Jean Pierre Chevènement est vraiment un homme politique atypique. Au lieu de lancer sa campagne par un livre programme comme tous les autres candidats le font, il publie un essai de haute tenue intellectuelle sur l’histoire de la construction européenne et ses perspectives d’avenir après le non. « La Faute de Monsieur Monnet ».
L’ouvrage est brillant, entre essai historique qui tente de décrypter le logiciel de la construction européenne depuis l’origine de sa création, et philosophie politique sur la conception de la Nation. Comme on peut s’y attendre, c'est un procès à charge contre le père de l’Europe, accusé à la fois d’appartenir dès sa jeunesse aux « élites mondialisées » et d’avoir voulu construire l’Europe pour détruire les souverainetés nationales et dans une inféodation à l’empire américain. Il est aussi un plaidoyer pour une Europe des Nations qui substituerait la notion de délégation de compétences à celle de souveraineté partagée, pour une Europe de la coopération gouvernementale, plus ou moins « à la carte », et bien évidemment pour une Europe puissance pleinement européenne, définitivement libérée de la tutelle américaine.
Jusque là, rien de nouveau. L’intérêt de l’ouvrage réside, selon moi, dans le projet Européen de Jean Pierre chevènement.
La Nation étant le substrat indispensable à tout Etat dans la pensée de JPC, il est intéressant de noter qu’il ne nie pas l’existence d’une « République Européenne ». Il reconnaît en effet l’existence d’un sentiment d’appartenance ancien à une aire de civilisation commune. Il ne semble d’ailleurs pas rejeter formellement l’émergence d’une Nation Européenne sous réserve qu’elle stabilise ses frontières, qu’elle se dote d’un ou plusieurs ennemis et qu’elle se dote d’une identité historique à partir de l’esprit des lumières. Jean Pierre Chevènement se range dans la catégorie des Euro-réalistes, plus volontiers que dans celle des Nationalistes.
Le projet pour l’Europe de JPC se résume en ces quatre points :
- Privilégier la croissance interne et la cohésion sociale, d’abords au sein de la zone Euro, véritable cœur et locomotive de l’Europe. Pour cela, remettre en cause le carcan déflationniste mis en place par le traité de Maastricht et instaurer, quel qu’en soit la forme, une protection, si possible communautaire.
- Viser la construction d’une grande Europe incluant la Russie
- Définir une politique au moyen orient, ou au moins celle de quelque pays (Espagne, France, Italie) indépendante des objectifs de la politique américaine
- Arrimer le monde arabe et l’Afrique au développement de l’Europe.
Le cœur de la projet Chevènementiste réside dans la mise en place d’un gouvernement économique européen doté d’une politique budgétaire et de politiques budgétaires et fiscales coordonnées, afin de créer un « espace Keynesien véritable ». Il suffit pour cela de convaincre l’Allemagne de «privilégier le développement de la zone euro et de l’Europe au détriment de sa compétitivité sur les Pays tiers ». Plusieurs arguments (déjà développés par Emmanuel Todd au Franc parler la semaine dernière) plaident en faveur de cette solution.
- L’Allemagne est le seul pays européen excédentaire dans ses échanges avec les Pays tiers, ce qui constitue une source de tension et risque d’aboutir à l’éclatement de la zone euro.
- Elle réalise 40 % de ses exportations au sein de la zone euro et 70 % dans la grande Europe (incluant la Russie). Elle trouverait donc un intérêt à une politique qui viserait à soutenir la demande globale au sein de l’UE.
- La compétitivité de l’Allemagne est fragilisée par la dépréciation du dollar et l’émergence de la chine dans la production de biens d’équipement.
- La stratégie actuelle de l’Allemagne privilégiant une adaptation offensive aux défis de la mondialisation au détriment de sa demande interne, pourrait en cas d’échec plonger toute l’économie européenne dans la récession.
Ce projet visant à faire émerger et à protéger un marché intérieur européen apparaît donc une voie alternative, plus que crédible, au modèle actuel de libre échange généralisé présenté par la pensée dominante comme l’horizon indépassable de la modernité. Il ne reste plus qu’à populariser cette idée dans la campagne présidentielle !
L’ouvrage m’a en revanche laissé sur ma faim en ce qui concerne la perspective d’une grande Europe incluant la Russie. Manifestement JPC n’a pas les idées très claires sur la manière d’intégrer la Russie dans le fonctionnement des institutions européennes.
Je suis d’autant plus déçu que je crois très fortement à cette idée. Il n’y aura jamais d’Europe Puissance sans la Russie, que ce soit en matière diplomatique, énergétique, militaire, ou scientifique. L’axe Chirac-Schröder- Poutine qui a émergé en 2003 est l’embryon de cette grande Europe continentale. Il reste aujourd’hui à faire émerger une proposition réaliste d’association institutionnelle de la Russie à l’Union Européenne. Je reviendrais prochainement sur ce point au travers d’une contribution spécifique.
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