Frédéric Lordon est un économiste atypique et passionnant. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il ne se contente pas de décrire le réel, pour de célébrer le monde ou le déplorer. Il développe une critique souvent assez violente du système de laquelle il déduit des propositions détonantes. Outre ses analyses et ses théories, ce qui le singularise est avant tout son style inimitable, sa langue pure et agile et son humour permanent. Du Lordon, ça se lit ou ça s’écoute toujours avec un sourire aux lèvres. On alterne entre la concentration appliquée et l’éclat de rire jubilatoire et parfois on se surprend même à relire plusieurs fois la même phrase pour se délecter de l’exceptionnelle construction des phrases.
Pourtant, ce n’est pas de la littérature. C’est bien de l’économie, et pas forcément la plus facile d’accès puisque la spécialité de Lordon, c’est le capitalisme financier avec ses pratiques sophistiquées et ses anglicismes. Ni la plus réjouissante puisque l’objet de son dernier livre, c’est bien évidemment la grande crise financière et à travers elle l’implosion économique, morale, intellectuelle et idéologique du néolibéralisme.
Après « Pour en finir avec les crises financières » paru en 2008, Frédéric Lordon sort ces jours ci (en librairie à partir du 27 mai) « La crise de trop, reconstruire un monde failli » que j’ai dévoré avec un immense plaisir ce week-end.
Sur le fond, les lecteurs attentifs de Frédéric Lordon seront en terrain connu. Ils y retrouveront tous les thèmes qu’il a développé dans les articles publiés ces dernières semaines sur son blog, dans ses interviews avec Pascale Fourrier ou dans les vidéos qu’on a pu voir sur Dailymotion et notamment sa prestation à la conférence à l’invitation d’Acrimed.
L’ouvrage ouvre par un état des lieux du désastre financier, puis recherche les responsables (politiques) et les complices (journalistes), avant de dénoncer violemment l’arrogance des seigneurs de la haute finance, le système bancaire et la tyrannie du capitalisme actionnarial.
La deuxième partie du livre est logiquement consacrée aux solutions : socialisation du crédit, limitation autoritaire de la marge actionnariale (le SLAM) le néoprotectionnisme dans une mondialisation devenue interrégionale et pour finir un étonnant développement sur l’hypothèse d’une sortie plus franche encore du capitalisme, intitulé l’horizon des recommunes, nouvelle forme de soviétisme où les entreprises seraient démocratisées et deviendraient la chose commune des salariés en étant administrées par des conseils élus.
Pour les besoins de cette petite note de lecture, je marquerai deux points de divergence avec Frédéric Lordon.
Le premier portera sur l’intensité du sentiment de révolte et d’injustice qu’il exprime. On comprend très bien que lui, l’observateur attentif des dérives de la finance qui annonçait depuis des années que tout ça finirait très mal, ressente amertume, colère et injustice. Cependant ne rêvons pas : l’opinion dans son ensemble, tel qu’elle est informée par les grands médias (quand elle s’informe) perçoit la crise davantage comme une fatalité contre laquelle le gouvernement fait son maximum, que comme l’épuisement d’un système qui a profité à quelques uns au détriment du plus grand nombre.
Je crains qu’il n’y ait malheureusement ni révolte, ni réforme. Le souffle de la déflagration financière désormais contenu, la crise poursuivra son cours sur un mode lent, peu propice aux prises de conscience et aux sursauts. Telle la grenouille dont on chauffe lentement l’eau dans laquelle elle baigne, le corps social se laissera asphyxier sans réagir... Si changement de système il y a, il se fera à froid, sur le registre rationnel de la compréhension et de la conviction.
La rage et l’envie de renverser la table est naturellement en partie surjouée, mais avec tellement de talent qu’on ne s’avisera pas à en formuler le reproche. Frédéric Lordon tente de nous communiquer un peu de de sa révolte et de son envie de changer les règles du jeu en profondeur Car les solutions existent. Elles ne demandent qu’un peu de courage et de volonté.
Ma seconde objection portera sur les conditions de mises en œuvre du SLAM dans l’hypothèse où elle serait mise en œuvre dans un seul pays. Il me semble en effet peu probable qu’une limitation autoritaire de la profitabilité des entreprises puisse se faire sans risque de délocalisation des sièges sociaux ou des activités. Cependant les mêmes objections pourraient être formulées à l’encontre de la thèse du protectionnisme dans un seul pays. Tous les modèles alternatifs se heurtent en réalité à l’absence d’un cadre politique pertinent et crédible. Le monde ne constitue pas une communauté politique suffisamment cohérente pour produire un système politique doté d’une force suffisante. La Nation est trop petite et trop aisément contournable par les forces des marchés mondialisés. Et entre les deux, l’Europe est trop consubstantiellement libérale et antipolitique pour en attendre quoique ce soit.
Néanmoins l’immense mérite du propos de Frédéric Lordon est de réconcilier les deux branches de la pensée critique. Aux altermondialistes qui rejettent le protectionnisme par souci d’universalisme pour se focaliser sur le rapport de force entre capital et travail, comme aux purs protectionnistes qui font des régulations commerciales l’alpha et l’oméga de leur combat, il répond desserrement des contraintes salariales et concurrentielles qui écrasent le salariat. L’arraisonnement de la finance et le protectionnisme constituent bien les deux faces indissociables de toute alternative.
Malakine
PS : Frédéric Lordon était l'invité de Vincent Lemerre sur France culture pour parler de son livre, interview écoutable ici
Damned, comment tu as fait pour avoir le bouquin avant tout le monde ?????
Et je ne savais même pas qu'il avait sorti un nouveau livre !!!!
Rédigé par : RST | 25 mai 2009 à 22:12
Bon, ça remarche, la touche "envoyer".
L'horizon des recommunes, est ce que ça serait pas les coopératives municipales sous contrôle des élus, comme pourraient l'être des monnaies locales, déjà préconisées depuis quelques temps ?
Rédigé par : log | 25 mai 2009 à 22:24
@RST
Il est pistonné ou il a de la famille chez des éditeurs .
@Malakine
Je suis d'accord avec toi pour dire qu'il y a peu de chance d'avoir une révolte populaire. Le monde est ainsi fait que les individus peuvent accepte longtemps les conditions les plus inacceptable, par fatalisme, par habitude ou par peur. Il faut vraiment des conditions particulière pour qu'il y est révolte et il faut également des groupes idéologiques, religieux ou syndicalistes, des individus atomisé et sans lien ne sont pas capables d'agir. C'est un fait d'ailleurs que les chômeurs ou les SDF coupés des autres ne se défendent pas collectivement pour améliorer leurs conditions de vie pourtant déplorable, ce sont les classes moyennes et ceux qui ont encore des liens sociaux qui agissent collectivement.
Les individus modernes broyé par l'appareil idéologique néolibérale,atomisé culturellement par l'individualisme ne seront pas capable de réagir ensemble. Il suffit de voir l'énorme gouffre qu'il y a entre les révoltes individuelles fort nombreuses contre le système (qui n'a pas entendu ses proches ou ses amis se révolté contre la situation actuelle), et comparer avec le faible engagement dans les partis politiques ou les syndicats. Seul des groupes organiser peuvent agir pour changer les choses, chaque individu isolé dans son coin peut s'énerver ou s'esclaffe contre le néolibéralisme çà ne sert à rien.
C'est en ce sens que le capitalisme s'autodétruit car il a cassé les mécanismes sociaux qui limitaient ses excès auto-destructeur. Il est maintenant libre est entraine l'humanité dans un gouffre sans fond.
Pour ce qui est des solutions je crois que même si la voie nationale est difficile elle est la seule humainement réalisable. Le pire pour moi est de ne rien faire et de laisser le système en l'état mieux vaut la nation seul même si cela signifie une inflation et une baisse relative du niveau de vie que le barbarisme vers lequel nous conduit l'UE et le mondialisme néolibérale. Entre deux maux il faut choisir le moindre .
Au fait je n'avais pas réagit à ton précédent texte, je te trouve dure avec NDA. Concernant les solutions pour l'UE il avait été très clair soit on arrive à changer l'UE soit on en sort . Il faut que je retrouve un texte ou une vidéo où il le dit, mais il est parfaitement conscient, me semble-t-il, des difficultés à changer ce machin technocratique. Alors il ne l'a peut-être pas clairement dit dans son programme mais je suis persuadé qu'il y pense.
Rédigé par : yann | 25 mai 2009 à 22:33
@ RST
Ben Frédéric a demandé à son éditeur de me mettre dans la liste de la presse qui a le bouquin en avant première. Qu'est ce qui y a de si extraordinaire. Un blog c'est pas une forme de presse ?
Mais si tu savais ! En chapeau de ses derniers billets, il disait que c'était hyper long pour un blog mais qu'il fallait le voir comme un chapitre d'un bouquin à venir en primeur. Tu ne te souviens pas ?
@ Olaf
Oui, des fois, ça déconne. Faut pas s'affoler ça ne dure jamais longtemps.
Non, c'est pas ça. C'est juste une forme de société coopérative.
@ Yann
Je n'ai pas encore fait mon papier sur le retour à la nation. Mais je le ferais (ou alors ce sera pour mon bouquin) Certes, ce serait le périmètre naturel sur lequel penser l'alternative. Le problème c'est que plus personne n'y croit. Depuis 30 ans on a répété que la nation c'était ringard et fini. En outre, il y a des arguments sérieux pour considérer que la France n'aurait pas la taille critique pour changer de logique à elle seule. Le drame de ce début de siècle est que le néolibéralime a détruit le politique. Avant toute chose, il faudra reconstruire une puissance publique réelle, et c'est de loin, le challenge le plus difficile.
Sur NDA, je suis d'accord. J'ai été dur. Ca m'a fait de la peine pour Laurent et tous ceux qui y croient. Mais honnêtement, quand j'ai commencé je ne savais pas ce que j'allais écrire. C'est mon analyse qui m'a conduit là où je suis arrivé. Sa construction ne tient pas debout. On, peut avoir une chance de changer l'Europe que si on passe à un registre fédéral avec vote à la majorité. Dire à la fois qu'on veut réorienter les compétences maîtresses et prôner un vote à l'unanimité c'est une contradiction absolue.
Rédigé par : Malakine | 25 mai 2009 à 22:45
@Malakine
Il ne faut pas oublier la stratégie de communication pour NDA, il y a des choses qu'il est dure de dire si l'on veut approcher un peu des grands médias. Je pense qu'une bonne part des incohérences sont souvent tiennent au fait que NDA provenant du souverainisme, associé par les journaleux à xénophobie, il lui fallait impérativement changer son image. Et puis s'il s'est trompé tu n'a cas le lui dire son parti est assez jeune pour changer certain texte ou contenue. Ce que je regarde personnellement ce n'est pas que le programme, mais aussi la stratégies et les but globales. Je regarde aussi l'intégrité entre le propos et les actes et le fait est que NDA est quelqu'un d'irréprochable et de courageux beaucoup plus que les pirouette qui sont en face. Il s'est isolé contre son propre camps, il a des convictions et une morale, çà compte beaucoup plus que d'innombrables discours à la Guaino qui ne sont suivi d'aucune action concrètes, n'est ce pas.
Rédigé par : yann | 25 mai 2009 à 23:05
Bien sûr que le fatalisme est le sentiment prédominant actuellement, y compris dans les classes aisées. On se croirait revenu dans l'inde hindouiste ou dans un des pays du tiers monde où la réalité sociale écrase toute velléité de changement. C'est probablement l'un des faits majeurs de ce qui se prépare depuis 30 ans. Une régression bien plus qu'économique ou écologique, mais psychique. Ceci dit les gens sont devenus fatalistes sans pour autant être dupes, pas idiots non plus, ils sont surtout devenus spectateurs de leur fatalité, ce qui n'est pas tout à fait être fataliste, seulement cynique ou ironique peut être, mais quoi faire d'autre pour la plupart...Moi aussi je me surprends de temps à autre à cette position.
Rédigé par : log | 25 mai 2009 à 23:11
Violence, violence et cynisme, tels sont maintenant les maitres-mots de l'économie maintenant. Il y a de quoi être dégoûté. Merci et surtout pour vos éclaircissements...
Rédigé par : Bruno Guiot | 13 avril 2011 à 02:14