S’il y a un sujet sur lequel on peut espérer entendre des choses précises de la part de Ségolène Royal, c’est bien la décentralisation. Qu’elle ne soit pas au niveau sur les questions économiques et internationales, cela peut se comprendre – même si c’est tout de même limite pour une prétendante à la présidente de la République – mais sur la décentralisation, elle doit avoir des choses à dire. Elle est tout de même présidente de région et a fait de la régionalisation, l’un des thèmes majeur de sa campagne. Le bon Eric Zemmour n’avait-il pas résumé son programme en Travail – Famille – Poitou ?
Quand j’ai appris qu’elle avait prononcé un discours devant l'Assemblée des Régions de France, je me suis dit que j’allais enfin avoir l’occasion de faire un papier de fond sur ses propositions. Je m’attendais à un discours fort, annonçant une grande réforme de l’organisation administrative du pays, qui déléguerait de nouvelles compétences aux régions, qui clarifierait les responsabilités des collectivités avec celles de l’Etat déconcentré, qui doterait enfin les collectivités locales de ressources propres fondées sur des impôts modernes leur assurant une véritable autonomie financière, qui mettrait fin aux financements croisés et à la dilution des responsabilités. Mon enthousiasme allait même jusqu’à espérer qu’elle allait commencer à donner corps à son concept fumeux et fatiguant de démocratie participative en traçant les contours d’une nouvelle gouvernance pour les collectivités qui ferait la part belle à la concertation et à l’évaluation des politiques publiques, pourquoi pas sous le contrôle de jury citoyens tirés au sort.
Bref, je me préparais à m’échauffer les neurones et les doigts en écrivant un bel article de fond qui allait enfin permettre de présenter dans ces pages Ségolène Royal comme une candidate sérieuse et crédible.
Ce ne sera pas encore pour cette fois. Décidemment, la reine des sondages est un cauchemar pour l’analyste politique. Son discours est à l’image de ses précédentes prestations : creux, confus, mal écrit, contradictoire, superficiel, bâclé, sans souffle ni imagination, convenu, plat, triste et pour tout dire : chiant.
Ca commence à devenir vraiment inquiétant. Qu’elle ait des insuffisances, on le sait depuis le début, mais on finit par croire, qu’il n’y a personne dans son entourage pour l’alimenter en fond et lui écrire de vrais discours. A ce train là, la campagne va vraiment être longue ! Je commence à me dire que son élection serait peut-être la pire chose qui pourrait arriver au Pays : Une France immobile hypnotisée par le sourire de sa nouvelle Marianne.
Je ne sais même pas quoi en dire. A la limite, la lecture de se discours se suffit à elle-même. Il n’y a matière ni au commentaire, ni à l’analyse, ni sur sa vision ni sur ses propositions.
Néanmoins, quand on veut, on arrive toujours à faire parler un texte. A défaut de s’appuyer sur sa lettre, il faut interroger son esprit. Et, là surprise ! Il apparaît que Ségolène Royal n’est en rien décentralisatrice. Son propos me semble même être inspiré par un esprit fort jacobin et que ses réformes aboutiraient, si ce n’est à une recentralisation, à une mise sous tutelle des régions par l’Etat
Il y a deux manières de concevoir la décentralisation. La bonne et la mauvaise.
La mauvaise consiste à transférer le pouvoir, ou l’apparence du pouvoir, de fonctionnaires nommés par le gouvernement à des élus locaux, mais sur le fond, on fait la même chose et de la même façon qu’auparavant. Cette conception étend considérablement le champ des batailles politiciennes et le nombre de roitelets de province, mais ne change rien à la manière dont le pays est administré.
La bonne consiste à reconnaître une autonomie aux territoires afin de leur permettre d’y conduire des politiques publiques adaptés à leurs caractéristiques propres. Cette conception vise à développer l’intelligence territoriale, l’innovation et les initiatives locales pour que chaque territoire et chaque région trouvent le modèle de développement qui lui correspond.
Ségolène Royal s’inscrit clairement dans la première catégorie. Démonstration :
1- L’égalité plutôt que la différenciation.
Au lieu d’insister sur la différenciation des politiques et sur les initiatives locales, le discours de SR insiste au contraire sur le concept d’égalité dans toutes ses variantes, péréquation financières, égalité des droits, égalités des territoires, jusqu’à employer cette incroyable formule « un Etat qui sécurise l’égalité de développement ». En clair, les mêmes moyens mis en œuvre partout, pour les mêmes résultats.
2- Des responsabilités définies non plus comme des compétences à exercer librement mais comme des tâches à accomplir.
Ségolène Royal ne se limite pas à énumérer des compétences que les régions pourront exercer à l’avenir en fonction des besoins propre des territoires, mais va jusqu’à prescrire le contenu des actions qu’elles devront conduire : Aide au premier emploi des jeunes, chèque régional au créateur d’entreprise (ce qui, soit dit en passant, existe déjà partout), construction de logements étudiants, rénovation des constructions universitaires … Lors d’un des débats de la primaire socialiste, elle avait déjà commis ce type de dérive en considérant qu’il faudrait généraliser les initiatives, naturellement exemplaires, qu’elle avait mis en oeuvre dans sa région.
3- La valeur ajoutée des régions trouvée dans l’importance des moyens mobilisés plus que des initiatives locales originales.
Les résultats positifs que Royal impute à la décentralisation n’ont, en fait, rien à voir avec une quelconque autonomie des collectivités, mais exclusivement à l’augmentation des moyens mis en œuvre. Il est évident que les départements et les régions ont considérablement modernisé les collèges et les lycées, ou redonné un nouvel élan aux transports collectifs avec la relance des TER, mais l’Etat, ou les services publics eux-mêmes s’ils avaient été autonomes, auraient pu en faire autant s’il avaient bénéficié des mêmes moyens. Le seul mérite de la décentralisation a été, en l’espèce, de mobiliser plus l’impôt. Elle n’a pas fait mieux, elle a fait plus.
Il en sera exactement de même pour la modernisation du parc immobilier des universités. Renforcer substantiellement les dotations à des universités autonomes aurait strictement le même effet.
4- Un rôle de l’Etat renforcé se rapprochant d’une nouvelle forme de tutelle.
Une vraie régionalisation supposerait d’affranchir les régions de la tutelle de l’Etat. Bien sûr, il ne s’agit plus de la tutelle juridique que l’on connaissait avant 1982. Il s’agit désormais d’une tutelle financière qui s’exerce par l’importance des dotations de l’Etat (supérieures au produit de l’impôt local) et surtout par les politiques contractuelles, type contrats de plan, qui conduisent concrètement les régions financer les politiques de l’Etat, sur la base des priorités de l’Etat et avec les procédures définies par l’Etat.
Une vraie régionalisation consisterait à reconnaître une totale autonomie financière aux collectivités et à laisser le leadership aux seules régions sur les grandes compétences qui participent au développement local, avec un retrait clair et définitif de l’Etat sur ces thématiques et le transfert aux régions des budgets afférents.
Rien de tel dans le discours de Ségolène Royal. Le rôle de l’Etat, loin de s’amoindrir, semble, au contraire, être appelé à se renforcer. L’Etat doit « donner l’impulsion » et « avancer dans le même sens ». En clair, l’initiative des politiques demeure du ressort de l’Etat, et les actions continuent de s’organiser dans le cadre de cofinancements Etat-Région.
Là, où ça devient proprement stupéfiant, c’est quant le texte semble vouloir transférer à l’Etat tout le processus de gouvernance des collectivités. L’Etat est non seulement à l’origine des actions, mais doit in fine, évaluer les actions et même exiger des résultats. Tout est résumé dans cette phrase : « la France a besoin de mettre encore plus fortement ses régions en mouvement » Les régions ne sont pas des collectivités autonomes dont il faut libérer les initiatives, mais des marionnettes qu’il faut actionner.
Et dernière citation qui, sous l’apparence d’un oxymore malheureux, sonne comme l’annonce d’une véritable et brutale recentralisation « La véritable réforme de l’Etat, c’est la régionalisation, car elle renforce le pouvoir de l’Etat et rend plus efficace l’action publique ».
Ségolène Royal ne va pas jusqu’à proposer de nommer par décret présidentiel les président de Région, mais elle entend bien les mettre sous tutelle. Sa vision de l’organisation administrative du pays est ni une république décentralisée, ni Etat unitaire et centralisé, c’est un tout nouveau concept, qui à ma connaissance, n’existe que dans la Russie poutinienne, la République unitaire régionalisée. Elle veut passer d'un statut de présidente de région à Présidente des régions.
On peut être centralisateur jacobin et faire plus confiance à des grands commis de l’Etat qu’à des politiques. On peut être un ardent décentralisateur et même prôner une forme de fédéralisme à la française. Toutes les positions sont légitimes dans le débat public. En revanche, ce qui est indigne, c’est d’adopter une posture inverse de ses positions réelles.
Naturellement cette analyse comporte une réserve fondamentale, celle que Mme Royal ait réellement une vision et des convictions et qu’elle sache appréhender la portée de ses propos, ce qui reste à démontrer. Une expression aussi confuse ne saurait refléter une pensée très claire.
Tu t’étends longuement sur la mauvaise manière de concevoir la décentralisation proposée par Ségolène, mais pour la bonne tu es très peu loquace, je pense que cela demande un approfondissement. N'oublie pas non plus qu'elle s'adressait à un public acquis, on peut l'espérer, à sa cause!
Tu définis la bonne manière de concevoir la décentralisation comme le préconisait la loi de décentralisation : « Ces lois marquent la volonté politique d’opérer une redistribution des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales avec comme objectifs une meilleure efficacité de l’action publique et le développement d’une démocratie de proximité. La politique de décentralisation, initiée par l’Etat, se réalise dans les politiques publiques locales. »
Souvent l’esprit de la loi est autre que son application. La décentralisation politique nécessite des réformes constitutionnelles et surtout une décentralisation financière
Que penses-tu des 7 propositions pour une nouvelle décentralisation que tu peux lire sur le site : http://www.idecentralisation.asso.fr/PRESEN/HPRES.HTM
1. EN FINIR AVEC LE PROBLEME DU CUMUL DES MANDATS
2. LE SENAT, UN « BUNDESRAT » A LA FRANÇAISE
3. DONNER UNE « INFLEXION REGIONALE » DE LA DECENTRALISATION
4. DEMOCRATISER L'Intercommunalité
5. SPECIALISER ET « HIERARCHISER » LES NIVEAUX
6. PARTAGER LES IMPOTS « MODERNES » ET REPENSER LA PEREQUATION
7. UN ETAT « RESTRUCTURE », JOUANT LE JEU DE LA DECENTRALISATION
Rédigé par : Régine | 21 décembre 2006 à 19:08
Je ne critique pas la manière dont elle voit la décentralisation. Je tente seulement de faire ressortir le sens qui se dégage de son discours si confus.
Le fait qu'elle s'adressait à des convaincus est justement le plus inquiétant. On aurait pu s'attendre à un discours très décentralisateur, très régionaliste et ambitiueux. Ce n'est pas le cas.
Je ne suis pas locace sur "la bonne", car ce n'était pas l'objet de cet article. Un jour peut-être je livrerais ma manière de voir la décentralisation. C'est un sujet vaste et complexe que je connais bien et qui ne se prête difficilement à de la pensée powerpoint.
Si je le fais, je le ferais sérieusement. Ca mérite mieux que quelques lignes dans un commentaire ou qu'une digression.
Rédigé par : Malakine | 21 décembre 2006 à 19:24
Moi je suis très carré sur le sujet. Il faut REVENIR sur la décentralisation, et redonner à l'état des missions régaliennes qu'il n'aurait jamais du abandonner dans un pays de tradition colbertiste.
Je conçois une déconcentration, mais le pouvoir décisionnaire doit demeurer à des fonctionnaires indépendants pour toutes les questions qui de près ou de loin sont de nature à créer des liens incestueux entre corrupteurs potentiels et élus (voir le scandale de l'eau).
Je n'accepte pas que le Conseil général du 93 ait six fois moins de moyens à consacrer aux collégiens que la ville de Paris.
Enfin, on peut dès maintenant faire l'économie d'un échelon obsolète, qui est le département en transférant une bonne part de ses pouvoirs aux régions.
Le pouvoir local ça va pour les chemins vicinaux, la promotion du Chabichou, des langues régionales, etc.
Bref, je me revendique pleinement jacobin.
Rédigé par : les Réactionnels de Gauche | 23 décembre 2006 à 16:16
Salut l'ami,
J'ai opéré un travail voisin sur le dernier discours dit des Ardennes de Nicolas S. sur mon blog. Une petite cacahuète dans un gros papier cadeau.
Sur la décentralisation, je condamne le principe du "forcément" : "On est forcément mieux administré depuis Lyon que depuis Paris" ou "Une femme présidente ce serait forcément différente".
N'hésite pas à me laisser un post si tu passes, voire même à proposer d'échanger nos liens !
Toreador
Rédigé par : Toreador | 24 décembre 2006 à 09:24
Ségolène Royal n'exprime aucune opinion franche et partisane, dans l'intention de ratisser le plus large possible. Pourtant c'est le contraire qui se produit... Personne n'est content !
Je pense que Ségolène Royal est une régionaliste convaincu. Si elle a un discours aussi ambigue c'est tout simplement parce qu'elle parle encore comme une Présidente de Région. Elle se sent bien en Présidente de Région. Et malheureusement quand elle sera à l'Elysée, elle n'aura plus ce pouvoir dévolu au président du région... d'où un manque flagrant qui la pousserai à revenir sur cette décentralisation...
En résumé, qu'elle reste Présidente de Région !
Rédigé par : thimele | 15 janvier 2007 à 16:27