La communication politique vient de franchir une nouvelle étape dans sa course à la vacuité. Après l’exercice de triangulation qui consistait à s’approprier les thèmes de l’adversaire, puis les grands discours où les envolées lyriques sont sans lien (ou carrément contraires) avec les propositions qui suivent (spécialité Sarkozy-Guaino) et les textes programmatiques à bases d’oxymores (spécialité socialiste), voici désormais la stratégie du manifesto !
Elle consiste à produit deux textes, l’un international qui tient lieu d’engagements formels, écrit dans une langue aride, pour ne réaffirmer que les dogmes de l’ordre économique mondial, l’autre interne, censé l’interpréter dans une langue électorale, mais qui s’en écarte sur l’essentiel pour tenir un discours quasi révolutionnaire. On avait déjà eu un aperçu de ce mécanisme de propagande à lors du dernier G20 qui avait permis à Sarkozy d’annoncer fièrement la fin du modèle anglo-saxon, alors même que le communiqué final réaffirmait solennellement les grands principes de la mondialisation néolibérale.
Pour une fois, le Parti socialiste a été l’avant-garde de cette innovation. Après avoir, fort louablement, attaqué la campagne par l’élaboration d’une plate forme programmatique commune avec ses partenaires européens, qui s’est avéré n'être qu'une synthèse molle et consensuelle de tout ce qui fait la pensée unique communautaire en forme d'hymne enthousiaste à la construction européenne, le PS s’est doté d’un texte complémentaire censé exprimer sa pensée avant tout compromis, dans toute sa pureté socialiste, un texte très à gauche, avec des accents antibéraux, qui se promet de changer l’Europe et même la mondialisation !
Intellectuellement, c’est honteux, mais stratégiquement, c’est génial ! La stratégie du manifesto permet de dire à son électorat exactement ce qu’il a envie d’entendre, tout en crédibilisant le propos par un accord international qui laisse à penser que le projet pourra être mis en œuvre rapidement et sans difficulté. La stratégie du manifesto cumule les avantages du discours démagogique et contestataire avec la posture institutionnelle de ceux qui sont en responsabilité et parfaitement raisonnables. Les partis socialistes européens ont construit et géré l’Europe en parfaite harmonie avec la droite. La plupart se sont ralliés à l’idée de reconduire Barroso. Qu’à cela ne tienne ! Le PS promet l’alternance, la rupture, le changement, la révolution !
Nicolas Sarkozy, probablement jaloux de cette escroquerie, a voulu les imiter en se dotant à son tour de son manifesto.
Jusqu’ici sa campagne était exclusivement centrée sur la présidence française qu’il prétendait ériger en modèle pour une nouvelle Europe. Quelques sondages qualitatifs ont du montrer que les électeurs qui conservaient un souvenir ému de l’extraordinaire impulsion donnée par la France en Europe, et de la non moins extraordinaire action de l’Europe dans les crises mondiales, étaient moins nombreux que ce que l’on a bien voulu croire à l’Elysée. Il fallait donc imiter le PS pour donner une dimension européenne au discours de campagne, un peu trop narcissique et francocentriste.
Sarkozy aurait bien aimé s’afficher avec ses acolytes de la promotion du modèle anglo-saxon, Gordon Brown et José Luis Zapaterro, avec lesquels il comptait au début de sa présidence former un axe alternatif au couple franco allemand. Problème : Ils sont « socialistes ». Prendre une initiative avec son sulfureux alter-égo italien étant exclu, il ne resterait plus que son amie Angela.
Dimanche dernier, Sarkozy et Merkel ont doncu publié un texte commun, dans le JDD en France et dans Die Welt. Du point de vue de la stratégie du manifesto, on ne peut que saluer ce texte comme une remarquable réussite.
L’UMP a choisi pour la campagne le thème de « l’Europe qui protège » Pour un esprit normalement constitué, l’idée de protection évoque le protectionnisme européen (ou la préférence communautaire dans le langage sarkozyste). Manifestement, pas pour “Fraulein nein”, car le texte commun évoque pour toute forme de protection que le dynamisme et l’innovation ! Autrement dit : on se protégera en étant plus fort, et on sera plus fort par davantage de libéralisme et de dérégulation.
Quant le programme de l’UMP promet d’introduire dans les discussions sur le commerce international des exigences en matière de droit du travail et de sauvegarde de l’Environnement (point faisant consensus en France), le texte commun avec Merkel, non seulement oublie ces restrictions, mais traite la question avec la foi d’un Ayatollah du libre-échange en souhaitant la conclusion rapide du cycle de Doha et une plus grande chasse aux subventions publiques, seul facteur de déloyauté des échanges cité dans le texte.
Quand le programme de l’UMP annonce le chantier de la « moralisation du capitalisme financier » estimant que le système économique et financier est dépassé et que le partage de la valeur doit faire l’objet d’un débat au G20, le « manifesto de la droite européenne » récuse toute réforme du système financier. Il faut continuer comme auparavant, avec les vannes du crédit grand ouvert et établir « un système financier performant pour les entreprises et sûr pour les épargnants ». Tout est dit !
Quand le programme de l’UMP fait du refus de l’adhésion Turque un point central, le texte franc-allemand se contente d’affirmer la litote selon laquelle « l’UE a besoin de frontières et qu’un élargissement illimité n’est pas possible »
Quand le programme de l’UMP affirme avec détermination « la mise en œuvre d’une taxe carbone sur les produits importés sur les produits qui ne respectent pas les normes européennes », le texte n’envisage que timidement et sous condition que des mesures à l’effet indéterminé : « Si nos partenaires internationaux refusent de s'associer à nos efforts, nous sommes déterminés à prendre des mesures pour protéger l'industrie européenne »
C’est curieux comme, dès que les politiques se mettent à parler dans la langue européenne, leurs penchants à la duplicité, au mensonge et à la lâcheté se font irrésistibles.
Malakine
En bonus, une vidéo de Frédéric Lordon qui illustre, avec son style bien à lui, la "stratégie du manifesto" à partir du communiqué de presse du dernier G20. La suite (deux bonnes heures de vidéo) c'est là.
C'est amusant, j'étais présent ce jour là, dans la librairie en question. Bon, maintenant, je lis l'article, dont la première phrase m'enchante.
Rédigé par : archibald | 02 juin 2009 à 21:18
A voir absolument, une étude argumentée et documentée sur l’argent de l’Europe et la contribution financière de la France : cliquez sur mon nom "Alexis"
ça fait réfléchir !!! A diffuser massivement avant le 7 juin !
Rédigé par : Alexis | 02 juin 2009 à 21:52
D'un autre côté, il faut bien voir que les deux tiers des Français s'en foutent complètement.
Elections européennes : l'abstention à 63 % selon IFOP.
L'alliance UMP-Nouveau Centre reste en tête des intentions de vote pour les européennes de dimanche, à 27 % (inchangé), devant le PS, à 21 % (- 0,5 %), mais l'abstention reste très forte, évaluée à 63 %, selon un sondage IFOP pour Paris Match à paraître jeudi 4 juin.
http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/06/02/europeennes-l-abstention-a-63-selon-l-ifop_1201477_3214.html
Rédigé par : BA | 02 juin 2009 à 22:57
j'avais aussi relevé in petto la conception pour le moins étonnante de la protection.
Rédigé par : edgar | 03 juin 2009 à 17:39
Complètement d'accord !
Rédigé par : Laurent, gaulliste libre | 03 juin 2009 à 22:53
La vidéo de Lordon est passionnante, comme toujours avec cet économiste. Merci pour le lien avec Dailymotion : j'ai ainsi pu visionner (avec délices) les sept autres épisodes. On en redemande !
Rédigé par : Hopfrog | 04 juin 2009 à 03:12
Zone euro : contraction record de l'économie début 2009 confirmée.
L'économie de la zone euro s'est contractée de - 2,5 % au premier trimestre 2009, une baisse sans précédent, a confirmé mercredi 3 juin l'office européen des statistiques Eurostat, avec notamment un fort recul des exportations et des investissements.
Ce recul du Produit intérieur brut (PIB) par rapport au trimestre précédent, inédit depuis la création de la zone euro en 1999, avait été annoncé lors d'une première estimation publiée par Eurostat le 15 mai dernier.
Cette baisse est supérieure à celle des Etats-Unis, qui ont enregistré au premier trimestre une baisse de - 1,5 % de leur PIB.
Les pays utilisant la monnaie unique ont enregistré leur quatrième trimestre consécutif de repli de l'activité.
Mais Eurostat a révisé en baisse ses estimations pour les trois derniers trimestres de 2008.
- 2ème trimestre 2008 : - 0,3 %.
- 3ème trimestre 2008 : - 0,3 %.
- 4ème trimestre 2008 : - 1,8 %.
- 1er trimestre 2009 : - 2,5 %.
http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=a2341553131f34bcbef67e98932c5d43
Il y a encore des naïfs qui répètent, et qui répètent encore, et qui répètent toujours : « La monnaie unique nous protège. L’euro nous protège. La monnaie unique nous protège. L’euro nous protège. »
En réalité, l’euro ne nous protège de rien du tout.
Rédigé par : BA | 04 juin 2009 à 07:25
Vous auriez pu évoquer le MoDem, non ?
Rédigé par : des pas perdus | 04 juin 2009 à 10:18
@ Hopfrog
Maintenant, il faut donc lire son dernier bouquin. Au fait, il est sorti ? Je ne l'ai pas vu hier dans ma fnac ... mais faut dire qu'elle est misérable.
@ Pas perdus
Pourquoi évoquer le Modem ? Ils ont fait un programme au niveau européen avec leurs alliés ??
Rédigé par : Malakine | 04 juin 2009 à 10:37
@BA,
Vous avez raison de dire que l'Euro ne fait pas de miracle.
Mais il ne faut pas non plus extrapoler et laisser entendre, sur ce seul argument, qu'en dehors de l'Euro tout irait mieux car, par exemple, le Japon avec une baisse de 4% de son PIB dans la même période fait pire...
@Malakine : bien bel article.
Mais une question : le "manifesto" façon Sarkozy est-ce une simple réaction à la duplicité du PS ou n'a t-on pas atteint en France un tel niveau dans la "communication politique" et les promesses qu'il n'y a plus de place pour la sincérité dans une campagne électorale ?
Certainement pas de quoi ramener dans les isoloirs les abstentionnistes...
Rédigé par : PeutMieuxFaire | 04 juin 2009 à 11:01
@ pas perdus & Malakine :
J'ai vu circuler un texte du PDE auquel appartient le MoDEm, mais il était bien plus succint que le programme du MoDEm. Je ne sais pas où les choses en sont au niveau européen, il faut dire que ces formations sont récentes et mouvantes, il est encore difficile de stabiliser et de trouver des alliés. Cela n'enlève rien à la pertinence des propositions. Certains disent que leur élection ne servirait à rien car ils seraient très isolés au PE. C'est absurde, ce n'est pas parce qu'on ne s'inscrit pas dans une formation continentale que les idées sont disqualifiées ni qu'il n'y aura aucune possibilité d'action. D'ailleurs, au sein des groupes PPE et PSE (pour ne cite que les deux plus gros), les positions et les votes sont loin d'être homogènes... alors les étiquettes, bof bof... L'intérêt du PE et de la démocratie, c'est précisément la formation de majorités d'idées, ponctuelles et changeantes selon les sujets.
Rédigé par : florent | 04 juin 2009 à 16:27
Je recopie quelques citations du livre " Le bêtisier de Maastricht ", édition Arléa.
- « Si le traité était en application, finalement la Communauté européenne connaîtrait une croissance économique plus forte, donc un emploi amélioré. » (Valéry Giscard d’Estaing, 30 juillet 1992, RTL)
- « L’Europe est la réponse d’avenir à la question du chômage. En s’appuyant sur un marché de 340 millions de consommateurs, le plus grand du monde ; sur une monnaie unique, la plus forte du monde ; sur un système de sécurité sociale, le plus protecteur du monde, les entreprises pourront se développer et créer des emplois. » (Michel Sapin, 2 août 1992, Le Journal du Dimanche)
- « Maastricht constitue les trois clefs de l’avenir : la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité ; la politique étrangère commune, ce sera moins d’impuissance et plus de sécurité ; et la citoyenneté, ce sera moins de bureaucratie et plus de démocratie. » (Michel Rocard, 27 août 1992, Ouest-France)
- « Les droits sociaux resteront les mêmes – on conservera la Sécurité sociale –, l’Europe va tirer le progrès vers le haut. » (Pierre Bérégovoy, 30 août 1992, Antenne 2)
- « Pour la France, l’Union Economique et Monétaire, c’est la voie royale pour lutter contre le chômage. » (Michel Sapin, 11 septembre 1992, France Inter)
- « C’est principalement peut-être sur l’Europe sociale qu’on entend un certain nombre de contrevérités. Et ceux qui ont le plus à gagner de l’Europe sociale, notamment les ouvriers et les employés, sont peut-être les plus inquiets sur ces contrevérités. Comment peut-on dire que l’Europe sera moins sociale demain qu’aujourd’hui ? Alors que ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale et moins d’exclusion. » (Martine Aubry, 12 septembre 1992, discours à Béthune)
- « Si aujourd’hui la banque centrale européenne existait, il est clair que les taux d’intérêt seraient moins élevés en Europe et donc que le chômage y serait moins grave. » (Jean Boissonnat, 15 septembre 1992, La Croix)
17 ans plus tard, voici le résultat concret de toutes ces belles promesses :
La BCE prévoit une récession de - 4,6 % dans la zone euro en 2009.
La Banque Centrale Européenne a révisé en baisse ses prévisions de croissance pour 2009 et 2010 jeudi 4 juin. La BCE anticipe désormais une contraction de - 4,6 % du produit intérieur brut de la zone euro cette année.
http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRPAE5530B720090604
France : le taux de chômage bondit de 1,1 point à 8,7 % au 1er trimestre.
Le taux de chômage a augmenté de 1,1 point en France au premier trimestre pour atteindre son niveau le plus élevé depuis le troisième trimestre 2006, selon des données provisoires publiées par l'Insee.
Le taux de chômage au sens du Bureau international du Travail (BIT) a atteint 8,7 % en France métropolitaine, contre 7,6 % au quatrième trimestre.
En incluant les départements d'Outre-mer, il s'établit à 9,1 %, contre 8,0 % au quatrième trimestre.
http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRPAE55302F20090604
La France doit sortir de l’Union Européenne. Avant que ça finisse mal.
Rédigé par : BA | 04 juin 2009 à 16:32
@Malakine
Pas grand chose à rajouter si ce n'est qu'on est vraiment pas bien placer pour parler de démocratie au chinois ou aux arabes...
Rédigé par : yann | 04 juin 2009 à 21:01
@ PMF
Effectivement, je crois qu'il n'y a plus de sincérité dans les campagne électorale. Le but c'est de les gagner c'est pas d'agir ensuite. Même l'action est subordonnée à la communication politique.
@ Florent
Tu as raison. C'est ce que j'ai rappelé dans l'article sur l'alternance en Europe. C'est un parlement qui fonctionne sur le mode de la IV ème république, pas de la cinquième.
@ Yann
... ou aux russes !
Rédigé par : Malakine | 04 juin 2009 à 23:57
@Yann
Pour être tout à fait juste ne manquons pas de remarquer qu'à contre-courant Ségolène prend des cours sur la Justice et la démocratie en Chine. (populaire, participative, et tout et tout )
Rédigé par : malart | 05 juin 2009 à 11:48