L’année politique commence fort par une puissante controverse sur un sujet important et complexe. Sarkozy avait lancé l’idée du droit au logement opposable dans ses discours sans que cela fasse beaucoup de bruit, probablement parce que la proposition apparaissait comme une promesse de campagne quelque peu démagogique et surtout franchement utopique, mais voilà que Chirac reprend à son compte la proposition lors de ses vœux aux français et demande au gouvernement de le mettre en œuvre en toute urgence ! Alors ? Promesse électorale légalisée ou vraie avancée des droits sociaux ?
Certains y ont vu une manœuvre tactique destinée à saboter la campagne de Sarkozy. D’autres une posture destinée à préparée une cinquième candidature à la présidentielle (voir à ce propos l’excellent article que Laurent Bazin a consacré à cette affaire sur son blog) Les associations ont plutôt bien accueilli la proposition en s’efforçant d’y voir une avancée des droits sociaux pour les personnes les plus modestes.
Pour ma part, je n’arrive pas à trouver cette mesure sympathique. Elle me paraît au contraire emblématique de tout ce que la gouvernance actuelle a de détestable et d’improductive.
Tout d’abords en raison de la manière dont elle surgit dans l’actualité politique. L’idée est en fait dans l’air depuis longtemps. Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées y travaille depuis plusieurs années et y a consacré de nombreux rapports, dont un dernier remis en octobre dernier, mais il a fallu un coup médiatique organisé par les don quichottes et la mobilisation de quelque peoples venus passés une nuit sous la tente pour que le président se saisisse du dossier et enjoigne au gouvernement de régler le problème toutes affaires cessantes !
Ca rappelle le coup des pensions pour les anciens combattants des colonies que Chirac a décidé de régler après avoir vu le film indigène. Désormais, il est clair, les seuls problèmes qui méritent d’être traités sont ceux dont on parle au journal de 20 Heures. Les comités, les experts, les rapports, le travail des parlementaires, tout ce que la république compte d’organismes d’observations, d’analyse, de prospective, tout cela ne compte plus. Seul compte le bruit médiatique et l’émotion de l’opinion !
Si encore, il s’agissait de régler un problème, mais la mesure est au mieux purement symptomatique, au pire une simple promesse électorale sans lendemain érigée au rang de principe législatif.
La pénurie de logements et, d’une manière plus générale, la hausse du coût de l’immobilier, est le fruit de toute une économie à laquelle participent divers dispositifs publics (APL, aides à la pierre, exonérations fiscales, règles d’urbanisme, plans divers et variés) et un nombre incalculable d’acteurs publics et privés. Nul ne peut être déclaré seul responsable de ce secteur et rien ne peut rien faire sans la participation de tous. Manifestement ce système, qui n’est ni libéral, ni clairement interventionniste, mais très compliqué, ne produit pas d’excellents résultats.
Une vraie réforme consisterait à analyser les facteurs de la construction de logements neufs et les paramètres de la hausse des loyers, remettre le dispositif d’intervention publique à plat pour faire en sorte que le système, à défaut d’assurer une vraie régulation du marché immobilier dans son ensemble, puisse au moins fournir des logements décents à des conditions financièrement accessibles à tous.
Trop compliqué ! Le gouvernement a préféré ne s’attaquer à aucune cause. On ne réformera rien. On ne mettra pas plus de moyens. On ne simplifiera pas d’avantage le jeu d’acteurs. On ne s’attachera pas à rendre le dispositif plus efficace. On se contente de garantir un droit et de présumer qu’ainsi le système sera obliger de fonctionner. Comme la politique est devenue simple ! L’action publique est complètement passée à la trappe, seule compte la compréhension que s’en fera l’opinion. Ainsi, dans quelques années les politiques pourront définitivement se sentir dédouanés de toute responsabilité en voyant des SDF. Ce sera simplement de la faute de ces pauvres bougres qui n’auront pas su saisir le tribunal administratif pour faire valoir ses droits ! Les cons …
L’idée du droit opposable, telle qu’initialement défendue par Sarkozy était de conférer une obligation de résultat à des collectivités locales dans l’exercice de leurs compétences (logement social, scolarisation d’enfants handicapés, garde d’enfants)
L’idée est quelque peu gênante sur le plan des principes car elle tend à substituer un contrôle judiciaire au contrôle démocratique qui est sensé peser sur les élus locaux. Ce mode de régulation accrédite donc, quelque part, l’idée que sans contraintes juridiques, les élus locaux, sont incapables de s’attacher spontanément à la satisfaction des besoins de leurs populations. Je préfèrerais pour ma part que l’on renforce la qualité des processus de gouvernance des collectivités, mais après tout pourquoi pas. Tout ce qui contribue à la responsabilisation des titulaires d’écharpes tricolores va dans le bon sens.
L’idée suppose toutefois qu’il y ait un responsable et un seul, doté de toutes les compétences lui permettant d’agir et d’exercer effectivement sa responsabilité. Seulement voilà, notre décentralisation ayant été faite n’importe comment, en multipliant les autorités compétentes, et en ayant émietté lesdites compétences entre les différents échelons territoriaux, les organismes publics, les structures ou les procédures partenariales, l’Etat lui-même ayant conservé des prérogatives substantielles. Finalement nul n’est responsable de rien.
Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées le souligne d’ailleurs dans son rapport « l’opposabilité suppose de clarifier les obligations que le droit au logement entraîne pour chaque niveau de la puissance publique » L’établissement d’une véritable responsabilité aurait en effet exigé de remettre à plat ce système institutionnel inextricable et déléguer à une collectivité ou à une structure publique clairement identifiée, des compétences claires et non partagées, en matière de logement social, autrement dit construire un vrai service public du logement social.
Pressé par Chirac de sortir cette mesure dans les trois mois, il n’était pas évidemment question de se livrer à un tel travail de fond. Si le gouvernement suit les propositions du haut comité, élaborées à configuration constante, il en ressortira une véritable usine à gaz (1), qui au final, désignera comme responsable de premier niveau … l’Etat ! Belle décentralisation qui ne peut désigner un responsable local dans une matière d’essence aussi territorialisée !
Concrètement, il est à parier, que cette mesure va concrètement se traduire par une nouvelle dépense publique. L’Etat sortira son carnet de chèque pour payer un logement à tous ceux qui prouveront en être démuni, soit en prenant directement à sa charge le loyer dans le parc privé, soit en en garantissant les loyers à travers un fonds de mutualisation des risques locatifs.
Il ne s’agira donc que d’une mesure symptomatique qui aura vocation à masquer les effets d’un système que l’on sait pervers, tout en le maintenant en l’état. Il s’inscrira donc dans la lignée de ses grandes réformes sociales et dépensières qu’ont été le RMI comme seule réponse à la disparition des emplois non qualifiés, la prime pour l’emploi comme seule réponse à la stagnation des salaires, ou aux formations dite de reconversion offertes aux victimes de la mondialisation. Une réforme de gauche diront certains. Une mesure munichoise diront d’autres. Il est tellement plus facile de régler un problème par une dépense publique que par une réforme de structure susceptible de traiter le problème à la racine.
Car si aucune réforme structurelle ne vient casser le double mouvement de hausse de l’immobilier et de stagnation des salaires, de plus en plus de salariés seront dans l’incapacité de se loger décemment avec les revenus de leur travail. Les dépenses d’aides au logement en direction des plus modestes vont donc exploser, qu’il s’agisse de l’APL (dont le haut comité demande d’ailleurs le relèvement des barèmes pour suivre l’augmentation des loyers) ou de ces nouvelles dépenses liées à l’exercice effectif du droit au logement. Il en résultera de nouvelles charges, qui seront comme toujours pèseront d’une manière ou d’une autre, sur les revenus des classes moyennes actives, les rapprochant toujours un peu plus du seuil de la précarité …
La question du logement est pourtant une vraie question, qui est à l’origine non seulement d’une nouvelle forme d’exclusion, mais aussi de l’écrasement du pouvoir d’achat des classes moyennes, de la montée des inégalités entre détenteurs de patrimoine et ceux qui ne vivent que de leur travail, et qui est aussi des leviers majeurs pour la maîtrise de la consommation d’énergies fossiles. Elle appelle de vraies réponses et des réformes de structures courageuses, dont la première semble être de relancer la machine à construire des nouveaux logements.
(1) Il suffit de jeter un coup d’œil sur le schéma page 43 du rapport pour se faire une idée de la complexité de la chaîne de responsabilité.
Droit opposable au logement - 8 janvier 2007
Ces dernières années, nos parlementaires, toutes tendances confondues, nous ont habitués au vote de lois mémorielles (la loi pénalisant la négation du génocide arménien, celle parlant d’aspects "positifs" de la colonisation ou encore celle traitant de la question des traites négrières transatlantiques). Malgré cela, notre parlement ne parvient pas à faire oublier combien les représentants du peuple français, dont le rôle est de voter la loi, se comportent en réalité en simple chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs.
Dans un décor où l’essentiel du travail parlementaire consiste à transcrire des directives européennes, après les lois mémorielles et alors qu’au 26 juillet 2006 35% des lois votées depuis le début de la législature n’étaient pas en application parce que le gouvernement n’avait pas publié les décrets, celui-ci apporte aujourd’hui une dernière innovation : une loi rendant opposable le droit au logement en France.
Résoudre le problème des sans-logis et des mal-logés passerait donc par le vote en toute urgence par un parlement caporalisé, d’une loi déposée par le gouvernement, permettant aux mal-logés et aux sans-logis d’attaquer le gouvernement en justice pour obliger celui-ci à agir !
Malgré l’embouteillage de projets de lois à discuter avant la fin de la législature, la majorité estime qu’il n’y a rien de plus urgent que d’affirmer qu’il faut agir.
Les modalités concrètes d’applications n’étant pas précisées nous ne pouvons pas encore savoir si cette loi débouchera sur un engorgement judiciaire de citoyens portant plainte contre l’Etat ou une collectivité locale, mais il est certain que les plus démunis ne seront pas les plus habiles à porter plainte. Et ce qui l’est encore plus, c’est que cette judiciarisation, derrière sont apparente ambition, n’aide pas à trouver des solutions aux problèmes posés : pénurie de logements, manque de financement, manque de volonté politique pour construire du logement social, spéculation immobilière.
Il ne s’agit malheureusement là que d’une forme inédite de promesse électorale, dernière trouvaille des communicants qui pilotent la campagne électorale.
Source: http://www.plateforme2007.net/spip.php?breve6
Rédigé par : Plateforme2007 | 16 janvier 2007 à 18:00