La campagne référendaire de 2005 a créé un schisme dans la famille républicaine (ou souverainiste) qui s'était réunie dans le non à Maastricht. Alors que ses valeurs restent grosso-modo les mêmes, deux courants s'opposent sur la stratégie à adopter. Les uns maintiennent le cap de l'opposition à l'Europe, supposée être un vecteur indépassable de l'idéologie néolibérale et devant pour ce motif être détruite en tant que construction supranationale. Nous les appelons les nonistes (1) terme parfaitement à l'absence de débouchés concrets à leur thèses. Les autres prennent acte de l'existence de la construction européenne et entendent en changer l'orientation. Nous les appelerons les alter-européens, catégorie dans laquelle je me range, ayant voté non à Maastricht et oui au TCE.
Cette ligne de fracture se retrouve assez logiquement dans la blogosphère. Ainsi Edgar de la lettre volée, un noniste monomaniaque et enragé, vient de m'interpeller assez violemment après un échange de commentaires ici, qualifiant Emmanuel Todd de "personnage léger" et le protectionnisme européen "d'idée creuse".
Edgar a annoncé qu'il démontrerait bientôt en quoi le protectionnisme est une idée creuse. J'attends son billet avec impatience et gourmandise et me ferait un plaisir de le tailler en petits morceaux... Je répondrais ce soir à ses objections sur l'Europe et sur l'Euro.
En préambule, on doit rappeler une évidence qui unit alter européens et nonistes : L'Europe est une construction libérale destinée à vider les Etats de leurs prérogatives et à les soumettre à tous les dogmes de la pensée néolibérale.
Néanmoins l'Europe est une aussi construction politique, une tentative d'organiser l'apendice du continent eurasiatique autour de certaines valeurs. Rien n'indique donc qu'elle soit par essence néolibérale. Lors de ses avancées des années 80 et 90, les idées néolibérales étaient dominantes. On les retrouve donc assez logiquement dans les textes organisant les compétences transférées. Mais le contenant ne peut pas être réduit au contenu. Exercer une compétence ensemble est une chose, l'exercer dans une perspective idéologique donnée en est une autre.
Ca prendra du temps et nécessitera des traités correctifs et certainement un acte de nature réellement constitutionnelle ayant valeur supérieure aux traités existants, mais techniquement, comme politiquement, la réorientation du projet européen n'a rien d'impossible.
Réorienter l'Europe plutôt que la combattre
La première objection des nonistes est de souligner le caractère utopique de cette conversion et la difficulté à convaincre les autres. "Autant demander à Benoit XVI de se convertir au bouddhisme" nous dit Edgar avec humour.
L'argument est absolument sans contenu. Il suppose que nos voisins seraient par essence libéraux comme le pape est par essence Chrétienne. A part la Grande Bretagne (et encore), aucun peuple Européen n'a inscrit dans son patrimoine génétique l'attachement à la globalisation économique ni la doxa néolibérale dans sa constitution.
Emmanuel Todd nous dit qu'il faut convaincre l'allemagne qu'un système protectionniste coopératif serait dans son intérêt. On est dans un raisonnement économique et dans la politique, pas dans le domaine des croyances. Tant que les Etats européens seront des démocraties, on peut espérer que cette rupture conceptuelle ait lieu dans tout ou partie des pays européens. Mais pour cela, encore faudrait-il que le débat ait lieu. Or, aucun parti français, ni aucun candidat majeur n'ont à ce jour jamais défendu le thème du protectionnisme européen ou la nécessité de réorienter l'Europe à partir de propositions concrètes !
La bataille reste à mener. Et refuser de défendre une idée au motif que les autres seront difficiles à convaincre, c'est le point de départ de la pensée zéro au pouvoir depuis vingt ans. "Il y a le réel et rien d'autre. Inutile de le penser. C'est comme c'est et puis c'est tout ... "
Alors les nonistes nous diront que « Yaka sortir de l'europe » ... Certes, mais au delà des arguments de fond qui s'opposeraiten à un retour dans la petitesse de l'Etat Nation, je me me ferais un plaisir de leur demander comment ils compte convaincre démocratiquement la moitié de nos compatriotes de quitter l'Union Européenne et de restaurer des frontières gardées aux quatres coins du pays et en quoi cette entreprise serait plus simple que de convaincre les allemands de relancer l'économie européenne à l'abri de protections commerciales ?
Et là, les plus révolutionnaires d'entre eux nous diront certainement qu'il n'y a plus rien à attendre de la démocratie, mais là, je les laisserais parler...
Depuis quand une idée serait fausse parce que minoritaire ?
Une Europe politique pour réguler le monde
La deuxième critique des nonistes est une forme d'ironie sur la vélléïté de construire une Europe puissance susceptible de faire contre poids à l'empire américain. Edgar nous dit que « maintenant que Bush est parti, l'argument tombe »
Comme en matière économique, le nonisme a donc pour effet d'assurer la perpétuation de l'empire américain et de ses valeurs... Or un souverainiste, un vrai, n'a aucune envie de vivre sous le joug économique, politique, culturel et militaire d'un empire quel qu'il soit, que celui-ci soit dirigé par un fou de Dieu, par un jeune noir sympathique ou pourquoi pas demain par le parti communiste chinois.
L'éveil d'une Europe politique, est le seul moyen pour se libérer du modèle dominant issu d'outre atlantique et demain, pour définir un nouveau modèle économique et social plus conforme à nos valeurs. L'Europe nous a conduit à abandonner notre souveraineté mais elle en réalité est le seul moyen de la recouvrer effectivement.
Comme le répète inlassablement Emmanuel Todd, l'Europe est le centre de gravité économique, industriel et technologique de la planète. En termes de valeurs et de modèle de civilisation, l'Europe est peut-être encore mieux placé pour le leadership mondial. C'est la seule aire de civilisation à présenter un modèle viable fondé sur des idées saines.
Or l'éveil d'une 'Europe politique passera nécessairement par une réforme des institutions et notamment un président du conseil stable. La présidence française l'a illustré avec force : L'Europe de Bruxelles sera toujours un nain politique condamné à répété ses dogmes comme des mantras. Seule une direction réellement politique de l'Europe pourra la remettre en mouvement. C'est pourquoi le TCE ou son nouvel avatar le traité de Lisbonne est une nécessité, même si c'est encore un petit pas dans la bonne direction.
Le fétichisme monétaire et la diabolisation de l'Euro
Les nonistes ont enfin l'insupportable défaut d'être resté bloqué intellectuellement à l'époque de leur émergence politique, au début des années 90, à l'époque du franc fort qui a fait tant de dégâts économiques et sociaux. Les tenants de "l'autre politique" combattaient alors, et la politique monétaire de Trichet-Bérégovoy et le traité de Maastricht. Depuis les nonistes continuent de diaboliser l'Euro, par définition fort, comme à la grande époque de leur âge d'or politique sans se rendre compte que le contexte n'est plus le même avec la globalisation et la financiarisation de l'économie.
Sans être un spécialiste des questions monétaires, j'ai cru comprendre qu'il y avait deux manières de porter une appréciation sur le cours d'une monnaie.
- Sa valeur relative qui a un impact sur la balance commerciale via le rapport entre les prix des productions locales et celles des productions importées. Plus une monnaie est faible, plus les exportations sont compétitives et plus les importations sont freinées.
- Son taux d'intérêt qui sert principalement à faire varier son cours sur les marchés, qui lui a un impact sur la création de monnaie, un taux d'intérêt faible étant sensé générer de la croissance.(2)
L'idée à laquelle s'accrochent les nonistes depuis 15 ans est qu'une monnaie faible est un gage de prospérité économique. Si ça va mal, c'est la faute à l'Euro ... Ainsi Edgar, que l'on ne connaissait pas aussi américanophile nous récite un bréviaire néoconservateur en citant la politique de la réserve fédérale en exemple et en accusant la politique monétaire américaine d'être responsable de la crise. Rien que ça ...
« et si l'euro et l'Europe étaient non pas victimes mais causes partielles de la crise mondiale ? Et si l'argument américain selon lequel il manquait des relais de la croissance mondiale dans les années 2000 avait une certaine consistance ? Car enfin, qui a comprimé la croissance de la zone euro jusqu'à en faire une zone de la planète parmi les moins performantes économiquement ? »
C'est en réalité un magnifique contre exemple qu'il nous livre, tant il est évident aujourd'hui que les taux d'intérêts très bas en vigueur aux Etats-Unis dans la décennie 2000 n'ont suscité que dettes, spéculation et bulles boursières ou immobilières. Si au terme de cette période faste, les Etats-Unis s'étaient renforcés sur le plan industriel et en termes d'échanges extérieurs, cela se saurait ...
L'argument de la compétitivité extérieure est quand à lui juste mais très limité, tant il est possible de compenser une monnaie forte, soit par des mesures de protections commerciales pour compenser le dumping monétaire des pays à monnaie trop faible, soit des mesures fiscales type TVA sociale, comme l'a pratiqué l'Allemagne dans la même période.
Comme le disait Roland Hureaux dans une tribune publiée dans le figaro en juillet dernier : "on peut avoir la monnaie forte et le protectionnisme, une monnaie sous-évaluée et des frontières ouvertes mais la combinaison des deux intégrismes, une monnaie surévaluée et le libre-échange, est dévastatrice pour l'industrie : et c'est bien ce à quoi on assiste aujourd'hui".
La question de la valeur de la monnaie ne serait donc être isolée comme l'alpha et l'oméga de la politique économique. La question ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd'hui que dans les années 90. Le libre échange et la financiarisation de l'économie sont passés par là pour rendre totalement obsolète le logiciel noniste inspiré par "l'autre politique" des années 90.
L'enjeu aujourd'hui se situe bien d'avantage dans la régulation du commerce mondial pour recouvrer notre souveraineté économique, pouvoir relancer les salaires et l'industrie via un protectionnisme européen de relance ; ou dans des réformes destinées à réduire l'ampleur et le poids de la sphère financière au profit de l'économie réelle.
Dans les deux cas, le projet prendra une forme européenne ... ou en restera aux incantations protestataires des nonistes.
Malakine
(1) On pourrait également les qualifier de nationaux républicains comme le fait Todd dans "Après la démocratie" dans une description assez sévère où il considère que le national-républicanisme des années 90 est devenu un contrepoids à la pensée unique mais est en réalité aussi vide qu'elle.
(2) A l'époque de la politique dit du franc fort, les taux d'intérêt de la banque de France approchaient les 10%. On en est loin aujourd'hui ...
Malakine se demande "Depuis quand une idée serait fausse parce que minoritaire ?"
Réponse: depuis que l'idée minoritaire est polluée par les préjugés et contredite par les faits.
"Par leur comportement menaçant, [les USA] ont accéléré l’intégration de l’Europe, et rendu irréversible le rapprochement entre l’Europe et la Russie. George W Bush et les néoconservateurs passeront donc dans l’histoire comme les grands fossoyeurs de l’empire américain."
(source : http://horizons.typepad.fr/accueil/2006/12/aprs_lempire_de.html )
Rédigé par : Intellectuel Du Dimanche | 31 décembre 2008 à 18:27
Le projet européen me paraît être une absurdité par lui-même. Ne suppose-t'il pas que les peuples vont évoluer à peu près de la même façon, à peu près en même temps ou alors que nous sommes l'aboutissement de l'évolution de l'homme.
Si, en 2050, la jeunesse d'un grand pays d'Europe se réveille et dit "Nous voulons vivre d'une autre façon". Croyez-vous qu'il sera possible de l'arrêter? Pour prendre un exemple, si l'UE avait existé en 1788, il aurait fallu renoncer à la révolution française au nom du rêve européen.
Rédigé par : Didier Bous | 10 janvier 2009 à 11:56