Ce texte a été extrait de l’article « Il y aura-t-il un printemps en 2007 en France ? » afin d’éviter qu’il ne soit trop long et pour rester sur la question qu’il traitait, à savoir : le désir de changement de la société France et la tiédeur des réponses des candidats.
Si je devais formuler un projet politique, il y aurait bien d’autres propositions. Il s’agit là des ruptures fondatrices sur lesquels le reste s’appuierait. Ces quatre orientations pourront être développées ultérieurement. Même s’il ne s’agit que d’une ébauche, vos commentaires seront les bienvenus.
1- Le protectionnisme et la redéfinition du projet européen
La mondialisation libre échangiste entraîne d’immenses conséquences économiques, sociales et politiques en Europe. Plutôt que de chercher (vainement) à s’adapter à la concurrence des pays émergents en « réformant » notre système social, la première rupture consisterait à la refuser et s’en protéger.
La mise en place de protections commerciales aux frontières de l’union est toutefois une orientation à géométrie variable. Dans sa version minimaliste, elle consiste en des mesures anti-dumping destinées à limiter la casse.
La vraie rupture consisterait à l’inscrire dans une redéfinition du projet européen. L’’orientation actuelle de l’Europe, libérale et libre-échangiste, qui recherche la croissance par la concurrence et l’insertion dans le commerce mondial serait abandonnée au profit d’une conception du développement qui mettrait l’accent sur le développement de la demande intérieure et la réindustrialisation du continent.
L’Europe revendiquerait alors une souveraineté économique pleine et entière. Elle s’imposerait le devoir de produire elle-même l’essentiel ce qu’elle consomme, et de consommer à des prix conformes aux coûts de production de son modèle social.
Ce modèle bouleverserait tous les paramètres économiques. Le travail serait de nouveau abondant. L’assistanat deviendrait alors moins légitime et l’immigration mieux acceptée. Les salaires seraient poussés à la hausse de même que les prix. Les capitaux auraient de nouveau intérêt à s’investir en Europe. Une fois leur souveraineté économique recouvrée, les peuples retrouveraient également leur souveraineté politique et pourraient choisir le modèle de société qui leur convient.
Le risque de dumping ne serait pas totalement écarté. Il resterait des pays à bas coûts en Europe centrale et aux frontières de l’Union (Russie, Turquie, Maghreb). Le risque est toutefois moindre dans la mesure où la démographie de ces pays n’a rien de comparable à celle de l’Asie (en terme de population comme de taux de fécondité). De plus, l’influence de l’Europe permettrait d’inciter ces pays à développer leur modèle social, ce qu’il est impossible de faire avec la Chine.
Quant à la Chine, elle serait ainsi contrainte de revoir son modèle de développement pour elle aussi passer à un modèle de développement endogène par une augmentation de sa demande intérieure. Pour le plus grand bien de sa population. Avec un milliard trois cent millions d’habitant, dont un milliard dans l’extrême pauvreté, il y a de quoi faire …
2- La remise à plat des institutions pour une meilleure gouvernance.
Nos institutions fonctionnent si mal, qu’il est permis d’y voir une des causes profondes du déclin de notre pays. Les propositions de réformes institutionnelles que l’on entend sont cependant trop cosmétiques pour espérer entraîner une réelle rupture. Seul un véritable changement de régime pourrait recréer de la confiance et profondément changer la donne.
Une nouvelle république pourrait s’appuyer sur un changement d’approche qui consisterait non plus à rechercher un équilibre des pouvoirs, comme à l’époque où l’enjeu était de préserver de l’autoritarisme, mais à rationaliser la gouvernance du pays afin de s’assurer que les lois traitent des vrais enjeux en y apportant des solutions adaptées.
Il s’agirait alors de séparer non plus les pouvoirs entre diverses autorités publiques consanguines, mais les fonctions qui participent aux processus de prise de décision. Articuler dans un même système de gouvernance les légitimités issues des mondes politiques (démocratie représentative), scientifiques et administratifs (technocratie) et de la société civile (démocratie représentative)
Il s’agirait aussi de revoir les modes de recrutement et d’élection des politiques pour disposer d’une classe dirigeante renouvelée, exclusivement dévouée à leur mandat et à l’action publique. Cela permettra de tourner définitivement la page avec ce régime où les gouvernants ne songent qu’à la popularité et à préparer leur réélection.
Concrètement, il s’agirait de distinguer dans la gouvernance cinq fonctions. Chaque loi, chaque réforme devrait suivre le même processus précis.
- L’observation, l’évaluation et la prospective. Cette fonction serait confiée au conseil économique et social auquel serait rattaché l’ensemble des organismes d’études et d’analyse de l’Etat. Elle consisterait à identifier les grands problèmes, les enjeux et les défis de l’avenir et à préparer la décision en éclairant les choix.
- L’orientation : Cette fonction relèverait du parlement. Elle consisterait à arrêter les grands choix politiques de la Nation par le vote de textes d’orientation accessibles par les citoyens.
- L’ingénierie législative et règlementaire. Elle relèverait du gouvernement. Elle consisterait à traduire les orientations arrêtées par le parlement en dispositifs techniques et financiers.
- La fonction exécutive. Cette fonction relève de l’administration. Sa tâche serait alors recentrée sur la manière de mettre en œuvre les dispositifs avec la plus grande économie de moyens et la plus grande efficacité.
- La fonction arbitrale. Elle relèverait du président de la République. Elle consisterait à animer le processus législatif en saisissant chaque instance sur la base du travail précédent. Il arrêterait ainsi les diagnostics du CES, saisirait le parlement de problématiques, puis le gouvernement de projets de réformes, promulguerait règlements les lois.
Les députés seraient élus sur la base d’un scrutin proportionnel sur liste nationale à deux tours avec possibilité de fusion entre listes, organisées concomitamment avec le scrutin présidentiel.
3- Le développement par la dynamisation des territoires.
Le jacobinisme français conduit à occulter les réalités territoriales et la diversité du pays, ce qui produit un discours économique « hors-sol » souvent en profond décalage avec la réalité. Or, la question de la structure territoriale du pays prend de plus en plus d’importance. L’économie moderne, dite post-industrielle, exige en effet des écosystèmes particuliers pour se développer. La France, par sa structure urbaine très centralisée et très déséquilibrée, en compte assez peu. Seules quelques villes, les grandes métropoles fortement tertiarisés, sont aptes à créer les emplois de demain. L’essentiel du territoire national ne dispose pas suffisamment d’atouts pour espérer s’en sortir autrement que par la solidarité nationale.
La rupture porterait ici sur le rapport entre le pays et sa capitale. Jusqu’ici les territoires attendent de la capitale les moyens de leur subsistance. Désormais, la Nation investirait sur les territoires et attendrait d’eux qu’ils soient tous créateurs de richesse pour financer sur la capitale les fonctions de centralité du pays.
Il ne s’agirait pas seulement de relancer une politique d’aménagement du territoire, il s’agit surtout de faire émerger de nouveaux pôles de croissance dans toutes les régions françaises, non seulement sur le plan productif (les pôles de compétitivité) mais aussi sur le plan urbain et tertiaire par l’émergence d’une dizaine de métropoles de rayonnement européen. Cela passerait par de grands projets urbains destinés à densifier les capitales régionales existantes, voire par la création de nouvelles métropoles d’équilibre.
Les métropoles nouvelles seraient créées soit ex nihilo dans les zones peu peuplées, mais bien desservies, par les infrastructures existantes, soit entre des villes existantes pour leur permettre d’atteindre la taille critique dans une logique de métropole polycentrique. Elles seraient des modèles de villes durables (habitat, transport, cadre de vie) et aussi des lieux d’innovation urbaine (architecture, espace public, lien social).
Cette politique exigerait aussi une rupture dans l’organisation administrative du pays. La décentralisation, qui est actuellement empreinte d’une culture dépensière et administrative devrait évoluer vers nouvelle architecture organisée autour de l’idée de développement et d’innovation, l’Etat reprenant directement ou indirectement la gestion de l’ensemble des services publics dont les règles se définissent au plan national.
4- L’autorité de l’intérêt général contre les individualismes et les corporatismes
Notre société est minée par un individualisme et une morale du chacun pour soi qui rendent notre pays ingouvernable. En réponse à l’atomisation du corps social, il y a la réponse libérale et la réponse républicaine. La réponse libérale consiste à adosser systématiquement des devoirs aux droits en recherchant à discipliner le corps social par la responsabilisation individuelle. C’est ce qui reste de la rupture Sarkozienne.
La réponse républicaine consisterait à remettre au goût du jour la notion d’intérêt général et une approche holistique de toutes les organisations afin d’éviter leur appropriation par ses éléments les plus influents. Il s’agirait alors d’affirmer le primat du collectif sur les intérêts individuel et d’en tirer toutes les conséquences en terme d’organisation.
Faire en sorte que l’intérêt d’une entreprise ne se résume pas à l’intérêt de ses actionnaires ou de ses dirigeants, que les services publics ne soient pas la propriété des syndicats de fonctionnaires, que les journalistes ne soient pas les seuls maîtres de ce qui doit être l’information, que la chose publique ne soient pas préemptée par les logiques partisanes, que l'éducation nationale ne soit pas gouvernée par les désirs des élèves, que le système de soins ne soit pas régit par les seules revendications des malades etc. …
Cela suppose un Etat fort et relégitimé par une profonde réforme du système institutionnel.
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