La recherche de modèle étranger est une constante de la vie politique française. Après le fameux modèle danois et sa flexi-sécurité qui a inspiré le dernier quinquennat, les références au modèle scandinave de feu la candidate socialiste et l’intérêt de Sarkozy pour les modèles britannique et allemand, qui ont tour à tour été donnés en exemple, la France ferait bien de s’intéresser au modèle italien, ou plus exactement au "cas" italien.
Le retour au pouvoir de Silvio Berlusconi après les élections législatives a mis pendant quelques jours l’Italie au cœur de l’actualité. Les descriptions qui ont été faites de la situation politique, économique et sociale m’ont frappées par leurs similitudes avec la situation de la France. Il y a des différences évidentes qui empêchent de pousser la comparaison trop loin, mais on peut tout de même parler de « modèle italien » en ce qu’il décrit une désintégration face à la modernité et un échec absolu et définitif dans l'adaptation à la mondialisation.
L’Italie est le pays d’Europe qui souffre le plus de la concurrence avec les pays asiatiques et de l’Euro fort. C’est un parfait mauvais élève en matière de gestion des finances publiques, avec un déficit endémique et une dette abyssale. C’est une croissance en berne et un déficit commercial qui bat sans cesse ses propres records, malgré des réformes libérales qui n'ont produit aucun effet sauf de précariser les jeunes et susciter une vraie fracture générationnelle
C’est système politique à court d’idées qui n’a strictement rien à proposer pour sortir le pays de la crise, où la gauche socialiste et communiste a été éradiquée du parlement pour laisser place à un centrisme gestionnaire et mollasson, un pays gouverné par une droite « bling bling » et populiste, dirigée par un guignol, un système médiatique entièrement contrôlé par le pouvoir, une confusion absolue entre pouvoir politique et économique, des citoyens qui ne croient plus à la politique, qui votent comme si la politique était une farce ou un jeu de téléréalité.
La classe politique Française au lieu de regarder toujours vers les pays qui réussissent dans la mondialisation (ou qui prétendent réussir car il y aurait beaucoup à dire sur les conditions de la réussite anglaise ou allemande) devrait aussi penser à regarder ceux qui échouent pour anticiper ce qui les attend.
La situation de l’Italie nous rappelle que dans un environnement hostile, on peut ne pas pouvoir s’en sortir. Comment investir dans la recherche, l’université et « l’économie de la connaissance » quand les caisses de l’Etat sont vides et qu’il faut faire des économies ? Comment innover et produire de la richesse, quand d’autres au bout du monde fabriquent la même chose pour beaucoup moins cher ? Comment réformer une société qui ne se caractérise pas par son sens de la discipline, si les réformes qu’on lui propose sont autant de régressions qui, de surcroît, ne marchent pas ?
La France et l’Italie, si proches par leur langue et leur culture, par la structure de leur système politique, par la personnalité de leur chef d’Etat, par leur situation économique et les problèmes qu’elles rencontrent sont faites pour s’allier, ne serait-ce que pour peser au sein de l’Union Européenne et faire valoir l’intérêt des perdants du système.
C’est là que le retour de Silvio Berlusconi au pouvoir est un évènement très intéressant, car il compte à ses coté un certain Guilo Tremonti, futur ministre de l’économie, un farouche pourfendeur de la mondialisation et du capitalisme financier, qui en appelle à un protectionnisme européen et à une régulation de la mondialisation dans le cadre d’un nouveau "bretton woods".
Ces thématiques ne sont pas éloignées de celle du meilleur Sarkozy, celui des discours d’Henri Guaino. Pourquoi France et Italie ne s’associeraient-ils pas autour de revendications communes pour une profonde réorientation de l’orientation des politiques communautaires, quitte à menacer de sortir de l’Euro ensemble ? Après le couple Franco-Allemand, dont les intérêts divergent de plus en plus, est ce que le partenaire privilégié de la France en Europe n'a pas vocation à devenir l’Italie ?
Malakine
Etrange contrée où Berlusconi représentait le volontarisme et Veltroni le laisser-faire eurocrate...
Tremonti qui était jadis libéral semble avoir lu Maurice Allais et Jacques Sapir pour forger la nouvelle doctrine de la droite populaire italienne.
Sortir de l'euro pour les italiens? Ce n'est pas impossible...à voir les réactions du côté de Bruxelles, l'élection du Cavaliere est une bonne nouvelle!
un axe franco-italien? C'est fort possible vu les relations excellentes des deux hommes... seul point noir : l'atlantisme.
Rédigé par : René Jacquot | 23 avril 2008 à 22:03
@ René Jacquot
Ce n'était pas tellement différent chez nous en 2007 ! Je vais interroger prochainement un ancien lecteur d'Horizons italien, un protectionniste Toddien avec lequel j'avais échangé quelques mails il y a un an, sur l'origine de la pensée de Tremonti. On le dit aussi proche de la ligua et assez populiste. Difficile de trouver des infos sur sa pensée sur le net et je ne crois pas que son bouquin soit en vente en France... A suivre en tout cas.
Je ne crois pas que l'Atlantisme posera un problème. Comme je l'ai déjà dit, l'atlantisme de Sarko me semble plus affectif que politique. De plus, Berlusconi aussi s'affiche atlantiste, non ? Il me semble que l'Italie a envoyé des hommes en Irak...
Rédigé par : Malakine | 24 avril 2008 à 00:02
Entièrement d'accord sur la comparaison entre les crises française et italienne, aussi comparables que le sont les langues et cultures italienne et française. Sur la faisabilité en revanche, je doute que les milieux politiques, d'affaires, médiatiques français, qui négligent les questions linguistiques et culturelles, puissent imaginer une telle alliance. Au lieu de nous vanter toujours les soi-disant modèles anglo-saxon et allemand - le pire est qu'on les vante tous deux alors qu'ils sont divergents -, on ferait mieux, en effet, de s'intéresser aux autres pays francophones et de langue romane. Mais je crains que ce ne soit trop demander à des « élites » qui tombent des nues quand on leur dit que le français est une langue romane au même titre que l'espagnol, l'italien ou le portugais.
Rédigé par : Criticus | 24 avril 2008 à 00:24
En fait, je disais que c'est l'atlantisme des deux hommes qui me dérange le plus.
Etre atlantiste en ces temps où les USA ne sont plus le facteur stabilisateur de la globalisation est un vrai problème (lire le dernier ouvrage de Jacques Sapir). La France et l'Italie devraient plutôt se tourner vers la Russie pour un nouveau partenariat industriel (Gazprom, Rosneft).
Rédigé par : Réné Jacquot | 24 avril 2008 à 17:14
@ criticus
Je crois que l'alliance possible des pays latins est quelque chose qui a été vu par les élites. Le projet d'Union méditérannéenne de Guaino ne visait-il pas avant tout à cela.
@ René Jacquot
L'atlantisme de berlusconi ne l'empêche pas d'être pote avec Poutine. Je suis sûr qu'avec Medvedev, les relation entre la Russie et la France s'amélioreront considérablement. L'atlantisme de sarko me semble être avant tout du folkore. La realpolitique l'emportera et elle exige un partenariat avec la Russie.
Je suis en train de lire le bouquin de Sapir. J'en ferais une fiche de lecture. Donc on en parlera ici ... Cependant, la lecture est difficile. Sapir part dans de grandes digressions qui font qu'il est parfois difficile à suivre. Du coup, comme je lis tard, j'avance doucement dans son bouquin ...
Rédigé par : Malakine | 24 avril 2008 à 17:26
Le livre de Jacques Sapir est effectivement dense (surtout le passage sur l'humanitaire et le droit d'ingérence), il n'en demeure pas moins lumineux en termes de géostratégie.
Sur le protectionnisme en Italie, il est clair que les ouvriers de Lombardie ou du Piémont ont voté pour la Ligue du Nord qui promeut également un certain protectionnisme sous une forme Listienne.
Sur l'Atlantisme, l'envoi de troupes françaises en Afghanistan constitue pour plus qu'une génuflexion vers l'administration Bush.
Rédigé par : René Jacquot | 25 avril 2008 à 17:28