Le procès Clearstream qui s’est engagé cette semaine s’annonce haut en couleurs et riche en rebondissements. Toute l’attention des médias va être focalisée sur le duel à distance entre Sarkozy et Villepin pour savoir si ce dernier a donné l’instruction au faussaire d’ajouter sur les listings le nom de Sarkozy afin de plomber sa candidature à l’élection présidentielle.
La question est intéressante, ne serait-ce que parce qu’elle déterminera l’avenir politique de Dominique de Villepin, ou à l’inverse parce qu’elle permettra peut-être de révéler un contre-scandale comme Médiapart commence à le suspecter. Il n’est pas exclu en effet que les débats démontrent ce soit Sarkozy lui-même qui ait poussé Imad Lahoud à inscrire son patronyme pour pouvoir ensuite adopter la posture de la victime outragée et ainsi barrer la route de l’Elysée à Villepin.
L’affaire Clearstream ne saurait cependant se résumé à ce duel. De nombreuses zones d’ombres subsistent dans ce dossier et personnellement, c’est une toute autre question qui m’intéresse.
Commençons par l’affaire Villepin. Laurent Pinsolle a publié ces jours-ci un vibrant plaidoyer en faveur de DDV qui n’aurait fait que son devoir en saisissant un juge d’une affaire présumée de corruption. Malheureusement, l’affaire n’est pas aussi claire. Il y a tout de même deux éléments qui permettent d’accréditer l’hypothèse de la manipulation politique.
1- Lors de la première réunion dans le bureau de Villepin avec Françis Gergorin et Philippe Rondot, le nom de Sarkozy (ou de Nagy Bocsa) n’apparaissait pas dans les listings. Or le nom figurait sur ceux que Gergorin a transmis au juge Van Ryumbeke de manière anonyme quelques mois plus tard. Le nom de Sarkoky est donc apparu pendant la courte période où Villepin a été saisi du dossier.
2- Pendant cette période, le général Rondot était déjà convaincu que les listings étaient faux. Pourtant aucune enquête interne, ni de la DGSE, ni de la DST n’a été commanditée pour établir la supercherie. Villepin n’a demandé à la DST d’enquêter qu’une fois l’affaire révélée dans le Point. Pourquoi, si ce n’est pour maintenir l’incertitude sur la véracité des listings jusqu’à ce que ceux-ci arrivent sur le bureau d’un juge?
Néanmoins, je ne crois pas à cette hypothèse. Gergorin a toujours été convaincu de la véracité des listings et du complot industrialo-mafieux qui aurait, selon lui, entrainé la mort de Jean Luc Lagardère et qui menaçait de lancer une OPA hostile sur EADS avec l’argent de la corruption internationale. Sa motivation obsessionnelle était de déjouer ce complot. Pourquoi aurait-il fait ajouter un nom qu’il savait faux, au risque de discréditer ses « preuves » ? De même pour Villepin. S’il s’est autant intéressé à cette affaire, c’est qu’il tenait lui aussi les listings pour vrais. Il souhaitait que ceux-ci apportent la preuve que la campagne de Balladur de 1995 avait été payée par l’argent de la corruption. Ils avaient tout deux intérêt à croire à la véracité de ces listings (ce pourquoi d’ailleurs il y ont cru) et aucun à les falsifier.
Si faussaire il y a, ce ne peut être que Imad Lahoud. Ce qui conduit à un scénario qui ressemblerait à « l’affaire des paillottes » : Lahoud, à partir du matériel informatique communiqué par Denis Robert puis par Florian Bourges, produit des listings bidonnés faisant apparaître des noms de personnalités ayant un compte chez Clearstream, donc corrompus au plus haut niveau. Il convainc Gergorin de leur véracité. Celui-ci y voit une preuve du complot qui le hante depuis des années. Ce dernier alerte Rondot, puis Villepin, qui lui, y recherche à son tour une preuve d’une affaire sombre dont il cherche des preuves depuis des années : par quels moyens sordides Balladur a-t-il financé sa campagne de 1995 ? Lors de la réunion de janvier 2004, il demande si le nom de Sarkozy n’y figure pas. C’est alors que Imad Lahoud comprend que la présence de ce nom sur les listings aiderait Villepin à s’intéresser à cette affaire. Il l’ajoute aussitôt, pour satisfaire les désirs de Villepin, comme un détonateur pour mieux faire exploser le scandale.
Si l’hypothèse se tient, elle pose quand même les motivations d’Imad Lahoud. La dénonciation calomnieuse de Sarkozy se comprend aisément pour ses motifs politiques, mais qu’en est-il des autres ? Quel intérêt avait-il à salir les journalistes, les hauts fonctionnaires, les politiques et les industriels qui figuraient sur ces listes ?
C’est la véritable affaire Clearstream !
L’hypothèse qui sera probablement retenue nous expliquera que Lahoud a agit seul, par vengeance, par rancœur, tel un terroriste financier. Le caractère trouble du personnage, génial mais volontiers menteur, manipulateur et mythomane, accréditera volontiers cette théorie. Les « révélations » d’un financier incarcéré en même temps que Lahoud en 2002 et révélées par le JDD vont dans ce sens. Lahoud lui aurait avoué détenir avec les fichiers cleastream de quoi « faire sauter la république » !
Une autre hypothèse mérite l’attention. C’est celle qui est développée par le journaliste Michel Bassi dans son (mauvais) roman « le syndrome de la grenouille ». Pour Bassi, l’affaire Cleastream, tout comme la mort de Lagardère et les diverses difficultés d’Airbus trouvent leur origine dans une opération de la CIA intitulé « back to the leadership » et destiné à déstabiliser le géant de l’aéronautique en favorisant la montée en puissance des Allemands au sein d’Airbus. Clearstream aurait eu pour objet premier de discréditer les dirigeants d’Airbus et accessoirement de barrer la route de l’Elysée à Villepin que les américains détestent depuis son discours à l’ONU. Gergorin aurait donc été manipulé par la CIA, probablement via Imad Lahoud. On retrouvait d’ailleurs cette même thèse de l’action des services secrets américains pour nuire à Airbus dans l’excellentissime série de canal plus « Reporters », une fiction si bien documentée et si réaliste qu’elle lui a permis par deux fois de devancer l’actualité.
Souvenons nous en effet que le seul mis en garde à vue dans l’affaire Clearstream fût l’ancien vice-président d’Airbus, Philippe Delmas en mai 2004 juste après la première lettre du corbeau. Avant d’être une affaire politique, Clearstream est avant tout un règlement de compte se déroulant dans le monde trouble de l’aéronautique et du big business. De là à y voir la main de la CIA …
La dernière hypothèse est peut-être plus délirante encore. C’est celle développée par le journaliste Frédéric Charpier dans son ouvrage « Le roman noir de l’affaire Clearstream » Les listings ne seraient qu’une gigantesque erreur d’interprétation des données informatiques de Clearstream. Denis Robert aurait fait fausse route en affirmant que la chambre de compensation abritait des comptes de personnes physiques pour y faire transiter en toute discrétion de l’argent noir vers des paradis fiscaux. Imad Lahoud aurait confondu, en toute bonne foi, des noms de banques avec des noms de personnes. Tout serait faux. Les listings seraient simplement le fruit de l’imagination paranoïaque de tous protagonistes de l’affaire, chacun y ayant trouvé ce qu’il y cherchait.
Espérons que le procès permette d’établir ce qu’il y avait de vrai et de faux dans ces listings, dans quel but et pour servir quels intérêts du faux s’est retrouvé mêlé du vrai. Tout le faux, pas seulement celui concernant l’actuel président ! Espérons surtout que la focalisation de l’affaire sur la pseudo dénonciation calomnieuse de Sarkozy ne soit pas un écran de fumée pour détourner l’attention de faits bien réels et beaucoup plus graves qui traduirait l’existence de pratiques mafieuses dans le monde de la haute industrie mondialisée.
"C’est la véritable affaire Clearstream !"
Pas d'accord. La véritable affaire Clearstream c'est celle dénoncée par Denis Robert qui a mis à jour le fonctionnement de cette société (parmi d'autres) exerçant le juteux métier de chambre de compensation et qui se comporte de fait comme la meilleure "lessiveuse du monde", facilitant le bon fonctionnement de la finance mondiale tant dénoncée ces derniers temps.
Il est regrettable que le procès ne permette pas de mettre enfin ce sujet sous les projecteurs.
Rédigé par : RST | 25 septembre 2009 à 22:54
Mais cette affaire est inclue dans ce que j'appelle la véritable affaire clearstream ! C'est le sens de la phrase de conclusion.
Rédigé par : Malakine | 26 septembre 2009 à 13:09
Le malheur, en un sens, c’est que l’on ne retiendra de cette affaire que le duel mortel entre deux personnages promis aux plus hautes destinées de l’état. L’arrière cour, si importante, si révélatrice, restera vaguement entrevue par les passants dans la rue. Cela me rappelle beaucoup l’affaire Markovic à l’automne 1968, qui sous-tendait l’implication de l’épouse d’un futur candidat à la présidence de la république –Georges Pompidou- dans des parties fines plutôt dures. Dans ce cas là comme dans le nôtre aujourd’hui, un personnage A (président en place)avait intérêt à ce qu’un personnage B (challenger éventuel) soit impliqué dans une affaire louche, et le personnage B avait tout autant intérêt à ce Que A pense qu’il soit impliqué. Dès lors que De Gaulle, ayant eu vent de l’affaire, se laissa aller à dire auprès de son entourage : « c’est à voir » au lieu d’affirmer fermement : « c’est impossible », toutes les interprétations et tous les rebondissements devenaient justement possibles. Là aussi, les dessous de l’affaire renvoyaient à des arrières cours peu ragoûtantes, mais ce fut surtout le duel politique au sommet qui marqua les esprits. Il faut dire que les conséquences n’en furent pas minces, puisque Pompidou, se sentant déchargé de tout fardeau moral vis à vis de son ancien maître d’arme (« l’intérêt » dont je parlai un peu plus haut), prit plus fermement son destin politique en main, lequel coïncida avec celui de la république…
Rédigé par : Daniel Dresse | 28 septembre 2009 à 00:29
@ Daniel Dresse
Je te conseille d'aller poster ce commentaire dans les blogs de soutien à Villepin, ça leur fera plaisir ...
Mais tu as raison. Sarkozy est en train de se créer un ennemi irréductible qui fera tout pour le faire battre en 2012. malheureusement comme je l'ai déjà développé, une candidature DDV n'aurait pas d'autre effet que de siphonner les voix de Bayrou et donc d'assurer la présence d'un socialiste au second tour. Néanmoins, maintenant, il faudra compter avec Villepin !
Rédigé par : Malakine | 28 septembre 2009 à 18:51
Que Pompidou ait trouvé l' occasion de s' affarnchir de la tutelle de de Gaulle, soit. Mais je ne vois pas de quelle tutelle DDV aurait à s' afrranchir vis à vis de Sarkozy. DDV n' a pas attendu les élections pour être déjà un ennemi irréductible de Sarkozy.
Et avant de révoir qui il va siphonner en 2012 (quod est demonstrandum), attendez tout de même l' issue du procés !
Rédigé par : Erick | 30 septembre 2009 à 12:20