Du temps de Mitterrand, la gauche agitait comme un chiffon rouge le vote des immigrés avant chaque élection pour faire monter le Front National et affaiblir la droite. Sarkozy utilise la même stratégie de manière inversée. Il se sert de la lutte contre l’immigration et la défense de l’identité nationale comme d’une botte secrète pour attirer à lui les électeurs d’extrême droite.
La gauche hurle à la manipulation et le FN à la récupération, mais le pouvoir vient peut-être de se tendre à lui-même un sacré piège. L’offensive qu’il croit lancer sur l’électorat FN va l’exposer à toutes les contre attaques.
Au-delà du coup électoral et de son issue, reste la question de fond. Que faut-il penser de cette opération ? Est-elle dirigée contre les communautés insuffisamment assimilées ou vise t-elle plus globalement à ressouder la communauté nationale en renforçant le sentiment d'appartenance à un même tout ? L’identité nationale française doit-elle être réaffirmée ? Redéfinie ? Quels en sont les enjeux et quelle est l’urgence ? Sur quoi ce débat pourra t-il déboucher et faut-il y participer ?
Une tentative hasardeuse d’OPA sur l’électorat frontiste
Ce coup politique repose sur une interprétation discutable du succès de 2007 et une vision de l’électorat Front National qui est peut-être déjà largement obsolète.
Il est évident que la victoire de Sarkozy en 2007 doit davantage aux discours d’inspiration national-républicaine d’Henri Guaino qu’au programme américano-bushiste préparé par l’UMP. Dans les discours de campagne, il y avait cependant des d’éléments de nature différente, des thèmes, un ton et une musique que l’on entendait plus depuis longtemps : la réhabilitation des valeurs populaires, une certaine réconciliation avec le roman national, l’évocation d’une rupture quasi-révolutionnaire, la redéfinition d’une droite décomplexée qui n’avait plus honte d’aimer l’argent, le patrimoine, l’ordre et la famille …
Dans toute cette prose, chacun retiendra ce qui aura été déterminant pour attirer la moitié de l’électorat frontiste dès le premier tour et faire le plein dans les catégories sociologiques traditionnelles de la droite. On aurait en tout état de cause tort de réduire l’opération de séduction à la réappropriation du sentiment national. La campagne toute entière s’est faite dans un climat général de retour à la nation. Nul n’a parlé d’Europe ou célébré la mondialisation. Même le PS chantait la marseillaise dans ses meetings !
Le succès de Sarkozy me semble s’expliquer avant tout par un discours et un programme qui a été conçu dans une logique de marketing pour promettre ce qui était de nature à séduire quantité de clientèles. Sur le plan des valeurs, le thème qui m’est apparu dominant fût le volontarisme politique qui s’inscrivait en rupture avec l’immobilisme chiraco-jospiniste, comme avec la gouvernance empathique et compassionnelle mise en avant par la candidate présentée par le PS. Sarkozy a été élu avant tout parce qu’il a fait croire qu’il avait des solutions à tout et que, lui, aurait le courage de les mettre en œuvre.
Or le lancement de ce débat aujourd’hui envoie précisément le signe contraire. Il constitue un aveu de d’impuissance et de désarroi. Désormais incapable de dicter l’agenda médiatique, avec une feuille de route déjà épuisée, dépassé par des tempêtes qu’il n’arrive plus à endiguer, le pouvoir tente de reprendre la main au travers d’un débat dont il sait la charge explosive mais dont il risque fort de ne rien ressortir : Idéal pour passer de la volonté en actions à la présidence de la parlotte et ruiner le capital dont peut encore jouir Sarkozy en tant qu’homme de la rupture.
En outre, il n’est pas du tout certain que l’évocation de la nation suffira à attirer l’électorat FN résiduel, désormais essentiellement populaire. Le FN version Marine n’a plus grand-chose à voir avec celui de son père. La dénonciation outrancière de l’immigration et de l’insécurité a laissé place à la critique argumentée du mondialisme et de l’impuissance publique. Les stratèges élyséens se trompent s’ils croient priver le FN de tout espace ou pouvoir neutraliser une aspiration populaire à la souveraineté nationale avec un discours sur la fierté d’être français. D’autant plus que ce discours reste à construire …
Attention à la contre OPA !
On connait la souplesse idéologique de Sarkozy. Il est capable de célébrer le travail pour finalement réhabiliter la rente. Ne va-t-il pas en réalité entreprendre de liquider l’identité française en voulant la redéfinir ? Il risque fort en effet de céder à sa ligne de plus grande pente et de laisser s’exprimer son rêve américain. Si Sarkozy commet l’erreur de vouloir tourner la page de la France de papa pour célébrer le métissage et de la diversité, affirmer la place de la France au sein d’un bloc occidental aux cotés des Etats-Unis ou la présenter comme une nation de global-players conquérants dans la mondialisation, il se donnera lui même le coup de grâce qui achèvera de lui faire perdre tout crédit à droite.
Il l’exposera alors à toutes les contre attaques, celle de Villepin ou Bayrou qui ne manqueront pas de lui opposer la tradition républicaine et gaulliste, comme de Marine Le Pen ou de l’extrême droite l’accuseront de négationnisme pour réaffirmer une conception ethnique, culturelle et traditionnelle de la nation. Marine le Pen a déjà flairé le piège en demandant un entretien à Sarkozy pour participer au grand débat. Elle l’attend au tournant, bien décidée à prendre sa revanche.
Il y a plus qu’une nuance entre redéfinir son identité et réaffirmer une identité. C’est toute l’ambiguïté de ce « grand débat ».
Il risque fort de faire apparaître différentes conceptions de la France, pour ne pas dire plusieurs Frances. L’identité de la France de Diam’s, celle « qui vit à l’heure américaine » (et qui se converti à l’Islam), n’est pas celle de l’oligarchie mondialisée qui habite Neuilly et travaille à la Défense, ni celle des républicains ou des catholiques traditionalistes.
De deux choses l’une : Soit le débat est conclusif et rien n’indique que la lecture officielle de l’identité nationale pourra être opposable à tous, ce qui plongera la nation dans une vraie crise d’identité ouverte et conflictuelle. Soit il ne l’est pas, et il n’aura eu pour effet que de permettre à chacun de proposer sa propre définition de « sa France à lui » ce qui ne fera qu’accélérer le délitement de la nation en une somme d’individus, de communautés et de corporations qui pensent ne procéder que d'eux même. Dans les deux cas, la cohésion nationale en sortira affaiblie.
L’identité ne peut par définition faire l’objet de discussions. Elle se constate ou se revendique mais ne se met pas en débat. S’il voulait célébrer l’identité nationale, le gouvernement aurait du s’engager dans une opération de propagande unilatérale : réhabiliter l’enseignement de l’histoire de France, favoriser l’érection de statues de nos grands hommes disparus au centre des places de nos villes ou mieux encore : proposer au pays un vrai projet national pour fédérer à l’intérieur et séduire à l’extérieur.
Faut-il participer à ce débat ?
Maintenant que l’idée de ce grand débat est lancée, il n’y a qu’une question qui vaille : faut y participer ? La question est ouverte, cependant personnellement, je reconnais ma grande circonspection. Je n’en perçois ni la nécessité, ni les enjeux. Les dangers me semblent réels et les espoirs de gain illusoires
Je ne crois pas que l’opération puisse contribuer à ressouder la nation en faisant partager aux différentes couches socio-culturelles des valeurs et une histoire partagée. Ce n’est pas au travers d'une réflexion collectve sur l'identité que l'on renforcera le sentiment d’appartenance à une seule et même communauté humaine. Ce travail, pour salutaire qu’il soit, ne peut être mené qu’en débattant d’un projet national dans le cadre d’une grande délibération démocratique que l’on appelle une élection (ou un référendum) aux enjeux clairs et forts. La nation française est une nation politique avant d’être culturelle ou identitaire. C’est dans l’adoption d’un projet positif à vocation universel que la Nation française pourra se reformer et que les conditions d’un renouveau d’un patriotisme républicain pourront réapparaître.
La question de l’immigration est évidemment au coeur du sujet. Mais il me semble que l’assimilation - j’ose le mot - fonctionne peu ou prou, même si on n’a pas toujours cette impression lorsqu’on traverse la gare du nord à Paris. En la matière, on est certainement dans l’univers de la sociologie bien plus que de la politique. Le processus d’assimilation en France opère bien davantage en vertu du fond anthropologique libéral-égalitaire (d’après la typologie d’Emmanuel Todd) qu’en raison de politiques publiques dont on pourrait moduler les effets en actionnant une commande. En tout état de cause, je ne vois pas ce que la résurgence d’un débat entre les tenants de l’intégration sociale et ceux de l’assimilation dans la nation pourra produire d’autre que des diagnostics, des discours incantatoires, des postures … et des clivages.
Enfin, on voit mal en quoi l’identité nationale serait aujourd’hui menacée. Ni à l’intérieur par des mouvements séparatistes régionaux, ni à l’extérieur par une dissolution dans une Europe qui apporte au contraire, à chaque occasion possible la preuve de son inexistence politique et culturelle.
Un peuple est appelé à s’interroger sur son identité après avoir abandonné ses colonies ou s’être extrait d’un empire multinational. La France n’en est plus là. Ou plutôt, pas encore. Il sera temps de débattre de l’identité et de la vocation de vieille nation, lorsque la France sera plongée dans le grand bain d’une nouvelle mondialisation multipolaire et éclatée, sans l’illusion d’appartenir à une puissance géopolitique mondiale.
Malakine
@ Aluserpit
Merci encore une fois de ces précisions ! N'empêche que ... Si la France donne sa nationalité pour éviter de fabriquer des apatrides, c'est tout de même une preuve de générosité ou la marque d'une conception assez universaliste de la nationalité. Qu'on donne la nationalité française à des apatrides potentiels, rien que ça, ça doit faire réfléchir ...
A mon avis, 5 ou 7 ans de vie en France, si tu vis dans ta communauté et si tu parles ta langue maternelle à la maison, ça ne suffit pas du tout à adopter la culture française. L'école ne fait pas des miracles. Elle ne peut en tout état de cause pas de substituer à la culture délivrée dans les familles.
... mais bon encore une fois, c'est un sujet périphérique. Il peut être utile pour endiguer l'immigration par regroupement familial, mais la question du code de la nationalité ne peut pas être un facteur d'accélération de l'assimilation.
@ Jehuty
Toi, tu dis ça ! Mais sais tu à quel point il est difficile pour des européens de l'est à obtenir un visa de tourisme pour la France ? On a déjà été très loin (trop loin) !
On peut dire aussi qu'on ne nous parlerait pas d'identité nationale si on ne nous avait pas affirmé pendant 20 ans que la France c'était ringard et que l'Europe et la Mondialisation constituait un horizon indépassable ... ou si on n'avait pas entendu des sales gosses siffler la marseillaise dans les stades, chanter leur france à eux, ou des élites bien pensante vouloir enterrer le modèle français pour se convertir aux joies du capitalisme anglo-saxon ...
L'immigration est l'une des causes de la crise d'identité, mais elle n'est pas la seule.
Rédigé par : Malakine | 06 novembre 2009 à 14:20
@ tous
Je suis globalement d'accord avec la contribution de Natacha Polony sur son blog:
http://blog.lefigaro.fr/education/2009/11/de-france-et-deurope.html
Une conception toute braudelienne...
Je vous conseille également de faire un tour sur les contributions du Monde:
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/06/nicolas-sarkozy-veut-gener-la-gauche-en-realite-il-ebranle-la-cohesion-nationale-par-guillaume-bachelay_1263712_3232.html#ens_id=647065
Guillaume Bachelay se démarque une fois de plus (après le protectionnisme européen et les ecluses sociales) par contre le reste des tribunes est discutable (Yann Moulier-Boutang n'en finit pas de vouloir tuer le père). Kauffman prend une autre dimension du problème de l'identité (somme-toute récent).
@ Aluserpit et Malakine
Les propositions sont claires et pourraient permettre une bonne assimilation...
Rédigé par : René Jacquot | 06 novembre 2009 à 15:35
sa dépend de quel Europe de l'est tu parle,les roumains ont pas trop de difficulté pour venir ici par exemple.
après les risses ont peut être du mal mais les africains n'ont aucun problème a venir en france par ex.
pour moi justement l'immigration est le principal facteur de la crise d'identité (les autres états les culture régionales qui ressurgissent et la stigmatisation de tout ce qui représente l'identité française,drapeau,marseillaise...)
quoi qu'on en dise l'immigration subi depuis ces 30 dernière années est quelque chose d'unique en France, la France a subi de nombreuses "immigrations" au cours de l'histoire,mais aucune na fondamentalement changer la structure de la population française comme celle ci.
les Romains et les Francs n'ont fait que remplacer les élites gauloises,leur nombres n'a jamais été significatif pour remplacer la population indigènes,au début du siècle l'immigration européennes a été un grand bouleversement mais cela restait une immigration entre peuple d'une même civilisation.
ce a quoi nous assistons aujourd'hui est un véritable remplacement de population.
a quoi cela sert t'il de faire rentrée 300 000 immigrés par an avec le taux de chômage que nous avons? surtout qu'en cette immigration viens surtout du regroupement familial,elle ne vient donc pas pour travailler, c'est donc une immigration de peuplement!
tout ce que cela apporte c'est un appauvrissement de la France,une tensions entre communauté (les "français de souche" étant reléguer au rang d'une simple communauté sur son propre sol)
une tensions et une pressions migratoires qui ne profite qu'au patrons
Rédigé par : Jehuty | 06 novembre 2009 à 15:40
PS: désolé pour les "fotes d'ortografe" mais j'oublie souvent de me relire avant de poster
Rédigé par : Jehuty | 06 novembre 2009 à 17:14
Un petit résumé très instructif sur le droit de la nationalité française.
Rédigé par : Aluserpit | 08 novembre 2009 à 23:45