Les débats de l’été continuent avec une question qui a occupé toutes les années 80 : Nationalisations contre privatisation ?
La bataille idéologique a définitivement été gagnée par la droite libérale dans les années 90, jusqu’à ce que la mondialisation change la donne est que réapparaisse avec Sarkozy le thème de l’Etat actionnaire : Sauvetage d’Alstom, nationalisation des chantiers navals de l’Atlantique, transformation de la Caisse des Dépôts en fonds souverain, assisterait-on au retour au capitalisme d’Etat dans le cadre d’une nouvelle alliance entre public et privé. Le débat fonctionnerait-il désormais à front reversé avec une droite devenue plus interventionniste que la gauche ? La nationalisation partielle ou totale serait-elle simplement un instrument d’une politique économique, quelle qu’elle soit, que le PS gagnerait à redécouvrir dans le cadre de sa refondation ?
« L’Etat n’a pas vocation à construire des voitures » Cette phrase que l’on a entendue beaucoup dans les années 80 à soldé le long débat sur les nationalisations qui fût au cœur du débat politique pendant au moins une décennie. Droite, Gauche et opinion se sont finalement accordées sur l’idée archi schématique suivante : Ce qui est une activité marchande doit relever du privé. Ce qui est un service public doit être géré par une entreprise publique.
Une bataille idéologique gagnée par forfait
A l’origine, lorsque la gauche du programme commun avait nationalisé, c’était pour conduire une politique industrielle à long terme, dans le cadre d’une relance de la planification. Lorsqu'on revoit Jean Pierre Chevènement en 1983, alors ministre de l’industrie, présenter au journal télévisé les nouveaux contrats de plans pour l’industrie, on a l'impression que la vidéo date d’une époque où la France vivait sous un régime soviétique !
Avec le tournant libéral européen de 1983, la gauche a abandonné cette prétention à piloter l’économie depuis un Etat centralisé, pour se mettre au diapason du néolibéralisme de l’époque. La gauche pendant la quinzaine d’année qui a suivi a continué à s’opposer au principe des privatisations sans pour autant être en mesure de prôner un retour aux nationalisations. Le débat ne portait plus sur l’organisation de l’économie mais sur son degré d’ouverture au capitalisme. Plus il y avait d’entreprises nationales et moins de place était faites à l’actionnaire ou à la logique de profit. C’était l’époque du deuxième mandat de Mitterrand, du "ni-ni" : Ni-nationalisation (on ne savait plus pourquoi) ni privatisation (on n’allait pas faire ce cadeau aux boursicoteurs)
Le débat s’est définitivement clos avec le gouvernement Jospin qui a plus privatisé que n’importe qui. Il ne s’agissait par pour autant d’une conversion idéologique qui aurait signifié une volonté de l’Etat de se retirer de la vie économique, même si la malheureuse phrase de Jospin devant les salariés de Danone « L’Etat ne peut pas tout » a été interprété en ce sens.
Le PS s’est converti à la privatisation, avant tout pour des motifs opportunistes et pragmatiques. A cette époque de flambée des cours de bourse, les cessions d’actifs publics permettaient à l’Etat de boucler ses fins de mois. Il n’y avait aucune logique industrielle dans les privatisations des années 1997-2007.
Le seul élément de fond qui a pu dans ces années plaider en faveur des privatisations fût le scandale du crédit Lyonnais, que beaucoup ont interprété comme le symptôme de l’incapacité de l’Etat à gérer correctement des entreprises. La suite à montré, avec la gestion de Michel Bon à France Télécom ou de Jean Marie Messier à Vivendi, qu’il s’agissait surtout d’un problème de formation des élites techno-économique françaises.
En tout état de cause, la vague de privatisation de 1986 à 2007 n’a absolument pas traduit une libéralisation de l’économie. L’intense politique d’aide en direction des entreprises (60 milliards par an) qui ne s’est pas démentie avec l’arrivée au pouvoir de Sarkozy suffit à prouver que l’Etat n’a aucunement renoncé à toute prétention à influer sur l’économie.
La question des prises de participation de l’Etat est revenue discrètement au tournant des années 2000. D’abords avec le fonds de réserves pour les retraites, créé par Jospin en guise de réforme des retraites. Puis, de manière plus fracassante par le sauvetage d’Alstom en 2003, et plus récemment, par la nationalisation partielle (et très discrète) des chantiers navals de l’atlantique. Nicolas Sarkozy semble vouloir désormais disposer d’un cadre théorique à ce type d’intervention en disposant d’un « fonds souverain » qui serait le bras armé de l’Etat pour des prises de participation dans les entreprises françaises ou mondiales.
Ce retour en grâce de l’Etat actionnaire s’explique par trois facteurs liés à la mondialisation :
Une forme de protectionnisme financier. Une prise de participation minoritaire de l’Etat est de nature à éviter des OPA hostiles. On dit à ce propos que Sarkozy a été traumatisé par la prise de contrôle de Péchiney par le canadien Alcan qui avait finalement abouti au dépeçage de notre champion national.
Un contournement des règles bruxelloises. Le droit de la concurrence communautaire règlemente sévèrement les aides aux entreprises. La prise de participation de l’Etat via un bras armé, permettrait de les contourner aisément et en toute légalité. Généralisé, ce type d’intervention permettrait de renouer avec une certaine politique industrielle.
Organiser une épargne publique et générer des ressources fiscales. L’an passé, l’Etat a empoché 5 Milliards d’Euro de dividendes, et cela malgré la vague de privatisation de ces deux dernières décennies. On imagine quelles seraient aujourd’hui ces rentrées s’il avait conservé son portefeuille d’action !! Cette logique du « boursicotage d’Etat » est à la base de la création du fonds de réserve des retraites. La France ne disposant pas, comme les Etats disposant de vrais fonds souverains, d’excédents commerciaux ou de manne pétrolière a du mal à alimenter cette épargne collective. Il n’en reste pas moins que les prises de participation publiques peuvent être conçues à l’heure du capitalisme actionnarial triomphant dans une logique de production de ressources publiques.
Ré-ouvrons donc le débat sur les nationalisations en se posant la question suivante : Peut-on envisager un retour à l’Etat-actionnaire pour réguler la mondialisation et tempérer le nouveau capitalisme financier ?
Le contexte des années 2010 n’est plus celui des années 80. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’organiser l’économie dans une logique de planification ou de restreindre la sphère marchande pour préserver un secteur protégé. Il s’agit aujourd’hui de jouer avec les règles du jeu imposées par la mondialisation libre échangiste et le capitalisme financier.
Pour cela, il est cependant nécessaire que l’Etat actionnaire change de nature. Il ne doit plus seulement comme actuellement jouer un rôle d’actionnaire stable dans une logique purement patrimoniale. Il doit jouer son rôle d’actionnaire de manière active en faisant valoir une certaine vision de l’intérêt général dans les décisions stratégiques des entreprises.
Ancrer les multinationales françaises sur le territoire national
Une entreprise moderne n’a ni cœur, ni patrie. Elle va où la porte ses intérêts. Dans le cadre d’une mondialisation sauvage, il est évident qu’elle est soumise à de forte tentations pour délocaliser ses production et à investir prioritairement dans les pays émergents, quitte à sacrifier les intérêts du territoire qui les a vu naître.
La France n’exporte pas comme l’Allemagne depuis son propre territoire. Sa compétitivité s’exprimant surtout dans le domaine des grandes infrastructures publiques, ce qu’elle « exporte » elle le développe souvent sur place : Qu’est ce que la France gagne lorsque qu’Alstom décroche un contrat pour un tramway en Argentine, Areva une centrale nucléaire en Chine, Suez une usine de désalinisation de l’eau de mer en Lybie, lorsque Renault construit et vend sa Logan en Russie ou lorsque carrefour se développe au Brésil ? Les investissements et les emplois se font sur place. Les profits sont également taxés sur place. Les dividendes sont versés aux actionnaires anonymes dont une part croissante est étrangère. Qu'est ce qui revient en France si ce n'est des bonus pour la rémunération des "top managers" ?
Des prises de participation de l’Etat auraient le mérite d’intéresser la collectivité au développement à l’international des géants du CAC 40. Elle permettrait également de veiller au maintien sur le sol national des centres de décisions et des emplois les plus stratégiques.
Endiguer la pression du capitalisme financier sur le capitalisme industriel :
Les menaces que fait peser le capitalisme financier sur l’économie réelle sont aujourd’hui bien connues : Courtermisme qui fait renoncer aux investissements, pression sur les salaires, course au moins disant…. Un Etat actionnaire disposant d’une participation minoritaire pourrait être garant d’un mode de management raisonnable où le capital ne serait pas exagérément rémunéré par rapport au travail, où la priorité serait toujours donnée au développement de l’appareil de production sur le rendement financier, où le soutien à la demande dans les pays consommateur ne serait pas totalement ignoré, où les sous-traitants seraient traités en partenaires, où des partenariats durables et équilibrés se noueraient avec les territoires de production…
Le renouveau des prises de participation publiques pourrait s’appliquer en particulier au domaine de la grande distribution. Lorsque le gouvernement nous affirme que les distributeurs ne peuvent pas rétrocéder aux consommateurs les ristournes qu’ils négocient sur les producteurs, il nous dit en réalité que les profits de ces groupes sont excessifs ! La solution la plus efficace serait de les contraindre « de l’intérieur » à réduire leurs marges tout en ayant une politique d’achat plus responsable. Compte tenu de la faible valeur ajoutée apportée par la distribution et de l’importance des enjeux pour le consommateur comme le producteur, on serait même tenter de se demander si cette activité ne relève pas davantage d’une logique de service public que de l’initiative privée (où sont la créativité, l’innovation, la prise de risque ?)
La même remarque pourrait être faite en ce qui concerne le secteur bancaire pour notamment garantir une politique d’investissement dynamique et profitable à l’économie nationale (plus de crédits aux PME et moins de subprimes) …
Aider réellement les PME à grandir
Le constat est désormais rabâché par tous les ministres du commerce extérieur. Dans la compétition internationale, la France souffre de sa carence en PME dynamiques, capables de se battre sur les marchés mondiaux. Notre tissu de PME est trop marqué par la sous traitance d’exécution, fortement sous capitalisé et en carence sur les fonctions de pilotage. Pour corriger ces carences, on déverse sur le tissu de PME des masses considérables d’aides … avec le même effet que si l’on arrosait du sable. Les limites de tous les systèmes d’aides connus autant que les faiblesses à résoudre : absence de contreparties, dispositifs indifférenciés, effets d’aubaines…
Ayant moi-même pratiqué cette passionnante activité pendant quelques années, je suis arrivé à la conclusion que le seul moyen d’aider efficacement une PME, c’est d’intervenir massivement en capital en proposant un partenariat de long terme avec de véritables prestations de service d’appui au chef d’entreprise. La collectivité doit savoir se comporter en associé, pas seulement en financeur qui cherche à acheter des emplois ou des futures recettes de taxe professionnelle.
Une ou plusieurs structures d’Etat ou régionales pourraient ainsi cibler les entreprises les plus prometteuses pour les accompagner dans leur développement. Le coût pour la collectivité serait bien moindre qu’actuellement avec les systèmes de subventions indifférenciées, car l’aide se transformerait en actif public susceptible de se valoriser au cours du temps et de produire des dividendes.
Comment promouvoir cette nouvelle économie mixte ?
La proposition de Sarkozy de doter la France d’un fond souverain a été accueillie avec beaucoup de sarcasmes compte tenu de l’état de nos finances publiques. Il n’est cependant pas certain que ce soit un motif suffisant pour renoncer à l’idée. Les fonds d’investissement arrivent bien à prendre le contrôle de certaines entreprises par endettement, pourquoi l’Etat ne pourrait-il pas se créer lui aussi son portefeuille de prise de participation par l’emprunt ? Il suffit que le rendement du capital investi soit au moins égal aux taux d’intérêts des emprunts d’Etat, ce qui semble un objectif pour le moins accessible.
Pour commencer l’Etat pourrait fusionner la caisse des dépôts, l’agence des participations de l’Etat et le fonds de réserves des retraites. Il pourrait également proposer aux entreprises de payer tout ou partie de leur impôt sur les sociétés en actions. Et, comme cela a été dit plus haut, convertir progressivement l’intégralité des aides au développement économique (mettons les aides à l’emploi de coté) en prises de participation.
Mais l’enjeu majeur en la matière semble se situer ailleurs. L’Etat trouvera toujours l’argent s’il le souhaite. Il lui faudra surtout apprendre un nouveau métier, celui de l’actionnaire public, respectueux des prérogatives du management, capable de discuter de stratégie industrielle, ayant le « sens des affaires », tout en étant pénétré de « patriotisme économique » et n’hésitant pas à défendre une conception de l’intérêt social qui soit un compromis entre celui des actionnaires, des salariés, des clients et des territoires sur lesquels vit l’entreprise.
Alors, pour ou contre un retour de l’Etat actionnaire ?
Malakine
DAVID ROCKEFELLER :
"Nous sommes reconnaissants au Washington Post, au New York Times, Time Magazine et d'autres grandes publications dont les directeurs ont assisté à nos réunions et respecté leurs promesses de discrétion depuis presque 40 ans. Il nous aurait été impossible de développer nos plans pour le monde si nous avions été assujettis à l'exposition publique durant toutes ces années. Mais le monde est maintenant plus sophistiqué et préparé à entrer dans un gouvernement mondial (OMC). La souveraineté supranationale d'une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux est assurément préférable à l'autodétermination nationale pratiquée dans les siècles passés." Dit David Rockefeller qui montre ainsi le vrai visage de notre caricature de démocratie et dans la foulée fait également l’apologie -d’actualité- du système de fascisme financier Chinois :
"Peu importe le prix de la Révolution Chinoise, elle a réussie de façon évidente; non seulement en produisant une administration plus dévouée et efficace, mais aussi en stimulant un moral élevé et une communauté d'ambitions. L'expérience sociale menée en Chine sous la direction du Président Mao est l'une des plus importante et des plus réussie de l'histoire humaine."
Donc, je suis plutôt d'accord avec tes "pourquoi", mais comment convaincre la presse qui croit aveuglement les puceaux de l'économie, ces experts cathodiques qui ont réussi à endoctrinner les crédules journalistes et les parti politiques ?
Rédigé par : ozenfant | 18 août 2008 à 18:30
Oups, j'ai raté le retour de vacances. Sujet très intéressant, d'autant qu'il est à rebours des préceptes néolibéraux encore en vogue. L'exemple d'Alstom montre en effet que l'Etat a encore un rôle à jouer, pour le profit de tout le monde dans ce cas précis puisque cela a sauvé une entreprise qui avait un savoir-faire reconnu mondialement et que l'Etat a plus que largement retrouvé sa mise. Même si cela ne doit sans doute pas être la première mission de l'Etat, il serait sans doute intéressant que la Caisse des Dépôts achève sa mutation en un véritable fond souverain qui aurait les moyens de s'opposer à certains rachats (Péchiney, Arcelor...).
Ce rôle plus large de l'Etat, y compris au niveau industriel, est un des piliers du modèle de développement asiatique (Japon, Corée, Chine), comme le souligne Joseph Stigliz.
Rédigé par : Laurent, gaulliste libre | 18 août 2008 à 22:24
"Un Etat actionnaire disposant d’une participation minoritaire pourrait être garant d’un mode de management raisonnable où le capital ne serait pas exagérément rémunéré par rapport au travail, où la priorité serait toujours donnée au développement de l’appareil de production sur le rendement financier"
Je me marre... La dernière politique long termiste et structurelle, ne répondant pas aux houra de la foule en délire et des sondages date de quand ? Trop longtemps pour que je m'en souvienne. L'Etat n'a rien de long termiste et en ajoutant la situation financiere et les révolutions purement politique (communication) c'est pas demain que nous y assisterons.
Rédigé par : Seb | 19 août 2008 à 11:04
Je vais surement prendre le temps de te répondre dans un billet tant le sujet est intéressant.
A bientot
Rédigé par : Seb | 19 août 2008 à 11:52
Un article qui a le mérite de poser des questions essentielles et qui s'inscrit dans une je pense inévitable reconfiguration à moyen terme de l'organisation économique mondiale.
Comme d'habitude je me propose de tenter d'éclairer le débat à travers une vision plus australe et aprés le dernier échec de ma chère présidente j'éprouve, je le concède, le besoin de faire un peu de kirchnérisme.
Il n'y a pas que le foot dans la vie...
RDV samedi 6h00.
Rappelez vous, présentée dans les années 1990 comme un modèle de réussite des remèdes prescrits par le FMI, puis laissée pour compte fin 2001, alors que son économie sombrait dans l’abîme à cause des mêmes politiques, l’Argentine est depuis 5 ans un pays où l’industrie, les infrastructures, la santé et l’éducation se portent de mieux en mieux, le tout à la grande consternation des vautours financiers internationaux qui ont compris que le processus de relance économique n’a redémarré en Argentine qu’à partir du moment où son président Nestor Kirchner avait rompu avec les règles du jeu du FMI.
Les décisions prises par le gouvernement en termes d’investissement n'ont pas été dictées par des critères financiers, mais par les besoins physiques réels de la nation. Il a surtout su voir dans la tentative de réduire l’Argentine à une économie de services, une autre facette de la politique qui cherchait à imposer « le silence du cimetière » comme l'on dit ici, à la majorité du peuple, tout en permettant à quelques-uns de s’enrichir, le tout sous prétexte de « combattre l’inflation ».
L’Argentine, a dit son Président, veut une société vivante, et c’est pourquoi elle se réindustrialise, investissant à nouveau dans le nucléaire par exemple.
Les méthodes adoptées par le gouvernement de Nestor Kirchner ont été: investissements publics dans les infrastructures et l’industrie, régulation des intérêts privés au profit de l’intérêt général, devoir du gouvernement de favoriser le bonheur du peuple, et surtout le travail !
Pour rappel.
Avant que le FMI ait pris le contrôle de l’économie argentine, suite au coup militaire orchestré en sous main faut il le rappeler, par les USA en 1976, l’Argentine était l’un des pays les plus riches d’Amérique latine, avec un bon niveau de vie, une force de travail qualifiée, un taux d’alphabétisation de 99 % et une impressionnante infrastructure scientifique et technologique. Son dynamisme social rivalisait avec celui de nombreux pays européens.
Après deux décennies et demie de régime FMI, notamment dans les années 1990, avec l’instauration par C Menem d’une dictature économique aussi destructrice que la dictature militaire, l’Argentine n’en pouvait plus. Ses ressources et ses entreprises nationales avaient été bradées, les services publics sabrés et chaque crise de la dette était « résolue » en s’endettant toujours plus. En novembre 2001, le gouvernement confisqua l’épargne populaire pour rembourser la dette extérieure, le système financier implosa et le gouvernement tomba. Ce fut l'un des pire moment de l'histoire du pays.
Dès la fin de 2002, pas moins de 60 % des Argentins vivaient officiellement en-dessous du seuil de pauvreté. La chute fut encore plus brutale que celle qu’allait connaître l’Indonésie suite à la « crise asiatique » de 1997-98. Au cours de 2002, le nombre de pauvres augmentait de 762 000 par mois, soit 25 000 par jour ! La classe moyenne, autrefois symbol de la modernité et du dynamisme social argentin était en voie de disparition!
Dans un pays de 43 millions d’habitants, qui produit suffisamment pour en nourrir 300, 30 % de la population ne mangeait plus à sa faim. A Buenos Aires, une multitude de familles en haillons en étaient réduites à fouiller les poubelles chaque nuit en quête de restes de nourriture. Lorsqu’elles n’en trouvaient pas, elles devaient se nourrir de rats, souris et autres. 40 % de la population souffrait de malnutrition, la mortalité infantile augmentait, des centaines d’enfants mouraient de faim, pendant que les coupes budgétaires décimaient le système de santé autrefois remarquable et maintenu à flotgrace aux efforts de ses personnels tous remarquables de courage et d'abnégation.
Les résultats récents
Telle était la situation en Argentine lorsque Nestor Kirchner entra en fonctions le 25 mai 2003. Avant de consentir des efforts sérieux de reconstruction, il fallait alléger le fardeau financier pesant sur le pays. Invoquant le principe « la vie avant la dette », le nouveau Président annonça aux créanciers que l’Argentine ne rembourserait qu’entre 25 et 35 % de la valeur nominale de la dette, le reste devant passer par pertes et profits. Après avoir gagné cette bataille ardue, le gouvernement liquida sa dette envers le FMI en janvier 2006, se libérant ainsi de son joug. 5 ans après avoir accédé à la fonction suprême du pays, Nestor Kirchner pouvait être fier du bilan qu’il a présenté à la fin de son mandat il y a moins d'un an.
Le pourcentage d’Argentins vivant dans la pauvreté est passé de 60 % en 2003 à 31,8 %, un niveau encore « honteux », déplorait-il, mais diminué de moitié.
Le taux de chômage est passé en-dessous de la barre de 10 % pour la première fois en 14 ans. A 27 % en mai 2003, il n’est plus que 8,7 % aujourd’hui. Même si les emplois informels et non déclarés restent une plaie je le reconnais, ces quatre dernières années, quelque 3,2 millions d’emplois ont été créés.
Au cours de la même période, le salaire minimum a quadruplé passant de 200 à 800 pesos, les enseignants ont été payés trois fois plus et le salaire nominal moyen des employés en situation régulière a augmenté de 72 %.
Les pensions-retraites ont décuplé, après des années de stagnation. En 2002, sur 100 personnes âgées de 65 ans ou plus, 35 vivaient dans l’indigence, aujourd’hui, 9 sur 10 sont couvertes par la sécurité sociale.
Un coup d’arrêt a été donné à la privatisation du système de santé et par conséquent à son démantèlement.
Grâce à la coopération entre le gouvernement fédéral et les Etats, 179 nouveaux centres de soins locaux ont été créés et les investissements dans 40 hôpitaux ont augmenté.
La construction de 2400 kilomètres d’autoroute est en cours, pour intégrer des provinces abandonnées. Les investissements dans les voies ferrées ont augmenté en 2006, finançant 300 km de voies nouvelles et de nombreuses réparations, le projet de créer une ligne à grande vitesse, TGV français, mais avec plus de 60% du matériel produit sur place, va revitaliser l'axe majeur BA/Rosario/Cordoba.
La croissance industrielle en 2006 a été de 8,3 %, avec une expansion des capacités de production d’acier et de papier.
Sur le plan énergétique, on prévoit 4600 megawatts supplémentaires pour 2008, en plus d’une augmentation de 50 % pour les lignes à haute tension et de 22 % des moyens de transport du gaz naturel, accords bilatéraux avec la Bolivie pour un nouveau gazoduc.
La modernisation et la lutte pour une plus grande indépendance énergétique ne sont pas oubliés, les travaux ont déjà repris sur la centrale nucléaire d’Atucha II.
Les exportations ont été relancés, il ya certes le boom du soja, mais aussi des progrès en bien d'équipement et produits industriels, la dévaluation du pesos qui n'est plus comme autrefois bêtement accroché au dollars US a redonné au pays une souveraineté monétaire.
Au vu de ces résultats, l’approche du président Kirchner devrait faire école, mais pour cela, il faut aussi une bonne dose de courage politique.
Puisse Cristina poursuivre dans cette voie et tenir bon face au tenants de l'orthodoxie libérale qui depuis peu se déchainent contre nous.
Rédigé par : perla austral | 19 août 2008 à 17:53
My dear Malakine,
Je ne suis pas fondamentalement opposé à ce que tu viens de dire, mais j’aimerais bien savoir COMMENT tu imagines que ces idées pourraient émerger dans un monde qui, a notre insu, est entièrement dans les mains des patrons de multinationales :
"Nous sommes reconnaissants au Washington Post, au New York Times, Time Magazine et d'autres grandes publications dont les directeurs ont assisté à nos réunions et respecté leurs promesses de discrétion depuis presque 40 ans. Il nous aurait été impossible de développer nos plans pour le monde si nous avions été assujettis à l'exposition publique durant toutes ces années. Mais le monde est maintenant plus sophistiqué et préparé à entrer dans un gouvernement mondial (OMC). La souveraineté supranationale d'une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux est assurément préférable à l'autodétermination nationale pratiquée dans les siècles passés." (D. Rockefeller)
J'ai remarqué que dès que l'on parle d'économie, on doit s'attendre à un défilé de blogueurs de la Lumpen intelligensia dont les connaissance en "real economy" a l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette, mais dont la suffisance que seule procure l'inexpérience culmine bien au dessus de l'Everest.
On peut parler de ce que l'on ne connaît que par ce système d'ignorance imposée qu‘est l‘éducation nationale : ("Noam Chomsky, professeur et auteur américain : http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2007-05-16-Noam-Chomsky ")... mais on reste alors dans les idées reçues que la nomenklatura à bien voulu mettre dans nos cervelles crédules.
Lire aussi Le Maître ignorant de Jacques Rancière. http://www.institut.fsu.fr/nvxregards/28/28_ranciere.htm.
Rédigé par : ozenfant | 19 août 2008 à 18:06
Perle du Sud,
Muy, muy interessante lo que as ecribido de la nuestra tierra querida... no lo sabia.
Rédigé par : ozenfant | 19 août 2008 à 18:11
@ Perla Austra
Je salue ton retour parmis nous. Voilà qui me fait très plaisir. Et pour ton retour du fait fort !!
Ton exposé sur l'histoire économique de l'argentine est très intéressant, mais on aurait peut-être aimé en savoir un peu plus sur les recettes appliquées. Il y a notamment une phrase qui m'a intrigué dans ton post "régulation des intérêts privés au profit de l’intérêt général". Est ce que tu peux nous dire ce que tu veux dire par là ?
@ Ozenfant
Voilà un sujet parfait pour la dialectique entre le pourquoi et le comment. Tu insistes toujours sur le comment et tu as raison. Je vais d'ailleurs te répondre après. Moi, j'insiste sur le pourquoi parce que je pense que tout commence par le combat des idées. Une idée ne peut être appliquée que si elle est "dans l'air du temps". Elle n'a aucune chance de voir le jour si elle est considérée par tous comme morte.
Ce post visait à commencer à redonner vie à l'idée de prise de participation de l'Etat au capital des entreprises.
Alors comment je m'y prendrais ? déjà je commencerait par convertir les aides au PME sous cette forme avec des agences régionales de participation. Mais pas pour vendre deux ans après. Pour rester dans le cadre d'un partenariat durable destiné à faire grossir ces boites, et à terme rechercher la perception de dividendes raisonnables.
Pour les grandes entreprises, on a besoin d'un fonds souverain stratégique, qui pourrait intervenir au coup par coup, en cas de problèmes ou de cap stratégique. Ensuite, il faudrait théoriser l'idée d'une prise de participation minoritaire de l'Etat dans tout un secteur économique (ex : la distribution) D'abords en tant que menace, puis sous forme de nationalisation, si les pratiques du secteur ne se moralisent pas.
... Mais déjà commençons par en débattre ! Mon boulot c'est de lancer des idées. Le vôtre c'est de s'en saisir ou de les rejetter. Ensuite, elles vivent leur vie.
Rédigé par : Malakine | 21 août 2008 à 09:54
@ Malakine.
Je suis heureux de constater que les pistes argentines suscitent ton intérêt.
Comme tu le sais j’ai divorcé depuis plus d’un an de la politique nationale française (d’où mes commentaires quelques peu désabusés parfois) pour me réfugier dans mes racines maternelles.
Je suis en mesure de te donner quelques éléments sur l’action concrète de Nestor Kirchner, même si bien évidemment rien n’est transposable tel quel, les situations diffèrent trop, mais il y a un esprit de l’action politique kirchnerienne.
A titre d’exemple, Kirchner fait en permanence référence à la responsabilité fiscale consistant à ne pas dépenser au-delà des ressources disponibles. Il y a là une recherche de responsabilisation collective, mais, et c’est là une différence essentielle avec le sarkozisme, le système d’impôts doit, je cite Nestor Kirchner « récompenser l’investissement et la création d’emplois et faire payer ceux qui peuvent réellement le faire. » !!!!!!!!!!!
La pièce maîtresse du programme du gouvernement a été un programme ambitieux de travaux publics. Pour Kirchner, l’Etat doit assurer leur réalisation complète « des projets en cours, ainsi que la création de véritables emplois et de gros investissements dans de nouveaux projets ». Les projets mis en œuvre l’ont été dans le domaine des transports (autoroutes et voies ferrées), du logement, de la santé, de l’éducation et de la sécurité, afin d’assurer que le pays soit « productif dans l’agro-industrie, le tourisme, l’énergie, le secteur minier, les nouvelles technologies et créateur de véritables emplois.
Nestor Kirchner a affirmé comme une condition qu’il sera impossible de bâtir un pays meilleur« sans prendre la décision de mener la bataille ; cela ne signifie pas lutter entre nous, mais garantir l’éducation, la santé et la justice. Nous devons récompenser les plus honnêtes, ceux qui étudient le mieux et combattent la corruption. »
Enfin et c’est essentiel les fondements financiers ont été reconsidérés à travers l’idée de la banque du sud. Les fondateurs de la Banque du Sud la voient comme une alternative à la politique de pillage et d’usure du FMI, et sa mission principale sera le financement des infrastructures de base sans les contraintes des politiques de conditionnalités qu’exige le FMI. Cette banque « sera un énorme pas en avant pour l’intégration de l’Amérique Latine et de l’ensemble du continent sud-américain » disait Correa le nouveau président équatorien« afin de financer nos propres projets de développement » et non pas « ceux de la Banque Mondiale qui nous ont conduits à la ruine. »
Parallèlement à la création de la Banque du Sud, il faut noter les propos d’Alberto Fernandez, chef de cabinet de N Kirchner, lors de son allocution devant l’assemblée annuelle de l’Union des Industriels Argentins (UIA). Devant quelques 800 industriels enthousiastes, il y annonça le 14 novembre2007 que l’Argentine créera une Banque de développement nationale en vue de financer des projets industriels. Cette banque « servira les entrepreneurs intéressés par la production », les « hommes de l’industrie », disait Fernandez.
L’annonce a fait écho, elle fut chaudement accueillie par Armando Mariante Carvalho, le vice-président de la Banque Nationale de Développement Social (BNDES), une banque d’Etat créée au début des années 50 par le président brésilien Getulio Vargas. Mariante, également orateur de la conférence, il a déclaré au quotidien Clarin que l’Argentine réunissait « toutes les conditions pour un développement à long terme, par la création d’une banque de développement. »
L’ensemble de ces mesures ont, comme je l’ai écrit dans mon précédent post, commencé a porter leur fruits, ce n’est pas pour autant que tout « roule ». Ce ne sera pas facile, il n’y a qu’a voir comment les mesures annoncées par la présidente Cristina Fernandez de Kirchner pour défendre l’intérêt général des Argentins ont déclenché l’alarme à Wall Street et à la City de Londres. La décision prise en mars dernier d’augmenter la taxe à l’exportation pour le soja et les graines de tournesol, en particulier a provoqué un tir nourri. Des intérêts financiers internationaux, de concert avec leurs alliés sur place, en ont tiré prétexte pour lancer un mouvement populaire « bidon » parce que manipuler avec en sous main la trahison du parti radical (il y aurait tant à dire sur les radicaux argentins) pour tenter de faire tomber le gouvernement. Devinez qui participe à cet effort ? George Soros ! Par le biais de sa société Adecoagro, Soros contrôle l’un des trois principaux « pools de semences » en Argentine, soit des fonds d’investissements spéculatifs qui ont fait des profits mirobolants dans le soja. Cette culture s’est tellement étendue ces dernières années qu’elle représente désormais 54% de toute la production agricole argentine.
A titre indicatif, l’investissement dans le soja apporte un profit net de quelque 2,15 dollars pour chaque dollar investi, à comparer au maïs, qui rapporte environ 0,45 cents pour chaque dollar. Les « pools spéculatifs » recherchent des investisseurs étrangers en échange d’une part des profits, et offrent des prix intéressants pour les terrains, les machines agricoles et d’autres services. Selon les statistiques officielles, ces pools détiennent plus de 80% de la production totale de soja. Entre-temps, les petits paysans ont été chassés de leurs terres…
Rédigé par : perla austral | 21 août 2008 à 13:25