Vendredi dernier, le départemental des Ardennes a été appelé à faire une grève générale pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur ses difficultés économiques. Il subit actuellement plusieurs plans de suppression d’emplois, principalement dans la sous-traitance automobile. Le département du Haut Rhin, lui aussi, s’inquiète en ce moment des suppressions d’emplois en cours et en projets dans l'industrie, et notamment aussi dans la filière automobile.
Le désespoir des régions industrielles est un phénomène largement sous estimé dans les médias et le discours de la classe politique, qui enfermés dans une vision parisienne de l’économie, peinent à appréhender les réalités des territoires. La mondialisation vue de la capitale, n’est pas la même que dans une région de vieille industrie qui voit ses emplois et ses actifs disparaître inexorablement. L’autre raison pour laquelle cette réalité est ignorée est que nul n’a de réponse à la hauteur des enjeux à proposer.
Le discours officiel face à la mondialisation et aux mutations économiques qu’elle induit est le suivant : Face à la concurrence des pays à bas coût, les pays développés n’ont pas la capacité de lutter pour préserver leurs emplois de production à faible valeur ajoutée. Ils doivent accepter la mutation en favorisant la création d’emplois dans les services, l’innovation, la technologie, l’économie de la connaissance. Récemment, livre de Daniel Cohen « Trois leçons sur la société post-industrielle » est venu réaffirmer le dogme de manière très claire et très pédagogique. La part de la production dans les produits manufacturés est devenue marginale. Elle n’est donc pas un enjeu. Aujourd’hui la valeur ajoutée se créé, dans la conception, le marketing, la vente ect …
Malheureusement ce qui vaut au niveau macroéconomique ne vaut pas nécessairement au niveau des territoires. La logique de territorialisation des emplois de services et des emplois industriels n’est pas du tout la même. Comme l’agriculture autrefois, l’industrie permet de localiser des emplois à peu près indifféremment sur le territoire. Tel n’est pas le cas des emplois de l’économie « post industrielle » Les « emplois métropolitains supérieurs » (R&D, finance, marketing …) prospèrent dans les grandes métropoles, là où on trouve de la main d’œuvre hautement qualifiée et une visibilité européenne. Quant à l’économie résidentielle (commerce, artisanat, services aux personnes …) elle se développe dans les zones en croissance démographique et là où se trouve du pouvoir d’achat.
Jusqu’ici, les territoires de reconversion ancienne (mines, sidérurgie) ont pu, tant bien que mal, se réindustrialiser avec la filière automobile. Dans le nouveau contexte marqué par la désindustrialisation (ou plutôt à la disparition des emplois industriels de production), il n’est d’autre voie que la tertiarisation.
Or, cette mutation n’est pas à la portée de tous les territoires. Un territoire de tradition industrielle ne peut créer ou attirer des « emplois métropolitains supérieurs » en nombre suffisant pour créer une dynamique autour de l’économie de la connaissance, pas plus qu’il ne peut compter sur l’économie résidentielle. Au final, la création d’emploi dans les services est trop faible pour pouvoir absorber les suppressions d’emplois dans l’industrie et c’est l’engrenage infernal. L’impasse. Le déclin inexorable : Suppression du nombre global d’emploi, solde migratoire négatif surtout chez les jeunes, diminution des naissances, érosion de la base fiscale supprimant toute capacité de réaction aux collectivités locales, faible attractivité limitant les capacités de rebonds …
La crainte majeure des territoires industriels porte aujourd’hui sur l’industrie automobile qui entre à son tour en restructuration. On sait très bien qu’elle sera de moins en moins pourvoyeuse d’emplois du fait des gains de productivité et de la saturation des marchés occidentaux, mais si elle venait à disparaître, soit par délocalisations à l’est, soit par invasion de véhicules asiatiques, ce serait alors un vrai cataclysme pour toutes ces régions. Il faut y veiller.
Le drame c’est qu’il n’y dans le système actuel aucune réponse crédible. Les syndicalistes et la gauche radicale hurlent dans le désert aux patrons voyous et à la logique financière prédatrice. Mais comme l’avait dit Jospin, l’Etat n’y peut rien.
Les élus locaux se tournent vers l’Etat pour solliciter la solidarité nationale. Généralement ils obtiennent quelques millions d’euros dans le cadre d’un plan de « réindustrialisation » ou de « revitalisation ». Le problème c’est que les élus locaux n’ont aucune idée de savoir comment faire repartir leur économie et comment dépenser utilement cette manne. Le fait est. Les capacités de rebonds de ces territoires sont très limitées dans un contexte actuel.
Il s’agit là d’une question majeure qui appelle une réponse courageuse. Celles qu’on entend dans la campagne ne sont pas à la mesure du problème. DSK évoque un maintien pendant 3 ans de la TP en cas de délocalisation et des nationalisations temporaires, mais la délocalisation ne recouvre qu’une part infime du phénomène de désindustrialisation. Ségolène Royal parle de micro-crédit et de développement de l’économie social et solidaire (J’exagère à peine !) et Sarkosy dit que les chômeur devront prendre l’emploi qu’on leur proposera, que ça leur plaise ou non … mais quel emploi ?
Pour ma part je ne vois que trois solutions afin d’éviter que des portions entières du territoire national ne soient condamnées à vivre de revenus de transferts, qu’ils soient sociaux ou territoriaux.
1- Accepter l’idée qu’il n’y a pas d’ égalité des chances pour les territoires
Le rapport de la France à sa terre est très ambigu. Il y a à la fois une incapacité profonde des élites à penser les réalités territoriales dans leur diversité, et un fort attachement des populations concernées au territoire sur lequel elles vivent. L’affaire Jean Lassalle qui a fait une grève de la faim pour une délocalisation d’usine de 30 km simplement parce que cela aurait fait mourir une vallée, fut un très bon révélateur de cet attachement viscéral à la terre. Dans le discours de certains ruraux, on a parfois l’impression que le territoire n’est pas seulement le lieu où vivent des populations, mais un sujet de droit en lui-même.
La première voie consiste à tordre le coup à cette idée. Affirmer clairement que la République ne continuera pas à dépenser sans compter pour que tous les territoires de France continuent à être habités. En termes de politiques publiques, la traduction concrète de cette conception serait de moduler les dotations aux bassins d’emplois en fonction de leur contribution au PIB national et de leur croissance démographique, et parallèlement mettre en place des dispositifs d’aides à la mobilité pour aider les gens à rejoindre les territoires les plus dynamiques.
Le processus est d’ores et déjà à l’œuvre. Il s’agirait simplement de l’accélérer pour faciliter l’adaptation de la France à la nouvelle donne économique mondiale, quitte à sacrifier les territoires dont la structure socio-économique appartient à un modèle révolu. Certes, ils ont fait la grandeur et la richesse de la France industrielle, mais le monde change et l’essentiel est de préparer l’avenir. En somme après l’exode rural, la France connaîtrait un exode industriel de même ampleur.
C’est la logique libérale appliquée aux territoires. Ils sont en compétition. Que les meilleurs gagnent, et tant pis pour les perdants ! En toute logique les tenants d’une adaptation de l’économie française à la mondialisation devraient avoir le courage de proposer de telles mesures.
2- Préserver l’industrie
Pourquoi devrait-on se résigner après tout à la disparition progressive des emplois de production industrielle ? Ils présentent en effet deux avantages majeurs pour un pays comme la France. Ils sont localisables en tout point du territoire national, et ils permettent de créer de la valeur ajoutée avec une main d’œuvre peu qualifiée. On peut donc voir un intérêt à mettre en place des politiques publiques de nature défensive.
La préservation d’emploi de production industrielle passe par des mesures macroéconomiques visant à corriger les écarts de coût du travail avec les pays à bas coûts et d’harmonisation des niveaux d’imposition des entreprises. Naturellement ce type de mesure relèverait d’une « politique industrielle commune » à mettre en place dans un cadre européen.
Je ne vais pas refaire ici le débat de 2005 sur la constitution (j’aurais bien l’occasion d’y revenir), mais il est tout de même étonnant que ces questions aient disparues du débat public. Je doute toutefois que nos politiques en aient vraiment l’intention, même parmi les partisans du non. Le dogme du libre-échangisme et de l’économie post-industrielle comme seule issue, sont très ancrés dans les esprits, même à gauche. Je ne parle même pas des médias. Quiconque prendrait position pour défendre l’industrie et les emplois faiblement qualifiés, se verrait aussitôt taxé de frileux, d’archéo-nationaliste, voire de Lepéniste.
3- Créer des écosystèmes à emploi post-industriels dans les territoires en reconversion
Si mon analyse est juste, les régions industrielles sont condamnées à terme. Il reste une solution extrêmement volontariste que semble proposer Dominique Strauss Kahn, même si c'est pour d’autres motifs : créer des nouvelles villes.
En effet, si les emplois de demain ne peuvent se créer que dans des villes agglomérant au moins 100 000 habitants, alors pourquoi ne pas recréer des centres urbains, disposant de toutes les fonctions urbaines nécessaires au développement d’emplois tertiaires et tertiaires supérieurs ? Il s’agirait d’une rupture fondamentale dans la pensée du développement économique. Faire du développement non plus en finançant des zones d’activité et en accordant des primes à l’installation de nouvelles entreprises, mais en créant un écosystème à emploi pérenne, un terreau pour du développement endogène.
Il ne s’agirait naturellement pas de créer des capitales ex-nihilo, comme Pierre le Grand a créé Saint Petersburg, mais d’agglomérer des villes moyennes proches en construisant entre elles un centre urbain, relié aux autres pôles et au monde par un réseau de transport performant. Entre Lens, Douais et Arras, Metz et Nancy, Belfort et Montbéliard. La ville polycentrique. Voilà, l’avenir !
Ce projet fou présenterait beaucoup d’avantages, du point de vue du logement, de la croissance, du développement durable, du rapport à l’avenir. Je consacrerais bientôt un article à cette idée qui me tient à cœur depuis longtemps.
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