Tout ce qu’on sentait venir s’est confirmé hier soir dans les urnes : forte abstention, victoire de l’UMP, décrochage du PS, percée des verts, échec de Bayrou. La surprise aura été l’ampleur de tous ces phénomènes.
Il est difficile de dégager un ou deux grands enseignements de ces élections. Chaque score doit être analysé avec prudence et souvent l’interprétation à donner est contraire à celle que les chiffres semblent indiquer immédiatement. La droite est en réalité minoritaire, le PS sort plutôt conforté, les extrêmes sont plus puissants qu’il n’y paraît. Il n’y a que deux conclusions qui ne souffrent d’aucune discussion possible: Bayrou est mort et Sarkozy a toutes les chances d’être réélu en 2012 !
Un électorat tronqué par l'abstention
Avec un tel niveau d’abstention, il convient de regarder avec précaution ces résultats car celle-ci n’a pas affecté tous les électorats de la même manière. Il est très probable que les catégories populaires ont été fortement sous représentées dans ce scrutin, ce qui a eu pour effet de minorer les votes protestataires des extrêmes.
Rappelons que les catégories populaires constituent le principal facteur d’instabilité du système politique et la grande inconnue sur l’état réel du rapport de force aujourd’hui. Autrefois captées par le PCF, elles ont fait les beaux jours du FN avant de passer dans le soutien à Sarkozy. Que feront-elles demain ? Vont-elles demeurer sensibles au volontarisme de l’hyperprésident, renouer avec des votes extrêmes ou s’exclure durablement du jeu par désespoir ? Cette question reste sans réponse aujourd’hui.
Faute de sondage par CSP encore disponible, l’indice le plus net de cette désertion des catégories populaires est évidemment l’importance du vote écolo, vote bobo par excellence : près de 20% quand on ajoute les scores de l’alliance écologique à ceux d’Europe écologie au niveau national, mais près de 30% dans la capitale et seulement 12.8% dans le Pas de Calais.
Cette sous participation des catégories populaires a certainement pénalisé les partis les plus protestataires. Le sondage jour du vote de TNS Sofres nous apprend que la moitié des abstentionnistes ont été motivés par un mécontentement soit à l’égard des partis, soit à l’égard de l’Europe. Par ailleurs, les décisions de dernière minute (comportement caractéristiques des catégories populaires) concernent surtout les votes NPA et Front National (25 % contre 9% pour l’UMP)
Le PS sauve l'essentiel
Certes, c’est une raclée ! Mais compte tenu de ce qu’est devenu le PS et de la nullité de ses arguments de campagne, rabâchés à l’identique depuis 20 ans (l’Europe sociale et la défense des services publics) qu’il y ait encore 17% du corps électoral pour voter pour ce parti moribond relève du miracle ! Malgré son score piteux, le PS est considérablement conforté par l’échec de Bayrou. Son statut d’opposant institutionnel, qui lui garanti sa confortable rente de situation et ses positions dans les collectivités locales, n’a pas été contesté comme les premiers sondages l’annonçaient.
Car, ne nous y trompons pas, le PS n’avait rien à faire de ces élections. Le véritable enjeu pour lui, ce sont les élections régionales de 2010 ! N’importe quel élu socialiste soucieux de garder son poste, sa voiture de fonction et son budget qu’il peut répartir à discrétion, a ce matin additionné dans sa région les voix du PS, des verts et du Modem pour constater qu’il pourrait battre la droite très facilement au mois de mars prochain. Comme les verts ne rééditeront pas leur exploit et que les présidents socialistes bénéficieront de la prime au sortant sans craindre d’être pénalisé par un mauvais bilan (puisque nul citoyen ne sait ce que font les régions), les élus socialistes se voient déjà facilement reconduits à la tête des mines d'or régionales, avec le seul petit inconvénient de devoir accorder un peu plus de place à leurs alliés verts et démocrates.
Un centre-gauche en panne de leader et de projets :
Comme on a pu le voir dans les mouvements des intentions d’opinion, l’électorat PS, Modem et écolo forme un électorat unique et fortement interconnecté, qui pèse près de 40 % des voix (sous la réserve liée à l’abstention indiquée précédemment) Le centre-gauche est donc potentiellement majoritaire en France. Son problème est qu’il n’a ni leader, ni projet.
L’électorat flottant s’est massivement porté, comme on le sentait, sur les écolos, pour la raison simple, qu’ils présentaient le projet le plus lisible et surtout, qu'il avait en son sein le leader naturel de cette vaste coalition. Daniel Cohn Bendit a gagné les élections, un peu grâce à son duel contre Bayrou (où ce dernier a été pathétique), mais surtout lorsqu’il s’est présenté comme le pivot de la future alliance anti-Barroso au parlement, affirmant qu'il aurait besoin de tout le monde "Y compris de toi, Jean Luc" !.
Bayrou a échoué à prendre le leadership du centre gauche. En le sanctionnant par un score minable, les électeurs de la gauche molle lui ont signifié qu’il ne viendrait jamais sur son nom que par défaut, voire par accident, comme lorsque le candidat socialiste s’appelle Ségolène Royal. Hier c’est Daniel Cohn Bendit qui a capté cet électorat de centre gauche en déshérence, demain cela peut être n’importe qui. Bayrou, s’il n’y a vraiment personne d’autre. François Bayrou aperdu beaucoup de sa crédibilité personelle et de son potentiel de leadership dans cette bataille. Hier soir, on sentait même que son pôle écologiste, qu'il a toujours trop négligé, avait comme des envies d'aller voir ailleurs, là où l'herbe est plus verte et les urnes mieux remplies !
Le PS peut donc être rassuré, sauf à présenter pire candidat qu’en 2007, son représentant sera au second tour de la présidentielle de 2012. La mise sur orbite d’un leader présentable constitue donc une urgence absolue pour les socialistes, s’ils ne veulent pas rééditer un nouveau 21 avril.
La bulle verte
Ce pôle de centre-gauche n’a pas davantage de projets qu’il n’a de leader. Car arrêtons les blagues, ! Ce n’est pas avec des films gentillets à base de belles images et de discours gnangnan que l’on construit un projet politique. La sauvegarde du climat, c’est tout de même le mot d’ordre le plus insignifiant de toute histoire de la vie politique ! La mutation écologique est nécessaire, mais qu’on ne fasse pas croire qu’elle peut constituer une réponse à la crise. Elle ne créera que des emplois subventionnés par des finances publiques déjà mal en point et n’apportera pas la moindre décimale de croissance supplémentaire. Que l’UMP s’empare du thème écologique pour se donner un supplément d’âme et masquer son impuissance sur les questions économiques, ce serait compréhensible et logique. La gauche s’enfermerait dans une impasse si elle cherchait à se reconstruire autour de ce thème.
La fièvre verte qui a gagné le pays et l’Europe n’est que le symptôme du désarroi intellectuel qui frappe le système politique depuis le déclenchement de la crise. C’est une valeur refuge quand les autres doctrines sont discréditées.
L’échec des nonistes :
Le scrutin a clairement sanctionné les partis qui ont voulu rejouer la campagne de 2005 en appelant à sanctionner le traité de Lisbonne comme autrefois le TCE. Le Front de Gauche ne parvient pas à faire mieux que le score du PC lors des dernières élections (5%). Libertas perd deux points par rapport à 2004 (4.8 contre 6.8) Debout la République finit sur le score « honorable » de 1.77% pour un parti si jeune, et aussi peu exposé médiatiquement.
Ces partis ont été probablement victimes de leur position exclusivement critique sans être capable de décrire l’autre Europe qu’ils appelaient de leurs vœux. Quatre ans après le non au TCE, l’opinion attend toujours désespérément le plan B des anciens leaders du non.
De ce point de vue, c’est d’ailleurs l’UMP qui a certainement tenu le discours le plus habile et cohérent, prétendant changer l’Europe et affirmant que cela serait possible avec plus de politique et plus de volonté, comme lors de la présidence française qui a effectivement mis entre parenthèse toutes les institutions de type fédérale.
La renaissance des extrêmes
Les scores des extrêmes doivent être appréciés au regard de la sous représentation des catégories populaires déjà évoquée. Avec une participation normale, leurs scores devraient certainement être majorés d’une dizaine de points. Néanmoins le NPA et le FN font des scores significatifs avec respectivement 4.88 % et 6.34 %
Cumulé avec le score de Lutte Ouvrière (6%) l’extrême gauche est en forte progression par rapport à 2004 (2.56 %) Si la crise s’aggrave (ce dont il n’est pas permis de douter) il est vraisemblable de voir l’anticapitalisme approcher très vite la barre des 10 %.
Le Front National fait quant à lui un score en retrait par rapport à ses dernières performance (6.34 contre 10% aux présidentielles et aux dernières régionales) Ce score moyen cache toutefois de fortes disparités régionales avec des chiffres qui demeurent fort dans les régions ouvrières et populaires du nord et de l’Est de la France (de 8 à 10%)
Marine Le Pen fait d’excellents scores dans sa circonscription (10.9% dans le Nord pas de Calais, 12.5% en Picardie) prouvant ainsi que son discours, exempt de toute xénophobie et violemment critique contre le système économique, est susceptible de séduire une bonne partie catégories populaires. Elle est manifestement l’une des grandes gagnantes de ce scrutin, ce qui n'est que justice compte tenu de sa campagne très efficace. Elle aura marqué des points importants pour la conquête de son parti. Avec elle, un nouveau Front National est en train de naître. Il proposera une concurrence très sérieuse à l’extrême gauche dans la conquête des voix des catégories populaires et des victimes de la crise. Il est d’ailleurs très significatif qu’elle ait comparé son score hier soir, non pas à celui de l’autre liste souverainiste de droite, mais à ceux du NPA et du Front de Gauche.
Voilà pour mon analyse à chaud ... Aurais-je oublié quelque chose ?
Pour une analyse plus fine, il faudra attendre la publication de sondages sortie des urnes avec la répartition des votes par CSP et catégorie d’âge. Je serais très curieux d'examiner les votes majoritaires des catégories qui se sont le plus abstenus.
Malakine
@Malakine
Oui. Je n'ai peut-être pas été très clair: le parallèle est assez bon du point de vu des comportements des hommes et appareils politiques. Certains jouent effectivement le marché de niche. Et effectivement, cela "marche" assez bien (ils ont assez de consommateurs pour être viables ). Le parallèle semble même de plus en plus pertinent au fil du temps.
Je remarquais juste que cette "marchandisation" de la politique pose un "problème" : un marché de marchandises communes à pour unique but de faire du fric; donc la segmentation et la multiplication des niches n'est pas du tout problématique....
Mais le marché politique possède une singularité: si l'on ne veut pas que ça pète trop, il faut à un moment ou à un autre qu'un seul "produit" convienne (même minimmalemment) à une majorité de la population. Il faut un produit "TF1" pour gouverner, or quand on possède 300 chaînes du câble hyper-spécialisés et une population sans grande base culturelle commune, plus personne ne regarde TF1. Chacun va aller manger dans sa niche et ne supportera pas qu'une autre gouverne...
Au fond de ce problème, ce qui ressort est la question du "fond culturel commun" à un peuple, qui permet donc d'avoir des "besoins" (des idées, aspirations, conceptions, ..) communs en terme politique et donc d'avoir des "produits politiques TF1", c'est-à-dire des partis et idéologies majoritaires. Et on peut légitimement se poser la question de savoir si ce fond culturel partagé (trad: la culture commune) n'est pas justement en train de foutre le camps.
Il me semble que c'est plus ou moins une question que se pose Todd dans son dernier bouquin.
Rédigé par : malartic | 10 juin 2009 à 19:21
Les résultats de ces élections ne permettent guère de faire des projections sur l'avenir, car l'abstention a été massive (en particulier dans l'électorat du MoDem, cf. Le Monde). Le score du MoDem est certes un échec, mais pas si minable que ça (surtout si on tient compte de l'abstention et de l'effet Cohn-Bendit), il est même plus un peu élevé qu'aux législatives de 2007. Quant à dire qu'il annonce la mort de Bayrou, c'est aller un peu vite en besogne. Les leaders politiques n'ont pas cessé d'exister à la première défaite... l'histoire en regorge. Il suffit de penser à Sarkozy en 1999.
No comment sur la "fièvre verte", puisque vous refusez de voir la gravité des enjeux. Je vais voir ce qu'il en est dans votre article suivant.
Rédigé par : florent | 11 juin 2009 à 08:42
@ Tous
L'analyse de Jacques Sapir pour qui Europe-Ecologie constitue "une impasse".
http://www.marianne2.fr/Sapir-les-commentateurs-du-7-juin-sont-aveugles!_a180643.html
Rédigé par : René Jacquot | 11 juin 2009 à 18:54
Et merde, je n'avais pas lu le dernier billet de Malakine!
Rédigé par : René Jacquot | 11 juin 2009 à 18:55