Libération s’est interrogé hier sur les ressorts de la popularité de Ségolène Royal dans les milieux populaires en sollicitant l’expertise d’Emmanuel Todd.
Ségolène Royal fait de très bons scores dans les études d’opinion dans les milieux modestes, bien plus que dans les professions intellectuelles ou supérieures. Est-ce que cela signifie que Ségolène Royal est en train de reconquérir les classes populaires qui ont massivement déserté le candidat PS en 2002 ?
La chose serait d’autant plus surprenante qu’elle n’a pas bâti sa campagne jusqu’ici sur propositions dirigées sur les préoccupations des classes populaires, au contraire d’un Fabius, qui, lui, a construit toute sa stratégie sur leur reconquête en mettant au cœur de sa campagne les thèmes du pouvoir d’achat et des délocalisations.
Emmanuel Todd répond par la négative. Il persiste et signe : Ségolène Royal est une candidate sans substance politique. Pour appuyer le propos, il fournit une analyse de la cartographie des votes lors du plébiscite interne. L’argument est fragile - Il le souligne lui-même – dans la mesure où la sociologie des militants PS est peu représentative de la société française. Le PS est avant tout un parti d’élus locaux et de collaborateurs d’élus, d’aspirants élus ou d’aspirants collaborateurs.
Néanmoins l’analyse de sa carte électorale est parlante. Elle ressemble étrangement à celle du vote Jospin en 2002 « une France semi-rurale, où les vieilles industries sont absentes et qui ne compte pas beaucoup d’immigrés ». La carte du vote Fabius en revanche colle beaucoup mieux à la carte des régions industrielles avec de meilleurs scores sur une bande qui va de la Normandie à au sud Alsace, en passant par la Picardie, les Ardennes et la Lorraine.
Compte tenu de la réserve indiquée ci-dessus, cette cartographie ne constitue pas une preuve définitive, mais un indice fort que la « Ségomania » ne trouve pas ses racines dans les populations et les territoires qui sont les plus en souffrance.
Mais dans ce cas, d’où vient cette incroyable popularité dans les classes populaires. Eric Zemmour avançait hier dans « ça se dispute » une explication franche et radicale « Sa légitimité procède de sa nullité » : « Je suis comme vous. Je n’ai pas réponse à tout. D’ailleurs, je vous écoute, vous avis sera le vôtre … » Ségolène serait en effet l’antithèse de ses premiers de la classe, ces technocrates bardés de diplômes, enfermés dans leurs certitudes et ayant réponse à tout, dont les Français ne voudraient plus. Avec sa démocratie participative, son souci de rendre le pouvoir au peuple, sa détermination à bousculer le système, ses insuffisances affichées quand elles ne sont pas revendiquées, elle capitalise sur la vague de rejet élites. Elle apparaît comme une manière acceptable et élégante de « renverser la table »
La popularité de Ségolène Royal repose donc sur deux piliers. D’un voté une adhésion de la France des classes moyennes bien intégrées, et de l’autre une sympathie dans les classes populaires où elle apparaît comme une contestation des élites en place.
Je ne nie pas que le premier pilier correspond à quelque chose de réel dans la société française, mais sa base électorale demeure étroite. Ce phénomène ressemble d’ailleurs beaucoup à ce qui à fait le succès des verts au milieu des années 90, un engouement éphémère pour une offre politique sympathique mais sans grand contenu, dans un contexte de forte désaffectation pour la classe politique.
La sympathie dont elle semble bénéficier dans l’électorat populaire semble en revanche particulièrement fragile. Elle peut se retourner très facilement. Ses principaux soutien au sein du PS sont principalement constitués d’une vieille garde d’apparatchiks et de barons locaux avides de postes à responsabilité. Leur phrasé si stéréotypé trahit qu’ils ne sont pas là pour faire de la politique autrement ! Ségolène Royal ne pourra pas les cacher éternellement. Dès que le peuple verra derrière sa candidate préférée tous les aspirants ministres qui se sont mis dans son sillage, elle sera aussitôt rangée dans la catégorie des politiciens comme les autres qui ne fera mieux, une fois au pouvoir.
La fragilité de sa popularité vient aussi de la contradiction des attentes de ses deux piliers. Elle finira nécessairement par s’aliéner l’un des deux.
Le premier a voté oui à la constitution. Il participe au mouvement d’affaiblissement du politique, c’est pourquoi la féminité de Ségolène Royal lui plaît tellement. Ne croyant plus au politique, il aimerait une présidente modeste, empathique, peu arrogante, souriante et élégante. Il attend un discours centré sur les valeurs et les préoccupations quotidiennes, voire domestique, « proche des gens », des violences conjugales à l’éducation des enfants. Ce n’est pas un président et un gouvernement qu’il soit élire mais une Reine, une nouvelle « Marianne », une figure d’incarnation en laquelle on se plaît à s’identifier.
Le second a voté non à la constitution. Il est terriblement angoissé par l’évolution du monde. Pour lui l’avenir est synonyme de régression sociale, pour lui-même et ses enfants. Sa défiance à l’égard des politiques est fondée par leur incapacité à obtenir des résultats, plus que par un rejet de la politique en elle-même. Ses attentes sont donc au contraire très politiques. Il attend des réponses aux problèmes fondamentaux dont il a très bien compris les ressorts : délocalisations industrielles, dynamique inégalitaire de l’économie moderne, domination grandissante du capital sur le travail ... Cet électorat ne veut pas d’un président monarque, mais d’un guide pour conduire la France sur la voie d’un vrai changement. Au fond, son attente est celle d’un homme providentiel, celle d’un pouvoir fort, déterminé, presque autoritaire, capable de tracer un chemin. Même si Ségolène Royal fait de « bons scores » dans l’électorat ouvrier, ceux-ci restent encore bien modestes. Il se prononce encore à 20% pour Le Pen et à 25 % pour Sarkozy, contre seulement 28 % pour Royal dans les dernières études d’opinion …
La candidate Ségolène Royal semble également très fragile dans l’électorat des classes intellectuelles et supérieures. C’est dans ces catégories qu’elle faisait ses moins bons scores dans les sondages fait chez les sympathisants socialistes. Elle suscite même un véritable rejet dans toute une partie de l’électorat pour qui la politique doit rester quelque chose de sérieux. Le populisme de certaines de ses propositions, et la vacuité de son discours économique révulse cette frange de l’opinion. Je lis de plus en plus sur Internet des propos qui soutiennent qu’ils ne voteront jamais pour elle, ni au premier, ni au second tour. Ce mouvement ne devrait que s’amplifier.
Ségolène a été une très bonne candidate de pré-campagne. Elle a été exceptionnelle pour susciter un mouvement d’opinion qui a tout emporté sur son passage. Elle s’avèrera une candidate affligeante dans la vraie campagne. Elle s’aliénera d’abords la gauche intellectuelle et l’électorat le plus politisé, puis les classes populaires qui ne verront en elle qu’un leurre pour permettre aux hiérarques socialistes de réoccuper les palais nationaux et leurs 607 avec chauffeur.
N’oublions pas le 29 mai 2005 et la campagne référendaire. On a vu la France se mobiliser sur des questions politiques de fonds particulièrement complexes. Ces sujets devraient revenir au centre du débat, et sur ce terrain, face à Jean Pierre Chevènement dans la primaire à gauche, et face à Sarkozy dans le débat fondamental, elle apparaîtra vite comme une petite candidate aux positions décalées et marginales.
Si Royal passe le cap du premier tour, comment vont se faire les votes du second tour c'est là toute la question.
Cela va dépendre des candidats en présence au second tour.
Quelles sont les possibilités ?
Si au second tour il y avait un afrontement LE PEN avec un autre candidat ou candidate, l'histoire risque de recommencer et que la majorité des électeurs vote non pas pour un candidat mais contre Le Pen.
Dans un affrontement Royal contre X, le regroupement de la gauche risque de ne pas se faire, la cission des ouis et des nons au référendum est toujours vivace. Un forte abstension peut permettre la victoire de Bayrou par exemple ou d'un Chevenement on ne sait jamais !
Rédigé par : constantin | 30 novembre 2006 à 19:33
Dites donc, vous n'y allez pas avec le dos de la cuillère :). Emmanuel Todd... sauf votre respect... je m'attache plus particulièrement à l'analyse du "peuple", (dont je suis): "il" a voté non, "il" est angoissé, "il" se rendra vite compte que les éléphants sont toujours là et se sentira floué... Mais quelle sorte de masse ignorante est donc "le peuple" ? On sait que le parti reste le même et SR vient avec l'appareil qui le constitue. Le président est avant tout une personne et on veut voir son style raffraîchi, avec un parti a sa suite qui sache offrir une alternative de compétences de gouvernement et une orientation de protection par le social et non le judiciaire ou policier. Comment expliquez-vous que "le peuple" adhérent PS des 15ème et 16ème arrondissement de Marseille, fief incontesté du communisme et d'un socialisme radical, ait investi aussi massivement SR et pas Fabius ? Au coeur ouvrier de Marseille ! Il ne faut pas négliger l'impact des émeutes de 2005 sur "le peuple" des quartiers dit défavorisés. Le NON à l'Europe n'est pas la seule référence, et SR a aussi séduit sur le thème de la sécurité ou protection des individus contres les violences d'une jeunesse désoeuvrée, et avant tout d'une jeunesse contre ses propres violences et son désoeuvrement. C'est la première fois que quelqu'un propose la sécurité d'une voix ferme certes mais par le social, non par la législation de la jeunesse délinquante, ou propose d'abattre des barrières que "le peuple" des quartiers défavorisés a vu, impuissant et dans l'indifférence générale, voire à cause de l'acion politique, se dresser entre les individus, à commencer par le mépris d'une France qui parle de "peuple" et son pouvoir d'achat au lieu de dire "gens" et leur vie chère, voilà pourquoi l'ancrage de la sympathie pour SR est bien plus profond que généralement admis. Elle n'est pas infaillible, certes, mais son capital de départ est bien plus favorable que beaucoup croient fin de le penser.
Rédigé par : Sandrine | 06 décembre 2006 à 23:32
Je n'y vais jamais avec le dos de la cuillère, c'est ce qui fait mon style !
Je trouve votre commentaire intéressant
1- Ce qui vous plaît chez SR c'est son "style raffraichi". C'est vrai. Je ne nie pas. Elle a un fort joli sourire. Et vous comptez sur le PS pour offir une "alternatives de compétences". Première fragilité. Cette attente de réponse sur le fond existe et vous dîtes vous même qu'elle ne pourra y répondre. Qui le fera à la place ? Comment ? Avec quel discours ? Saura t-il convaincre ? Au final qu'est ce que pesera l'attente (satisfaite) "de style raffaichi" par rapport à l'attente (insatisfaite) de compétences alternatives ?
2- Vous parler d'ancrage de la "sympathie", pas d'adhésion. La sympathie, c'est affectif. C'est fragile. Ca se retourne vite. Qu'elle lasse, qu'elle se montre autoritaire et cassante, qu'elle prennent la grosse tête, et sa sympathie peut s'envoler. C'est ça que j'appelle une popularité construite sur du sable.
Je note néanmoins le positionnement sécuritaire "soft" de SR, dont vous dîtes qu'il a fortement participé à son succès. Ce point là, je veux bien le mettre à son crédit ... mais ce critère s'il la démarquait de LF et de DSK, ne la différencie plus de NS ou de JPC. Et, de toute manière, personne en France n'a gagné une élection sur le thème de la sécurité.
J'espère donc que vous nous donnerez de nouveau votre avis sur SR dans quelques mois :-)
Rédigé par : Malakine | 07 décembre 2006 à 06:58