Le Grand Jury RTL-le Figaro-LCI, l’émission politique phare du paysage audiovisuel a sonné la fin de la trêve estivale en invitant l’ancien premier ministre Dominique de Villepin. Lui qui avait marqué la rentrée dernière avec des attaques particulièrement fortes contre le nouveau pouvoir, a changé de registre. Le meilleur opposant de Sarkozy s’est transformé en un personnage, comme la vie politique française en a déjà légion, un jeune retraité de la politique qui se pose en expert de l’exercice du pouvoir et en conscience morale de son camp.
Il est vrai que le format de l’émission ne l’a pas aidé. Le temps où les interviewers se donnaient pour mission de rendre intelligible la pensée de l’invité semble déjà loin. Aujourd’hui, les journalistes recherchent l’adhésion de l’invité aux dogmes sans surprises qu’ils professent. L’affirmation idéologique des crédos de la droite libérale a remplacé la question interrogative. De ce point de vue, nos gardiens de la pensée unique devaient être satisfaits, car Villepin a dit ce qu’ils lui enjoignaient de reconnaître. Oui, il faut baisser plus vite les dépenses publiques. Oui, il faut aller plus loin dans les réformes. Oui, il faut baisser les charges...
Pourtant Villepin semblait avoir des choses intéressantes à dire, si on avait bien voulu le laisser s’exprimer. Le propos qu’il avait semble t-il prévu de développer portait sur le sujet qui a fait l’objet de nos deux derniers articles à savoir l’adaptation de la France à la mondialisation.
Pour lui, toute réflexion politique doit aujourd’hui prendre appui sur la situation politique et économique internationale, tant la contrainte extérieure est devenue lourde et tant la crise est profonde. C’est une page de 500 ans de domination occidentale sur le monde qui se referme. Demain est devenu illisible et plein d’angoisses. Et comment se montrer audacieux et entreprenant lorsqu’on a peur pour sa retraite ou l’avenir de ses enfants ?
Il entreprit alors de dérouler un plan en plusieurs points pour adapter la France à la mondialisation. Son contenu ne semblait pas d’une folle originalité : Changement d’assiette pour le financement de la protection sociale, réduction des dépenses publiques, renouveau des politiques de compétitivité, notamment sur les produits lié à la révolution écologique « sinon nous financerons des produits chinois » …
L’originalité du propos était moins dans le contenu de son plan que dans sa forme, un contrat à passer avec les Français aux termes duquel des garanties seraient prises sur la pérennité de certains points du système social en contreparties de quoi des efforts d’adaptation leur seraient demandé. Et probablement aussi des concessions.
Il commençait à dessiner les grands traits d’un programme présidentiel, partant d’un diagnostic lucide et pessimiste, inspiré par une vision d’ensemble et un souci de l’avenir, exigeant courage, pédagogie et esprit de rassemblement.
Malheureusement, les journalistes ne l’ont pas laissé faire. Il s’est fait sèchement interrompre sur le mode « on n’en est pas à faire un programme du gouvernement ! » La description d’une alternative à la non-politique de l’équipe actuelle ne les intéressait pas. Ce qu’ils voulaient c’était une approbation de leurs convictions de café du commerce, quelques commentaires (de préférence polémiques) sur Sarkozy (là, ils ont été déçus) et une analyse diplomatique autorisée sur la situation en Afghanistan et dans le Caucase, exercice auquel Villepin s’est brillamment et volontiers plié.
On a d’ailleurs retrouvé dans ces développements le Villepin qu’on aime, celui du discours de l’ONU, un homme qui a une certaine idée de ce que devrait être la diplomatie française et qui refuse de se coucher devant les américains. Il a salué la médiation de Sarkozy entre Moscou et Tbilissi, condamné l’extension à l’est de l’OTAN et son évolution récente en alliance universelle ayant vocation à se substituer à l’ONU et indiqué qu’il était temps de préparer le retrait des troupes d’Afghanistan, car « on ne peut pas gagner militairement une guerre contre une guérilla qui est de plus en plus soutenue par la population »
En revanche, si l’homme d’Etat ne manque jamais de panache et le diplomate de lucidité, l’homme politique manque singulièrement de courage.
Une fois de plus, Villepin a confirmé son aversion pour le suffrage universel et l’idée même de l’élection. Villepin est quelqu’un qu’on nomme, pas qu’on élit. Il ne sera donc pas candidat aux européennes, ni à quelconque autre scrutin.
Il aurait pourtant pu trouver dans l’Europe un rôle à sa mesure et ensuite certainement des fonctions où son talent aurait pu s’exprimer au sein des institutions communautaires. Il pourrait s’investir dans la vie politique pour construire une alternative à droite, à la manière de Sarkozy entre 2002 et 2007. Pourquoi pas faire alliance avec Bayrou ou prendre le contrôle de l’UMP en en faisant un laboratoire d’idées pour le prochain quinquennat ?
Manifestement notre homme n’a pas un goût prononcé pour les joutes partisanes, la rencontre avec les électeurs et les stratégies de conquête du pouvoir. Il préfère éclairer le débat d’idées « pour aider le pays à sortir de la crise conjoncturelle et structurelle dans laquelle il est »
Villepin n’est pas fait du même bois qu’un Sarkozy, un Copé ou même un Juppé. Il ressemble plus à un Delors, un Attali ou un Balladur, ceux qui adorent le pouvoir autant qu’ils détestent l’électeur. Villepin est un homme d’Etat, un intellectuel, un poète, un historien, un diplomate, un haut fonctionnaire … mais non un homme politique. C’est bien dommage.
… ou peut-être est-il justement un fin politique très sensible au rapport de force et très lucide sur les chances de succès d’une aventure en solitaire à la Bayrou. Peut-être finalement ménage t-il Sarkozy et se préserve t-il pour être en mesure d’être le candidat naturel de la droite en 2012, si Sarkozy renonçait à se représenter ?
En attendant, à force de vouloir être à la fois un écrivain, un professeur et un politique. A refuser de choisir entre le registre du recours, de l’alternative et du retraité, Dominique de Villepin n’a jamais été aussi prêt de disparaître définitivement du jeu.
Malakine
Bon billet malakine.
A mon avis, Villepin est à l'image des gens d'aujourd'hui, des touches à touches, mais qui au fond ne mouillerait pas leur chemise pour le plus petit d'entre nous. C'est que leur affaire est d'un ordre. Il me parait sortit de l'antiquité tel l'empereur romain Hadrien, IIè siècle. Philosophe et qui dirigeait un empire. A ce sujet, je vous conseil les mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar. Le monde d'aujourd'hui n'a plus de place pour des hommes tels que lui, comme le suggérait Mitterrand, à la fin de sa vie. Disant qu'il était peut-être le dernier des présidents romantiques après l'avènement des managers et des comptables. Des chiffres portés par des hommes incultes, qui ne font rêver personne. Mal nécessaire ou pas, pour finir, je dirais que Villepin est un animal assez étrange comme sortit de l'histoire. Dans la lignée de St John Perse, poète et diplomate, Malraux, ministre de la culture et le génie littéraire qu'on connait, voir De gaulle car ses mémoires sont une oeuvre littéraire à elle toute seule. La question qui nous est posé à mon avis à travers Villepin, c'est cette notion de liberté induite dans la littérature et la poésie : Peut-elle encore nous donner un grand chef d'état. Nous faire rêver à un monde meilleur où la vérité, la passion, l'humanité seraient les éléments de notre fierté et non le prétexte à la mise sur le trône d'un énième imposteur à la rhétorique enflammée. Car qu'on le veuille ou non, la France est un pays métaphysique.
Extrait des mémoires d'Hadrien de yourcenar, qui aurait pu sortir de la bouche d'un Villepin.
"Je ne me lasse pas de comparer l'homme habillé à l'homme nu. Mais ces rapports si naïvement circonstanciés s'ajoutent à la pile de mes dossiers sans m'aider le moins du monde à rendre le verdict final. Que ce magistrat d'apparence austère rit commis un crime ne me permet nullement de le mieux connaître. Je suis désormais en présence de deux phénomènes au lieu d'un, l'apparence du magistrat, et son crime.
Quant à l'observation de moi-même, je m'y oblige, ne fût-ce que pour entrer en composition avec cet individu auprès de qui je serai jusqu'au bout forcé de vivre, mais une familiarité de près de soixante ans comporte encore bien des chances d'erreur. Au plus profond, ma connaissance de moi-même est obscure, intérieure, informulée, secrète comme une complicité.
Au plus impersonnel, elle est aussi glacée que les théories que je puis élaborer sur les nombres: j'emploie ce que j'ai d'intelligence à voir de loin et de plus haut ma vie, qui devient alors la vie d'un autre. Mais ces deux procédés de connaissance sont difficiles, et demandent, l'un une descente en soi, l'autre, une sortie hors de soi-même. Par inertie, je tends comme tout le monde à leur substituer des moyens de pure routine, une idée de ma vie partiellement modifiée par l'image que le public s'en forme, des jugements tout faits, c'est-à-dire mal faits, comme un patron tout préparé auquel un tailleur maladroit adapte laborieusement l'étoffe qui est à nous. Equipement de valeur inégale; outils plus ou moins émoussés; mais je n'en ai pas d'autres: c'est avec eux que je me façonne tant bien que mal une idée de ma destinée d'homme."
Rédigé par : rodolphe | 25 août 2008 à 23:06
@ Malakine
Pour une fois, nous n’allons pas être d’accord, même si ton papier reste très intéressant. Je développe ma réponse sur mon blog, mais je crois que DDV a raison de changer de stratégie.
L’opposition frontale telle qu’il l’a menée pendant quelques mois était contre-productive. Alors qu’il cherchait à se placer sur le terrain des idées (appel de Marianne), tout ce qu’il disait était vu par le prisme de sa rivalité avec Nicolas Sarkozy, ce qui ne lui permettait pas de développer le moindre contenu. Cet apaisement est le préalable pour qu’il puisse développer les aspects que les journalistes ne lui laissent pas encore développer aujourd’hui. Certes, ces prises de position font moins la une des journaux, mais on oublie jamais complètement un ancien Premier Ministre. N’oublions pas que Ségolène Royal n’était rien deux ans avant la présidentielle ou que Bayrou a été d’une grande discrétion jusqu’en février 2007.
Son refus de se présenter me semble également la meilleure des solutions, pour trois raisons. Tout d’abord, cela lui laisse une plus grande liberté que s’il devait tous les jours s’exprimer sur les textes du gouvernement. Les élections européennes, en outre, me semble un piège digne de celui tendu par François Mitterrand à Michel Rocard en 1994. Mais surtout, en refusant de se noyer dans la masse des élus UMP, Dominique de Villepin conserve un statut proche de celui de Nicolas Sarkozy. Il n’est pas un de ses affidés, un de ses trophées. Se présenter à la députation (européenne ou Française) le rétrécirait.
Ce n’est malheureusement qu’en 2012 qu’il sera possible de juger de la pertinence de cette stratégie mais plusieurs éléments me font penser qu’elle est la meilleure. Je suis persuadé qu’alors, il sera difficile de se dire qu’il n’aurait pas été plus pertinent de l’avoir élu cinq ans auparavant…
Rédigé par : Laurent, gaulliste libre | 26 août 2008 à 10:28
@Malakine,
Très bel article!
Par hasard, je l'ai lu sur "Marianne" avant de passer par ton blog.
L'analyse que tu fais de DDV me semble pertinente mais pas la comparaison avec Sarkozy.
Certezs, le second a affronté les électeurs mais soyons honnêtes, la conquête de la mairie de Neuilly a été une trahison. Ce dernier terme est tout a fait à l'image de notre actuel président qui a tout fait pour évincer galouzeau de V., dans l'affaire Clearstream, par exemple.
Je comparerai DDV à Delors, comme tu le fais, ne serait-ce que dans le refus d'affronter le suffrage universel mais, plus profondémént, les idées qu'il exprime sont toujours à prendre au sérieux, comme celles qui n'est plus...que le père de Martine Aubry.
Je le verrais bien candidat en 2012. D'ici là, il serait nécessaire qu'il se fasse entendre et que les médias ne le snobent pas comme c'est le cas.
J'avais apprécié son discours de l'ONU et je me suis demandé quel aurait été le sien devant les dépouilles de nos 10 soldats. Sans commentaires!
Rédigé par : Philippe | 26 août 2008 à 11:26
Bel article, comme il devient convenu de l'écrire en prémices sur ce blog ! ^^
Sinon, je partage les réserves de "Laurent..." et en particulier je pense que les élections européennes seront un piège pour l'UMP comme pour le PS : pas difficile de prévoir une forte démobilisation et une belle performance (en %) des extrêmes.
"un contrat à passer avec les Français... avec des garanties... et des concessions" dit-il : ça nous changerait du souci de "toujours cliver plus" pour mieux se rendre populaire. Cà nous changerait au moins au niveau de l'ambiance, mais pour se faire élire l'autre stratégie restera, ma semble t-il, toujours plus payante. Malheureusement.
Rédigé par : PeutMieuxFaire | 26 août 2008 à 14:45
Il y a en fait deux choses à distinguer : La mise en sourdine des critiques contre Sarkozy d'un coté et le positionnement de DDV de l'autre.
Sur l'apaisement, je suis d'accord avec Laurent. La stratégie d'opposition systématique est contre-productive. Et en plus il y a déjà Bayrou sur ce créneau. En revanche, je suis très perplexe sur son positionnement d'intellectuel prescripteur de conseils.
Dans l'opinion publique et dans l'oeil des médias Villepin n'est pas dans la course pour 2012. Dans ces conditions il est impossible d'exister politiquement. Il n'y qu'à voir à gauche comment Moscovici a du mal à faire passer l'idée qu'il est sérieusement "premiersecrétarisable".
Il ne faut pas rêver. Personne n'appelera Villepin. Pas plus qu'on ait allé cherché Jospin, Seguin ou Juppé. Si Villepin veut avoir un avenir politique il doit être dans le jeu. Pour l'instant il est quelque peu dans l'univers médiatique avec ses livres mais il n'est pas dans le jeu politique. Et il ne pourra y revenir sans prise de risque. Qu'il s'agisse d'un investissement dans la campagne européenne ou bien de déclarations claires annonçant ses intentions politiques.
Rédigé par : Malakine | 26 août 2008 à 15:06
@Malakine
DDV n'a plus qu'a rejoindre NDA pour former une alliance gaulliste et républicaine crédible. Ils s'aideraient mutuellement, l'un (DDV) apportant son charisme et son aura médiatique de la belle époque de l'Irak, l'autre NDA apportant son sérieux, ses propositions concrètes à caractère interventionnistes, bref ils se complèteraient me semble-t-il, chacun possédant quelque chose que l'autre n'a pas. Mais cette hypothèse d'un rassemblement gaulliste reste il est vrai, peu vraisemblable.
Rédigé par : yann | 26 août 2008 à 15:35
@ Malakine,
C'est clair, personne n'appellera DDV : il n'est pas le Général. Mais ce n'est pas grave. Une traversée du désert fait rarement du mal aux hommes politiques. Au contraire, ils en sortent renforcés. Après tout, Bayrou a été très discret de 2002 jusqu'à début 2007 avant de faire un très bon score. Il n'est pas grave que DDV soit discret dans les prochaines années.
En revanche, il lui faudra oser devenir candidat en 2012 contre NS, ce qui n'est pas évident...
@ Yann
Je partage complètement ce point de vue, tant sur l'intérêt de ce rassemblement, que, malheureusement, sur sa probabilité. Mais, on ne sait jamais.
Rédigé par : Laurent, gaulliste libre | 26 août 2008 à 17:57
@Rodolphe,
Très intéressant ton commentaire.
Mais Václav Havel est un bon contre exemple.
Pour tout dire, il me semble que c'est uniquement en France qu'on ne peut avoir un Hadrien, pas dans le monde moderne.
En France ou notre médiacratie, figée qu'elle est dans ses terreurs, son virtualisme et dans ses petits intérêts : n'accepterait en effet sans doute pas un homme hétérodoxe.
@Malakine,
Marrant, je ne sais pourquoi, mais Galouzeau m'a souvent été sympathique... peut-être les traces subliminales de son discours en direct sur CNN à l'ONU ?
GDV + NDA ? Cela me plairait maousse-costaud, mais il ne faut pas se faire trop d'illusions quand à la compatibilité des ego !
Et puis seraient-ce eux qui baisseraient les obscènes plafonds de sécu des nantis (lol)?
Au sujet du CNE dont les économistes cathodiques on parlé sans avoir pris le temps d’en calculer le montant : cela coûtait la peau des fesses aux patrons !
J’ai eu le malheur d’embaucher 2 nénettes avant de prendre ma retraite : Une folie !
Bizarre, personne, ni dans la médiacratie, ni dans l’éconocratie n’avait pris le temps de calculer les indemnités d’un licencié après 3 ou 4 mois.
Bon, bon, çà và, je sais, c’est le réel, inintéressant donc !
Pourtant si l’inculture des journalistes n’avais pas été patente au sujet des CNN et CNE, GDV serait peut-être sortit vainqueur du clash ! Étonnant non ?
Rédigé par : ozenfant | 26 août 2008 à 19:45