J’ai toujours été très réservé sur le projet de chaîne française d’information internationale, sa vocation m’étant toujours apparue assez floue. L’idée de faire entendre la voix de la France ne mérite pas d’être condamnée en soi. C’est plutôt un objectif louable. En revanche, le projet, pose un certain nombre de questions dans sa définition même. Sa genèse particulièrement longue et chaotique rend bien compte de la difficulté qu’on eut ses promoteurs à le définir précisément. Et, ils n’y sont peut-être toujours pas parvenus. Malgré une gestation de près de 20 ans, la version définitive apparaît comme une série de compromis boiteux.
La question de ses partenariats possibles avec les autres chaînes à vocations internationales (Euronews, TV5 Monde et RFI), a longtemps retardé le projet. Finalement, France 24 est devenue une chaîne ex-nihilo qui n’est coordonnée avec aucune autre. Cet éparpillement des moyens risque d’affaiblir l’ensemble du dispositif et d’entraîner une concurrence entre des chaînes à la vocation très proches, notamment en France avec les chaînes d’info du câble. On peut en particulier regretter que le projet n’ait pas pris appui sur l’excellente chaîne Euronews, à laquelle il suffisait peut-être de donner plus de moyens.
L’idée de vouloir exprimer la voix de la France à l’étranger, à partir d’une chaîne indépendante dont le capital sera détenu à 50 % par TF1 ne manque pas d’étonner. Il me semble que l’esprit du projet recommandait d’en faire une chaîne 100% publique, plus ou moins, pilotée par le Quai d’Orsay. L’idée que la vision française du monde soit perçue à travers le prisme de l’idéologie journalistique ne peut qu’inquiéter. On connaît trop le parti pris anti-russe de la classe journalistique, son ignorance totale des questions économiques et sa fascination pour le modèle américain. Le risque de diffuser une vision journalistique qui n’aura rien à voir avec la lecture du monde de la diplomatie française est rendu plus aigu par le recrutement de journalistes à double nationalité.
Il n’y a pas si longtemps, il nous a été proposé une constitution européenne qui prévoyait la création d’un ministre des affaires étrangères. On aurait pu en conclure que l’orientation nouvelle du gouvernement était de faire émerger une diplomatie européenne dont France 24 aurait pu être relais médiatique. Non. F24 entend faire entendre la voix de la France, et rien que celle de la France.
Pourtant, le poids de la France sur la scène internationale est d’autant plus fort qu’elle peut entraîner derrière elle l’Europe entière (1). Il aurait été donc intéressant de s’adresser en priorité aux peuples européens pour contribuer à la formation d’une sensibilité commune. Le choix des langues de diffusion (français, anglais, arabe et espagnol) traduit au contraire une volonté de s’adresser directement au monde et en particuliers aux élites mondiales, pardon « aux leaders d’opinion », sans utiliser la caisse de résonance que peut constituer l’Europe. A titre de comparaison, Euronews est diffusé en sept langues européennes, dont le Russe. Ce n’était donc pas un problème technique.
Le rayonnement de la France ne peut se résumer à sa diplomatie et à son regard sur le monde. Sa culture et sa langue y participent aussi. Malheureusement, F24 sera écoutée à l’étranger, en anglais ou en Arabe, et sera une chaîne 100 % infos.
J’ajouterais une dernière réserve qui n’a pas grand-chose à voir avec le projet lui-même, mais qui s’inscrit un souci d’aménagement du territoire. La chaîne est localisée à Issy les Moulineaux. L’Etat prétend soutenir la « métropolisation » des grandes agglomération de province, mais dès qu’il créé une institution nouvelle, c’est toujours à Paris !
Ce projet semble bien trop mal né pour réussir. En cela, il est caractéristique de la mal gouvernance dont souffre le pays. Quand on ne sait pas quel objectif on poursuit exactement, on n’a aucune chance d’en atteindre aucun.
A priori, c’est un beau gâchis et une belle occasion manquée de faire rayonner dans le monde, la langue, la culture, et la diplomatie françaises, tout en contribuant à l’émergence d’une représentation commune du Monde dans l’Union européenne. Mais, sait-on jamais ? On n’est pas à l’abri d’une bonne surprise. A suivre …
(1) Voir à ce propos la postface d’ « Après l’empire » que je viens de publier, où Todd considère que la France n’aurait pas pu s’opposer avec tant de fermeté aux Etats-Unis, sans le soutien des opinions publiques européennes, et en particulier celle du peuple allemand.
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