La suppression de la carte scolaire a été l’une des quelques idées qui ont fait exister Ségolène Royal dans le débat à gauche. Face aux critiques, elle a finalement dit qu’il fallait seulement l’assouplir, sans trop exactement savoir ce que cette nuance recouvrait. Sarkozy également la préconise, mais en ce qui le concerne, c’est moins étonnant, s’agissant d’une idée d’essence libérale. L’idée mérite toutefois d’être poussée dans ses retranchements car le problème qui en est à la base mérite tout de même une réponse.
On comprend bien l’idée. La concentration des difficultés sociales dans certains quartiers ou plus généralement le phénomène de différentiation territoriale, se traduit en s’amplifiant dans les établissements scolaires du secteur. Les établissements des quartiers huppés deviennent mécaniquement des sites d’excellence quand les écoles des quartiers sensibles deviennent des fabriques de futurs RMIstes littéralement et définitivement inemployables. D’où l’idée : Supprimer cette carte scolaire aussi révélatrice des inégalités et éviter que les établissements ne cristallisent les caractéristiques de leur environnement immédiat.
Non seulement cette mesure ne résoudrait rien, mais surtout, et c’est plus grave, elle impliquerait un changement d’organisation de l’éducation nationale tellement révolutionnaire et si politiquement incorrect, que nul n’ose l’évoquer, surtout à gauche.
L’idée est d’abord inopérante. Qui irait inscrire en effet son enfant dans un collège de ZEP s’il n’y était contraint par une carte scolaire ? Des familles des quartiers, pour des raisons de proximité peut-être, mais quelle famille des quartiers plus bourgeois irait volontairement y inscrire son enfant ? En fait, cette mesure ne ferait que de renforcer encore la ségrégation en incitant les quelques bons élèves des ZEP à s’inscrire dans les établissements “mieux fréquentés”.
Il faudrait alors aller jusqu’au bout de l’idée et préconiser la fermeture des écoles des quartiers sensibles afin de distribuer autoritairement les enfants dans les autres établissements de la ville via un efficace système de transport scolaire. A la limite, dans les villes de provinces, pourquoi pas, mais cela le phénomène de polarisation urbaine a pris une telle ampleur en Ile de France, qu’il faudrait acheminer les élèves à des dizaines, voire des centaines de kilomètres aux alentours. Les deux tiers de la Seine Saint-Denis est étrangère ou d’origine étrangère selon la récente note « secrète » du préfet au ministère (eh oui, quand même !). Pour diluer cette extrême concentration d’étrangers et atteindre des proportions raisonnables dans les classes, il va falloir aller chercher les Français de souche très très loin, en direction de la champagne ou de la picardie. Difficile ! Ou alors il va falloir sérieusement songer à une carte orange 12 zones.
L’idée est en outre particulièrement friable dans ses fondements théoriques. La suppression de la sectorisation implique nécessairement de mettre en avant un principe de libre choix des parents. Mais un choix sur quelles bases ? Qui décidera d’inscrire ou de ne pas inscrire l’enfant ? Quid des établissements qui seront victimes de leur succès ? Vont-il grossir telle une entreprise dont la part de marché explose ou commencer à opérer une draconienne sélection pour n’accepter que les meilleurs ?
On voit bien qu’un tel système ne pourrait fonctionner que dans le cadre d’une autonomie de gestion presque complète des établissements. Libres de définir un projet pédagogique propre. Libres de choisir ce qui ne tardera pas à devenir leur « clientèle ». Et dans un système devenu aussi libéral et concurrentiel, il serait également naturel de leur permettre également de recruter leur personnel.
Personnellement, je suis assez favorable à une décentralisation de l’Education Nationale afin d’y développer une culture du projet et du management des hommes, mais sûrement pas au niveau de l’établissement ! Seule l’université a la taille critique pour exister par elle-même dans un environnement concurrentiel. Je ne crois pas que les établissements secondaires, et a fortiori primaires en soit jamais capables, même si le « mammouth » acceptait cette révolution culturelle.
Voyant la complexité de l’affaire, certains se contentent désormais de dire qu’il convient « d’aménager » la carte scolaire, sans naturellement avoir la moindre idée de ce que cela pourrait recouvrir. La paresse intellectuelle est la mère de toutes les politiques sans ambition et sans résultats.
En ce qui me concerne, j'ai ma petite idée pour réintroduire de la mixité scolaire et pour sortir les enfants des quartiers sensibles de leur ghettos éducatif. Cela s'appelle l'élitisme républicain.
Plutôt que de tenter de réguler les inégalités sociales et territoriales par la libre concurrence, je préconise plutôt un système régulé par l’Etat destiné à corriger activement les inégalités, par une vraie politique publique d’”élitisme républicain”.
Il s'agit en fait de donner les mêmes chances de réussite aux enfants de potentiels comparables, quels que soient leur milieu d’origine ou leur lieu de résidence. L’objectif n’est pas en soi la mixité sociale mais la réussite individuelle. Rien ne permet intellectuellement de faire un lien entre ces deux facteurs. Pourquoi donc le mélange social stimulerait-il donc les facultés d’apprentissage des élèves ou faciliterait-il le travail des professeurs ? Les cancres, les élèves durs et violents, seront toujours scolarisés, et feront les mêmes dégâts avec ou sans la carte scolaire, dans une ZEP comme un établissement de centre ville.
Ce qui entrave le processus éducatif, c’est essentiellement l’hétérogénéité des classes. Elle conduit le maître à adapter l’ambition de son enseignement à la moyenne de la classe, quand ce n’est pas au niveau plus mauvais. Si la concentration d’élèves à problèmes plombe ceux qui auraient le potentiel pour apprendre plus, il suffit alors de les regrouper dans des classes ou des établissements homogènes pour leur permettre de recevoir un enseignement correspondant à leur niveau réel.
La solution passe donc par une concurrence des élèves entre eux, quel que soient leur lieu de résidence. Ainsi, aux termes de chaque cycle d’enseignement, après une évaluation objective et de vrais examens sélectifs, les élèves seraient regroupés entre trois ou cinq niveaux, dans des enseignements aux contenus adaptés.
Dans les classes de niveau le plus bas, il est bien évident que l’enseignement préparera à un apprentissage professionnel rapide et qu’il s’agira essentiellement d”inculquer les bases du savoir être qui rendent employables. A cet effet, le cadre éducatif pourra être, si ce n’est militaire, au moins fortement disciplinaire, et parfois proche du camp de rééducation. Pourquoi pas d’ailleurs dans des internats non mixte situés loin de l’environnement familial ... Le niveau le plus élevé, à l’inverse, préparera clairement la jeunesse à accéder à l’élite. Ici, l’accent ne sera pas mis sur la discipline mais au contraire sur la culture générale, la culture, l’esprit critique et l’innovation, autant de qualités qui font les cadres et les manageurs, qui de part les déterminismes sociaux, font souvent défaut aux enfants de milieux modestes pour accéder aux grandes écoles ou plus tard au plus hautes fonctions.
Dans un contexte inégalitaire, c'est souvent par une politique différenciée qu'on peut rétablir une certaine égalité des chances. Ici, la notion d'égalité doit être appliquée non pas au moyen mis en oeuvre (le contenu de l'enseignement) ou l'objectif à atteindre en terme de formation, mais à la progression attendue de l'élève. Faire en sorte que chacun puisse exploiter au mieux son potentiel et trouve sa voie en fonction de ses capacités.
Le scandale auquel il faut répondre c'est que l'élite s'auto-reproduise de plus en plus et qu'un enfant de marocain habitant dans une tour de 30 étages n'ait aucune chance d'y accéder.
Malakine
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