Mardi soir, ARTE après deux documentaires consacrés à la banque, l’un sur les relations douteuses entre les banquiers et leurs clients, l’autre à la vie de la City de Londres où un an après la crise rien n’a changé, a diffusé un débat hallucinant de franchise et de cynisme avec deux traders, dont le très médiatique Marc Fiorentino.
Le présentateur comptait apparemment mettre ces deux invités en position d’accusés et, à sa grande surprise, ceux-ci non seulement ont assumé avec un parfait cynisme toutes les dérives de la finance mais ont vigoureusement accusé les politiques d’irresponsabilité pour ne pas avoir pris les mesures qui s’imposaient au moment du sauvetage du système financier l’an passé.
Les propos des traders décrivent parfaitement la situation de double contrainte dans laquelle l’économie mondiale se trouve, ce qui l’empêche de réagir et lui fait attendre la prochaine catastrophe avec fatalisme.
Le premier élément du problème tient à la conscience partagée du caractère profondément nocif de la finance de marché. Fiorentino a ainsi expliqué avec une bonne foi désarmante, que oui, les banques se servent en frais financiers divers et variés sur le compte de leurs clients, parce qu’il faut bien servir la rentabilité voulue aux actionnaires !
A entendre les traders, il était évident que la pyramide de dettes accumulées allait tôt ou tard s’effondrer en emportant avec elle tout le système. Comme il est tout aussi évident que, rien n’ayant changé, un nouvel effondrement se produira bientôt. Pour nos deux traders, il est évidemment urgent de ramener la finance à la raison par des réformes drastiques pour l’obliger à revenir à son métier de base, à savoir le financement de l’économie réelle.
La seconde contrainte tient à la dépendance des économies occidentales à la finance. Ce sont les excès de la finance qui ont permis de connaître une illusion de croissance au cours de la décennie 2000 (financée par la surconsommation américaine à crédit) Sans bulles et cet excès de mauvaises dettes, il n’y a plus d’espoir de croissance. Et quand bien même elle voudraient s’en passer qu’elles ne le pourraient pas. Cette industrie est nécessaire au financement de l’endettement des Etats, mais aussi aux économies dans leur globalité. Ni le Royaume-uni, ni les Etats-Unis ne pourraient vivre sans les revenus générés captés par la City et Wall-Street. A la moindre réglementation qui aurait pour effet de limiter les profits, les banques migreront vers Singapour ou Dubaï, comme elles ont migré vers Londres il y a 20 ans. Ajoutons à ce tableau déjà noir, la consanguinité du lobby financier avec les sphères gouvernementales et on comprends pourquoi rien ne s’est passé depuis un an.
Cela on le savait déjà plus ou moins. Ce qui est stupéfiant, c’est l’aveu d’incompréhension des traders. Ils savent qu’ils évoluent dans un délire malsain et que leurs activités si lucratives ont failli causer un effondrement complet de l’économie il y a un an. Au lieu de les sanctionner durement comme ils pensaient le mériter, non seulement, on les laisse continuer, mais on leur offre des conditions de marché exceptionnelles pour pouvoir se gaver comme jamais ! Ils ne comprennent tout simplement pas pourquoi on les laisser continuer !!
Mais n’attendons pas d’eux la moindre autorégulation. Le trader est par essence cynique. Tant qu’il gagne, il joue. Il jouera et gagnera jusqu’à la catastrophe finale. C’est la loi du marché qui veut ça …
La prochaine catastrophe est prévue mais elle ne les inquiète guère, probablement parce qu’ils ont déjà gagné assez pour se mettre à l’abri du besoin sur dix générations. Ils nous annoncent donc avec un sourire tranquille que la croissance financée à crédit depuis 20 ans devra se payer par une récession d’une période de quelques années pour rembourser les dettes. Pire. La « patate chaude » de la dette ayant été refilée aux Etats, tous se retrouvent dans la situation d’un pays en voie de développement aux prises avec le FMI, dans une situation à l’argentine. Les Etats sont en situation de faillite virtuelle et devront annuler leurs dettes ou être étranglés.
Entendre des traders reprendre le discours de Frédéric Lordon a quelque chose de très déstabilisant, surtout quand l’un d’eux en appelle lui aussi au “soulèvement” : “L’Etat devrait intervenir mais il ne le fait pas. Je ne sais pas d’où la pression devrait venir … Peut-être des citoyens, mais apparemment les citoyens n’y sont pas prêts”
Le débat (26mn) est en ligne encore pendant quelques jours. A voir absolument!
Apparemment, le lien refuse de s'afficher, alors peut-être que ça marchera en commentaire...
http://plus7.arte.tv/fr/1697660,CmC=2913506,scheduleId=2875684.html
Rédigé par : Malakine | 28 octobre 2009 à 21:48
J'étais vraiment surpris par les réponses des traders. Il n'y avait pas de débat, ils étaient en accord parfait.
Ma surprise ne vient pas du fait de ce qu'on dit les invités mais de la franchise.
Nous sommes intoxiqués par le retour de la croissance , la fin de la récession , que voir à la télé un semblant de vérités , c'est déroutant. Heureusement, c'est tard et sur une chaine secondaire.
Le présentateur avait l'air mal à l'aise car le discours ne coller pas à la propagande officiel.
Rédigé par : Abdel | 29 octobre 2009 à 00:12
On a un pouvoir faible, des politiques qui naviguent à vue et gèrent le court terme.
Le diagnostic est facile à établir, les solutions sont plus complexes.
Rédigé par : Emmanuel M | 29 octobre 2009 à 10:26
Ces traders vont au-delà du cynisme.
Voilà des individus typiquement Sadiens dans le sens où ils n'éprouvent aucun remords et sont soumis à la tyrannie de leur propre "hybris"... Dépourvus de régulation morale kantienne, ces traders ne vivent pas sur la même planète mentale que nous, soutiers du peuple ordinaire.
C'est une véritable psychanalyse dont ils auraient besoin. Mais le pire, et là tu as soulevé un point intéressant, ce sont les gouvernants, qui, dans un délire malsain et masochiste, se plaisent à servir la soupe à ces irresponsables, ce qui témoigne d'un jugement altéré... On condamne bien les cafetiers qui servent de l'alcool aux jeunes... pourquoi pas les politiques?
Rédigé par : René Jacquot | 29 octobre 2009 à 16:30
Je fais l'analyse contraire. Ils nous rappellent qu'un système ne peut jamais reposer sur la vertu de ses acteurs, mais uniquement sur des règles. De la même manière qu'ils infirment la théorie libérale qui veut que l'intérêt public s'obtient en laissant tous les acteurs rechercher leur intérêt particulier.
Ils nous disent que ni la vertu individuelle, ni la morale, ni l'intérêt privé, ni le marché n'évitera la catastrophe. Seulement la puissance publique.
Leur message est au contraire extrêmement républicain.
Rédigé par : Malakine | 29 octobre 2009 à 16:35
C'est vrai que la Fable des abeilles avec nos amis traders ne fonctionne pas une seconde.
Par contre, je maintiens ce que j'avance sur le besoin de réglementation morale des acteurs et je me place au niveau psychanalytique car ils sont pour moi esclaves de leurs "pulsions"... La règle publique peut effectivement les aider, tu as une conception très hobbesienne des choses.
Rédigé par : René Jacquot | 29 octobre 2009 à 17:46
Arrête de me mettre la honte avec tes références philosophiques, stp ! :-)
Alors, ca y est ? Tu as déjà créé ton blog ? Félicitation ! ;-)
Rédigé par : Malakine | 29 octobre 2009 à 17:59
@ Malakine et René Jacquot
En bon hobbesien, je suis d'accord avec Malakine: "un système ne peut jamais reposer sur la vertu des acteurs". Et on peut réellement se demander ce que chacun ferait à leur place. Peut-être qu'en bons hobbesiens, eux aussi craignent que les rapports de forces ne tournent à leur désavantage, d'où leur sincérité (liée à la peur de se faire lyncher).
Rédigé par : Archibald | 29 octobre 2009 à 19:03
@ René Jacquot
Et je crains qu'au contraire ils n'agissent que conformément à la nature humaine.
Rédigé par : Archibald | 29 octobre 2009 à 19:06
La franchise dont font preuve les traders ne les empêche pas de rester profondément conformistes parce qu'ils n'imaginent pas un autre mode autre que néolibéral c'est-à-dire que les Etats se mettent vraiment à réglementer la finance pour qu'elle redevienne selon l'expression de Frédéric Lordon terne et ennuyeuse, et que nous résoudre la montagne de dettes il faudra faire de l'inflation, et que la crise financière à venir produira une ou des crises monétaires dont la zone euro pourrait être une victime en raison de ces contradictions.
Rédigé par : cording | 29 octobre 2009 à 21:05
@ Malakine
J'ai remis en route mon vieux blog et j'ai changé le nom en référence à la conception d'Orwell de "common decency" qui est quelquepeu antinomique à la notion hobbesienne de la nature humaine... L'homme ordinaire possède à la base une morale, une décence commune, que l'ordre sadien néolibéral tente de pervertir.
Rédigé par : René Jacquot | 30 octobre 2009 à 18:47