Le débat politique fonctionne des clichés que personne ne prend la peine de discuter. Par exemple l’idée qu’accorder plus de pouvoirs au parlement reviendrait à « démocratiser » nos institutions.
Le pouvoir exécutif est perçu comme étant toujours sujet aux excès, tenté d’attenter aux libertés et de sombrer dans l’arbitraire. Le pouvoir législatif serait, lui, plus raisonnable, plus mesuré, plus sage, plus représentatif de la population.
On voit mal en quoi un Jean François Copé ou un Jean Marc Ayrault serait par essence, plus malin, plus sage ou plus en phase avec le pays, qu’un ministre ou même qu’un conseiller de l’Elysée. Mais c’est pourtant sur cette idée communément admise que s’appuie l’actuelle réforme des institutions que l’on annonce comme la plus importante depuis 1962.
L’idée qu’il est nécessaire de revaloriser les pouvoirs du parlement s’inscrit en fait dans un schéma institutionnel qui n’est pas le nôtre. Dans un régime parlementaire classique, le pouvoir procède de l’élection législative qui donne la majorité à un collectif (un parti ou une coalition), lequel délègue le pouvoir à un exécutif qu’il contrôle. Les pouvoirs du parlement sont ceux, très classiques, d’un mandant sur son mandataire. L’exécutif exerce sa mission sous le contrôle et la responsabilité du législatif, lequel dispose sur lui d’un pouvoir de révocation. Dans ce schéma, il est parfaitement logique que le parlement dispose de vrais pouvoirs d’orientation et de contrôle sur l’action publique.
Le système français n’est pas celui là. En France, ce n’est pas l’exécutif qui dépend du législatif, c’est l’inverse ! C’est le parlement qui doit son élection à celle du président. Depuis le quinquennat, l’élection des députés n’apparaît plus que comme une simple formalité, un troisième tour qui intervient dans une démobilisation générale uniquement pour « donner une majorité au président » N’importe quelle chèvre portant l’étiquette de la majorité présidentielle pourrait s’y faire élire !
L’effacement du législatif est devenue telle qu’elle en est insupportable. L’opinion voit bien que les députés ne servent à rien, ce dont ils commencent à prendre ombrage. On cherche donc aujourd’hui à rendre l’humiliation un peu moins visible à travers une réforme qui vise à « revaloriser » le statut parlement, au travers de quelques mesures qui sont loin d’être symboliques car elles pourraient aller jusqu’à paralyser le gouvernement : Partage de l’ordre du jour des assemblées, vote de la loi sur la base du projet approuvé en commission, quasi suppression du 49-3…
L’équilibre qui est actuellement recherché s’exprime avec le concept de « coproduction législative » lancé par Jean François Copé. Or, cela n’a de sens que si les deux pouvoirs, législatif et exécutif, expriment deux légitimités distinctes et complémentaires. C’est le cas dans le système présidentiel américain compte tenu de la nature des partis et de la structure fédérale de l’Etat. Ce n’est pas le cas en Russie ou en France, où les élections présidentielles et législatives se font sur les mêmes bases politiques. Dans ces deux pays, et alors même que les élections ne se déroulent pas dans le même ordre, il y a de fait identité entre la fonction de chef d’Etat (dirigeant l’exécutif) et celle du chef du parti majoritaire (dirigeant le législatif)
Il est vain d’attendre un rôle de contre-pouvoir de députés qui se font élire que sous la bannière du président qu’ils sont sensés contrôler. Quand bien même on leur donnerait des prérogatives, ils n’auraient aucune envie de s’en emparer, ni aucune réelle légitimité pour le faire.
Dans ce schéma, la distinction des pouvoirs législatifs et exécutifs n’aura de réalité qu’en cas de rivalité de leadership. C’est ce qui s’est passé lors du dernier quinquennat lorsque Sarkozy a conquis l’UMP contre Chirac. C’est ce qui pourrait se passer si Poutine et Medvedev entraient en concurrence. Mais dans ce cas, il n’y a pas complémentarité de deux légitimités mais partage du pouvoir entre deux « hommes forts » en rivalité, ce qui apparaît plus comme une anomalie politique qu’un équilibre institutionnel stable.
Dans ces conditions, que peut-on attendre d’une revalorisation des pouvoirs d’un parlement qui dépend autant du pouvoir exécutif ?
- Une meilleure association de l’opposition pour faire vivre le débat démocratique ? La réforme va quelque peu dans ce sens en instaurant un processus de contrôle des nominations, mais tout réel progrès en ce sens butte sur le verrouillage de l’assemblée engendré par le scrutin majoritaire.
- Une meilleure gouvernance en imposant une meilleure maturation des décisions ? Même si la réforme va timidement dans ce sens avec la constitution d’un organe d’évaluation des politiques publiques, elle reste dans une logique d’équilibre des pouvoirs bien plus que dans une logique de renforcement de la qualité du processus législatif.
En l’état la revalorisation du parlement reviendra surtout à donner plus d’importance à des députés cumulards, uniquement préoccupés par la gestion de leur fief électoral, des laboureurs de circonscription, paniqués au moindre mouvement d’opinion et soumis à tous les lobbys. Donner plus de pouvoir à ces députés s’avèrera soit un facteur de paralysie, soit un vecteur de mesures idéologiques destinées à donner des gages à la fraction la plus politisée de l’électorat.
Avant de songer redonner des pouvoirs au parlement, il faudrait s’attacher à autonomiser sa légitimité de celle du président et à renforcer son identité propre. Cela n’avait pas échappé au comité Balladur qui avait formulé trois propositions en ce sens :
- Organiser de manière simultanée les élections présidentielles et législatives pour alléger la dépendance d’une élection sur l’autre et faire en sorte que le député puisse se faire élire avec un taux de participation comparable avec celui du président, de préférence plus sur son nom ou l’étiquette de son parti que sur le nom du candidat à la présidentielle.
- Instaurer une dose de proportionnelle pour permettre une vraie diversité politique et autoriser les partis à présenter d’autres profils que des politiciens professionnels et des notables locaux. Dans le cadre d’un renouveau du parlement des éléments plus « intellectuels » pourraient tout à fait contribuer à élever le niveau des débats.
- Interdire tout cumul du mandat entre la fonction de parlementaire et toute responsabilité locale, de manière à ce que les députés développent un point de vue « national » recherchant l’intérêt général, au détriment de la défense de leur territoire et de quelques clientèles électorales.
Malheureusement ces trois propositions sont passées à la trappe, ce qui fait perdre une grande partie de la cohérence de la réforme proposée par le comité Balladur. Même si la réforme comporte des éléments intéressants, elle est bien trop partielle et incomplète pour constituer une réelle avancée.
Elle rappelle d’ailleurs en cela la réforme du quinquennat. A l’époque, on s’était contenté de réduire la durée du mandat présidentiel pour faire moderne, sans s’interroger sur le rôle du président et ses rapports avec le premier ministre. En ramenant le président au niveau du premier ministre, la réforme a considérablement brouillé la lisibilité de nos institutions.
La réforme actuelle veut revaloriser le rôle du député tout en refusant de poser les questions fondamentales sur son rôle, son identité, et son autonomie politique à l’égard de l’exécutif. En rapprochant le rôle de la majorité de celui de l’opposition, elle conduira à compliquer encore un peu plus le schéma institutionnel.
S’il y avait un rapport dont on aurait du adopter en bloc les propositions, c’était bien le (remarquable) rapport de la commission Balladur. Il décrivait un nouveau schéma institutionnel relativement cohérent. Il repositionnait le président dans un rôle d’inspirateur (« il détermine la politique de la nation »). Il relégitimait le rôle du premier ministre, quasi élu via une élection législative concomitante et clairement chargé du pouvoir exécutif. Enfin, il redonnait un statut aux députés de la majorité en leur donnant les moyens, juridiques et politiques, de sortir de leur statut de godillots.
En comparaison la réforme actuelle apparaît bancale, incomplète, inachevée, brouillonne, exprimant plus le compromis et le traitement symptomatique que la nécessaire refondation de l’équilibre institutionnel. Une raison suffisante pour ne pas la soutenir.
Malakine
Les réformes se préparent longtemps à l'avance (comme ne le fait pas non plus le PS).
Baclée, la réforme... bien sûr !
Tlop fignants en ti zoms là ! Touop fignants !
Rédigé par : Ozenfant | 28 mai 2008 à 17:51
Bon allez, je me dévoue :
de toute façon le gouvernement non plus ne sert à rien, c'est la Commission qui décide (cf. les pêcheurs).
Voilà, ça fait du bien...
Rédigé par : edgar | 28 mai 2008 à 22:22
Le problème initial vient du quinquénat sec.
La transformation institutionnelle a tué l'esprit de la Vème république...
De fait il aurait fallu conjointement au passage à 5 ans du mandat présidentiel réduire à 4 le mandat des députés.
On ne fait pas "mumuse" avec les institutions.
Mais NS ne fait il pas mumuse avec tout ce qu'il touche?
Une nouvelle constitution, une VIème république est peut être une solution, mais vu les balais à chiots qui sont au pouvoir ou aspirent à l'être...
Vu également la bétise générale d'une Nation si facilement manipulable....
C'est pas très bien baré quoi!
Rédigé par : perla austral | 29 mai 2008 à 09:55
le comité Balladur avait dit une grosse bêtise, au moins en son point trois: Le mandat de député est certes un mandat "national" mais c'est une responsabilité locale. C'est localement qu'on se fait élire ou qu'on se fait battre, en serrant des mains sur les marché, en favorisant tel ou tel, en construisant des ronds-points, etc.
L'idée d'un député flottant dans les limbes supérieures de la Nation, uniquement soucieux de l'intérêt général (?), détaché du terrain rempli des bouseux que nous sommes, c'est à la fois méprisant pour le peuple, faux, naïf et, partant, assez comique.
Quant aux "intellectuels" qui feraient de la politique, ils sont généralement aussi convainquant dans le rôle, que les "politiques" qui se mettent à faire les "intellectuels". Qué naïveté !
La question de la simultanéité des élections présidentielles et législatives est plus intéressante, il me semble. Mais la proposition Balladur ne résoud pas le problème du "contre pouvoir" que la parlement est censé être. Le même jour, on imagine mal un électeur votant droite à la présidentielle, et gauche à la législative. ça peut sans doute arriver, mais minoritairement. On aurait donc encore une fois un homme seul élu par des millions d'électeurs, et une majorité (la sienne), élue par des électeurs locaux. Je ne vois pas ce qui changerait miraculeusement les rapports de puissance entre les deux pouvoirs...
Rédigé par : Beboper | 30 mai 2008 à 11:04
@ Perla Austra
Je n'avais pas voté lors du référendum sur le quinquennat pour la raison développée dans cet article. On ne pouvait pas rester à un rythme de 7 ans, car il n'était pas compatible avec la notion d'alternance. En revanche, le quinquennat sec était porteur d'ambiguité que l'on paie actuellement.
Le bon rythme serait de passer le mandat présidentiel à 8 ans et de ramener celui des députés à 4, de manière à positionner le président différemment du PM, dans le temps long et à rendre la cohabitation comme une éventualité normale. La solution 5/4 que tu proposes aurait les mêmes inconvénients que le système précédent avec la possibilité d'une législature d'un an en cas d'alternance aux législatives.
@ Beboper
Non !! Un député n'a aucune "responsabilités locales" ! Ce n'est pas son boulot de construire des ronds points et il n'a aucune compétence légale pour cela.
Effectivement, son rôle consiste à serrer des mains sur les marchés pour se faire réélire. Ce n'est pas cette noble activité qui lui confère une légitimité pour faire infléchir les politiques du gouvernement.
Je vous retourne le compliment. Cette conception du député est méprisante à l'égard de la politique et du peuple lui même. La vision que vous avez de ses représentants est vraiment pitoyable.
La concommitance des élections ne changerait pas le rapport de force entre les deux pouvoirs, mais elle aurait pour effet de mettre un peu de contenu politique à l'élection législative et ferait exister les partis à cotés de leurs candidats. Ce serait de nature à atténuer un peu la personnalisation de l'élection présidentielle. Et si les partis participent à l'élection, ils seront un peu plus légitimes pour peser ensuite sur les choix gouvernementaux.
PS : Je ne suis pas naïf et encore moins comique. Je suis en revanche susceptible et avec mauvais caractère.
Rédigé par : Malakine | 30 mai 2008 à 14:08
Objections retenues d'accord avec toi Malakine, mais en même temps je ne peux que plagier les guignols:"putain 8 ans"!
Y a intérêt à pas se planter, imagines 8 ans avec Sarko ou Sego...
Rédigé par : perla austral | 30 mai 2008 à 15:30
Objections retenues d'accord avec toi Malakine, mais en même temps je ne peux que plagier les guignols:"putain 8 ans"!
Y a intérêt à pas se planter, imagines 8 ans avec Sarko ou Sego...
Rédigé par : perla austral | 30 mai 2008 à 15:30
Pétition ; "au bal des institutions les citoyens ne feront pas tapisserie."
http://metaljda.free.fr/constit/index.php
"Moi, citoyen français, électeur, demande au Président de la République, au Parlement et au Gouvernement de prendre d’urgence l’initiative d’une modification de la Constitution imposant le référendum pour toute révision constitutionnelle, étant entendu que cette modification devra précéder toutes les autres. Un Congrès Citoyen à Versailles le 7 juillet, ça vous dit ?
le blog ; http://changerlarepublique.over-blog.com/
Rédigé par : uguen bernard | 31 mai 2008 à 20:54
Malakine: Susceptible? Mauvais caractère? Que des qualités, en somme! Mais pas forcément de bon secours quand il s'agit de peser l'argument calmos, n'est-ce pas? Enfin, je n'avais pas l'intention de froisser...
Je maintiens que politiquement, la responsabilité du député est locale: c'est localement qu'il se fait élire, dans une circonscription. Quand un député ne satisfait pas ses électeurs, ce sont eux, localement, et personne d'autre, qui le virent. Il "défend" à l'Assemblée Nationale des problématiques locales (comme par hasard, les députés intéressés aux problèmes de la pêche sont des députés de circonscriptions... maritimes. etc)et est amené à se prononcer sur des sujets plus généraux, sur des lois qui bien entendu seront de portée nationale. Je ne crois pas confondre son "métier" et sa responsabilité.
Quant au serrage de mains sur les marchés, à la prise en compte de problématiques personnelles, parfois très triviales, très banales, pouvant être assimilées à des "services rendus" (sans notion péjoratives pour moi), c'est ce que je constate localement avec la paire de députés qu'il m'arrive de croiser. Les "grands problèmes", les questions institutionnelles, ils manquent souvent cruellement de formation pour en avoir une opinion solide (là non plus, je ne me moque pas). A quelques exceptions près, celles que l'on voit tout le temps, les députés sont de bons gros notables, caractériels, autoritaires, peu enclins à s'intéresser vraiment au sort du monde, parce que ce n'est pas du monde qu'ils tirent leur mandat et, partant, leurs revenus. Méprisant? Certes.
Maintenant, sur le fond du sujet, n'est-il pas triste qu'il faille souhaiter donner du poids aux partis, alors qu'on voudrait donner du pouvoir à l'Assemblée?
Rédigé par : Beboper | 03 juin 2008 à 19:53
Bon, nous partageons le même diagnostic et du coup, je me demande si nous divergeons tant que ça sur les conclusions. En ce qui concerne, je considère qu'il serait utile de faire entrer à l'assemblée d'autres profils que celui que vous venez de décrire. Je ne vois pas au nom de quoi une personnalité introvertie ou un intellectuel ne pourrait pas représenter le peuple au motif qu'il n'aura aucun goût pour ce type de "travail" et qu'il ne présente aucune des qualités nécessaires pour se faire élire dans notre système.
Rédigé par : Malakine | 04 juin 2008 à 09:10