissé.
Persuadé que l’élection présidentielle de 2012 se déroulera sur un fond de guerre civile sur le thème de la déracaillisation du pays, il me semble urgent d’affronter ces sujets le plus sérieusement possible. J’aimerais également à cette occasion faire entendre un autre son de cloche dans l‘opposition entre le discours droit-de-l’hommiste angélique de la gauche morale et le discours identitaire laïcard islamophobe des nouveaux réacs, pour tenter de défendre l’idée d’un patriotisme national multiethnique, multiconfessionnel, voire dans une certaine mesure multiculturel.
Je commencerais aujourd’hui par quelques remarques générales d’ordre méthodologique avant de passer en revue, comme promis, les différents phénomènes incriminés par RL et dont je leur reproche de faire l’amalgame dans la dénonciation d’un ennemi intérieur.
Le piège de la bouc-émissairisation
Le cœur de l’opposition entre mon précédent texte et les deux des auteurs de Riposte Laïque, Cyrano et Radu Stoenescu ne réside pas vraiment sur le diagnostic ou les solutions. La divergence est essentiellement méthodologique. L’auteur de la réponse, semble avoir perçu cette différence d’approche mais sans toutefois parvenir à s’extraire de sa propre grille de lecture. Il voit clair lorsqu’il résume ma critique ainsi : « C’est de cela que nous accuse M.Malakine : de penser une synthèse des problèmes sociaux et culturels qui défraient de plus en plus souvent la chronique, de désigner des responsables et des coupables »
Tout juste ! Ce que je reprochais à l’article initial de Cyrano c’était bien de sauter sans aucune précaution de l’identification de problèmes sociaux, à la dénonciation de responsables identifiés. Raisonner ainsi c’est s’interdire de penser l’hypothèse d’un système qui dysfonctionne. C’est adopter une vision du monde individualiste, binaire, manichéenne et finalement très américaine, version extermination des indiens, croisade contre l’axe du mal ou choc des civilisations.
Et pour finir de lever toute ambigüité, je vais répondre au doute exprimé par Radu Stoenescu lorsqu’il s’interroge « Or, ce qui n’est absolument pas clair d’après sa prose, c’est s’il nous reproche d’inventer ce point commun, ou bien de simplement le nommer. » Pourquoi vous reprocherais-je de nommer l’ennemi, si celui-ci existait ? Vous me prenez pour un con ? Ce que je vous reproche c’est l’amalgame entre des sujets qui n’ont rien à voir, pour désigner un ennemi imaginaire dont la dénonciation ne produira rien sinon une situation encore pire. Ce que vous faites n’est rien d’autre que la bonne vieille technique de la désignation du bouc émissaire.Vous jetez de l'huile sur le feu en diffusant de la haine comme si elle pouvait constituer une réponse adaptée à la violence.
Je ne suis pas plus étonné que ça par le procédé. Il est à la mode. Il n’est quasiment plus aujourd’hui possible de penser les dysfonctionnements d’un système sans se voir aussitôt arrêté par les tenants de la psychologisation des phénomènes sociaux qui ne savent penser qu’en termes d’intentions, de fautes, de responsabilités, de sanctions, d’excuses ou de refus de toute excuse.
A titre d’exemple, lors de la crise financière à l’automne 2008, il était essentiel pour la classe dirigeante d’éviter toute interprétation de type systémique à la crise. La crise de la finance américaine ne pouvait pas venir de la logique même du capitalisme, de la mondialisation, de l’épuisement du modèle de domination de l’Empire américain ou de la logique financière. Il fallait désigner des coupables à livrer à la vindicte populaire. Ce furent les traders et leur bonus faramineux, les banquiers sans scrupules, les spéculateurs, avec pour victime expiatoire Kerviel chez nous et Madoff aux Etats-Unis.
D’une manière générale, il est toujours dangereux de rechercher à imputer la responsabilité d’un problème social à un groupe social donné. Il est tout aussi absurde de faire des musulmans ou des habitants des cités, les responsables de la prolifération des actes de barbarie, que d’accuser la génération soixanthuitarde du baby-boom, d’avoir ruiné le pays ou de présenter les chômeurs, trop assistés et pas assez formés, comme étant les premiers responsables du chômage. Même s’il peut y avoir une part de vrai dans ce type de représentation, ces accusations collectives, outre leur caractère moralement discutable, ont l’inconvénient d’occulter des causes plus profondes sur lesquels il serait possible d’agir. Comme aime à la répéter régulièrement Eric Zemmour, il faut veiller à ne pas dénoncer les effets dont on chérit les causes …
Un système ne peut être une interaction d'individus agissant librement et dans leur intérêt particulier. Un système, c’est aussi un ensemble de principes et de valeurs qui fondent le collectif et façonne les systèmes de pensée. Or ce « code culturel » peut s’avérer pathogène, soit qu’il était malsain dès le départ, soit que certains équilibres entre des forces contraires ont été rompus. Le système devenu pathogène et instable, créé des tensions de plus en plus grandes, ce qui produit des craquements ou des crises selon certaines lignes de fracture où le système est plus fragile.
Il est très tentant de désigner les acteurs qui vont intervenir concrètement dans la manifestation du craquement comme ses responsables. Dans le cadre de la crise financière de 2007/2008, à l’évidence ni la soif de consommation des consommateurs américains, ni l’intérêt des banques à distribuer des crédits pourris pour les refourguer à des gogos d’investisseurs n’étaient les seuls responsables. Ils n’ont fait qu’appliquer les règles et les principes d’un système où l’on s’enrichit par la valorisation du capital et l’endettement. Le système a craqué en 2007 dans l’immobilier américain parce qu’il y avait là une fragilité. Depuis, il continue de craquer ailleurs, sur d’autres lignes de fractures…
Dans l’affaire qui nous occupe, toute la question est de savoir pourquoi des jeunes de cités, souvent originaire de l’immigration et de culture musulmane, sont impliqués dans les actes de sauvagerie qui défraient la chronique. Pour être pleinement rigoureux, il faudrait commencer par objectiver ce constat, mais comme les statistiques ethniques sont interdites, passons sur ce point et considérons le fait comme acquis.
L’interprétation que donne RL de ce “fait” est qu’il existe un groupe social au sein de la société française qui véhicule un code culturel particulier et qui agit dans de manière conquérante et agressive. Ce groupe social est non seulement par nature étranger à la communauté nationale, mais il en est son plus farouche ennemi. Je ne dis pas que cette interprétation est nécessairement fausse. Le risque existe. Nous devons être effectivement être vigilant. S’il s’avère qu’une culture étrangère se répand dans notre pays en déstabilisant la société, il faudra alors lutter contre ces individus et leurs valeurs de la manière la plus énergique qui soit.
En revanche, je considère que cette lecture ne peut être tenue pour vraie, tant qu’on n’aura pas évacué l’alternative qui consiste à penser que ces nouveaux barbares ne sont pas porteur d’un code culturel distinct de celui de la société française dans son ensemble et que c’est ce code culturel français qui entre en crise et commence à craquer selon ses premières lignes de fracture (jeunesse, immigration, cités...)
Et si le mal était en nous ?
L’hypothèse serait la suivante : Le code culturel français est de type libéral-égalitaire selon l’anthropologie Toddienne, le plus réfractaire entre tous à la notion d’autorité et le moins intégrateur qui soit. Autrefois ce tempérament individualiste était tempéré par la religion, le patriarcat ou la hiérarchie du monde ouvrier. Depuis la mort de Dieu et la destitution du Père, le tempérament anarchisant français a pu s’exprimer sans limites, jusqu’à produire un individu spontané et autocentré qui considère ne rien devoir à la société et ne se sent relié qu’à ceux qu’ils se choisi lui-même comme proches. Notre système culturel est entré en dégénérescence depuis la révolution des mœurs de 68, selon un diagnostic bien connu et des formes souvent dénoncées par les nouveaux réacs dont je me réclame : l’égalitarisme obsessionnel, le libertarisme, la narcissisation des comportements, le pédagogisme, la féminisation des valeurs…
La perte du sens de la discipline et de l’autorité de la norme sociale sur l’individu, mais aussi le communautarisme ou le tribalisme apparaitraient alors comme des phénomènes purement endogènes, un mal spécifiquement français.
Mais alors comment expliquer que ce mal se manifeste surtout au sein de population d’origine étrangère ?
Le constat devrait tout d’abord être relativisé. Il n’y a qu’à examiner le comportement de Sarkozy, l’archétype de l’individu narcissisé qui se sent parfaitement libre à l’égard de toute tradition ou tout principe supérieur qui s’imposerait à lui, pour s’apercevoir que le mal est largement. répandu. On pourrait multiplier les exemples. Le fiasco des bleus en coupe du monde était également un joli cas d’école de l’effet délétère sur un groupe, de la disparition de tout sens de l’autorité, du sacré et du collectif.
Cet hyperindividualisme produit du désordre partout, y compris dans les organisations professionnelles ou la politique, mais appliqué à certains terreaux particulier, il peut aussi produire de la violence, voire de la barbarie.
Si ces phénomènes concernent principalement les jeunes arabos-musulmans, cela peut-être en aussi raison d’un choc de culture entre un système familial de type communautaire endogame le plus intégrateur entre tous, et un système libéral égalitaire le plus atomisé qui soit, celui qui consacre l’individu roi. Cette confrontation pourrait alors entraîner une forme d’ivresse, un sentiment de toute puissance que rien ne peut contenir. Alors que l’individu qui a grandit depuis toujours dans un bain hyperindividualiste libéral-égalitaire va "seulement" développer de l’égoïsme, de la tyrannie ordinaire, du caprice, de l’angoisse, du repli sur soi ou toute autre forme de pathologie sociale, ce qui ne veut pas dire qu’il est définitivement à l’abri de sombrer lui aussi dans l’hyperviolence.
On pourrait expliquer la sureprésentation des jeunes des cités dans les phénomènes de barbarie parce que le niveau éducatif et culturel y est encore plus bas qu’ailleurs, la maîtrise de la langue encore plus rudimentaire et les familles encore plus déstructurées. Et selon cette interprétation, le problème procèderait toujours du système français qui a commis de véritables crimes sur le plan urbanistique dans les années 60 et 70 en érigeant des quartiers d’habitat, qui ne pouvaient évoluer qu’en ghettos repliés sur eux même autour de leur propre « contre-culture ».
Dans un cas comme dans l’autre, l’action thérapeutique consistera à réhabiliter l’autorité partout, à de nouveau être en mesure de penser le collectif comme quelque chose sinon de sacré au moins supérieur à l’individu, et à redonner du sens, des repères et du plaisir au vivre ensemble. Et cela dans toute la société française, pas seulement dans les quartiers sensibles.
Pour le dire autrement et plus simplement, avant de chercher à combattre un ennemi venu d’ailleurs, il faudrait commencer à se poser la question de savoir s’il n’a pas été enfanté par la société française, s’il n’est pas que le premier symptôme d’un mal profond qui nous touche tous et qui est appelé à se développer tel un cancer ou une maladie auto-immune.
Reste à savoir comment on pourrait lutter effectivement contre un groupe social qui serait devenu nuisible au reste de la société.
Le piège tendu par le Sarkozysme finissant
Sarkozy n’a qu’une stratégie à sa portée pour 2012, toujours la même, celle qui a fait son succès entre 2002 et 2007, faire de la guerre contre les racailles le cœur de son projet politique pour apparaître comme étant le candidat le plus déterminé, le plus volontaire et le plus viril. C’est aussi parce que j’ai la désagréable impression que le discours type riposte laïque prépare le terrain idéologique pour une vaste offensive militaro-judiciaire contre les quartiers sensibles qui assurera la réélection de Sarkozy, que ces question me paraissent aussi sensibles.
Il va aiguiser les tensions avec les cités à coups de provocations policières, de harcèlement judiciaire et de discours martiaux. Jusqu’à ce que celles-ci explosent de nouveau et permettent à notre petit Bush à nous, de livrer sa petite croisade contre son axe du mal à lui. Celle là, contrairement à 2005, fera des morts. Dans les deux camps, sans compter les inévitables innocents pour faire pleurer dans les chaumières et faire péter l’audimat des JT.
Pour le plus grand plaisir des lecteurs de Riposte Laïque, l’ennemi sera désigné. Il prendra le visage du jeune des cités ou du musulman intégriste. Ce nouveau barbare qui vit à nos portes sera accusé de vouloir renverser notre civilisation et notre art de vivre. Et surtout on nous expliquera qu’il peut vous ôter la vie dans des conditions horribles, pour rien, pour un regard de travers ou une parole mal comprise …On enverra les CRS ou l’Armée reconquérir les territoires perdus de la République. On organisera des opérations à grand spectacle de kärcherisation des cités, coproduites par TF1 ou M6. On châtiera bien sévèrement quelques responsables pris au hasard, de préférence des badauds ou des moutons, pour l’exemple, comme la justice aime tant à le faire.
Sarkozy sera réélu contre des opposants qui apparaîtront dépassés par leur angélisme naturel ou leur indulgence coupable à l’égard de ceux qui sont différents ou socialement tout en bas de l’échelle. A la limite, Sarkozy, Aubry ou DSK, peu importe. Mais les problèmes seront-ils réglés pour autant ?
J’en doute fort. Si, comme je le crains, ces phénomènes sont de nature systémique, la violence d’Etat exercée contre ces groupes sociaux désignés comme les ennemis ne fera que diffuser encore un peu plus ce mal qui ronge la société française : l’individualisme, le repli sur soi, la peur généralisée, l’anxiété érigée en principe émancipateur, la défiance à l’égard de l’autre, la déliquescence de l’idée de nation, la violence sourde et la loi du plus fort. Au final, ce n’est plus quelques bandes de racailles contrôlant des zones de non droit que nous aurons à gérer, mais de véritables tensions communautaires, un scénario à la Belge avec deux communautés qui se replient sur leur identité, s’ignorent, se rejettent, s’accusent mutuellement de racisme et se combattent à la moindre occasion.
Qu’on me comprenne bien. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la violence ne résous jamais rien. Dans certains cas, il peut-être indispensable de recourir à des épurations pour éliminer un groupe social qui fonctionne comme un parasite nuisible à l’ensemble de la société. Ce type de guerre intérieure peut parfois se justifier notamment pour se débarrasser d’une bureaucratie corrompue ou d’une oligarchie prédatrice. Je ne suis donc pas a priori hostile à l’idée d’une guerre impitoyable, fusse t-elle sanglante, contre tel ou tel groupe social si cela pouvait avoir pour effet d’assainir la société. Encore faut-il savoir comment la mener et avoir le courage de proposer des moyens en rapport avec l’ambition de ses objectifs !! De ce point de vue, je serais curieux de savoir si les tenants de la guerre contre l’ennemi intérieur ont quelque chose de bien différent à proposer que les recettes classiques du sarkozysme.
Cependant, s’il y a quelque chose à laquelle je ne crois pas du tout - mais alors pas du tout du tout - c’est la possibilité de transformer une société et une culture, dominante ou minoritaire, par la répression policière et la sanction pénale. L’Union soviétique a combattu la religion pendant 70 ans. Et aujourd’hui, on voit des églises pousser partout en Russie et on y fait la queue pour prier ou se confesser.
Une politique de laïcité intégriste résolument anti-islam, l’assimilation par la force publique, la surenchère répressive ou la tolérance zéro absolue, auraient à n’en pas douter le même succès. Mais ces politiques ne sont-elles pas déjà appliquées avec les résultats que nous voyons tous les jours depuis une bonne décennie ? Il est peut-être temps de cesser de s’exciter sur les phénomènes pour s’intéresser à leurs causes profondes et tenter concevoir quelques thérapeutiques adaptées.
Alors, chers amis contradicteurs de chez Riposte Laïque, vous avez voulu me dissuader de lancer ce débat cet été pour prendre des vacances. En revanche, moi, j'aimerais bien lire sur votre site quelques propositions concrètes et innovantes qui puissent m'amener à penser que vous êtes autre chose que des boutte-feux à la solde d'un pouvoir en perdition.
Malakine
L'État - et donc le modèle social : laic, républicain, tolérant et responsabilisant qu'il incarne - perd de sa pertinence et donc de sa légitimité lorsqu'il s'avère incompétent pour régler la question concrète du plein emploi et de la corruption.
Il n'y a pas d'autorité sans compétence
Si l'ordre républicain a reculé dans les banlieues il a aussi reculé dans les beaux quartiers, la sphère fiscale et financière...
Rédigé par : patriote | 18 août 2010 à 15:21