Une fois de plus, la dernière prestation d’Emmanuel Todd n’aura pas apporté beaucoup à ceux qui le considèrent comme leur référence intellectuelle. Depuis l’élection présidentielle ses interventions se suivent et se ressemblent sur un registre outrancièrement anti-sarkozyste, ce qui parfois l’amène sur des positions qui vont à l’encontre de ses thèses traditionnelles.
Le rapport qu’entretien Todd avec Sarkozy est particulièrement complexe. Si Sarkozy pouvait se résumer à sa fascination du modèle américain, ses amitiés avec les hyper-riches de Neuilly et son absence de convictions en matière économique, il serait clairement et sans nuance catalogué parmi les ennemis idéologiques, un néolibéral, à la solde des intérêts de l’empire américain et des classes dominantes.
Les choses ne peuvent toutefois pas être aussi tranchées car le penseur du Sarkozysme se trouve être un intellectuel qui partage certaines des thèses d’Emmanuel Todd. L’élection de Sarkozy n’aurait pas pu se faire si Guaino n’avait pas intégré dans les discours présidentiels, trois éléments forts de la pensée toddienne : l’attention portée aux classes que les élites de gauche et de droite avaient abandonnées ces dernières décennies, le thème du protectionnisme européen rebaptisé « préférence communautaire » dans le langage sarkozyste et un rapport à l’immigration renouant avec la tradition d’assimilation en rupture contre le discours différentialiste xénophile de la gauche morale.
Emmanuel Todd affirmait haut et fort au début de la campagne présidentielle que Sarkozy était le candidat des riches et des puissants, décroché du système idéologique de son camp et promis à une débâcle électorale. Mais il disait aussi que le premier candidat « d’où qu’il vienne » qui se saisirait du thème protectionnisme casserait la baraque. Emmanuel Todd a vu tout juste, avec toutefois un peu d’avance sur la disgrâce et le dégoût de ce qu’on a appelé par la suite le « bling bling ». Le seul problème pour Todd, c’est que contrairement à ce qu’il attendait, ce n’est pas Le Pen qui a fait un carton en se saisissant de la critique du libre échange, mais Sarkozy.
Le succès d’une droite populiste dans une improbable alliance entre les privilégiés et les classes populaires, Todd ne l’avait pas prévu. Cette alliance des contraires l’empêche de diaboliser Sarkozy comme il l’a fait avec tant de force pendant toute la campagne. Alors, il force la critique, jusqu’à parfois déraper et risquer de se contredire lui-même.
Lors de son interview, il s’est montré parfaitement fidèle à son discours sur les questions géopolitiques. Rien de neuf dans la dénonciation du néo-occidentalisme ou dans la promotion du protectionnisme européen, si ce n’est que désormais la proposition devrait désormais émaner d’un trio constitué de l’Allemagne de l’Italie et de la France. Sa position selon laquelle la France n’avait pas légitimité à investir autant d’énergie sur la libération d’Ingrid Bétancourt mérite d’ailleurs d’être saluée pour son courage et sa lucidité.
En revanche, sur l’Union Euro-méditérannéenne et sur la crise des banlieues qu’il qualifie comme le péché originel du Sarkozysme, les positions d’Emmanuel Todd m’ont semblé excessives et, pour tout dire, indignes de sa stature intellectuelle.
Pour le promoteur du projet Henri Guaino, l’union euro-méditéranéenne vise à combattre l’idée de choc des civilisations
« Ce qui se joue en Méditerranée, c'est une partie de l'avenir du monde. C'est le choc des civilisations, la guerre des religions. Si nous arrivions à retisser les liens, à refaire du développement, de la justice, de la culture, de la civilisation en commun, oui, nous allons changer le monde. Je ne dis pas qu'on va changer le monde toute de suite, du jour au lendemain, mais ce qui se joue là est très important. On a une chance historique de changer les choses »
Emmanuel Todd est cohérent avec lui-même quand il affirme que la priorité de l’Europe est de répondre aux défis de la globalisation qui engendre « une baisse des revenus et une insécurité sociale pour les classes moyennes et populaires » et qu’elle doit cesser de s’élargir et de s’ouvrir. Pourtant, l’auteur du « rendez vous des civilisations », ouvrage dont le propos était de contester précisément l’idée d’une différence de nature entre l’occident et le monde musulman, devrait soutenir le projet, au moins dans ses finalités.
Plus grave me semble être la critique exprimée sur le mode « Sarkozy est pire que Le Pen « car il a mis l’appareil d’Etat au service d’une politique de provocation dans les banlieues » Nul ne peut nier que les émeutes de la Gare du nord ont eu un impact sur l’opinion et qu’elles ont pesé sur le vote en réactivant le traumatisme de l’automne 2005. Peut-on pourtant accuser Sarkozy d’avoir sciemment provoqué la crise dans les banlieues pour susciter un réflexe sécuritaire ?
A entendre Todd, on a l’impression qu’il ne faudrait pas faire des banlieues un sujet politique au risque de « faire appel à ce qu’il y a de plus mauvais en nous » et de donner l’impression de stigmatiser les jeunes et/ou les immigrés. Pourtant, qui peut nier que la France connaît un grave problème et sa sous culture des banlieues qui véhicule des valeurs communautaristes, de violence et de rejet de la France. Il est vrai que Todd s’était déjà illustré par des propos extrêmement indulgents à l’égard des émeutiers en 2005 lorsqu'il considérait que leur révolte était un symptôme de leur assimilation et de leur adhésion à la valeur d’égalité !
L’immense mérite des interventions d’Emmanuel Todd a été ces dernières années de lever le tabou de la contestation du libre échange. Il a raison lorsqu'il dénonce les tentatives des politiques de tenter d’échapper à cette question fondamentale en investissant des questions sociétales, telle que l’immigration ou la sécurité à droite. Il est difficile de le suivre en revanche quand il tend à substituer un tabou par un autre, en occultant par principe et violemment, toute légitimité aux questions identitaires, à l’assimilation des populations immigrées ou aux problèmes spécifiques posés par la culture des cités.
Remettre en cause la légitimité de l’élection de Sarkozy au motif que sa popularité s’est construite autour du problème de banlieues est un argument choquant. L'argument est d'ailleurs contre productif. Certains esprits tout aussi bien pensants, pourrait symétriquement reprocher à Todd de faire de la critique contre la mondialisation son fond de commerce et ainsi de faire appel à ce qu'il y a "de plus mauvais en nous",le repli nationaliste, le refus de du capitalisme de marché et de la modernité.
Emmanuel Todd gagnerait à se préserver des excès dans lesquels l'emporte son anti sarkozysme viscéral, sous peine de décrédibiliser ton son discours.
Malakine
@Malakine
Personne n'est parfait et Todd est particulièrement vulnérable lorsqu'il s'exprime en public, il faut bien le dire il est nul à l'oral. C'est un lettré nullement un acteur des médiats chacun son truc.
Mais personnellement c'était vraiment sur le TCE qu'il m'avait fortement agacé et il a lui aussi des dogmes. Notamment son incapacité à vraiment imaginer une solution économique non européenne par exemple, alors même que toute son analyse conduit à la conclusion d'une explosion quasi inéluctable de l'UE.
Mais peut-être a-t-il peur de passer pour un extrémiste et d'être associé à des types comme Soral (lui même exclus pour cause de comportement non conforme), ou Le Pen. Il se dit déjà je suis rejeté pour protectionnisme aigue si je me met à dire des gosses de banlieue qu'ils vivent en vase clos je passerais pour un péténiste. Même Todd est touché par le médiatiquement correcte il n'a pas forcement tord d'ailleurs. S'il se fait exclure ses idées principales sur le libre-échange risques de ne plus être médiatisées. Cependant a ce petit jeu effectivement il risque de perdre en crédibilité.
Sur l'affaire des banlieues je ne sait pas s'il y eu manipulation en tout cas les médiats s'en sont servi pour soutenir leur principal chouchou. Pour le coup je suis en parti en désaccord avec toi et avec Todd parce que les coupables ce ne sont pas les politiques dont Sarko mais les médiats qui fonctionnent pompier pyromane et monte des affaires aussi vite oublié. La délinquance n'a pas baissé en France et bizarrement les actes d'incivilités ne font plus la une des journaux. Todd devrait plutôt attaquer les médiats, il n'est pas le seul d'ailleurs car je me répète mais je pense qu'ils sont au cœur du déglinguement démocratique en ce sens je suis pleinement les analystes de dedefensa.org.
Si je le retrouve je mettrais mon coup de gueule contre Todd écrit en 2005 face à son "oui".
Rédigé par : yann | 15 mai 2008 à 20:07
Vive Emmanuel Todd, il a bien raison, il n'y en a pas assez des mecs qui ont des couilles comme lui. On ne va pas assez loin dans l'antisarkosyme. IL FAUT ELIMINER CE CANCER.
Rédigé par : TARAS BOULBA | 15 mai 2008 à 20:08
Alors là, on aura tout vu.
Maintenant que Môsieur Malakine est devenu un éditorialiste célèbre grâce à Marianne2.fr, il fait dans le blasphème ;)
Ma première impression quand j'ai vu ces images d'E.Todd a été de me dire qu'il était plutôt meilleur que lors de son passage à "Ripostes"
C'est vrai qu'il a tendance à faire dans l'antisarkozysme primaire. Mais peut-on réellement lui en vouloir ?
Et si il a raison (comment vraiment savoir ?) quand il dit que c'est en provoquant les désordres dans les banlieues que Sarko a été élu, cela mérite effectivement d'être dénoncé avec force.
Sinon je suis d'accord avec Yann. E.Todd n'est décidément pas à l'aise à l'oral.
C'est bien le drame de notre époque où la façon dont on dit les choses a plus d'importance et d'impacts que les choses elle mêmes.
Rédigé par : RST | 16 mai 2008 à 00:05
@ Yann
Sa position sur les banlieues m'apparaît effectivement comme un gage au médiatiquement correct, une espèce de marqueur pour faire "de gauche". Je dois dire que ça m'énerve et que je trouve ça indigne de lui. Sur le fond, je n'ai jamais compris qu'on puisse défendre la thèse de l'assimilation au nom de l'égalitarisme français, comme l'a fait son ami hakim dans l'avenir d'une exception, et trouver scandaleux qu'on parle d'identité nationale ou même d'identité tout court. Ce que je perçois comme une contradiction me rend très mal à l'aise.
Le débat sur le fond ne demande qu'à renaître. On sent que ces thèmes restent explosifs. Ici, on en a déjà bébattu ensemble, notamment pendant les émeutes de la gare de lyon. Ca prouve à mon sens que c'est un vrai sujet de débat. J'ai du mal à supporter l'idée que lorsqu'on débat de ces sujets on se ferait le complice d'une manipulation pro sarkozyste en faisant appel à ce qui y a de plus mauvais en nous.
@ taras boulba
Je comprends qu'on puisse avoir ce point de vue, mais il y a des gens qu'on respecte trop pour accepter de les voir s'abaisser à n'importe quel argument pour dézinguer Sarko.
@ RST
C'est marrant, je m'attendais à cette réaction de ta part. Ceci dit, tu noteras tout de même que je n'ai pas envoyé cet article à Philippe Cohen. Je n'ai pas voulu pousser le blasphème trop loin. Vous allez voir que moi aussi, je vais me sentir soumis à la pression du médiatiquement correct. Je compte sur vous tous pour me signaler toute dérive en ce sens.
Ceci dit, ma récente collaboration à Marianne2 change pas mal de choses pour moi et pour ce site. Ca me met un peu la pression. Ecrire pour les copains et pour des milliers de gens, c'est pas pareil. On sent qu'on ne peut plus tout à fait se permettre les mêmes choses. Je vais devoir faire gaffe avec mes analyses les plus osées dont je ne suis parfois pas toujours convaincu de leur pertinence. J'espère juste que cette pression ne finira pas par me paralyser.
Sur le fond, je vois que tu es en phase avec Todd. Sarko n'est tout de même pas le premier à avoir voulu se construire une image avec le problème des banlieues. Ce n'est tout de même pas lui qui les a inventé. Rappelez vous 2002 et les sauvageonts de Chevènement !
Rédigé par : Malakine | 16 mai 2008 à 01:57
Je trouve Emmanuel Todd plutôt mesuré, en particulier sur la politique étrangère de Sarkozy. Avez-vous remarqué que celui-ci ne part jamais plus de deux jours en voyage officiel à l'étranger, par exemple que c'est Fillon qui est à la conférence de Lima.
La critique de Sarkozy ne peut-être que répétitive, car Sarkozy s'est toujours la même chose, c'est-à-dire des coups tactiques toujours dans le même registre (sécuritaire), jamais de stratégie.
Qui peut dire qu'elle est la politique étrangère de la France. Curieusement il n'a pas été fait grand échos de la prestation de Kouchner à l'ONU concernant la Birmanie et où il a amusé la galerie.
Rédigé par : GERD | 16 mai 2008 à 09:40
Je partage entièrement ton opinion Malakine, l'outrance des propos de Todd nuit à sa critique du Sarkozysme... Son zèle peut être en effet expliqué par la "récupération" de ses thèses par Henri Guaino.
A vrai dire c'est toute l'ex Fondation du 2 mars qui entretient des rapports amour-haine avec le président, si PA Taguieff est passé de l'autre côté, Philippe Cohen demeure un farouche adversaire de l'ancien maire de Neuilly (même s'il entretient toujours des rapports avec Guaino cf la rubrique dans marianne2 "l'avocat du président").
Rédigé par : René Jacquot | 16 mai 2008 à 11:16
@Malakine,
Franchement ! Si je suis globalement d'accord avec ce que tu dis dans cet article, je trouve un peu disproportionnés, tes commentaires à l'égard de Todd.
Non seulement il n'a pas totalement tort, mais surtout je trouve cela insignifiant, même si par ailleurs les évènements de la gare du Nord ont eu pour mérite de mettre à jour la bêtise à manger du foin du PS en ce qui concerne l'immigration.
Sarkozy a t'il donné l'ordre ou non, aux CRS de laisser saccager les commerces (un CRS interrogés disait "on aurait pu tout arrêter en 10 minutes") ?
Je n’en sais rien, tu n’en sais rien... Nous n’en savons rien ! Emmanuel Todd a peut-être, lui, des renseignements que nous n’avons pas ?
Maintenant ! Oui peut-être un peu d'outrance envers une l'outrance que constitue Sarko n'est'elle forcément la meilleure manière !
Mais sa coiffure t'a plus, au moins ?
Rédigé par : Ozenfant | 16 mai 2008 à 16:17
@Malakine
Un petit message sans rapport avec ton texte (comme cela m'arrive souvent) pour donner un chiffre trés important sur l'accélération de la crise US. A nouveau les USA ont connus une sortie net de capitaux de plus de 48.2 Md$ alors que les économistes tablaient sur une entrée de cet ordre. Plus rien ne retient le dollars en dehors du cartel des banques centrales européennes et asiatiques qui achètent massivement des dollars en exportant ainsi l'inflation US dans leur propre zone monétaire.
voir:
http://www.investir.fr/cours-actions-cotation/FR/ISI/cours-valeur-88601-mnemo/infos-conseils/88601/USA___sorties_nettes_de_capitaux_en_mars.html
Rédigé par : yann | 16 mai 2008 à 22:05
Et je rajoute ce texte du Monde qui montre les dysfonctionnement de plus en plus grand de la zone euro. Pour ma par je suis convaincu d'un inexorable éclatement.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/05/16/conjoncture-des-situations-tres-contrastees-chez-les-vingt-sept_1045777_3234.html
Rédigé par : yann | 16 mai 2008 à 22:08
@Yann,
Tant pis, je fais un "hors sujet" (quoi que ?):
Voilà ce que je viens de répondre à une personne qui trouvait Manuel Valls "Peu de gauche" :
En tant que représentant auto-déclaré des Français d'en bas, je voudrais bien savoir ce que vous appelez être de gauche ?
Quand même pas la ligne de la caviar-bobocratie, pro-Europe de la mondialisation néo-capitaliste, qui depuis 1983 a laissé tombé les travailleurs et employés pauvres de ce pays ?
Quand même pas le gang de Solferino dont le credo est de laisser tomber les entreprises française et de caresser l'illusion que notre intellect supérieur et notre enseignement génial (27ème au monde) va nous permettre de penser pour ces pauvres crétins de sous hommes que sont les Chinois, les Indous et les Arabes ?
Voilà le credo méprisant de votre "gauche" défendue par ses économistes de salon : Olivier Olga Boulba et Liêm Hoang-Ngoc !
http://blog-ccc.typepad.fr/blog_ccc/2008/05/olivier-olga-bo.html
Aveugles au fait que nous délocalisons même nos bureaux d'études (sous traitants d’Airbus) et que les Chinois viennent de dévoiler leur propre marque d'avions !
Ce sont ces gens de là... de l'aristocratie bien pensante de la bobocratie PS que vous appelez "la gauche" ?
Alors continuez à nager dans vos préjugés... et rien ne changera !
Albert Einstein : "Il est plus difficile de désintégrer un préjugé qu’un atome"
http://blog-ccc.typepad.fr/blog_ccc/2008/05/albert-einstein.html#comments
Rédigé par : Ozenfant | 19 mai 2008 à 12:57