L’anniversaire de la chute de Lehmann Brothers, conjugué aux annonces récurrentes sur la sortie de crise a réveillé le débat sur sa nature de la crise et de ses causes profondes. Deux thèses principales s’opposent. Il y a d’un coté la vision gouvernementale, celle du G20 et des économistes officiels, qui n’appréhende la crise que dans sa dimension financière. Celle-ci désormais résorbée, la croissance va pouvoir revenir.
De l’autre coté, il y a ce que l’on appellera « les Keynesiens » pour qui elle est liée à une insuffisance de la demande globale, qui subsiste malgré les plans de relance. La crise s’approfondira tant qu’on n’aura pas consenti aux réformes de structures qui permettront un meilleur partage des revenus.
Pour aider chacun à se faire une opinion, je vais m’efforcer de présenter la logique de ces deux thèses, et tenter en conclusion de proposer une autre approche, qui prendra à revers ces deux thèses.
1- La thèse de la crise financière
La crise a en réalité débuté en février 2007 au moment des premiers défauts sur les crédits subprimes et a atteint son point d’orgue en septembre 2008 avec la faillite de Lehmann. Rappelons ce qu’étaient les crédits subprimes : Ces crédits immobiliers (voire à la consommation) étaient assis, non pas sur la capacité de remboursement des emprunteurs, mais sur l’hypothèse d’une inflation infinie de la valeur des biens acquis. Ces crédits, via la titrisation, se sont retrouvés dans l’actif des banques, ce qui leur permettait d’équilibrer leurs dettes. Jusqu’à la crise, le système fonctionnait parfaitement. Toujours plus de crédits, une valeur des actifs en augmentation, toujours plus de crédits… Cependant des limites ont été atteintes avec le retournement du marché immobilier et les premiers défauts de paiement. Tout ce château de carte s’est effondré, ce qui a entrainé une situation de faillite virtuelle de l’ensemble du système financier et, à titre accessoire, un tarissement du crédit accordé à l’économie réelle.
La crise s’est propagée à l’économie réelle lorsque celle-ci a été « asphyxiée » par le resserrement du crédit. L’objet des plans de relance était de soutenir temporairement l’économie pendant cette période d’asphyxie. Il fallait substituer temporairement la demande financée par l’endettement privé par une demande financée par la dette publique.
Dès lors que les établissements financiers retrouvent une situation financière saine, ils vont pouvoir de nouveau accorder des crédits, ce qui remettra très vite l’économie sur le chemin de la croissance. Pour l’avenir il suffit seulement d’éviter qu’une pareille situation ne se reproduise. La solution est simple : freiner la spéculation et la formation de bulles d’un coté, et renforcer les fonds propres des banques de l’autre pour qu’elles puissent résister au moment du prochain krach.
Reste seulement le problème des finances publiques qui ont joué le rôle d’amortisseur et qui sortent dans une situation très dégradée de cette séquence. Cependant, dans cette hypothèse, la croissance future permettra de rembourser la dette creusée par la crise.
La quasi-totalité de la planète est sur cette théorie. Elle conduit très logiquement à l’agenda sarkozyste : réforme de structures pour réduire la dépense publique, développement des investissements productifs pour stimuler la croissance (le grand emprunt), réforme du capitalisme financier pour limiter les effets de la prochaine crise.
2- La thèse de la crise de l’insuffisance de la demande globale.
Sans nier l’effet récessif du « crédit crunch », la thèse keynésienne met en avant une autre explication. Pour elle, la crise révèle la dépendance de l’économie mondiale au crédit. Depuis une dizaine d’année, la croissance mondiale est en effet tirée non pas par les salaires (qui stagnent) ni par la croissance chinoise (au contraire l’émergence de la chine a plutôt un effet récessif), mais par l’augmentation continue de l’endettement des Etats, des entreprises et des ménages.
Ce modèle n’est pas viable, car l’endettement ne peut pas croître sans fin. En 2007, les ménages américains ont percuté un mur de dettes, ce qui a déclenché la crise. Il y en aura nécessairement d’autres. La prochaine sera d’ailleurs probablement une crise du mur de la dette publique avec des conséquences autrement plus dévastatrices !
Pour les keynésiens, il faut donc passer d’une croissance mondiale tirée par le crédit à une croissance tirée par les salaires. Cependant, la logique du système économique l’interdit. C’est pourquoi il faut combattre sans faiblir, tous les facteurs qui conduisent à la compression des salaires : le libre échange sauvage qui exacerbe la concurrence des systèmes sociaux et favorise le moins disant salarial, les dynamiques inégalitaires qui paupérisent les classes moyennes, la financiarisation de l’économie qui exige toujours plus de profit …
Pour eux, le monde n’a rien appris de la crise. Rien n’a été résolu. On a seulement créé les conditions de la prochaine qui sera bien plus grave encore. Ils sont généralement inquiets, en colère et/ou déprimés.
3- La thèse de la crise de civilisation
Le lecteur régulier sait que l’auteur de ce texte comme ses références s’inscrivent dans la deuxième option. L’an passé, je me suis épuisé à défendre cette vision de la crise pour finalement entrer dans une rage folle puis une abyssale déprime lorsque j’ai constaté que la thèse qui l’emportait au moment des européennes, était une forme d’antithèse de notre explication de la crise par l’insuffisance de la demande globale. Nous voulions relancer l’économie par la demande et les salaires. Et l’idée qui prospérait, notamment à gauche, prétendait au contraire, au nom de la “défense de la planète”, limiter la consommation, remettre en cause la croissance, quand elle ne proposait pas un projet de société fondé sur la frugalité.
Au moment où l’histoire nous donnait enfin raison, nous nous retrouvions confrontés à un ennemi inattendu : les décroissants et autres écologistes apocalyptiques. Manifestement, quelque chose nous avait échappé. Il fallait reprendre le modèle à la recherche de la variable manquante.
Le nœud du problème se situait dans la notion de croissance, sacralisée autant par les tenants de la première hypothèse que de la seconde. La notion même de croissance était en crise, contestée pour des motifs écologiques et peut-être aussi par une lassitude du consommateur. C’est pourquoi la thèse de la relance par la demande n’a pas pris. Les esprits éclairés voulaient déjà autre chose : rompre avec la fuite en avant et se tourner vers un développement plus qualitatif !
La remise en cause de la notion de croissance conduit alors à une autre vision de la crise. La crise de ce début de siècle serait l’expression d’un monde qui court après la croissance, en inventant divers artifices pour en reproduire l’illusion, alors que celle-ci a déjà disparue.
Les économistes nous expliquent que la croissance est le produit entre la productivité et la population active. Cette simple définition suffit à expliquer pourquoi elle a disparue. La population active stagne ou régresse dans tous les pays développés. Et dans un contexte de pause technologique et de forte tertiairisation de l’économie, les gains de productivité sont devenus marginaux. Si on ajoute à cela, le renchérissement des matières premières et l’augmentation du poids des « improductifs », on arrive à une croissance potentielle d’un petit pour cent, sans le dopage par le crédit ou l’inflation des prix des actifs,.
Or, tout le système continue de reposer sur ce mythe. La finance actionnariale prétend sortir des rendements du capital de 15 %. Les Etats ont besoin d’une croissance de 3% à 4% pour équilibrer leurs budgets compte tenu de l’augmentation croissante des besoins et de la demande sociale. Les consommateurs eux-mêmes continuent à réclamer toujours plus de pouvoir d’achat.
Les tenants de la thèse de la crise par insuffisance de la demande globale expliquent l’augmentation du crédit comme un moyen de compenser la stagnation des salaires, particulièrement aux Etats-Unis. Cependant cette explication fait l’impasse sur le désir insatiable de consommateur. Ce phénomène mérite quand même qu’on s’y arrête. Certes, il y a l’explication du crédit bon marché consécutive de la politique laxiste de la FED et derrière elle, les gigantesques excédents chinois qui se sont réinvestis aux Etats-Unis pour maintenir le cours sous évalué du Yuan. Mais il y a aussi une surexcitation du désir par la « société de consommation » qui a poussé le peuple américain à vivre au dessus de ses moyens réels.
On serait donc dans une crise de civilisation liée à l’épuisement de la dynamique du progrès. On attend du système qu’il produise plus de richesses qu’il n’en est devenu réellement capable. On s’excite, on s’agite pour faire revenir cette croissance disparue. On fait des réformes libérales pour flexibiliser et libéraliser l’économie. On cherche à innover. On exacerbe la concurrence. On met la pression sur le salarié pour intensifier sa productivité. On organise des bulles sur la valeur des actifs. On s’endette. On stimule par la publicité le désir de commencer jusqu’à créer des besoins artificiels … Tout cela en pure perte. Cette épuisante agitation n’arrive plus à produire que des mini périodes de mini croissance, suivie de crises de plus en plus violentes et de plus en plus fréquentes.
Cette explication à la crise – qui ne vaut bien évidemment que pour les pays développés – ouvre des horizons tout à fait nouveau pour l’après crise. L’enjeu d’aujourd’hui serait de s’adapter à un monde en stagnation durable.
Il faut s’attaquer aux « besoins de croissance » sous toutes ses formes : aux attentes de la finance actionnariale qui devra se contenter d’un rendement du capital proche du taux de croissance de l’économie réelle, aux attentes des Etats qui devront s’habituer à équilibrer leur budget avec un taux de croissance nul, aux consommateurs qui devront apprendre à consommer moins mais mieux.
L’épuisement du mythe de la croissance exigera de rechercher d’autres conceptions du progrès, vers plus de qualitatif et moins de quantitatif, ce qui impose en premier lieu, le démantèlement méthodique de tous les éléments du système néolibéral, qui prétendait à maximiser la création de richesse, mais qui faute de croissance potentielle suffisante, ne produit plus que des tensions, du désordre et des crises.
Quelques remarques :
« Ces crédits, via la titrisation, se sont retrouvés dans l’actif des banques, ce qui leur permettait d’équilibrer leurs dettes »
Ben moi j’avais compris au contraire que la titrisation permettait de faire du hors bilan en revendant ces dettes et donc en s’en débarrassant !
« la croissance future permettra de rembourser la dette creusée par la crise. » avec, si possible, un peu d’inflation que même certains libéraux ne verraient pas nécessairement d’un mauvais œil me semble-t-il ?
Il me semble que les 2 thèses décrivent la même chose : une crise financière lié au crédit. La différence de tes 2 cas c’est leurs conclusions. Dans le premier, on ne change rien et continue comme avant et dans le second, comme tu le dis, on considère que rien n’a été résolu.
La conclusion que tu proposes sur la remise en cause de la « croissance » telle qu’on la conçoit jusqu’à présent, de l’accumulation de richesses, de la nécessité d’aller vers plus de qualité me parait séduisante et mérite d’être développer. C’est dans l’air du temps si je peux m’exprimer ainsi avec par exemple la commission chargée de développer un nouveau « PIB » ou encore l’émergence du courant écologique.
« le démantèlement méthodique de tous les éléments du système néolibéral » dont tu parles est nécessaire. Il passe par exemple par la remise en cause du rôle de la publicité. Il me semble que c’est un sujet dont on ne parle pas beaucoup, à tord, tant la publicité fait, selon moi des ravages en créant des besoins artificiels et un désir d’accumulation. Vaste sujet.
Rédigé par : RST | 29 septembre 2009 à 22:47
La croissance n'est pas finie puisqu'elle relève essentiellement du qualitatif qui entraine le quantitatif. Les décroissants n'ont rien compris du progrès.
Rédigé par : olaf | 29 septembre 2009 à 23:45
@ RST
Désolé, j'ai jamais rien compris au hors bilan. Faut dire que je ne m'y suis jamais intéressé ...
Selon la théorie officielle la crise ne vient pas de l'excès de crédit (sinon on voudrait le rationner) mais du krach et des difficultés de la finance. C'est uniquement les keynésiens qui voient dans le crédit la cause de la crise.
Je crains que tu sois passé à coté de ma thèse. L'idée c'est pas seulement qu'il faille aller vers plus de qualitatif, c'est de dire que la croissance est devenue un mythe après lequel on s'épuise à courir. Ce qu'il faut c'est adapter tous les systèmes pour les adapter à l'hypothèse d'une stagnation durable. Si on dit ça pour la finance, tout le monde va applaudir. Appliqué aux finances publiques, c'est moins sûr ...
En effet l'explosion de l'endettement privé à plus à voir avec la publicité qu'avec des revenus insuffisants.
@ Olaf
La croissance n'est pas finie ?? C'est bizarre dans ton précédent commentaire tu annonce une reprise de la crise pour 2012 ...
Rédigé par : Malakine | 30 septembre 2009 à 11:44
@ Malakine
Walter Benjamin tout comme Paul Virilio ont bien démontré que le versant sombre du progrès est toujours la catastrophe.
Je crois également que nous sommes arrivés à un moment d'épuisement, de saturation de l'idée de progrès mais je ne verse pas non plus dans le luddisme comme le disait Paul Valéry:
" En somme, à l’idole du Progrès répondit l’idole de la malédiction du Progrès ; ce qui fit deux lieux communs. "
Le progrès se confond de nos jours trop souvent avec "le bougisme" et je crois qu'il existe désormais une déconnection entre le progrès technique et le progrès humain.
Le consommateur dans une sorte d'ego-grégarisme (Robert-Dufour) propre à nos sociétés narcissiques obéit désormais à l'adage "NE PENSEZ PLUS, DEPENSEZ!" dans une sorte de course mortifère.
La voie du "méliorisme" cad du progrès de l'homme avant tout et non de la technique à tout prix, penser le progrès dans un cadre moral pourrait nous éclairer.
Rédigé par : René Jacquot | 30 septembre 2009 à 13:34
Je n' ai pas le sentiment que les solutions 2 et 3 soient incompatibles.
D'une part , il faut être honnète, la mise en place d'un " protectionnisme européen" entrainerait un renchérissement de certains produits ( salaires plus élevés et baisse des importations à bas prix)et donc une baisse de la consommation
D'autre part, c'est dans ce cadre qu'il serait effectivement possible d'envisager un glissement du quantitatif vers le qualitatif. Dans le système globalisé c'est de mon point de vue tout à fait irréalisable.
Rédigé par : La Rose Blanche | 30 septembre 2009 à 17:38
Très bon post, non pas que je sois d'accord (sinon, je n’aurais pas répondu), mais il m'a beaucoup fait cogiter cette nuit.
1. Croissance, progrès technique, et réduction du temps de travail.
Je pense que l’état fortement financiarisé et très turbulent de l'économie actuelle nous a fait perdre de vue un certain nombre de liens qui sont élastiques, mais très réels. Le premier est entre la croissance et le progrès technique. La croissance résulte de la plus grande quantité d'argent reçu par les acteurs économiques, et cela est lié à une plus grande productivité du travail de chacun, elle même liée à un progrès technique. Ce progrès est qualitatif, et a mon avis il est inépuisable. En ce sens la croissance peut en théorie continuer indéfiniment, tant que nous continuons à vivre dans une société industrielle intégrée. Ce progrès implique aussi que l'individu peut, au cours du temps, produire de plus en plus et travailler de moins en moins à la fois.
2. Croissance et frugalité
La « frugalité » c'est à dire au final, l'utilisation la plus faible possible des ressources naturelles, l’objectif très justifiable des « décroissants », n'est pas incompatible avec la croissance infinie. Le progrès technologique amène aussi à une production de plus en plus sobre (progrès dans l'isolation des habitations, rendement des moteurs thermiques, etc.). De même que la productivité du travail peut aboutir à un volume produit toujours croissant et une quantité de travail toujours décroissante, la sobriété technologique permet une croissance infinie de la production accompagnée d'une baisse permanente de la « consommation environnementale » (je veux dire par là la destruction d’éléments de l’environnement, par exploitation de ressources minières, ou par émission de pollution). Par contre nous ne parlons pas ici d'une croissance « à la chinoise ». Au doigt mouillé, les gains en sobriété sont de l'ordre du % annuel, pas mieux, et donc si l'on veut économiser les ressources, il faut trouver un modèle permettant à tous de travailler dans le cadre d'une croissance très faible, voire plate.
3. Et pourtant on brûle du pétrole
Un bon exemple de mon argumentaire est la voiture. Une 4L des années 80 consomme de l'ordre de 10 L pour 100 km. Une Twingo essence neuve est aux alentours de 7 L pour 100 km, soit un gain de 30% en 30 ans. Cependant, la consommation totale du parc automobile a explosée dans la même période, car les propriétaires de la 4L de 1980 possèdent aujourd'hui une twingo ET un 4x4 (caricature). Dans un cadre "plat", où on accepte de se contenter du progrès (non nul) existant entre la 4L et la twingo, on aurait une baisse de la consommation d'essence.
4. Protectionnisme et technologie
J'ai été très étonné par le coté "déclinologue" de cette note, cette idée que le progrès technologique était fini, comme essoufflé. En 20 ans, nous avons vu l'explosion d'internet, des portables, l'accélération des moyens de transport en commun (TGV, retour du tramway dans les villes), l'équipement des ménages s'est complété (lave-vaisselle, ordinateur), amélioré (jetez un œil au prix et à la consommation d'un frigo ou d'une machine à laver des années 80 ; sans parler du bruit ou de la maintenance), et diversifié (possibilité réelle de se chauffer au solaire, électricité solaire, plaques à induction, micro-ondes, etc.). Un objet que j'utilise massivement dans ma vie quotidienne: la clé USB. Qui pouvait seulement imaginer son existence il y a 10 ou 15 ans ? Aujourd’hui je peux avoir dans ma poche des centaines de photos qui, il y a 20 ans auraient occupé deux albums de 3 kg chacun, et auraient perdu leurs couleurs depuis. Comment ne pas voir ce progrès technologique qui reste rapide et constant ? Peut-être parce que nous en avons été dépossédé. Ces objets de notre quotidien sont massivement produits en dehors de nos frontières, alors que rien n'empêche leur production en France en dehors du "coût du travail", pour lequel nous sommes mis -pour faire court et brutal- en compétition directe avec des esclaves. L'une des conséquences possibles du protectionnisme et des relocalisations, c'est ce retour du progrès technique et technologique dans la conscience collective.
5. Protectionnisme et frugalité
Il y a peut être un lien entre l'explosion de la consommation des ressources naturelles et le découplage « croissance réelle » due au progrès technologique et « croissance virtuelle » due à des bulles financières et l'utilisation d'une main d'œuvre à bas coût. Les bulles financières créent de forts enrichissement non liés à une production de bien matériels, la main d'œuvre à bas coût fait qu’avec une heure de travail française, on achète des dizaines d'heures de travail chinoises (par exemple). Les deux phénomènes aboutissent à un même résultat: une consommation de ressources naturelles bien plus grande que si l'heure de travail permettait d'acheter un bien correspondant à... une heure de travail. Retrouver le lien existant entre la quantité de travail réalisée et la quantité de travail « achetable » est aussi un moyen de favoriser des techniques sobres, utilisant cette heure de travail de la façon la plus efficace possible. La situation actuelle donne une image inversée de la chose: La chine n'est pas seulement un centre de production à cout très bas, c'est aussi une zone où l'heure de travail, très mal payée, produit peu de valeur, et où le litre d’essence (ou le kilo de charbon) produisent eux aussi très peu de valeur (rendements énergétiques très bas, etc.).
En plus de cela, bien sûr, s'ajoute une dépense énergétique en transport que la relocalisation de la production permettra de limiter.
6. Droite, gauche et protectionnisme
Je sais que beaucoup d'intervenant ici ont des sensibilités plutôt marquées vers une droite républicaine, avec des tendances gaulliennes. Il s'agit d'une famille politique respectable, qui en son temps a sauvé la France. Il ne s'agit pas de ma famille politique, je me place nettement à gauche. Je ne pense pas que la distinction droite gauche soit déplacée, mais je pense qu'il existe aussi une tendance républicaine que l'on trouve des deux cotés de l'échiquier.
Je vais être provocateur: la situation où nous nous trouvons aujourd'hui provient d'idées apparues au cœur de la droite, avec ses hérauts les plus précoces, Thatcher et Reagan dans le monde anglo-saxon, Alain Madelin en France. En France, étrangement, c'est le parti socialiste au pouvoir qui a, le plus largement, mis en place les fusées du grand feu d'artifice mondial que nous suivons désormais en direct. C'est la même génération, de ce même parti, qui aujourd'hui va manger la soupe sarkosienne et se révèle ainsi au grand jour. L'expression "social-traitre" est cruelle, mais elle s'applique avec une grande justesse à toute une génération du parti socialiste. L’analyse Toddienne de cette trahison de masse me parait très juste. Inutile de revenir dessus ici.
Le protectionnisme est aussi une idée qui a ses origines à droite. L'objectif est, dans un cadre national, de favoriser sa propre industrie. Le lien protectionnisme - gouvernement par les industriels est donc assez évident, et le protectionnisme peut se mettre en place comme simple moyen de conservation et de maintien d'une élite politico-industrielle. La disparition du protectionisme dans le "logiciel" de la droite classique peut sans doute être corrélé à la perte d'influence des industriels et la monté en puissance des financiers.
7. Un protectionnisme social et écologique
Les critères d’un protectionisme "pour le bien commun", d’un protectionisme qui ne cherche pas à isoler le pays, mais à donner un meilleur avenir à tous, que ce soit dans nos frontières où à l’extérieur, peuvent être écologiques et sociaux. Taxer les produits à l’importation en fonction du pays d’origine, de son salaire médian, de l’importance du syndicalisme, des normes environnementales, etc. puis leur appliquer une taxe Carbonne, plus utile que la micro-TIPP en train d'être mise en place, en fonction de la masse, de la distance parcourue et du mode de transport. Cela permettra, par exemple, de taxer de façon dissuasive les roses importées du Kenya, importées par avion, quand le manque de terres provoque des troubles dans le pays, et de revenir dans un monde normal où les roses sont produites dans le bassin horticole le plus proche.
8. Un protectionnisme national ou européen ?
Je vais ici répéter une orthodoxie toddienne, donc autant faire court : l’échelle européenne est de loin la meilleure. Oui il existe un dumping social intracommunautaire mais il est à une échelle suffisamment petite pour s’estomper dans le temps, et il est peut être même utile pour créer une étape de transition permettant d’arriver à une économie protégée sans perte de pouvoir d’achat, dans la perspective « plate » décrite plus haut. Au-delà d’un marché probablement trop étroit, le grand risque d’une solution nationale « étriquée » est une réaction commune des gouvernements « mondialistes » aboutissant à une mise à l’écart de la France. L’Europe, elle, ne peut pas être mise de côté.
Voilou du jus de crâne, espérons qu'il ne soit pas trop frelaté...
Rédigé par : Berru | 30 septembre 2009 à 17:42
@ Berru
1- Je n'ai pas développé ce point, mais la tertiairisation ou si l'on préfère la désindustrialisation pèse sur la croissance potentielle, car les gains de productivité sont beaucoup plus difficile dans les services. J'ai compris ça en lisant les analyses de Patrick Artus.
2- Je ne rentre pas dans ce débat. Ce que je peux dire c'est que les décroissants contestent ce raisonnement (la croissance infinie dans un monde fini ...)
En ce qui me concerne, je ne conteste pas le principe de la croissance, je dis qu'il faut prendre acte qu'elle est devenue hors d'atteinte et qu'il faut s'adapter à la perspective d'une stagnation économique durable.
3- oui mais là vous utilisez la limitation des ressources naturelles comme facteur de compression de la croissance potentielle, alors que moi j'utilise les gains de productivité et la stagnation de la population active.
Encore une fois, je n'utilise pas l'argument des décroissants. Je fais un pas vers eux sans pour autant les rejoindre dans leur raisonnement.
4- Oui, il y a certes encore des progrès technologiques à réaliser qui entraineront des gains de productivité et donc de la croissance. Néanmoins, ne peut-on pas dire que nous sommes actuellement dans une situation de pause technologique, depuis que la révolution informatique et numérique a été digérée ?
L'idée qu'il y a derrière (et qui a déjà été brillament exposée ici par d'autres que moi, Yann si ma mémoire est bonne) Il y a un plafond aux gains de productivité. Une fois qu'on a entièrement automatisé une chaine de production, qu'est ce qui reste à gagner ?
5- Je ne vois pas ou vous voulez en venir. Dire que la relocalisation entrainera une amélioration du rendement énergétique et une augmentation de la croissance potentielle ? Si c'est ça je suis d'accord.
Mais cette note ne se plaçait pas dans une perspective protectionniste. Elle visait à proposer une explication à la crise par la stagnation de la croissance potentielle.
6- Non, non. La majeure partie des commentateurs qui interviennent ici sont à gauche ! J'ai organisé un sondage pour les européennes, le choix du front de gauche a été massif.
Parfaitement d'accord sur le reste.
7- Oui, on est d'accord. Je reviendrais sur ce sujet à un moment ou à un autre, pour revenir sur la taxe carbone. Les occasions ne manqueront pas, tant on va nous bassiner avec le réchauffement et la lutte contre les GES !
8- Ce point de débat était davantage à inclure à la suite de l'article sur Sapir. J'ai déjà développé mes objections sur le protectionnisme de niveau communautaire l'an passé. (je peux redonner les liens si nécessaire) Mes trois objections sont : Inutile de rêver à convaincre l'allemagne, l'UE sera toujours un ensemble trop vaste, et l'UE est une construction anti-politique définitivement incapable de penser et de mettre en oeuvre une politique protectionnisme. Il faut de la volonté politique pour cela ...
Merci de vos commentaires très intéressant et très clairs.
Rédigé par : Malakine | 30 septembre 2009 à 18:47
Pour la relocalisation ça n'est pas toujours adéquat :
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/f/fiche-article-agriculture-revee-et-agriculture-reelle-23182.php
Les cycles de Kondratieff ont été associés aux technologies énergétiques, il est probable que ce sera encore le cas avec de nouvelles énergies comme la fusion, bien sûr on y est pas encore, mais compte tenu de l'enjeu, pas mal de travaux sortiront des tiroirs. Donc je ne rejoins pas du tout Yann sur le plafond des progrès réalisables.
Croire que le progrès est plafonné me parait improuvable.
Rédigé par : olaf | 30 septembre 2009 à 20:57
Bonjour Malakine, et merci pour ta réponse.
Une remarque sur un petit point, pour le reste, on est d'accord, je pense.
"Il y a un plafond aux gains de productivité. Une fois qu'on a entièrement automatisé une chaine de production, qu'est ce qui reste à gagner ?"
Le progrès technique, nourri en amont par le progrès scientifique, comprend, mais ne se limite pas aux gains de productivité "a la marge". Un exemple ancien: une fois qu'on a optimisé les chaines de production des machines à vapeur, le progrès ne s'est pas arrêté: on a inventé les moteurs à combustion interne, de rendement et de compacité meilleurs. A plus petite échelle, des sauts qualitatifs de ce type là ont lieu constamment à tous les niveaux (la clé USB en est un exemple). Un saut qualitatif comparable aura-t-il lieu dans un futur proche? Tant qu'il n'aura pas lieu, personne ne pourra en être sûr. Répondre oui ou non est une affaire de conviction. Ma réponse est oui. Au passage, ce saut qualitatif peut inclure la disparition d'une technologie ancienne. Je ne pense pas, par exemple, que la télévision va vivre encore très longtemps. Sa place aujourd'hui est entre la machine à vapeur et le courrier pneumatique.
Rédigé par : Berru | 01 octobre 2009 à 09:44
Bonjour, je viens de lire cette fort intéressante analyse, à laquelle je souscris.
Mais j'aimerais, du coup, vous proposer la lecture d'un article que j'ai écrit et qui, je crois, complète et prolonge votre analyse.
Mes pistes : après une phase d'industrialisation, l'avenir c'est l'immatériel, donc les services, y compris publics. Il y a donc une voie pour une "expansion sans croissance", comme dit Jean Gadrey, laquelle passe par la hausse des salaires, laquelle est d'abord à réaliser dans les activités peu o pas mécanisables ET non soumises à concurrence internationale, soit ..la majorité des services. Bref : on créera moins de richesses matérielles, et c'est très bien parce qu'on en a assez, mais l'enjeu sera de "faire tourner" le pouvoir d'achat pour maximiser l'emploi. Solution= hausse des salaires + réduction des inégalités.
Pouvez-vous me donner une adresse imel à laquelle je pourrai vous adresser mon article en PJ ?
Merci,
Guy Démarest
Rédigé par : Guy Démarest | 01 octobre 2009 à 11:07
S'agit-t-il de l'article "les effets marqués de la tertiatrisation"? Je l'ai trouvé sur le net.
Je suis désolé, je ne laisse pas trop trainer mon adresse pour éviter le pourriel (pas de vous, mais des robots qui ramassent les adresses). Malakine a mon adresse et la votre, c'est une possibilité...
Rédigé par : Berru | 01 octobre 2009 à 15:34
@ Berru
Je suis toujours, mais là, on est sur une autre échelle de temps. Et je ne sais pas si on parle toujours de gains de productivités ou bien de produits nouveaux qui suscitent une nouvelle demande...
L'article que M desmarets m'a envoyé ne s'intitule pas ainsi. Il devrait être publié dans la presse. J'en ferais un commentaire quand il sortira, car il met le doigt sur une vraie question.
Rédigé par : Malakine | 01 octobre 2009 à 16:00
Bonjour,
bravo à cette note très claire sur les visions de la crise.
Juste une remarque (de détail) :
Vous écrivez : « Cette explication à la crise – qui ne vaut bien évidemment que pour les pays développés – ouvre des horizons tout à fait nouveau pour l’après crise. L’enjeu d’aujourd’hui serait de s’adapter à un monde en stagnation durable. »
Si on parle de l’Europe (pays développés), des USA, je dirai plutôt « un monde ou plus de 50% des ménages vont voir leur situation se dégrader régulièrement ». (le chiffre de 50% est approximatif, mais dans mon esprit, c’est entre 25% et 75%) Et une minorité de ménage (le complément) va voir sa situation continuer à s’améliorer.
Il me semble important de voir l’hétérogénéité de la situation des ménages, car cela permet de comprendre pourquoi certains veulent continuer « comme avant », et pourquoi d’autres se posent des questions.
Maintenant est-il vrai que la situation se dégrade et va continuer à se dégrader pour une large partie des ménages ?
La question est complexe, car tous les ménages, par le biais des progrès techniques, des travailleurs chinois et autres, accèdent à des biens qu’ils ne pouvaient acquérir auparavant (et même à des services qu’ils ne pouvaient avoir). Ainsi quelqu’un au RMI doit bénéficier aujourd’hui de plus de biens et services qu’un salarié agricole des années 50, ou même qu’un OS de ces mêmes années (je n’ai pas les moyens de faire la comparaison en détail, mais il me semble que les films de cette période sont éclairants, ne serait-ce que l’apparence physique et vestimentaire, sans parler des logements).
Ceci dit, il me semble que depuis les années 90 (la première grande récession en France, avec le début de la disparition de pans entiers de l’industrie) la situation a commencé à s’inverser. Les ménages continuent à voir leur situation matérielle s’améliorer, mais au prix d’une diminution constante de leurs conditions de travail (« petits boulots précaires » « temps partiels »), et d’une insécurité croissante (tous ceux qui vivent dans les zones précaires, zones en extension continue depuis 30 ans).
Maintenant nous allons entrer bientôt dans la phase de dégradation « absolue » des conditions de vie (on le verra « objectivement » quand les courbes de mortalité infantile et de durée de vie commenceront à s’inverser). Pourquoi bientôt ? Quand les prix des produits agicoles, de la nourriture augmenteront. On en avait eu un avant goût avant la crise : l’accession d’une part grandissante des chinois, des indiens ... à de meilleurs revenus ... va entraîner l’augmentation du prix des produits alimentaires. Ceci va être couplé avec l’augmentation du prix de l’énergie (le pétrole est une énergie peu chère par rapport à son principal concurrent, le charbon). Certes le progrès technique va permettre d’utiliser moins d’énergie, mais pour les 30 ans à venir, cela sera insuffisant pour compenser la stagnation (puis décroissance) de la production de pétrole.
Le phénomène pourra s’accélerer, si pour des raisons diverses, mais probables, le flux d’immigration s’intensifie en Europe : la baisse des salaires des revenus des ménages modestes va s’accélérer d’autant (voir ce qui se passe aux USA, ou le phénomène a lieu en grand, pour le plus grand profit des employeurs).
En bref, je modifierai votre conclusion en disant « . L’enjeu d’aujourd’hui sera de s’adapter à un monde en inégalité croissante ». Et c’est tout à fait possible : l’exemple des USA montre qu’il est possible de faire coexister grande richesse, grande pauvreté (la France et N Sarkozy le montre aussi).
(puisque c’est la mode ici de se situer politiquement, je dirai que je vote à gauche, mais que je préfèrerai un pays faiblement inégalitaire, avec du travail pour le plus grand nombre, quitte à avoir des produits importés plus chers ...ce qui n’est guère de gauche)
Rédigé par : marc-sevres | 01 octobre 2009 à 16:41
Qu'est-ce qu'on est bien sur ces pages... :))
L'article comme les commentaires sont très intéressants. Sans dire que le progrès est plafonné (car les voies sont multiples), on ne peut que reconnaître certaines barrières : la quantité de certaines ressources non renouvelables ni recyclables est limitée, les rendements s'améliorent mais arriveront un jour à 100% donc les gains cesseront, la miniaturisation a des limites (e.g. "circuits imprimés" à l'échelle atomique), etc...
L'immatériel est certes l'une des voies d'avenir, mais il ne faut pas croire qu'il est totalement déconnecté du matériel : les équipements informatiques nécessitent des ressources pour leur fabrication et consomment de l'énergie pour leur fonctionnement, certains services nécessitent des déplacements (avec tout ce que cela implique), etc... (mais l'article évoqué a piqué ma curiosité!! n'oubliez pas de nous le signaler)
L'augmentation du prix des denrées alimentaires est indispensable pour les ramener à leur vrai coût : aujourd'hui les produits locaux sont achetés à très (trop) bas prix aux producteurs par la grande distribution et subventionnés par l'argent public, tandis que les produits importés sont issus d'une main d'oeuvre surexploitée et ne prennent pas en compte les coûts énergétiques et environnementaux. Evidemment pour contrer les difficultés pour les ménages modestes, cela devra s'accompagner d'une hausse des revenus (il y a différentes voies possibles) et/ou d'un remodelage du budget (moins de dépenses pour certains objets, action politique sur les loyers, etc).
Rédigé par : florent | 03 octobre 2009 à 03:21
J'insiste un peu, mais penser que le progrès a des limites me parait infondé, c'est en général ceux qui disent " si c'était vrai ça se saurait " depuis des lustres.
Rien de plus ridicule dans cette opinion.
Rédigé par : olaf | 03 octobre 2009 à 23:35
Le progrès a des limites : la quantité d'énergie disponible à un certain coût.
Il ne faut pas se laisser intoxiquer par les (courtes) périodes antérieures. Même le nombre des hommes sur terre est étroitement dépendant de la quantité de pétrole extractible, et ce, à bas coût.
Mais je relierais 2 et 3. On ne peut laisser le marché régler le problème de répartition.
l'abandon des capacités régaliennes de régulations, c'est la guerre.
Rédigé par : p. reymond | 04 octobre 2009 à 10:07
@ Marc-Sèvres
J'ai bien aimé votre commentaire, notamment sur la dégradation des conditions de vie.
Cela est aussi perceptible dans les modes de vie (je ne parle pas de conditions, car ce terme évoque des données plus objectives, ou imposées, alors que ce que je souligne l'est moins, à mon avis, même si les deux sont liés): la surconsommation, notamment de tout ce qui est lié au loisir et au multimédia s'accompagne, chez les catégories populaires, d'une augmentation de l'obésité.
J'apprécie aussi que vous ignoriez (volontairement ou non) le thème de la crise de civilisation (thème chéri du millénarisme décroissant) - je suis sûr, Malakine, que tu aurais souhaité en faire autant. ;-)
Franchement, voir recycler les thèmes religieux les plus contestables à l'occasion d'une crise économique, fût-elle d'importance, me navre, même si c'est aussi le propre des périodes d'incertitude.
A ces écolo-gaucho-réactionnaires (pardon, je me lâche un peu), je préfère la pensée d'un René Girard qui, dans son Achever Clausewitz, semble redouter l'Apocalypse, en la souhaitant sur le plan spirituel - puisqu'à ce moment-là, on "saura" ce que les hommes ont finalement choisi. Même si je suis trop peu chrétien pour adhérer à ses conclusions, son analyse est pour le moins éclairante, en tout cas beaucoup plus que les appels à la frugalité de quelques cynico-rousseauistes en mal d'idéologie.
Rédigé par : archibald | 04 octobre 2009 à 14:05
Encore une fois, on dit le progrès a sess limites sans autre explication, le pétrole est une source d'énergie dans la mesure de nos connaissance, mais le soleil ou l'atome en sont aussi pas encore accessibles, il est probable que ça ne tardera pas.
Rédigé par : olaf | 04 octobre 2009 à 15:50
@Marc Sevres
Si l’on s’en tient à la seule logique économique, il est légitime de croire en ce qui est implicite dans votre conclusion, à savoir que le monde s’en va vers une inégalité croissante et somme toute assez paisible (une nouvelle mouture de la « mondialisation heureuse » ou de « la fin de l’histoire » dans laquelle ne manqueront pas de s’engouffrer les patentés du genre). Je ne pense pourtant pas que la réalisation d’une telle hypothèse soit inexorable, même si j’estime à rebours de l’opinion commune, laquelle a encore le nez sur sa montre, que le train de la « révolte générale des travailleurs » est passé depuis longtemps. En effet, l’économisme omnipotent et triomphant de ces dernières décennies nous a fait oublier que la marche de l’histoire dépend de beaucoup d’autres facteurs qui ne vont pas tarder à se rappeler à notre bon souvenir. La fugacité de nos existences nous fait tout autant oublier que nous n’en sommes qu’au début d’un processus de grande ampleur.
Votre exemple des Etats Unis est ainsi mal choisi dans le sens où la dynamique de ce pays s’est toujours nourrie de deux inégalités fondamentales, l’inégalité sociale et l’inégalité raciale, les deux entretenant d’ailleurs entre elles des rapports pervers, qui nourrissent toujours les arrière pensées de ceux qui rêvent d’étendre ce modèle aux moindres recoins de la planète. Depuis la guerre de sécession (guerre atroce et encore si proche ne l’oublions pas), cette dynamique n’a pas entamé la cohésion de la nation américaine, sans doute parce que celle-ci dépendait avant tout de sa puissance hégémonique sur le reste du monde : tous inégaux, mais tous américains en ce que l’Amérique a de meilleur sur les autres nations. Qu’en sera-t-il demain ? Alors que les Etats Unis s’apprêtent à rentrer inévitablement dans le rang d’un monde multipolaire et connaîtront peut-être bientôt dans l’orient musulman une défaite sans précédent sur le plan moral, en ce sens qu’elle pourra difficilement passer cette fois, à l’inverse du Vietnam, pour un accident réversible dans le temps. Frustrés sur le plan extérieur d’une part essentielle de leur rêve, les américains pourraient bien perdre le contrôle des forces centrifuges inégalitaires qui ont toujours secoué une société sans doute plus fragile qu’on ne l’imagine communément. Qu’adviendra-t-il alors de cette société surarmée où le propre de l’inégalité sociale a toujours été de passer aux profits et pertes de l’inégalité raciale ou « communautaire » pour faire moderne ? En terme plus crûs, et pour paraphraser Emmanuel Todd, où l’égalité formelle des uns –celle des blancs- s’est longtemps construite sur l’exclusion des autres – les indiens puis les noirs. D’autres lignes de fracture communautaires traversent la société américaine que le seul contentieux déjà ancien hérité du temps de l’esclavage, et tout le problème est de savoir si l’élection d’Obama sera un symbole durable où l’arbre éphémère qui dissimule pour l’instant cette forêt là. En tout cas je parie moins que vous sur la destinée paisible de l’Amérique dans un contexte d’inégalités économiques croissantes.
Qu’en est-il de la France ? Les données y sont-elles si fondamentalement différentes, dans un pays où la majorité des forces politiques qui s’opposent au nouvel ordre du monde attend avec la foi du charbonnier le retour de 1789, 1848, et autres grandes dates de l’histoire révolutionnaire locale. Il se pourrait pourtant bien qu’à l’illusion économique d’inspiration néolibérale si bien décortiquée par Emmanuel Todd réponde une illusion politique néo révolutionnaire qu’il est encore mal vu de mettre à plat aux yeux de tous ceux qui se réclament du « progressisme ». La France elle aussi se trouve cisaillée depuis des décennies par l’individualisme et le dépérissement de la vie politique qui en découle, mais la différence fondamentale avec les Etats Unis y est d’ordre anthropologique, l’individualisme inégalitaire ayant paradoxalement poussé sur un très vieux fond égalitaire. En effet, avant d’être un individu, spectateur impuissant de son exclusion du champ politique, l’homme hexagonal a été un citoyen autonome matériellement. Autrement dit, l’individualisme moderne a ici triomphé sur le terreau un temps fertile de la prospérité économique et de l’état providence, qui ont donné au citoyen les moyens d’être plus regardant de lui-même (clé fondamentale du narcissisme) et de se détourner su sort de ses voisins et de l’action collective en général. Sur ce socle individualiste ACQUIS est venu se greffer un problème communautaire à composante ethnique typiquement d’IMPORTATION, même si beaucoup considèrent qu’il puise ses racines directes dans l’histoire coloniale propre à la France. Il faut simplement constater que tous les pays occidentaux, même ceux complètement dépourvus de passé colonial (pensez au Canada ou au Danemark) connaissent exactement le même type de problème. La spécificité du cas Français serait plutôt que l’exacerbation du sentiment communautaire, dérivant de l’affaissement des frontières nationales et de la mondialisation économique, entrerait en résonance particulière avec son passé de puissance coloniale. Le résultat est là -même s’il ne se pose pas dans des termes identiques au cas américain- le communautarisme ethnique ronge la société française sous le voile illusoire d’une lutte des classes qui aurait survécu intégralement au basculement économique du monde (ici je m’oppose en partie à l’optimisme d’Emmanuel Todd qui voit dans l’alphabétisation et la langue commune le remède miracle à toutes les tensions). L’ostracisme qui frappe ce sujet est cependant total dans le pays « qui pense », en témoigne le si faible écho rencontré par les mises au point et les mises en garde de gens comme Eric Maurin , Christophe Guilly, ou cette autre personne que certains aimeraient pouvoir incorporer d’office dans les légions supposées de l’extrême droite, si ce n’étaient quelques détails gênants quant à sa qualité et son parcours.
http://puzzledelintegration.blogspirit.com/archive/2009/10/04/l-insulte-recue-des-personnes-d-origine-etrangere-traitre-a.html
Néanmoins, si je m’oppose à court terme à Todd sur cette question, je serai plus enclin à rejoindre son optimisme à plus long terme. Je crois en effet que le vieux fond anthropologique et historique de ce pays reprendra le dessus. La réappropriation de l’état par la nation dans toutes ses composantes sociales aura bien lieu. Mais elle se fera principalement par le communautarisme, contre le communautarisme, et au détriment du communautarisme. Il faudra choisir ni plus ni moins entre la disparition de la France ou sa pérennité à travers ce combat là, et autant nos anciennes grilles de pensée que les clivages politiques qui en découlent s’estomperont dans l’épreuve.
Rédigé par : Daniel Dresse | 05 octobre 2009 à 02:39
C'est toujours difficile de répondre en détail quand on a laché le fil pendant quelques jours, surtout après des commentaires si longs. Je fais donc faire juste quelques remarques.
- Marc Sèvres a raison d'insister sur la question des inégalités. Dans une société en stagnation, si les inégalités continuent de progresser (et que l'endettement se maintient) ça se traduira par une diminution du niveau de vie en valeur absolue d'une partie de la population. C'est pourquoi une correction des inégalités doit nécessairement faire partie d'un plan d'adaptation à la stagnation.
- Je constate que tout le monde est obnubilé par les questions écologique ! Mon texte réussissait la prouesse de rejoindre les décroissants sans pour autant invoqué la question de la finitude des ressources naturelles, sauf de manière indirecte quand je dis que le renchérissement des matières premières va contribuer à manger les derniers gains de productivité.
... mais au fond, la disparition de la croissance forte s'explique dans le couple : stagnation des gains de productivité et de la population active.
D'ailleurs à ce propos, je rappellerais à Olaf que j'ai parlé d'une stagnation de la productivité et non d'une fin du progrès. Un argument de plus dans ce sens. Les affaires de suicide au travail montre qu'on ne pourra pas intensifier le travail dans les services autant qu'on la fait dans l'industrie. On est peut-être déjà au taquet de ce qui est humainement supportable dans bien des entreprises.
Dernière remarque, j'entendais Daniel Cohen hier à la radio invité par F. Taddéi. Il développait une analyse qui venait appuyer la thèse. Il disait que le bonheur des sociétés n'était pas fonction de leur niveau de richesse mais de la croissance de cette richesse. Une société en croissance zéro, ce vit comme pauvre. C'est pour cela qu'à mon sens on peut parler de crise de civilisation.
Rédigé par : Malakine | 05 octobre 2009 à 11:02
Salut Malakine,
Ta mise au point sur la crise de civilisation me convient parfaitement. Il faudrait peut-être ajouter que l'Europe, et même le monde occidental (même si je n'aime pas beaucoup l'expression) se vivent comme en crise car ils savent que leur domination sans partage sur le reste du monde appartient sans doute définitivement au passé.
Et bravo pour la prouesse. ;-)
Rédigé par : Archibald | 05 octobre 2009 à 14:06
Malakine, à mon sens si il y a progrès, il y a augmentation de la productivité puisque que l'on fait plus, mieux, en dépensant moins de temps, énergies...
D'autre part la productivité de façon globale pour un pays pourrait intégrer les améliorations écologiques, par exemple reforestation de zones désertiques qui contribuerait à accroitre les pluies localement
http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/climatologie-1/d/contre-le-rechauffement-plantons-des-forets-dans-les-deserts_20491/
comptabilité locale, et aussi à réduire l'effet serre au cas où on finirait pas démontrer son existence, je n'entre pas dans ce débat...
De toute façon le problème écologique ne se limite malheureusement pas à l'effet possible de serre mais comprend l'appauvrissement des sols, la pollution des eaux douces ou salées et bien d'autres choses dont la productivité à terme pourrait drastiquement dégringoler.
Nous n'échapperont pas à ce qu'on pourrait appeler une géoingéniérie devant apprécier les évolutions écologiques et leur impact justement sur la productivité globale qui pourrait sinon ne pas stagner mais plutôt dégringoler.
D'autres améliorations du biotope seraient susceptibles d'améliorer les territoires et donc bon nombre de leurs productions, encore ne faut il pas limiter la productivité à l'industrie ou les services.
Rédigé par : olaf | 05 octobre 2009 à 20:43
Pour les suicides difficile de dire si statistiquement il y en a plus qu'avant, l'historique des statistiques étant discutable, autrefois on se posait aussi moins de questions sur le suiscide, tabou.
Ceci dit les conditions de travail des services ou dans les bureaux me semble s'être détériorées, est ce qu'elles entrainent plus de suicide, je sais pas, mais certainement plus de stress et peut de maladies du stress.
Un simple exemple, les bureaux open space la plupart du temps aussi open noise dont la majorité des usagers se plaint, mais rien y fait les directions de boites imposent cet maénagement qui est de plus un facteur de baisse d'efficacité. L'état prétendait vouloir améliorer les conditions de travail, qu'en est il ? Il y a des syndicats, des CHSCT, une médecine du travail, des sociologues du travail et on voit quoi sur un sujet aussi absurde que l'open space ? Eh bien que ça continue à proliférer, il n'y aucun contre pouvoir pour empêcher ce genre de connerie, niet, nada.
Rédigé par : olaf | 05 octobre 2009 à 21:08
Au moins un truc rassurant de par sa constance c'est que quand je parle des conditions de travail concrètes, expérience à l'appui, tout le monde s'en fout.
On vit donc un monde encore virtuel.
De même l'opposition aux problèmes écologiques, maintenant une nouvelle et courageuse radicalité voudrait nous faire croire qu'il n'y a rien à voir en matière d'écologie à part une pure propagande de millénaristes, de Cassandres, enveloppé c'est pesé...
C'est la tendance Dresse-Malakine.
Je sais, on va me menacer de bannissement.
Rédigé par : olaf | 06 octobre 2009 à 20:37
en fait, vous vous en foutez de la vie réelle, vous cherchez une urne accostable.
Rédigé par : olaf | 07 octobre 2009 à 00:32
@ olaf
En ce qui me concerne, je ne nie pas l'existence de problèmes écologiques. Je dénonce une (im)posture intellectuelle. Il est difficile de nier que la plupart des écologistes (pas chez Corinne Lepage, j'espère) considère l'homme comme une sorte de créature démoniaque qui perturbe l'ordre naturel.
La croyance à cette idée d'ordre naturel est pour moi LA superstition (que l'on retrouve d'ailleurs chez quasiment tous ceux qui ont une vision politique ou morale du monde).
Rédigé par : Archibald | 07 octobre 2009 à 09:29
Il n'y a pas d'ordre naturel absolu, mais ça n'empêche pas que les perturbations des biotopes existent. Vouloir prendre le contre pied des écologistes intégristes en niant les problèmes écologistes, c'est faire preuve d'intégrisme équivalent. Les daux faces d'une même impasse.
Rédigé par : olaf | 07 octobre 2009 à 22:36
A aucun moment, je dis bien aucun, je n'ai joué au Claude Allègre! Merci d'en tenir compte.
Ce message, qui ne s'autodétruira pas dans l'immédiat, s'adresse évidemment à Olaf.
Rédigé par : Archibald | 08 octobre 2009 à 21:42
Mais je ne réfute pas tout ce que dit Allegre, pas d'anathème.
Je conteste les prises de position se fondant sur des arguments purement polémiques, ce qui écarte de la réalité matérielle du problème écologique qui ne peut être évacué par la polémique et de ses compétitions.
Rédigé par : olaf | 08 octobre 2009 à 23:28
Olaf, tu fais exprès de confondre le progrès technique et les gains de producitivité du travail. Je ne nie pas qu'il reste des découvertes scientifiques à faire (faudrait être con) Ce que je dit, c'est que la tertiairisation massive de nos économies (ou leur désindustrialisation) conduite à une croissance potentielle beaucoup plus faible. Tu contestes ce point ??
Sur l'écologie millénariste, oui, je persiste à dire que cette idéologie de pénitence est une expression d'un archaïsme religieux. On retrouve l'idée du péché, de la pénitence et de la colère de Dieu. Il ya une grosse part d'irrationnel dans ces thèses là.
Hulot par exemple est manifestement un type hyper anxieu et dépressif. Il est tombé dans l'écologie radicale comme il aurait pu tomber dans le bouddhisme. Mais on en reparlera ... j'ai commencé à lire son dernier bouquin !
Quand à Allègre j'ai lu "ma vérité sur la planète" cet été. Autant le type es insupportable d'égotisme, autant ce qu'il dit tient debout. Très loin de la caricature qu'on en fait.
Sur le fond, il y a une chose à laquelle je ne crois pas c'est au réchauffement climatique, ni le phénomène lui même (pas un ouragan cette année !!) ni à la responsabilité de l'homme, ni à la capacité de maîtriser les émission de GES !
Sur l'épuisement des ressources, je ne sais pas encore. Mais pour le reste (économie de la ressources en eau, fin des énergie fossile, biodiversité critique du consumérisme) je ne nie pas les problématiques.
Rédigé par : Malakine | 09 octobre 2009 à 09:25
Je suis désolé mais les activités tertiaires ont énormément et constamment gagné en productivité en grande partie grâce à l'informatique, puis internet et autres moyens de communication, faut avoir la berlue pour pas le voir et imaginer que c'est finit.
Se soucier des problèmes écologiques n'est pas un problème de foi mais de faits.
Que des hurluberlus puissent en faire une religion masochiste n'enlève rien au problème et à la limite même réduit les chances de le résoudre.
Qu'il n'y ait pas unanimité sur la théorie de l'effet de serre, c'est possible. L'absence d'ouragans ou autre conséquences est expliquée selon certains par une baisse d'activité cyclique du soleil, mais qui n'est pas de longue durée.
Croire qu'on ne puisse pas maitriser l'émission de GES c'est à peu près pareil de croire que la société ne peut être changée et le meilleur moyen de n'y parvenir. Ceci dit le problème risque surtout de venir des GES émis jusqu'à ce jour, on ne refait pas l'histoire, plus encore que ceux qu'on va émettre.
Rédigé par : olaf | 09 octobre 2009 à 19:30
Exposé remettant en cause la théorie actuelle des GES :
http://www.js.univ-nantes.fr/14918022/0/fiche___pagelibre/&RH=JS_FR1
Rédigé par : olaf | 09 octobre 2009 à 21:00
Mais aussi :
http://www.buvettedesalpages.be/2007/12/vincent-courtil.html
Rédigé par : olaf | 10 octobre 2009 à 13:56