Les contempteurs de la mondialisation néolibérale et du modèle américain trouvent dans la crise actuelle des motifs de jubilation. Nous répétions depuis des années que non seulement le système n’était pas juste, mais qu’il n’était pas viable. Les faits nous ont donné raison contre tous les économistes de salon qui ont fait régner une véritable terreur idéologique en affirmant que le libre échange était porteur de croissance, que les Etats-Unis étaient le modèle à suivre ou que la modernité était à l’économie post-industrielle, immatérielle et financière...
Quand les Etats-Unis s’écrasent contre un mur de dettes et montrent ainsi la vacuité de leur modèle. Quand la finance montre son caractère de rapace et sa virtualité. Quand le libre échange montre sa dimension déflationniste. Quand, l’importance de soutenir la demande globale montre enfin sa nécessité. La victoire idéologique est totale.
Pourtant, l’heure n’est pas à la jubilation. Car, si les libéraux peuvent encore se rassurer en ne voyant dans la crise actuelle qu’une simple correction des marchés qui ne tardera pas à remettre l’économie sur le chemin de la croissance, nous, nous savons que le mal est profond et qu’il touche aux fondements du système. Samedi, lors d'un colloque organisé par le MPEP pour débattre d’une nouvelle organisation du commerce mondial, la discussion entre Jean Luc Gréau, Emmanuel Todd, Jacques Généreux et Liêm Haong-Ngoc, a tourné à la surenchère dans le pessimisme des scénarios de sortie de crise.
La question qui taraude tous les esprits en ce moment est de savoir si nous vivons actuellement une crise ou la crise terminale du capitalisme, un phénomène équivalent à ce qui s’est passé en Russie au début des années 90 quand Eltsine a mis brutalement fin au système communiste. L’économiste et journaliste Philippe Labarde, avec qui j’évoquais ce parallèle ce vendredi, se montrait assez séduit par l’hypothèse : Eltsine avait mis brutalement fin aux deux fondements du système : le parti communiste qui tenait lieu d’Etat et la propriété collective. La crise actuelle ne sape t-elle pas à son tour les deux fondamentaux de l’économie capitaliste, la foi dans les marché (la pertinence de la main invisible) et la monnaie (la croyance partagée dans la valeur des choses) ? Faut-il donc s’attendre à vivre comme la Russie des années 90 une décennie d’anarchie et de chaos "post-capitaliste" ?
Samedi, lors du colloque organisé par le MPEP, les économistes présents, tous réunis par leur contestation radicale du système, divergeaient dans la manière de voir la sortie de crise, mais tous proposaient un scénario noir.
Le moins pessimiste était Jacques Généreux, pour qui le système bancaire allait finir par être sauvé à force d’interventions publiques. Mais sans pour autant se réformer. Les dirigeants, pris de cours, trop autistes ou manquant de courage, seront incapables de l’assainir en profondeur. La crise fera mal, en particulier aux plus faibles, mais le système repartirait pour un tour, pour continuer à faire plus de dégâts.
Jean Luc Gréau s’est montré beaucoup dubitatif sur la capacité à sauver le système bancaire. Malgré les interventions des banques centrales le marché du crédit est toujours bloqué. De plus, de nouvelles menaces planent sur la finance mondiale. La machine à faire des pertes est toujours en marche.
Le taux de défaillance des ménages américains ne fait que s’accroître et s’approfondira encore plus avec la récession. Après la crise de l’immobilier résidentiel viendra celle de l’immobilier commercial tant la bulle a conduit à la réalisation de locaux qui ne trouveront pas preneur, et pas seulement aux Etats-Unis. Comment remboursera t-on les emprunts ? Enfin, viendra la bombe des LBO, ces sociétés rachetées par les fonds d’investissements par emprunts et dont la profitabilité est sensée rembourser les dettes contractées par les investisseurs. Si la récession s’installe, les fonds d’investissements feront faillite à leur tour, ce qui entraînera de nouvelles pertes pour les établissements bancaires.
Pour Jean Luc Gréau, la nationalisation du secteur bancaire est inéluctable. Elle existe déjà dans les faits. Traditionnellement les banques commerciales jouent le rôle de prêteur de premier ressort, les banques centrales de prêteur de second rang. Avec la crise, les rôles se sont inversés. Les Banques ne prêtent plus, ce qui oblige les banques centrales à injecter sans cesse des liquidités sur les marchés bancaires. De ce fait, les banques apparaissent comme de simples succursales des banques centrales.
Sur le continent, où l’on est habitué à l’intervention de l’Etat, la nationalisation coûtera cher, mais n’est pas inenvisageable. En revanche, que se passera t-il aux Etats-Unis et en Angleterre où il existe de véritables blocages idéologiques avec l'idée de nationalisation. Va t-on faire une faillite pure et simple de tout le système bancaire ? ?
Pour finir son propos en forme de boutade, Jean Luc Gréau cite Nouriel Roubini l’un des rares économistes américains qui avait annoncé la crise dans un discours alarmiste au FMI en septembre 2006 et dont l’essentiel des prédiction s’est ensuite réalisé, le plus terrible restant à venir : « Nous sommes dans un tunnel et la seule lumière que nous apercevons, c’est les phares du train qui vient en face »
Enfin, la palme du pessimiste est revenue à Emmanuel Todd, pour qui l’effondrement probable de l’économie mondiale, que ne parviendront pas à empêcher des dirigeants américains européens et américains incapables, aura aussi des conséquences sur le plan politique : la fin de la démocratie et l’avènement de nouvelles formes de dictature. Thèmes qu’il développera dans son prochain essai à paraître à la fin du mois.
Nous allons entrer dans une période de vide conceptuel abyssal. Les gouvernements vont se réfugier dans la communication, pour dire n’importe quoi, dans tous les sens. Leurs actions se limiteront à des actions ponctuelles, sans logique d’ensemble, pour donner l’illusion d’un pouvoir qu’ils n’ont plus. Ce contexte ouvrira la porte à des solutions autoritaires, dont on peut d'ailleurs déjà déceler des tentations aujourd’hui, à droite comme à gauche. Si le suffrage universel est devenu inopérant, à quoi bon en effet en maintenir l'illusion…
Le pessimisme de Todd s’appuie sur le diagnostic d'une crise morale profonde liée à une exacerbation de l’individualisme. La société est désormais atomisée en une somme d'individus qui ne sont plus motivés que par leur propre narcissisme. Les esprits ayant été lessivés par trois décennie de néolibéralisme, nos sociétés semblent aujourd’hui définitivement incapables de « penser collectif » La solution globale à la crise risque donc de ne pas pouvoir se matérialiser. Il ne faut en tout cas pas compter sur l’équipe de dirigeants européens actuellement aux responsabilités, ni pour l’imaginer, ni pour la mettre en œuvre. Ni Merkel, ni Brown, ni Berlusconi, a fortiori Sarkozy ne sont à la hauteur de l’enjeu historique.
Cette solution globale qu’elle serait-elle ? Pour Emmanuel Todd, il faut commencer par constituer un pôle de stabilité dans l’économie mondiale, autour d'une alliance stratégique entre l’Europe et la Russie, les deux seules sphères capables de s’extraire des désordres mondiaux. L’Europe équilibre globalement ses échanges avec le monde. La Russie est structurellement exédentaire. Un protectionnisme coopératif de relance à cette échelle doit permettre de relancer la machine économique, pour ensuite aider la « chinamérique » à atterrir en douceur et à de défaire progressivement de leur dépendance mutuelle. La Chine et les Etats-Unis devront reconvertir leur économie vers un mode de développement endogène. La Chine développer sa demande intérieure et les Etats-Unis rebâtir un appareil productif. Il faudra continuer à abreuver les américains en argent frais, mais cette fois, sans feindre de croire qu’il s’agit d’investissements productifs.
Et Emmanuel Todd de conclure en appelant à un Plan Marshall pour la reconstruction des Etats-Unis !
Malakine
Malakine, tu dis : "@ Ozenfant Personne n'a jamais parlé de contingenter les importations de matières premières !! (Taxer, c'est déjà le cas avec la TIPP) Le contingentement n'a de sens que pour développer ou redévelopper un certains type de productions sur notre sol. Mais promis, je reviendrais sur ce sujet en profondeur bientôt."
Merci de revenir en profondeur sur le sujet, mais en répondant, tiens bien compte du fait que si tu taxes les importations, tu es obligé de taxer -toutes les importations-.
Tu vois des régles internationales autorisant des importations discriminatoires : On taxe tout ce qui nous arrange et on détaxe tout ce qui nous dérange ?
Imagines un peu le bordel :
Alors on aurait le droit de taxer tout les produits sur lesquels nous avons une production inexistante et on laisserait entrer tous les produits sur lesquels notre balance commerciale est déficitaire.
On taxe les motos, les whiskys, les films, les ordinateurs, les portables.
On détaxe les autos, les centrales atomiques, le vin et le cognac, le gaz, l'Uranium et le Pétrole.
Si c'était le cas, tous les pays se mettraient à faire la même chose et nous n'exporterions plus rien.
J'espère que ton protectionisme "bien compris" n'est pas construit sur des utopies de cet acabit, parce que si c'était le cas, je ne vois pas qui tu pourrais convaincre en dehors des "croyants" déjà convaincus.
J'ajoute que les TIPP sont de taxes internes n'ayant rien a voir avec les taxes à l'importation.
@Davis Mourey,
Il est vrai que nous ne sommes pas souvent du même avis, mais que je ne crois pas m'en être jamais pris à ta personne...
"Les esprits sains discutent des actes, les esprits moyens discutent des événements, les esprits médiocres discutent des personnes." disait Jules ROMAINS
Je souhaiterais être capable de toujours de respecter cette excellente maxime, mais j'avoue que ce ne m'est pas toujours facile d'être indulgent.
Cordialement oz.
Rédigé par : Ozenfant | 14 octobre 2008 à 13:18
Je regrette la décision de D. Mourey car à travers deux citations (voir ci-dessous) je ne suis pas sur qu'il y ait incompatibilité de point de vue, mais des mots tabous et ... l'effet "godwin".
- "On peut être favorable au libre échange, sans pour autant être favorable à un libre échange débridé" [D. MOUREY]
- "Le protectionnisme (que je défends) veut rétablir la juste concurrence..." [MALAKINE]
Rédigé par : PeutMieuxFaire | 14 octobre 2008 à 13:53
@ Ozenfant
Par ce que tu crois qu'on exporte ce qu'on exporte parce qu'on est les moins chers ?? Nos exportations sont des produits que les acheteurs n'ont pas et ne savent pas fabriquer. Machines outils pour l'allemagne, produits de luxe pour la France ... Que les autres les taxes n'y changera rien, on exportera quand même.
Le but du commerce international c'est de faire circuler les innovations et palier aux pénuries. Ce ne doit pas être d'organiser une concurrence sauvage sur les prix.
Ensuite et plus fondamentalement, un régime protectionniste ne recherche pas la croissance par les exportations, mais par le développement de la demande intérieure.
Rédigé par : Malakine | 14 octobre 2008 à 17:25
@Malakine,
Tu devrais commencer à me connaître : Je ne crois rien et je souhaite de tout coeur que nous adoptions un forme ou une autre de protectionnisme.
Malheureusement, il ne suffit pas de lancer de grandes affirmations sans fondement dans le seul but de vouloir avoir absolument raison, même si on à tort.
Trouver des solutions (dans un brevet comme dans une organisation de protectionnisme) signifie avant tout chercher où sont les erreurs qui pourraient faire capoter le projet OU SOULEVER DES OBJECTIONS.
Ce n'est pas en éludant les difficultés qu'ont peut arriver à un projet sérieux.
Si les Français sont à la tête du luxe, tous les autres s'y mettront aussi si nous taxons leurs produits d'ailleurs pour les parfums, les vins, et même les avions (en Chine), ils s'y mettent déjà. De plus nous sommes le pays le moins bien protégé par des brevets, nous avons donc tout à perdre dans un processus de protection classique. Et ce n'est pas par des affirmations gratuites que tu persuaderas les gens sérieux de terrain... tout au plus quelques adorateurs idéalistes de plus.
UN protectionnisme OUI, mais il faut inventer l’avenir, pas retomber dans des recettes éculées.
Putain ! : Je veux comme toi que cela réussisse et il est bien rare que l’on réussisse avec des idées recuites : Il s'agit d'inventer l'avenir du protectionnisme, pas de revenir au passé.
Arrêtes de te mettre en colère à chaque fois que quelque un n‘est pas d‘accord avec toi et écoutes Regis Debray :
"Les idées d'une époque sont comme le mobilier ou les appartements de la classe dominante : ils datent de l'époque précédente"
Rédigé par : Ozenfant | 14 octobre 2008 à 19:14
"On peut être favorable au libre échange, sans pour autant être favorable à un libre échange débridé" [D. MOUREY]
- "Le protectionnisme (que je défends) veut rétablir la juste concurrence..." [MALAKINE]
Bien sûr ! Personne ne peut être contre d'aussi jolies phrases.
Ce qui va compter dans l'économie réelle, c'est comment allons nous organiser cela.
Dire
1° "la voiture a air comprimé est une bonne idée"
c'est à la portée de tous.
Expliquer
2° Comment on calcule son bilan énergétique pour savoir si c'est VRAIMENT une bonne idée : C'est cela qui va convaincre d'éventuels investisseurs à se lancer dans le projet.
Y a t'il quelque chose que j'ai mal exprimé ?
Rédigé par : Ozenfant | 14 octobre 2008 à 19:28
Le retour aux années trente n'est plus possible car l'Europe devient un continent de vieux, ne croyant plus à rien, voulant vivre tranquilles. Fermeture, xénophobie, écrasement des sans diplômes et des peu diplômés et des jeunes, oui, mais un grand pays d'Europe devenant fou, massacrant les gens des pays voisins au nom d'une théorie, je n'y crois pas.
La pauvreté va augmenter sans arrêt et nous allons finir par exterminer les pauvres. C'est inévitable, ils seront tellement nombreux qu'ils vont en devenir gênant, je ne pourrais plus faire mes emplettes au centre-ville sans être importuné par des tas de clochards faisant la manche. Zut alors ! Cela est inscrit dans la structure de la société moderne, l'inégalité des niveaux d'instruction. Chacun méprise, consciemment ou pas, les gens d'un niveau d'instruction inférieur au sien. Peut-être que seuls les très diplômés sont capables d'élaborer un projet politique sensé et s'ils ne l'ont toujours pas fait, ce serait donc parce qu'ils ont déjà choisi leur camp. Il est quand même très facile de construire un parti politique.
Todd a parlé d'une possibilité de dictature avec un prochain livre à ce sujet. Il y a donc réfléchi, ce sera bien argumenté, c'est sans doute la nouvelle la plus importante.
Rédigé par : Didier Bous | 15 octobre 2008 à 02:55
@ Ozenfant
Je ne me met pas en colère à chaque fois qu'on me contredit. J'ai toujours en travers de la gorge tes accusations de staliniens impotents. Et le ton que tu prends dans tes posts commence à m'irriter sérieusement. Non seulement c'est souvent agressif et donneur de leçon sur la forme, mais le plus souvent ca n'apporte rien au débat, tu dis des trucs qu'on a l'habitude de lire sous ta plume depuis un an et demi !
S'il te plaît, laisse de la place pour d'autres commentateurs !! Lis ce que viens d'écrire l'intervenant après toi et compare avec tes ritournelles perpétuelles...
@ Didier Bous
Très juste. On n'a plus à craindre de dérives autoritaires exhaltant la force et la puissance comme dans les années 30. des dérives sécuritaires liberticides, une dictature technocratique ou populiste, en revanche est tout à fait probable.
Rédigé par : Malakine | 15 octobre 2008 à 10:12
Aïe !
http://fboizard.blogspot.com/2008/10/le-krach-est-le-nouvel-opium-des.html
Rédigé par : Erick | 15 octobre 2008 à 14:44
>[la notion de libéralisme] ouvre aussi la voie à l'hyperindividualisme qui rend impossible toute pensée collective et toute définition de l'intérêt général.
Ben disons qu'elle ne s'occupe pas trop du champs des 'autres valeurs' (sociales, religieuses, ...), par ce que le libéralisme les accepte toutes, pourvues qu'elles soient situés 'en-dessous', c'est à dire choisies et non pas imposés de naissance. (un peu comme la laïcité à la française accepte les religions, tant qu'elles restent de la sphère privée) D'où le fameux rêve libérale de la citoyenneté à la carte, en gros...
Enfin bref, le libéralisme n'est pas foncièrement contre l'organisation sociale/le lien social, il veut juste qu'il soit choisit et non imposé...
Rédigé par : xong | 17 octobre 2008 à 02:17