Ce week-end a été marqué à la fois par le retrait de Jean-Pierre Chevènement et l’incapacité des anti-libéraux à présenter un candidat unitaire sérieux. Ségolène Royal en sort donc considérablement renforcée. Elle est désormais hégémonique à gauche. Il n’y a plus personne pour la concurrencer ou même lui apporter des voix pour le second tour. Elle, et rien qu’elle, même au sein de son propre parti.
Ségolène Royal est un véritable OVNI politique. Il y a un an, elle n’était qu’une présidente de région, dotée d’une sérieuse popularité, mais sans vrai poids politique. Aujourd’hui, elle est la favorite incontestée de l’élection et porte les espoirs de toute la gauche réunie. Entre temps, elle a réussi le tour de force de mettre sur la touche, Jack Lang, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius et maintenant Jean Pierre Chevènement ! La liste ne s’arrêtera sûrement pas là. Les verts et les communistes risquent de ne pas résister longtemps à cette vague de Ségomania qui submerge tout.
On n’avait pas vu une telle unité de la gauche depuis 1974. A l’époque, le candidat était le premier secrétaire du parti socialiste. Il avait déjà une campagne présidentielle à son actif ainsi qu’une riche expérience ministérielle derrière lui. Il s’appelait François Mitterrand
Ségolène Royal n’a pour elle, ni légitimité partisane, ni légitimité historique, ni même de doctrine idéologique, et guère d’expérience politique. Elle est arrivée là avec un discours flou, fait de références aux valeurs et de slogans creux, une éloquence piteuse, un verbe plat et hésitant, parsemé de fautes de français, des bourdes retentissantes et quelques propositions proprement ineptes.
Néanmoins, Ségolène Royal incarne désormais tous les espoirs de la gauche, de la prise en compte des enjeux écologiques, au rétablissement de l’ordre, en passant par la réconciliation du peuple avec la classe politique et la lutte contre la vie chère. Désormais, il lui revient d’incarner aussi l’espoir du sursaut républicain et la réorientation de la construction européenne.
A ce niveau, on n’est plus dans l’évènement politique, mais dans le phénomène de société.
Manifestement Ségolène Royal, par sa personnalité et son positionnement, s’est trouvé en phase avec des mouvements profonds de la société : Féminisation du pouvoir, rejet des élites, fin du libertarisme soixantuitard ... Les sociologues analyseront. L’enjeu aujourd’hui n’est pas là. Une élection présidentielle n’est pas qu’un reality-show au terme duquel le peuple choisit la personnalité qui la représentera pendant cinq ans. C’est aussi une séquence au cours de laquelle le peuple détermine la ligne politique qui devra être suivie par ses gouvernants. Et en la matière, c’est toujours le brouillard le plus épais.
Je disais dans mon tout premier post que l’enjeu de l’élection présidentielle de 2007 résiderait plus dans la ligne politique qui en ressortira, que dans le nom du futur titulaire du poste tellement le système idéologique était instable. Aujourd’hui, on connaît les acteurs. On connaît peut-être déjà l’élue, mais on n’a toujours aucune idée du contenu.
On ne connaît aujourd’hui de Ségolène ni sa politique pour lutter contre le chômage et recréer de la croissance, ni son projet pour relancer l’union européenne, ni sa politique pour l’immigration, ni la traduction exacte qu’aura dans sa présidence, sa passion pour la démocratie participative, ni ses positions sur le financement des retraites et le redressement des comptes publics. On ne sait rien de ses positions sur l’essentiel.
On ne sait toujours pas si au-delà du changement de style et de génération qu’elle incarne, elle portera une ligne politique de rupture, et si oui de rupture avec quoi.
La magie du Ségolénisme est là. Ne rien dire de clair, préférer les slogans et les phrases chocs au discours, mais dans toutes les directions, surtout ne pas hésiter à se contredire mais toujours nier les reniements et la contradiction avec force et un grand sourire, le but étant d’apparaître comme un phénomène de renouveau, l’incarnation du peuple tout entier rassemblé en sa personne de manière à lui permettre à tous de projeter ses désirs et ses attentes. Un chiraquisme version sexy en somme …
Avec Ségolène, on ne sait pas où on va, mais on y va, tous, aveuglément, simplement parce qu’elle promet la victoire et qu’on la préfère à Sarkozy. On fonce tel des consommateurs sur un bel emballage sans se soucier de la qualité du produit qu’il contient. C’est effrayant.
Pour prendre une autre image, la stratégie de cette campagne consiste à ériger une belle statue, à se prosterner devant, à lui adresse nos prières et ensuite attendre ses paroles pour écouter ce qu’elle a dire, dévotement. Ségolène Royal est une surface lisse sur laquelle chacun projette ses espoirs, une véritable auberge espagnole.
C’est non seulement anti-républicain au possible mais aussi dangereux sur le plan strictement électoral. Une popularité fondée sur la projection peut se retourner très vite, notamment lorsque l’opinion commencera à se former et que les Français rechercheront des réponses concrètes à leurs préoccupations. Chercher à cristalliser sur sa personne tous les espoirs, même les plus contradictoires, est aussi le moyen le plus efficace de les décevoir tous, pour ne plus en incarner aucun.
La route est encore longue, très longue. Dans notre système institutionnel absurde, l’échéance ce n’est même pas mai 2007, c’est Juin 2007 et les législatives. L’élection se joue à quatre tours, où les deux derniers sont déterminants et où le candidat se présente devant les citoyens en situation de responsabilité, avec son gouvernement au complet. Si c’est Jean Marc Ayrault, Jean Louis Bianco ou Michel Sapin qui mène la campagne en tant que chef du gouvernement, le registre charismatique qui aura fait l’élection présidentielle risque d’en prendre un coup !
Il faut garder en mémoire ce que disait Emmanuel Todd au « franc parler ». L’électorat flotte de plus en plus tellement il est désespérément à la recherche de solutions à ses problèmes. Si, en plus, on a des candidats « décrochés » de toute référence idéologique, qui flottent eux aussi, le résultat de l’élection devient imprévisible. Une élection de Ségolène Royal pourrait, dans cette hypoyhèse, se conclure par une cohabitation de 5 ans.
Il sera impossible de tenir jusqu’au bout avec la seule popularité de Ségolène Royal en porte étendard. La candidate de la gauche unie, puisqu’il faudra maintenant l’appeler ainsi, devra tôt ou tard se doter d’un contenu politique. Le ralliement de JPC vise à lui en donner un. C’est une forme d’OPA sur la popularité qu’il tente. Elle a construit un bel emballage qui plaît au consommateur. Il veut y mettre son produit. Je lui souhaite bonne chance … Il ne sera certainement pas le seul à tenter le coup.
Rien ne garantit le succès de l’entreprise. Rappelons nous la campagne de Chirac en 1995, lui aussi doué d’un exceptionnel potentiel d’incarnation et d’empathie. Il s’appuyait à la fois sur le logiciel libéral de Madelin, le logiciel social-souverainiste de Seguin et le logiciel technocratique de Juppé. Chirac, a réussit à se faire élire en surfant alternativement sur les trois. Cette « synthèse » n’a cependant pas tenu très longtemps à l’épreuve du pouvoir. Trois mois après l’élection, Chirac nous rappelait aux réalités. On se souvient de la suite …
Chevènement risque avec son ralliement de se trouver dans le rôle de Madelin auprès de Chirac. Une partie de son discours sera repris par la candidate. Il aura une place au balcon le soir de l’élection pour saluer la foule. Il aura un joli portefeuille ministériel dans le premier gouvernement … et il démissionnera une nouvelle fois avec fracas après seulement quelques mois !
Je partage totalement cette analyse.
Avec S. Royal, le pire et le meilleur sont possibles. Le pire n'est pas sûr (il faut espérer que J.P. Chevènement et A. Montebourg soient les plus influents) mais le meilleur n'est pas le plus probable (cf. le vote de la fédération parisienne du PS avec ses nombreuses jeunes élites).
Rédigé par : Playtime | 16 décembre 2006 à 17:20