Une fois n’est pas coutume, je vais prendre appui sur une petite histoire personnelle. Cette semaine, j’ai assisté à une conférence du prétendu pape de l’aménagement du territoire en France, le dénommé Pierre Veltz, Directeur de l’institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires européens, sur un de mes thèmes de prédilection « la mondialisation et les territoires ».
Je ne m’attendais pas à des miracles, mais j’espérais au moins entendre quelques propos raisonnables et lucides sur le défi que représente la mondialisation pour des territoires de tradition industrielle et la France des villes moyennes.
Ce ne fût, en fait, qu’un discours de propagande honteuse pour la mondialisation.
Tous les poncifs y sont passés : La mondialisation permet aux pays émergents de sortir de la misère. Les pays occidentaux doivent et peuvent tirer leur épingle du jeu par la qualité et l’innovation. Dans la chaîne de valeur, les aspects stratégiques sont la conception et la distribution. L’industrie peut s’en sortir si elle accepte de délocaliser la production de ses composants les plus simples. La compétitivité des territoires repose sur la qualité des relations du jeu d’acteur. Les délocalisations stricto-sensu n’ont qu’un impact marginal sur le chômage Etc, etc. …
Dans une région comme celle où l’histoire se déroule, aussi sinistrée par la désindustrialisation, qui ne survit que grâce au travail frontalier, qui ne compte aucun siège social et dont la main d’œuvre est particulièrement sous qualifiée, il fallait tout de même oser !
Je suis entré en ébullition dès les premières minutes de l’exposé. J’avais envie de l’interrompre toutes les deux minutes pour lui opposer des statistiques sur le commerce extérieur, sur la fuite des capitaux ou sur la faiblesse de la consommation et des créations d’emplois en Allemagne malgré son statut de premier exportateur mondial. De l’interpeller sur l’emploi, la montée des inégalités, la pression sur les salaires qu’exerce la concurrence avec la main d’œuvre des pays sans droits sociaux, les super profits des multinationales. Lui rappeler que les délocalisations ne se manifestent pas que par des déménagements d’entreprise mais aussi par la politique d’achat des grands groupes ou des plans sociaux comme celui d’Alcatel qui ne suppriment les emplois (y compris des emplois qualifiés) que dans les pays occidentaux. Lui dire aussi que son propos était fondamentalement raciste en ce qu’il présupposait une supériorité intrinsèque et définitive de "l’homme blanc" sur "l’homme jaune", que la Chine nous concurrence d’ores et déjà aussi sur le high tech en conservant des coûts chinois…
Mais je restais stoïque, me contentant lui jeter des regards incrédules et désapprobateurs. Puis, vint le moment des questions avec la salle. Les premières questions furent posées par des élus régionaux ou du conseil économique et social. Des questions de bons élèves, bien content de montrer qu’ils avaient intégré le fonctionnement du nouvel ordre économique mondial. Des questions dont les réponses permettaient à ce hiérarque de la pensée unique de poursuivre sa propagande.
Il me fallait intervenir. Malakine (qui ne s’appelle pas comme dans la vraie vie) ne pouvait pas laisser professer ces inepties sans réagir. Je ne suis pourtant pas aussi à l’aise à l’oral qu’à l’écrit, et n’ai pas l’habitude de prendre la parole devant une telle assemblée. L’idée de me lever pour casser le gentil concert de bien pensance faisait monter en moi une émotion paralysante, mais le sens du devoir a finalement été plus fort que ma naturelle timidité et j'ai demandé la parole avec assurance et détermination.
Il me fallait vite trouver un angle d’attaque et structurer ma prise de parole. Je ne pouvais pas me permettre de cartonner trop violemment ce grand ponte en marquant un désaccord de fond, ni faire de l’idéologie. Il me fallait conclure sur une question …
J’ai finalement choisi d’attaquer sur la démocratie en me souvenant de l’interview d’Emmanuel Todd que j’ai publié la semaine dernière. Mon intervention ressemblait à ceci :
« Comme vous l’avez dit, l’ouverture des échanges a été possible en abaissant les droits de douanes au cours des dernières décennies. Cette mondialisation que vous nous avez décrite, existe parce que nous l’avons bien voulu. Elle n’est pas le fruit d’un processus historique, mais de décision politiques et d’une idéologie économique.
Comme vous l’avez dit, les Français sont majoritairement hostiles à la mondialisation. Le dernier sondage de l’eurobaromètre indiquait qu’ils étaient 72% à la percevoir comme une menace. La France est effectivement le pays le plus hostile à la mondialisation, mais ce chiffre a pris 20 points dans toute l’Europe en trois ans par rapport à un précédent sondage fait par le même institut en 2003. On peut dire ce qu’on veut sur la mondialisation, mais le fait est que les salariés européens ne voient pas l’intérêt d’être mis en concurrence avec des ingénieurs indiens ou des ouvriers chinois.
Cela pose le problème de la démocratie. Emmanuel Todd disait encore la semaine dernière qu’il faudrait choisir entre le libre échange et la démocratie. Le protectionnisme ne monte pas qu’aux Etats-Unis. Dans la campagne présidentielle, lorsqu’on écoute bien, tous les candidats, à l’exception de François Bayrou et de l’extrême gauche, proposent sous diverses formes de renouer avec des protections économiques.
Aussi, je vous pose la question, est ce que vous ne pensez pas qu’il est temps de réguler la mondialisation, soit en mettant en place des normes sociales et environnementales, soit par une hausse des droits de douanes ? »
La réponse fût consternante. Il a commencé par soutenir que les Etats peuvent encore agir, ce qui est faux car la politique commerciale a été transférée à l’Europe, qui elle-même la mise dans la main de l’OMC. Puis, il a sourit à l’évocation d’Emmanuel Todd, dont il a naturellement caricaturé la pensée en la décrivant comme une volonté de « fermer » les frontières, pour mieux la critiquer en considérant qu’elle est « irréaliste ». Incapable de développer l’argument, il en prend un autre bien connu « Le protectionnisme, c’est la guerre » appuyant son propos par des évocations historiques, probablement fausses mais que je suis incapable de contester. Je reprends tout de même la parole.
- Mais, pendant les années de croissance des trente glorieuses, nos économies étaient plus ou moins libre échangistes ?
- Vous avez raison, les économies étaient moins ouvertes …
Enfin, il admettait sans l’avouer que la mondialisation n’est pas une fatalité, qu’il existe des moyens de la réguler et que la grande période de croissance qu’a connu l’Europe après la guerre s’est déroulée dans un contexte de protection économique et non pas de libre échange.
Je ne sais pas ce que l’assistance a pu retenir de cet échange. J’espère tout de même qu’il lui a permis de relativiser l’autorité du propos de l’intervenant et faire apparaître qu’elle n’était pas exempte d’idéologie et qu'un débat pouvait s'ouvrir sur ces questions.
La question de la mondialisation et des territoires n’a finalement pas été traitée. C’est bien dommage, car cela aurait permis aux élus présents de comprendre que ce système économique ne profite en France qu’à deux ou trois grandes métropoles, en premier lieu naturellement à la capitale, et qu’il condamne les territoires d’ancienne industrie au dépeuplement et à survivre des revenus de redistribution que la capitale veut bien lui accorder tant qu’elle estime en avoir encore les moyens et la générosité suffisante …
Il faut croire que seul un effondrement majeur de nos économies permettra la remise en cause du laissez-faire économique. Nous sommes face à une nouvelle forme de religiosité, l'homme occidental est un croyant qui s'ignore. Je vous invites à lire le livre prophétique puisque datant de 1973, de Jacques Ellule "Les nouveaux possédés". Ce célèbre auteur iconoclaste va à l'encontre des idées recues en démontrant le renouveau des phénomènes religieux et le déclin de la pensé rationelle de l'occident. je fais une petite citation:
"La post chrétienté n'est pas une société a-religieuse...
(ce qu'est la foi)En face du dieu et de ses saints, la seul attitude possible est celle de la foi. C'est bien en effet de cette façon que l'on est obligé de qualifier l'attitude des militants. Monnerot a longuement étudié les caractéristiques de cette foi: Il s'agit d'une idée pationnelle, susceptible d'unir, d'unifier en un ensemble communiel un grand nombre d'hommes au-delà de toutes leurs differences humaines. Ces possionnés forment une société, un ensemble... Ils vivent dans un état de suggestion réciproque, cette foi prend possession de toute la personnalité et de toutes ses facultés intellectuelles: elle délimite exactement le terrain sur lequel la pensée peut évoluer. Elle rejette automatiquement tout ce qui est en dehors de l'épure. Elle trace les frontières entre ce que l'on peut entendre et ce que l'on n'entend litteralement pas. Sur le terrain délimité, l'individu possède une grande aisance, et comme il ne peut pas sortir de ce terrain, qui est protégé par les critaires de la foi , il s'estime parfaitement libre. La foi élimine radicalement tout esprit critique. Les présupposés se sont imposés avec une telle évidence que l'on ne saurait les mettres en cause par aucun argument ni de fait ni de raison. Les motivations réelles sont à l'abri des arguements."
On a plus qu'a espérer que l'effondrement du dollars provoquera la fin de l'idéologie libérale.
Au fait voici un trés bon texte (pédagogique) sur le role du dollars dans le monde et la mondialisation.
http://europe2020.org/spip.php?article402&lang=fr
Vive la dissidence.
Rédigé par : yann | 11 mars 2007 à 13:17
Donc M. Velz n'aura pas l'Alsace et surtout ... la Lorraine, Malakine :-)
Bravo pour être intervenu dans une assistance hostile. Je l'ai fait une fois et me suis fait traiter de tous les noms. Mais on sort en homme libre...
Toréador
Rédigé par : Toreador | 11 mars 2007 à 13:50