J’étais jeune en Mai 1981, mais je me souviens encore de l’enthousiasme qui imprégnait l’époque, au moins dans ce qu’on appelait à l’époque le « peuple de gauche » La campagne de Mitterrand avait suscité un espoir de changement profond. Elle promettait de changer la vie, de rompre avec le capitalisme et de tourner une page longue de 23 ans. Pendant quelques mois, la France a réellement pensé que « tout était possible » et cela a donné la force aux gouvernants de faire des réformes qui paraîtraient aujourd’hui insensées.
Où sont aujourd’hui le désir et les promesses de changement ?
L’élection de 2007 est à cet égard tout à fait paradoxale. Le thème du changement est, à la fois, omniprésent dans tous les discours et les slogans et concrètement absent, aucun candidat n’étant réellement en mesure de fonder ses promesses sur de vraies ruptures.
On sait les Français profondément insatisfaits par l’action de leurs gouvernants successifs et extrêmement inquiets face à l’avenir. Ils le montrent à chaque élection et dans tous les sondages. Cela ne date d’ailleurs pas d’hier. Depuis 1978, chaque élection déterminante, présidentielle ou législative selon les cas, a donné lieu à un changement de majorité. Ce système du balancier est désormais tellement intégré par la classe politique, que toute opposition s’attend à récupérer le pouvoir de façon mécanique dès les prochaines élections. La crise de l’opinion et le rejet du système a atteint son paroxysme avec le référendum de 2005 où les Français ont cassé l’Europe dans un grand élan de révolte et de colère.
A priori, jamais l’aspiration au changement n’a été aussi puissante dans notre pays. Pourtant, il semblerait qu’aucun candidat n’ose ou ne soit en mesure de s’emparer de cette thématique.
Le candidat de droite s’est imposé dans son camp sur le thème de la rupture dans une posture d’opposition au pouvoir en place. L’aboutissement de cette stratégie aurait du conduire Sarkozy à favoriser une candidature des chiraquiens afin de continuer à proposer un modèle alternatif. Néanmoins cette perspective menaçait de relancer la machine à perdre. Il s’est donc efforcé de priver la Chiraquie d’espace politique, en prenant le contrôle du parti présidentiel, puis en recentrant sur un discours dans la tradition gaulliste. Cette stratégie de rassemblement l’a conduit à s’inscrire dans la continuité des précédents gouvernements de Droite, au point d’abandonner son thème fétiche de la rupture et de la France d’après.
Sarkozy continue de véhiculer une image inquiétante de rupture, mais avec derrière lui tous les caciques de l’UMP, il n’a désormais plus aucune légitimité pour incarner ce thème. Il n’ose d’ailleurs pas nous dire avec quoi exactement il entend rompre.
A gauche, Ségolène Royal aimerait profiter de la mécanique du balancier pour être portée au pouvoir sans rien proposer, simplement en dénonçant le bilan, par définition épouvantable du pouvoir en place. La dynamique idéologique du PS est cependant devenue fondamentalement conservatrice. Le PS ne se définit plus aujourd’hui que comme le défenseur des avantages acquis et un rempart contre toute révolution néo-libérale. Il n’y a rien dans le discours actuel du PS qui puisse légitimer une quelconque dynamique de changement. L’opposition qui serait naturellement portée à incarner le changement, en est empêchée pour des raisons doctrinales.
Je reconnais qu’il est trop tôt pour cette affirmation tant qu’il subsiste un espoir que la candidate nous dévoile un jour un projet. Mais on voit mal quelles pourraient être les ruptures que les socialistes pourraient proposer.
Enfin, au centre, François Bayrou, veut incarner le changement contre l’établissement au pouvoir, mais au-delà des questions partisanes qui n’intéressent que lui, il est fondamentalement incapable de gager ce positionnement sur une quelconque rupture. Sa doctrine est, au contraire, de conduire une politique pragmatique et technocratique avec les meilleurs des deux camps. Difficile d’incarner mieux la continuité ! Le candidat autoproclamé anti-système est finalement celui qui garanti le mieux sa continuité.
L’extrême confusion du jeu actuel s’explique par deux raisons assez évidentes :
1- Jacques Chirac n’a jamais été un président de droite. La politique qu’il a conduite ou inspirée depuis 1995 était plus proche du radical socialisme que réellement libérale. Son action – et plus encore son discours - a été plus à gauche que celle de n’importe quel gouvernement européen social-démocrate. Ces cinq dernières années, la France n’a en effet subit aucune purge libérale du type de l’agenda 2010 qu’a conduit Schröder en Allemagne.
2- Tous les candidats appliquent la même stratégie. Proposer une synthèse de ce qu’attend l’opinion publique et n’incarner le changement que sur le style et la forme : volontarisme chez Sarkozy, féminité chez Ségolène, consensualisme populiste chez Bayrou.
Ce qui s’explique mal en revanche, c’est le choix de ne pas répondre au profond malaise de la société française par des propositions qui pourraient susciter l’espoir d’une nouvelle donne. La crise française devrait en toute logique inciter les candidats à rivaliser d’audace pour engendrer le rêve et l’espoir de changements profonds. Au lieu de cela, ils proclament des discours convenus et consensuels et font, au mieux, des propositions techniques destinées à corriger le système actuel dont personne n’appréhende clairement la portée.
La campagne est encore longue mais l’attitude des principaux candidats semble de ce point de vue difficilement compréhensible. Je suis partagé entre deux interprétations.
Soit notre classe politique est définitivement à bout de souffle, dépourvue de toute imagination ni courage, atteinte par une forme de « syndrome PSG » où les crises et les défaites successives ont fini par n’engendrer que la peur de perdre.
Soit les candidats ont fait l’analyse, qu’au final et quoiqu’elle en dise, la société française n’est pas prête à dessiner au cours d’une élection, les contours d’une nouvelle société. Elle serait trop angoissée pour imaginer l’idée même d’un changement. La France serait profondément conservatrice, une société de vieux frileux, d’enfants gâtés, et de râleurs invétérés. La réponse serait alors, soit de la rassurer avec une posture maternelle et/ou protectrice, soit de taire la rupture le temps de la campagne pour se laisser les mains libres une fois au pouvoir, et enfin faire bouger les choses.
Ce n’est naturellement pas mon analyse. Je pense qu’au contraire que le système politique et économique actuel est profondément rejeté, que les Français éprouvent une profonde l’aspiration à « autre chose » qui pourrait leur redonner l’occasion de recouvrer une certaine fierté et pourrait éclairer l’avenir d’un jour plus lumineux. Je suis convaincu que si l’on voulait se donner la peine, on pourrait trouver des chemins pour de vrais choix politiques.
A titre d’illustration, je formule dans une contribution annexe quatre propositions de ruptures réalistes et fondatrices. qui pourraient constituer la base d’une alternative politique.
Je crois que ton constat est malheureusement réaliste. Que faut-il faire pour avoir 51% des votes aux deuxiéme tout?
- Favoriser à la fois l'électorat de Gauche et de Droite, et ne pas froisser les médias (plutôt à Droite). Donc la Gauche se retrouve coincée entre d'un côté une "demande" de Gauche, voire à l'extrême-Gauche d'une partie de son électorat touché de plein fouet par la crise sociale, et de l'autre, son électorat institutionnel qu'il ne faut pas froisser et qui est indispensable à la victoire (Le peuple de la vraie Gauche ne pesant pas 51% des voix). Cela donne une posture hésitant entre l'égalitarisme et le social-libéralisme...
Je reste persuadé que celui qui saura (dans son discours),à un moment ou à un autre, prendre la mesure de la souffrance sociale du peuple français, remportera l'élection!
Rédigé par : Chevillette | 26 janvier 2007 à 00:10
Sur le changement, tu sais ce que j'en pense LOL. J'ai même mis un article sur Agoravox car je pense que c'est un leurre !
Rédigé par : Toréador | 29 janvier 2007 à 12:06