« L’Europe est morte, vive la France » ai-je écrit hier. Nous avons surtout débattu dans les commentaires de l’épuisement du projet européen et des moyens de le relancer. C’était en effet l’objet premier de cet article. Cependant, à la réflexion, il me semble que le point le plus important de l’article se trouvait dans son deuxième terme, le retour de la Nation.
En tant que républicain, je ne peux y voir qu’un mouvement salutaire et porteur d’espoir. Cependant, ce mouvement de retour à la Nation me semble, dans les circonstances actuelles, littéralement explosif et lourd de menaces.
Mon propos aujourd’hui n’est pas de faire du pronostic électoral ou de la sociologique politique. Je l’ai fait, il y a deux semaines dans mon article « Vers une immense surprise » Que le premier tour se traduise par un vote très à droite et un score impressionnant de Le Pen n’est même plus le sujet. La question aujourd’hui est de comprendre ce qui est en train de se passer dans les profondeurs de l’opinion et où cela peut nous conduire.
Les dangers du retour du refoulé :
J’écrivais hier que la constante progression du Front national avait révélé une crise de la Nation et en même temps empêché d’en débattre. Cette crise, on peut la définir par cinq fractures : Montée de la violence, Immigration non maîtrisée, Perte de souveraineté et de capacité d’action de l’Etat, Panne de l’ascenseur social et Sécession des élites avec leur culte de l’économie financiarisée.
Cette crise a été souterraine pendant 20 ans et circonscrite par un cordon sanitaire solidement installé autour du FN. Elle a depuis explosé au grand jour entre 2001 et 2005. Ses différents aspects de la crise de la Nation ont atteint un tel degré d’ampleur, qu’il n’est plus possible aujourd’hui de les nier. L’acceptation de cette crise s’accompagne d’une banalisation du Front national, ce qui légitime les diagnostics et toutes les réactions qu’il peut entraîner.
Autrefois ces cinq fractures, étaient en effet contenues par un discours officiel bien pensant qui leur répondait respectivement qu’il s’agissait d’un « sentiment d’insécurité », qui appelait à la tolérance et au droit à la différence, qui promettait que les pans de la souveraineté abandonnés seraient exercés plus efficacement par l’Europe, que le pouvoir d’achat progressait, et que la mondialisation était un fait historique auquel il fallait s’adapter bon gré, mal gré. L’ensemble de ce discours était naturellement professé sur un mode extrêmement culpabilisateur, ces diagnostics étant, tantôt le signe d’un archaïsme de la société française qui refuserait de s’adapter à la modernité, tantôt l’expression d’un populisme qui ne peut que faire le jeu de Le Pen.
Aujourd’hui, c’est fini. Ces thèmes peuvent librement faire irruption dans les consciences et le débat public avec la vivacité d’une pulsion qui émerge des profondeurs de l’inconscient. Ce retour du refoulé est en lui-même dangereux, car il peut par effet de réaction, conduire à l’autoritarisme sécuritaire, à la xénophobie, au nationalisme, à la dictature et au sentiment anti-élite.
Cette résurgence de la crise nationale me semble également s’appuyer sur un mouvement sociologique plus profond.
La crise de la nation française vient de loin
J’ai découvert cette notion dans le livre d’Hakim El Karoui « L’avenir d’une exception » Il décrit le malaise français comme une crise de la « post-modernité » dans laquelle la France est la première nation à entrer, et qui se caractérise par la toute puissance de l’individu. Dans cette phase, dit-il, tout est à réinventer : la capacité de vivre ensemble, le sentiment de la destinée nationale, et surtout la possibilité de protections collectives.
Dans l’échange que nous avons eu sur ce site en janvier, il considérait que la montée de l’individualisme est inscrite dans le sens de l’histoire et qu’on ne reviendra pas en arrière. Il propose comme solution un protectionnisme européen raisonnable, seul à même de recréer un sentiment de destinée nationale et de recréer des protections collectives.
Ce point a fait débat entre nous. Pour ma part, je considère que l’individualisme est, lui-même, en crise. Il est à la racine de tous nos maux, du libre échangisme, du mercantilisme, de la violence, du communautarisme et des diverses formes de corporatisme, de l’ingouvernabilité du pays, de l’impuissance publique et de la perte de vision de l’avenir.
Analyses après analyses, j’ai défendu la thèse selon laquelle l’aspiration profonde du pays est d’être gouverné, qu’il attend d’être de nouveau réuni par des principes et des valeurs partagées, que la France aspire à renaître en tant que Nation. Ma thèse est la suivante :
Emmanuel Todd nous a appris que la hausse du niveau d’éducation a entraîné dans toutes les sociétés un phénomène d’individualisation, qui s’est accompagné de la chute du taux de fécondité et de crises dîtes de « transition démographique » au cours desquelles les valeurs systémiques des nations ont été exacerbées dans un accès de violence : révolution française (libérale et égalitaire), révolution russe et fascisme (autoritaire et égalitaire), nazisme (autoritaire et inégalitaire), et aujourd’hui islamisme (autorité et inégalitaire dans un contexte endogame)
Ce mouvement d’individuation a été poussé à son paroxysme avec la révolution soixante-huitarde et a abouti à la décomposition de la Nation (libéralisme politique, construction européenne, libre échange, économie financiarisée, destruction des familles, confusion des sexes, permissivité, relativisme culturel ect …) Au vu des conséquences qui deviennent désormais patentes, l’individualisme est entré dans une crise profonde. L’individu se rend compte que sans la protection du collectif et sans règles communes, il n’est rien. Il est voué à la destruction, condamné à s’entre dévorer. En France, la forme naturelle du collectif, c’est la Nation. Il y a donc, selon moi, une force très puissante qui agit actuellement dans les profondeurs de la société pour reconstituer cette nation perdue et son Etat tout puissant.
Or, si l’on fait le parallèle, avec les crises qui ont marqué le début du processus d’individuation, cette crise de reconstitution de la Nation, peut engendrer une grande violence. Dans cette perspective, les épisodes que nous avons connus en 2001 et 2005 ne sont peut être que les prémisses d’une crise d’une ampleur bien plus grande.
Elle est désormais prête à exploser
Ce mouvement se décrit sur une échelle longue. Ce sont des mouvements de fond qui traversent l’inconscient des peuples. L’évènement nouveau c’est que nous sommes peut-être à l’aube d’une crise de ce type. Il me semble en effet que la campagne présidentielle est en train d’accélérer l’expression de ce retour du refoulé et l’émergence de cette crise « post-moderne » ou « néo-nationiste »
La révolte monte dans les milieux populaires …
Hier, j’ai lu une étude passionnante sur les milieux populaires, dont je conseille la lecture à tout ceux qui veulent comprendre (au moins la partie qualitative sur l’opinion) Elle est très instructive. J’en ai tiré trois enseignements.
1- Les milieux populaires vivent très directement les cinq crises dont je parlais en préambule, et notamment les ratés de l’intégration, la montée de la violence dans les relations entre personnes, et le phénomène de « descendeur social » Ces crises sont perçues comme une crise de la république, qui s’est détournée de sa vocation première de permettre l’épanouissement des individus.
2- Les processus à l’œuvre, notamment les poussées de violences tels que les émeutes de banlieues, sont littéralement incompréhensibles pour les milieux populaires, faute d’une doctrine ou d’une idéologie capable de les expliquer. Cette incompréhension conduit une pulsion de refus qui se traduit par un vote qui dit NON et qui n’est parfois pas dépourvue de violence.
3- Lorsqu’on vit dans les classes moyennes ou supérieures, dans des quartiers tranquilles, dans le monde des idées, et qu’on n’est pas exposé à la précarité économique (ce qui est mon cas), on a tendance à intellectualiser ces problèmes et sous estimer la révolte de ceux qui y sont confrontés. On a trop vite oublié la crise des banlieues. Elle a pourtant laissé de profondes séquelles dans les milieux populaires.
… et gagne l’ensemble de la société
Ce sentiment de révolte n’est plus circonscrit aux milieux populaires. Il est en train de gagner l’ensemble de la société. Le Non au TCE l’a emporté en 2005, parce que depuis Maastricht, les classes moyennes ont rejoint les classes populaires dans leur rébellion. Ce mouvement s’est encore amplifié depuis. Hier soir, à l’occasion d’une promenade dans la blogosphère, j’ai été terrifié par ce que j’ai lu, par la concordance des propos, la radicalité des positions, ce que certains qualifieraient de profonde lepénisation des esprits. Je n’ai lu que des appels à la fermeté, à l’ordre, au patriotisme, à la maîtrise de l’immigration, des dénonciations de la lâcheté des politiques, à la « dictature de loi » pour reprendre la formule qui a fait le succès de Vladimir Poutine.
Comment la crise "néo-nationiste" s'exprimera t-elle politiquement ?
Sarkozy en lançant le thème de l’identité nationale et de l’immigration a ouvert la boite de pandore. Tous les candidats et les médias se sont engouffrés dans la brèche. Même l’actualité semble vouloir s’y mettre avec cette hallucinante bagarre rangée de plusieurs heures, gare de Lyon, entre la police et 300 « jeunes » suite à une simple interpellation d’un voyageur sans titre de transport.
Il n’est pas besoin d’être devin pour savoir à qui profitera ces thèmes et ces évènements, mais plus que de savoir si Le Pen sera au deuxième tour ou même s’il a des chances de l’emporter, il me semble que la vraie question est de savoir où nous conduisent ces évolutions. Cette crise peut aboutir au meilleur comme au pire.
Les républicains dénoncent depuis plusieurs années les cinq fractures citées plus haut et ont construit des réponses. Elles se nomment souveraineté politique, protectionnisme européen, autorité de la loi, morale publique, patriotisme républicain, assimilation des populations étrangères, maîtrise du capitalisme financier. Malheureusement, ce courant d’idées n’a jamais su se structurer et imposer sa lecture des évènements et ses solutions. Il a réussi le tour de force d’être partout et nulle part à la fois dans cette campagne.
Pour se dénouer, cette crise a besoin d’un ennemi fédérateur pour reconstituer le sentiment national. Cet ennemi aurait pu – aurait du – devrait être - le libre échange, les exportations des pays à bas coûts ou le grand capital mondialisé. La Nation française aurait ainsi pu se retrouver dans un message universel et positif à faire partager à l’Europe et au Monde. Fin 18ème, la Nation s’est réunie autour de sa vision d’une société composée d’invidividus libre et égaux. En ce début de 21ème siècle, sa vocation serait de se reconstruire autour d’une vision d’une mondialisation composée de peuples libres (souverains) et égaux (équilibre des échanges commerciaux).
Malheureusement, je crains fort que compte tenu de l’offre politique actuelle et les termes du débat, l’ennemi fédérateur ne soit tout simplement le « système politique » et « ces bougnoules qui foutent le bordel et ne font aucun effort pour s’intégrer »
Il y a quelques mois, je disais que la France avait envie d’être gouvernée. Aujourd’hui, je me demande de plus en plus, si elle n’est pas mûre pour un régime autoritaire de type national-populiste, xénophobe et sécuritaire.
On peut effectivement se poser cette question.
J'ai ds mon commentaire sur la perspective d'une 6ème république mis ce que je pense être en cohérence avec ce dernier article de malakine.
Je renvois donc à celui ci pour lancer le débat.
la responsabilité de nos gouvernements est clairement engagée.
Mais une formule ne dit elle pas que en démocratie les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent.
Sauf que en France la démocratie est privée de son pilier central qu'est la souveraineté populaire.
La boucle est bouclée.
Rédigé par : chavinier | 28 mars 2007 à 21:31
En disant "mûre", tu sembles approuver ce choix! pour ma part je le redoute depuis plusieurs années, en voyant que les politiques ne savent plus répondre au désespoir du peuple. car c'est par la dictature que fini toute société décadente pour pouvoir renaître ensuite!! c'est ça où la révolution.
Rédigé par : Castor | 28 mars 2007 à 21:35
Restons calme.
N'ayons pas cette tentation délirante ou désespérante consciente ou non du régime autoritaire.
Il n'est pas possible de bâtir sur des sables mouvants. Jouer avec la question nationale ici et maintenant, c'est à coup sûr monter les gens les uns contre les autres.
La République est le pire des régimes c'est bien connu, à l'exception de tous les autres.
Je peux vous parler de la nation et du drapeau. J'ai servi sous les drapeaux plus de trois ans. La République saura bien être ferme s'il le faut et elle doit l'être avec les fauteurs de troubles à l'ordre public.
Elle en a le droit, le devoir et les moyens sans qu'il soit besoin pour cela d'appeler ou de fantasmer sur un régime "autoritaire" qui ne ferait qu'ajouter l'arbitraire et le non droit au désordre et à la confusion. La France mérite mieux que cela et d'ailleurs, elle ne le tolèrerait pas.
Le plus urgent n'est pas de disserter sur la nation mais d'amener au pouvoir des élus travailleurs, modestes dans leur rapport au pouvoir, mais responsables, soucieux du bien public, qui éviteront les déclarations intempestives qui, dans le contexte présent, peuvent effectivement mettre le feu aux poudres.
L'objectif primordial, il me semble, c'est plutôt d'améliorer les fondamentaux de notre économie pour que la nation retrouve progressivement sa cohésion sociale et assume dans la transparence et autant que faire se peut par le dialogue et la négociation, les réformes nécessaires.
Ce qui nous fait défaut, ce n'est pas tant un régime autoritaire que des syndicats puissants et responsables pour peser dans le dialogue social.
Rédigé par : Marcus | 28 mars 2007 à 22:05
@ castor
Tu as bien compris le sens de l'article. C'est le régime autoritaire ou la révolution. C'est bien ça ..
@marcus
Qu'on le veuille ou non, le débat sur la nation est là. Il ne s'est pas posé dans les termes que les souverainistes souhaitaient mais il est là.
De plus, ton aspiration social démocrate suppose que la nation soit au préalable restaurée. Le dialogue social suppose que patrons et ouvriers se sentent liés par un sentiment de solidarité et une même envie d'aller de l'avant, collectivement. Aujourd'hui, c'est le règne du chacun pour soi et après moi le déluge.
Je précise que la dernière phrase parle d'une évolution de la société française. Ce n'est ni un souhait, ni une prédiction quand au nouveau gouvernement. Je ressens de plus en plus, un fort désir de nation, d'Etat et d'autorité. La question c'est quelle forme prendra cette aspiration. J'aimerais qu'elle prenne une forme républicaine (intérêt général et protections collectives) Je crains qu'elle ne se traduise en désir d'ordre et en xénophobie.
Rédigé par : malakine | 28 mars 2007 à 22:39
Mon cher Malakine,
Je suis globalement d'accord avec toute cette analyse, mais pas avec le passage suivant:
"Les processus à l’œuvre, notamment les poussées de violences tels que les émeutes de banlieues, sont littéralement incompréhensibles pour les milieux populaires, faute d’une doctrine ou d’une idéologie capable de les expliquer. Cette incompréhension conduit une pulsion de refus qui se traduit par un vote qui dit NON et qui n’est parfois pas dépourvue de violence. "
J'ai vécu six mois en 2006 dans une "Barre d'immeuble" ou j'étais pratiquement le seul "français de souche" dans mon "entrée" et sur huit étages, et je peux vous dire (Et je pense que TODD serait d'accord avec moi), que ce ne sont pas les classes populaires qui ne comprennent pas ce qui se passe !
Ce sont bel et bien les élites et singulièrement les élites politico-médiatiques qui ne savent rien de ce qui se passe dans les banlieues.
Pour que nos gouvernant puissent comprendre ce qu'il faut faire dans les banlieues, il serait judicieux qu'ils commencent par se renseigner.
Hors, Malek Boutih avait essayé de renseigner le P.S. mais leur volonté "DE NE PAS SAVOIR" a été la plus forte et les autres partis ne sont pas en reste.
Comme le dit Kurt Vonnegut Jr. "On ne peut demander à des gens qui n'ont jamais eu faim de comprendre les gens qui n'ont pas de quoi se nourrir" (il disait ça à propos des sénateurs Américains qui envoyaient les « boys » en Irak, mais bien sûr pas les leurs!) .
Rédigé par : Gilbert Sorbier | 29 mars 2007 à 11:09
Gilbert,
J'aurais aimé que vous donniez votre interprétation ! La lecture des émeutes en tant que révolte sociale se heurte au fait que les émeutiers ont brûlés les voitures de leur voisins et non pas celles des quartiers bourgeois. La grille de lecture marxiste, du conflit de classe, est inopérante face aux poussées de violence parfois gratuites que les banlieues connaissent régulièrement.
Voir sur ce point mon analyse perso de la crise des banlieues, développées dans un article de l'automne. Je viens de le relire et je n'ai pas à en changer une ligne.
http://horizons.typepad.fr/accueil/2006/11/pourquoi_la_ban.html#more
Rédigé par : Malakine | 29 mars 2007 à 11:23
Je viens de lire votre analyse sur les banlieues,
c'est très, très bien vu.
J'ajouterais que toutes les forces de la nations jouent en faveur d'une cristallisation de l'Islam pour en faire une force politique majeure d'ici à 10 ans:
L'angélisme de la médiacratie ajoutée à celle du PS. Le défi permanent des forces d'extrême gauche dans les organismes d'états qui bravent la loi en permanence pour favoriser l'attribution d'aides aux illégaux.
La "trouille monumentale" du pouvoir UMP d'affronter la reconquête des zones de non droit.
Tout concours à encourager l'Islam politique en France.
On le voit encore Hier, gare du Nord, ou une centaine d'émeutiers a pu casser et piller les magasins de la galerie marchande en toute impunité.
Si je n'avais pas regardé Euronews, je ne le saurais pas (La presse française n'y fait guère allusion).
Rédigé par : Gilbert Sorbier | 29 mars 2007 à 16:47