Lorsque j’ai vu samedi dans la librairie où j’étais venu pour chercher un bouquin qui s’est avéré introuvable, le petit essai d’Alain Cotta, j’ai longuement hésité à le prendre. Je ne connaissais rien de l’auteur et je pensais connaître déjà suffisamment bien l’argumentaire sur la nécessité de quitter l’Euro. En outre, 15 € pour 90 pages écrit gros, je trouvais ça un peu aux limites de l’arnaque éditoriale. Mais en le feuilletant, je me suis laissé séduire par le ton incisif, très loin de ce à quoi on est habitué dans les bouquins d’économie. Bien m’en a pris car la lecture s’est avérée particulièrement réjouissante.
Un livre coup de poing dont on ne ressort pas indemne, même lorsqu’on partage les idées et les analyses de l’auteur. C’est ironique, grinçant, désabusé, parfois cruel contre notre notre époque et les travers de notre pays d’aujourd’hui. Voici donc, non pas une recension, ce dont je suis incapable, mais quelques réflexions personnelles et subjectives qui m’ont été inspirées par cette agréable lecture.
La presse et notamment Marianne2, s’est déjà fait écho du propos purement économique du professeur Cotta. Je passerais donc sur les trois scénarios qu’il développe : la survie de l’Euro par la généralisation de la rigueur allemande, l’évolution de l’euro en monnaie commune ou l’explosion pure et simple avec retour aux monnaies nationales Là, n’est d’ailleurs pas l’intérêt principal du livre. On a déjà lu sous la plume de Jacques Sapir ou même de Patrick Artus des exposé autrement plus structurés et convainquants sur l’impasse que constitue la monnaie unique. Je m’arrêterais tout de même sur deux éléments du raisonnement qui me semblent soit discutables, soit de nature à proposer une lecture originale du problème.
L’auteur voit dans la situation actuelle où les déficits commerciaux allemands compensent les déficits de presque la totalité des autres membres, une forme de tribut que paierait la vertueuse Allemagne qu’il n’hésite pas à comparer aux réparations d’après le premier conflit mondial. L’affirmation me semble particulièrement discutable dans la mesure où c’est précisément l’absence de transferts financiers effectifs entre les le pays excédentaire et les pays déficitaires qui rend le déséquilibre du système intenable.
Un petit rappel des faits à l'attention de ceux qui croient encore qu'on a le choix entre l'Euro ou la guerre : Les pays déficitaires, pénalisés par une monnaie trop forte pour eux, voient leur base productive s’éroder, ce qui accentue leur déficit commercial et les obligent à s’endetter pour compenser. … tant qu’ils le peuvent encore. Mais lorsque l’endettement ne pourra plus masquer l’appauvrissement absolu que représente la désindustrialisation, la zone euro se polarisera comme n’importe quel pays unifié. Quelques rares nations concentreront la richesse et les emplois productifs ; les autres seront condamnées à survivre avec une économie de service dite résidentielle ou présentielle, alimentée par les revenus de transferts, ceux que l’Europe voudra bien mettre en place au titre de sa politique régionale ou au titre du fédéralisme budgétaire auxquels certains commencent à rêver, ou les revenus liés au tourisme ou à l’expatriation des retraités.Ce qui fonctionne entre Paris et Chalons en Champagne avec un Etat qui prévèle et redistribue 56%la richesse de la nation, n'a aucune chance de fonctionner entre Hambourg et Lisbonne avec un budget communautaire de 1% du PIB.
Néanmoins, qu’elle soit juste ou erronée, la représentation des déséquilibres internes à la zone d’Alain Cotta est intéressante , car c’est probablement ainsi que l’on doit voir les choses en Allemagne. Lorsque nos voisins en auront assez de se serrer la ceinture, leur réaction ne sera pas de demander à leurs gouvernements (ou plutôt à leurs syndicats) une augmentation des salaires pour relancer la demande intérieure comme on le ferait en France. Ils demanderont d’en finir avec la monnaie unique pour ne plus avoir à payer pour tous les fainéants et les improductifs qui s’endettent à bon compte et vivent au dessus de leur moyen. Le risque le plus important pour la monnaie unique ne se situe pas en Grèce, en Espagne ou en Portugal, mais bien en Allemagne ! Un sondage récent montre d’ailleurs qu’une majorité d’allemand est déjà favorable au retour au Mark. Une belle victoire en coupe du monde et le sentiment légitime de fierté nationale qu’elle ne manquera pas de susciter devrait considérablement hâter ce processus ! (1)
L’autre point discutable du propos repose sur l’interprétation selon laquelle la politique monétaire européenne privilégierait la rente et les vieux. Si la prohibition de l’inflation (2) favorise à l’évidence les détenteurs de patrimoine, il est difficile d'affirmer que l’Euro en tant que tel, accentue la rémunération du capital ou permet de servir des rendements très élevés aux épargnants. Que l’Europe aspire, plus ou moins consciemment, à devenir une zone de rentiers sortis de l’Histoire, c'est une évidence. Affirmer que la monnaie unique permet d’y parvenir en est une autre histoire. On voit d'ailleurs mal de quelle forme de rente l’Europe bénéficierait aujourd’hui …
En revanche, il est vrai que l’explosion de la zone euro porterait un coup douloureux aux détenteurs d’épargne. Le retour aux monnaies nationales des pays déficitaires impliquerait nécessairement soit un défaut partiel sur leur dette, soit une forte dévaluation de la nouvelle monnaie, soit les deux, ce qui ne manquerait pas d’avoir de douloureuses conséquences sur la valeur des portefeuilles en assurance-vie, censées précisément être des placements sûrs, car « investis en Euro » … Dans ces conditions, on comprend bien que la classe politique ne soit pas pressée d’imposer une cure minceur aux chers placements de ses chers fidèles électeurs aux cheveux gris.
Néanmoins l’argument revient sans cesse dans le livre. A. Cotta nous présente la classe politique à la fois prisonnière de ses promesses passées, de ses erreurs et de ses aveuglements, mais aussi d’un électorat de plus en plus âgé à qui il est devenu impossible de déplaire. Si tel était le cas, si la grande question de ces prochaines années portait sur l’arbitrage entre les classes d’âge et le risque d’avènement d’une gérontocratie, il faudrait ne pas tarder à poser la question d’instituer d’un âge limite maximal au droit de vote, comme il existe un âge minimal.
Le scénario de la mort lente
La partie la plus intéressante du livre est son épilogue, où l’auteur décrit ce à quoi pourrait ressembler une évolution de la France au fil de l’eau.
La réduction du niveau de vie imposée par la rigueur allemande constituera le seul moyen pour rétablir les équilibres budgétaires et commerciaux. L’austérité et la régression sociale sont inévitables si l’on veut maintenir la monnaie unique. La droite comme la gauche ou le centre, ne pourront que l’assortir d’une exigence de justice sociale et de vagues promesses sociétales. Mais aucun ne pourra promettre aux Français d’y échapper. Les écologistes sont parmi ceux-ci les plus cohérents puisqu’ils affirment ouvertement que l’occident que la régression est une bénédiction et qu'il doit s’appauvrir pour favoriser une égalisation des niveaux de vie (3) au niveau mondial et (ou ?) sauver la planète.
Toute la question est de savoir si la population acceptera une régression de son niveau de vie. Pour Cotta, la réponse semble positive dès lors que la régression sera raisonnablement étalée dans le temps. Il n’y a guère d’explosion sociale à craindre compte tenu de la sociologie des employés de bureaux, "moins belliqueux que leurs ancêtres ouvriers ou paysans". La population sera aigrie et insatisfaite, mais cela ne suffira pas pour changer le cours des choses « Si personne ne défile dans les rues, a fortiori, ne brûle et ne pille, (les politiques considèrent que) la preuve est apportée de la justesse et de l’opportunité de leurs choix »
D’une manière assez drôle et assez prémonitoire, Cotta anticipe plutôt une rébellion de la population contre sa classe politique, désormais totalement dépourvue de pouvoirs depuis qu’elle aura mis toute l’économie en pilotage automatique sous surveillance germanique, juste bonne à « décider de l’emplacement des pissotières » : « Pourquoi conviendrait-il de continuer à rémunérer ces « représentants », réduits à essayer d’impressionner ou de corrompre les fonctionnaires communautaires ? » N’est-ce pas là, le sens caché des affaires en cours autour du train de vie des ministres ?
La France se spécialisera donc sur ces rares avantages comparatifs dans la mondialisation : son agriculture, ses paysages, ses terroirs et leur gastronomie, sa culture, son patrimoine et ses monuments historiques, dont on pourra toujours espérer qu’ils génèrent quelques revenus liés aux visites des nouvelles classes aisées des pays émergents. Les emplois, souvent peu qualifiés et mal rémunérés, se trouveront tous dans les services, notamment ceux liés à la communication interpersonnelle et aux soins médicaux, la nouvelle grande passion française. Ceux qui voudront mieux n’auront qu’à s’expatrier ! (4)
Une vision amère de la société française
Plus que son propos économique, c’est peut-être la vision féroce et aigrie proposée de la société française qui fait l’intérêt de ce petit essai. Les élites économiques y sont présentées comme décérébrées, corrompues et moutonnières ; les politiques comme de vrais guignols lâches et irresponsables, seulement soucieux de leur réélection ; la jeunesse comme n'ayant d'autre projet que e communiquer par clavier interposés pour parler de soi « fusse avec les oreilles bouchées par des écouteurs » et seulement capable de s’exprimer par des beuveries en place publique. Les Français dans leur ensemble, comme des anxieux, assistés et oisifs, obsédés par la maladie et la mort, cherchant en permanence à échapper au travail : « La volonté très majoritaire des Français n’est pas de travailler plus ni de gagner plus – sauf s’il s’agit d’un don – mais de limiter la durée de leur deuxième âge, après avoir fait durer celui du premier, avant de consacrer le troisième à voyager le plus loin et le plus longtemps, et de prolonger le quatrième autant que les services médicaux le lui permettront »
***
Ce livre apparaitra surement à certain comme l’oeuvre d’un vieux Monsieur fatigué de s’être battu trop longtemps contre l’imbécilité et la médiocrité de l’époque. Que les faits lui donnent enfin raison (sur l’Euro au moins) ne lui procure visiblement aucun plaisir ni satisfaction. Le combat a été perdu. Pourquoi se battre pour un peuple qui a consciemment et méthodiquement organisé sa propre disparition ?
Involontairement, ce livre est aussi un message adressé à notre génération; la dernière qui a encore une petite conscience politique et encore un peu d’énergie pour tenter de changer le cours des choses. Si nous ne sommes pas capables d’organiser le sursaut en réveillant rapidement ce pays résigné et déprimé, nous ne tarderons pas non plus à jeter le même regard amer sur nos compatriotes et notre époque. Nous ne serons jamais de ces écologistes fous dont la foi aveuglante les conduits à voir dans le déclin européen une bénédiction pour la planète et les peuples d’ailleurs, mais nous pourrons bien en arriver à penser nous aussi que la France n’a finalement que ce qu’elle mérite …
Malakine
(1) C'est pourquoi je soutiens la Mannshaft avec un immense plaisir et beaucoup d’enthousiasme.
(2) Et donc de la monétisation des dettes publiques, solution jugée tout à fait rationnelle et fortement recommandée par l’auteur.
(3) Voir notamment le dernier billet d’Hervé Kempf l’éditorialiste halluciné du Monde. S’il persiste toujours à voir dans les causes de la crise économique mondiale, des causes écologiques liées à l’épuisement des ressources, sa santé mentale semble toutefois aller un tout petit peu mieux, puisqu’il ne nous annonce plus chaque semaine comme l’an passé que des hordes de réfugiés climatiques ne vont pas tarder à nous envahir et que la planète n’en a plus pour longtemps avant de se débarrasser de l’Humanité.
(4) Il est vraiment regrettable de ne disposer d’aucune statistiques fiables sur l’expatriation des français. Il me semble en effet très probable que le mouvement d’expatriation de la jeunesse la plus diplômée se soit déjà bien engagé depuis une bonne décennie.Mais cela aussi, tout le monde s'en fout. Un jeune qui s'en va, c'est un chômeur en moins !
Dresse,
J'ai bien apprécié le style d'écriture de votre com, effectivement vous avez une belle plume comme l'a déjà fait remarquer un commentateur auparavant.
Concernant les gueules cassées de 14, ça m'a toujours fait cogiter, déjà gamin lors des commémorations de Novembre auxquelles l'école primaire nous faisait participer.
A tel point, que récemment, lors d'un retour en France depuis l'Allemagne, je me suis arrêté à Verdun, pour la première fois, sorte de pèlerinage républicain...
De même, lorsque j'ai vu les films tournés sur les camps dans un reportage sur le procès de Nuremberg. J'avais 12 ans et j'ai cauchemardé toute une nuit, c'était une deuxième naissance, ma naissance au monde de l'horreur toujours possible.
Rédigé par : olaf | 11 juillet 2010 à 17:58
@Cépajuste
Au contraire, si l'on fixe un age de majorité, c'est que l'on estime qu'avant cela on n'a pas encore un citoyen à part entière.
Le fait de donner une demi-voix à chaque parents respecte parfaitement l'exigence constitutionnelle d'égalité du suffrage (un citoyen, une voix), peu importe si c'est exercé par un ou deux autres citoyen.
L'indivisibilité du suffrage n'est pas une exigence constitutionnelle. Dans ce cas précis, la partition du suffrage est même la seule façon de respecter l'égalité des suffrage et celle entre les deux parents.
Ce système ne serait en rien une usurpation ni une aliénation, c'est ni plus ni moins qu'une forme particulière de procuration, et cela doit être compris comme tel.
Même si cela n'est pas à mon avis obligatoire, je pense qu'une telle réforme devrait être impérativement adoptée via une loi constitutionnelle.
Rédigé par : Aluserpit | 11 juillet 2010 à 23:50
"Dimanche soir je serais en orange parmi eux pour fêter la victoire contre ces espagnols aux jeu aussi prétentieux qu'inefficace"
Et dire que Van Bommel a terminé le match...
Remarque je ne suis pas en état de trop la ramener.
Je vais parodier un ex président:
"Putain 4 ans"
Rédigé par : ETDAS | 12 juillet 2010 à 00:18
>ETDAS
Viens sur facebook pour échanger ce genre de commentaire. Horizons n'est pas le lieu pour ça, et je t'assure que c'est beaucoup plus rigolo et réactif sur FB ! Ca fait une heure qu'on échange en direct sur le match.
Rédigé par : Malakine | 12 juillet 2010 à 00:23
Bonjour
J'ai également lu le livre de Cotta
Il apparaît de tout cela qu'il faut revenir à des monnaies nationales (de préférence au sein d'un euro commun) par volonté politique et non pas en attendant que tout nous saute à la figure.
Néanmoins je pense qu'il faudrait simultanément mettre en place une Charte des Echanges Monétaires et Commerciaux Européen, afin que la parité de la monnaie soit le régulateur d'un équilibre des balances des paiements, dans l'esprit de la Charte de la Havane ( http://wiki.societal.org/tiki-index.php?page=CharteLaHavane )
Rédigé par : A-J Holbecq | 17 juillet 2010 à 08:52