Philippe Cohen vient de consacrer une note de lecture au bouquin de Jack Dion et Martine Bullard « l'occident malade de l'occident » qui se conclue sur un appel à débattre de la « question chinoise » formulée ainsi : sa stratégie économique récente doit-elle être perçue comme une transition vers le progrès comme les auteurs l'affirment ou comme un avatar du système néolibéral mondialisé ?
Etant particulièrement friand des billets de Jack Dion dans Marianne, qui ne rate jamais une occasion d'épingler avec brio toutes les formes de la propagande anti-russe qui s'est développée dans les médias bien pensant (et en particulier dans « le monde »), j'ai acheté ce bouquin dès sa parution et je l'ai dévoré avec grand plaisir.
Pourtant, la lecture de ce manuel de géopolitique contemporaine m'a laissé une impression assez désagréable. Philippe Cohen met le doigt sur l'un des points problématiques du bouquin. Je vais donc répondre à l'invitation du directeur de Marianne2 pour à mon tour donner mon avis sur ce bouquin et la thèse qu'il défend.
Ce qui est le plus gênant dans ce bouquin, c'est précisément son absence de thèse. Philippe Cohen en a résumé l'essentiel dans sa note : l'occident est un concept idéologique dépassé, tout comme d'ailleurs l'occident lui même qui est en train de perdre son leadership multiséculaire sur le monde. Oui, et alors ? Que faut-il en penser ? Faut-il se réjouir de la crise qui le conduit au déclin relatif ? Faut-il appeler au sursaut pour réinventer un modèle pour s’insérer dans un monde désormais multipolaire ? Faut-il l'occident se désaméricanise , que l'Europe apprenne à devenir une puissance autonome ayant vocation à un leadership relatif ? Aucune de ces questions n'est abordée par le livre. Les auteur se contentent d'un tour d'horizon - fort intéressant d'ailleurs, là n'est pas la question - sur l'état du monde en ce début de siècle, sur l'Amérique d'Obama, la dérive impériale de l'OTAN, sur la Russie moderne injustement diabolisée, de la Chine incomprise et bien sûr, sur le modèle économique imposé par l’occident au monde, actuellement en faillite.
Le propos est farouchement anti-américain et par extension anti-occidental, les deux notions étant d'ailleurs confondue un peu rapidement. Cela est souvent juste, mais bien peu constructif. La phrase de fin est symptomatique de ce dénigrement systématique « L'occident ne peut en rien prétendre définir à lui seul l'universel. De deux choses l'une : soit il admet (enfin) cette évidence, soit il se retrouvera progressivement écarté du monde qui bouge, Alors au terme d'une prophétie autoréalisatrice, l'occident bien que toujours dominant accélèrera son déclin » Pas d'alternative au déclin, donc.
L'appel se limite à prendre conscience de la réalité d'un monde multipolaire dans lequel l'occident n'a plus vocation au leadership. En quoi ce renoncement aidera t-il à la définition d'un nouveau projet ou l’aidera à trouver sa place et sa nouvelle vocation dans le monde qui vient ?
La détestation de l'occident prend chez les auteurs une telle dimension qu'on les sent séduits, par la pénitence et un désir d’'effondrement de ce modèle de civilisation si destructeur et aussi insupportablement arrogant, un peu à l’image des écolos décroissants nourris de tiermondisme et de mentalité archéo-religieuse. Pour ma part, je ne suis pas suffisamment chrétien pour adhérer à ce genre de raisonnement. En politique, il ne saurait y avoir de faillite rédemptrice ou de souffrance libératrice de péchés collectifs. La politique vise précisément à organiser le sursaut et à trouver des solutions. Se flageller pour se faire pardonner ses fautes n’est pas une solution.
Cette question générale se retrouve très clairement dans le chapitre consacré à la Chine. Les auteurs, tout à leur plaidoyer pro-chinois, qui les amène sur la question tibétaine à faire passer Jean Luc Mélenchon pour un laïc modéré compréhensif à l'égard de toute foi spirituelle, nous ressortent sans scrupule l'image d'Epinal du libre échange qui aurait permis de sortir des millions de gens de la misère. Certes, ils n'idéalisent pas les ressorts du miracle chinois et l'effet de dumping récessif sur lequel celui-ci s'est construit. Mais, nous disent-il, cela n'est pas le fait de la Chine mais des méchantes multinationales occidentales qui viennent exploiter la main d'oeuvre servile locale pour engranger un maximum de profit. La Chine serait d'ailleurs la première victime de la mondialisation néolibérale, se retrouvant aux prises à un honteux chantage des méchantes multinationales occidentales : “si vous augmentez vos salaires ou que vous accordez des droits sociaux à vos travailleurs, on quitte le pays!” La Chine se retrouverait donc pris au piège de sa stratégie de dumping généralisé. Devrait-on la plaindre ?
Ici comme ailleurs, les auteurs adoptent exclusivement le point de vue du pays dont ils parlent depuis une posture radicalement anti-occidentale. La question n'est pas tant de savoir si la Chine est responsable, en tant que peuple, des délocalisations et de la pression à la baisse sur les salaires que son irruption dans le commerce mondial a entrainé. On laissera cette question à Dieu au moment du jugement dernier des péchés des peuples !
Fondamentalement, la question est (était) de savoir s'il était raisonnable de laisser se développer un pays qui représente le cinquième de la population mondiale grâce à un modèle fondé sur une concurrence irrésistible sur les coûts due à une absence totale de droits et de normes, sur une stratégie prédatrice fondée sur les exportations, la délocalisation des capacités de production de l'ensemble de la planète et le financement des déficits commerciaux de ses principaux débouchés commerciaux. Moi je réponds sans hésiter, NON ! L'acceptation de ce modèle par les pays occidentaux fût une folie dont on n'a pas fini de payer le prix.
La Chine changera peut-être de modèle économique pour se retourner sur sa demande intérieure. On en verra à ce moment les conséquences, si cela se traduit par un rééquilibrage de la mondialisation au profit de tous, ou par la catastrophe annoncée par Patrick Artus. Mais ce qui m'intéresse en premier lieu, c'est le sort de mon pays et la manière dont il peut réagir aux défis auxquels il est confrontés. Donner un blanc seing ou accorder son pardon à la Chine ne changera rien à ces défis et n’apportera aucune solution.
Je ne voudrais pas finir cette note sur un point trop négatif car j'ai globalement aimé ce bouquin. Je conclurais sur une anecdote savoureuse rapportée par les auteurs à propos de notre président et son américanisme.
“Peu de temps après son élection, il rencontre la secrétaire d'Etat américaine Condoleeza Rice. Cette dernière lui demande « Que puis-je faire pour vous » Réponse du président « Améliorer votre image dans le monde. C'est difficile pour le pays le plus puissant, celui qui rencontre le plus de succès, qui est – c'est une nécessité – le leader de notre camp – d'être l'un des pays les plus impopulaire du monde. Cela entraîne des problèmes écrasants pour vous et vos alliés »
C'est cela l'occidentalisme : servir en premier lieu les intérêt du maître américain. On comprends là le ressort profond du sarkozysme : faire de la France un Etat américain « comme les autres ». Je ne reprendrais pas ce mot qui m'a été beaucoup reproché. Cela n'est pas un comportement d'apatride. C'est une attitude de valet, de vendu, de traitre.
Malakine
PS : J'en profite pour dire deux mots d'un autre bouquin dont Philippe Cohen a fait la pub récemment dans Marianne, en nous affirmant qu'il fallait le lire sans faute : « Recherche le peuple désespérement” de Gaël Brustier et Jean Philippe Huelin.
N'en croyez pas un mot ! Ceci n'était que pur copinage. Ce bouquin est un véritable arnaque. 16 Euros pour 90 pages maigrelettes remplies, avec beaucoup de mal par une succession de faits et de statistiques sans la moindre analyse, des lapalissades et de l'enfonçage de porte ouvertes.
Mais ne gâchons pas la joie des auteurs, ils sont très fier de leur découverte. Ils ont retrouvé le peuple de France que la gauche avait perdu !! Non ? si, si !! Il vit dans des pavillons en périphérie des villes ! Et ? Et rien, c'est tout. Le peuple vit dans des pavillons et voilà quoi ...
Certains devraient plus souvent sortir du périphérique. Ils n'ont pas fini de faire des découvertes.
J’aurais aimé exprimer la vacuité de l'ouvrage d’une manière aussi élégante que le site nonfiction « Pour finir, les auteurs lancent quelques pistes qui peuvent permettre de sortir de la double situation d’enfermement des classes populaires et d’échec de la gauche au plan national. Ils prônent la mise en place d’une « coalition sociale majoritaire » autour d’un « projet républicain » pour enfin sortir de l’impasse politique, économique et sociale dans laquelle s’est enfoncé le pays . Cette dernière partie est malheureusement trop courte et la moins aboutie de l’ensemble, c’est dommage » Il faut avoir perdu son temps à lire ce bouquin pour pouvoir percevoir le comique de cette phrase. Mais non, non, abstenez vous ! Vous avez surement mieux à faire de vos 16 € et des deux petites heures de lecture qu'il vous demandera avant de le mettre à la poubelle à vieux papiers.
Je n'ai pas lu le livre "l'occident malade de l'occident" mais j'èspère que les auteurs ont défini le concept d'"occident" ce qui me semble fondamental pour toute réflexion sur ce sujet complexe. J'ai tendance à penser que c'est un concept fourre-tout et bien mal défini.Mais ma réflexion reste ouverte sur ce sujet!
Rédigé par : cording | 27 octobre 2009 à 11:37
@ Malakine
Tu reçois les bouquins gratuitement?
Zut, j'ai acheté le bouquin "Recherche Peuple désespérement" sous l'influence de Philippe Cohen.
Sur le bouquin de Dion & Bulard, permets-moi de préférer celui d'un George Corm, tout aussi radical (il est libanais) mais plus étayé notamment sur le concept d'Occident.
Rédigé par : René Jacquot | 27 octobre 2009 à 12:00
http://www.georgescorm.com/personal/download.php?file=afriasie-corm.pdf
Voici une entrevue intéressante de Corm.
Rédigé par : René Jacquot | 27 octobre 2009 à 12:01
@ cording
Non, le bouquin ne consacre pas beaucoup de pages à la définition du concept puisqu'il commence par une critique du discours occidentaliste de type comme BHL, Kouchner, Glucksmann.
@ rené jacquot
C'est rare. Le dernier donc j'ai parlé (celui de quatrepoint) je l'avais reçu par l'éditeur, mais ceux-là non.
Ca m'intéresse beaucoup que tu me donnes ton avis sur le "truc" de Gael Brustier. J'ai eu l'impression de me faire avoir par Marianne2 ce qui explique ma colère et mon point de vue aussi tranché. Mais peut-être suis-je excessif.
Pour ceux qui veulent se faire une idée de la profondeur de la réflexion des auteurs, voici une petite interview en vidéo qui en dit long.
Vous verrez qu'ils sont partisans d'un protectionnisme européen. C'est ça qui m'a énervé aussi. La manière, complètement mécanique et figée (et datée!) dont ils utilisent le concept en fait un élément d'une nouvelle pensée unique et du "prêt à penser"
http://www.dailymotion.com/video/xawtbr
Rédigé par : Malakine | 27 octobre 2009 à 12:48
@ Malakine
Sur cette vidéo, Gael Brustier nous tient un discours typiquement "Cassenien"... Il tente de présenter avec un discours modéré de présenter le protectionnisme européen comme une alternative raisonnable, bien sûr, il n'en précise pas les modalités.
Rédigé par : René Jacquot | 27 octobre 2009 à 13:56
Non seulement les modalités ne sont pas précisées (c'est le discours toddien classique version 2005-2007)mais le propos n'est même pas articulé avec son pseudo diagnostic de la fracture populaire.
Le peuple vit dans des pavillons à la périphérie des villes et donc pour cela, il faut du protectionnisme européen ?!?
PS Ca veut dire quoi un discours cessenien ?
Rédigé par : Malakine | 27 octobre 2009 à 14:09
@ Malakine
Merci pour les précisions apportées qui entament la crédibilité de ce livre.BHL, Kouchner, et Glucksmann ne sont pas des références pour moi.Ils se sont alignés peu ou prou sur des positions néoconservatrices.
Je préfère Emmanuel Todd pour son livre "le rendez-vous des civilisations" qui montre qu'à travers les taux de natalité et le statut de la femme et les taux d'alphabétisation le monde se rapproche des standards européens.
Rédigé par : cording | 27 octobre 2009 à 20:00
@ Cording
Vous n'avez rien compris. Prenez le temps de lire avant de laisser un commentaire ! Au besoin, imprimez ou augmentez la taille des caractères en faisant CTRL+ !
Rédigé par : Malakine | 27 octobre 2009 à 21:41
Malakine, je commence dès ce soir "L'identité économique de la France", de David Todd, qui a l'air passionnant. Et évidemment sérieux - contrairement aux bouquins que l'on donne parfois à lire, et qui, quelque sympathique que soient leurs auteurs, ne signalent que leur volonté de se devenir célèbre(s) en reprenant plus ou moins habilement quelques idées générales.
Rédigé par : Archibald | 29 octobre 2009 à 12:35
leur volonté de devenir célèbres - je n'avais pas tout supprimé de mon premier jet.
Rédigé par : Archibald | 29 octobre 2009 à 12:36
J'adore la fenêtre "les référence"
Malakine (un pseudo) se proclame prophète de Lordon, Sapir et Todd. La bonne nouvelle !
Fort de cette espèce de rente de gourou, il flingue tout ce qui pourrait faire de la concurrence à sa boutique...
Mais mon pauvre Malakine : essaye de vivre plutôt que de vomir ta bile sur tout le monde y compris sur Marianne2 qui a fait connaitre ton blog... de manière bien charitable car ce ne sont pas les innovations qui sont légions ici...
Rédigé par : Adso de Melk | 18 novembre 2009 à 11:55