Une drôle d'élection a lieu aujourd'hui. Les salariés sont appelés à voter pour élire … les juges de première instance chargés d'appliquer le droit du travail dans les litiges entre salariés et employeurs. Pour les centrales syndicales, ces élections présentent un enjeu important dans la perspective des élections professionnelles qui détermineront désormais leur représentativité. Mais, concrètement, à quoi servent ces élections ?
Elire des juges, en voilà une drôle d'idée ! Quelles que soient les listes sur lesquels ils seront élus, les futurs conseillers prud'homaux devront appliquer le même droit et seront exposés à la censure des mêmes juridictions d'appel, celles-ci composées exclusivement de magistrats professionnels. Puisque les élus ne sont pas sensés exprimer leur sensibilité politique ou syndicale au cours de leur mandat, l'enjeu en ce qui concerne l'administration de la justice est donc à peu près nul.
Or, une démocratie qui organise l'accession à des postes dépourvus de tout pouvoir est un jeu qui tourne à vide. Une farce, un pur exercice de communication, d'image et de popularité. Les taux d'abstention croissants (67% en 2002) sanctionnent d'ailleurs très logiquement l'innocuité de ces élections.
Pour être effective, une démocratie exige aussi un processus électoral qui permette au peuple d'exprimer une volonté, une vision, une intention. Le choix entre les candidats doit être clair et porteur de sens. Or, un rapide tour d'horizon du matériel de campagne des centrales syndicales suffit à se convaincre de la vacuité du scrutin. Dans un magnifique élan de narcissisme apolitique Force ouvrière propose de « voter pour soi ». La CFTC vante sur toutes les ondes la « proximité » et la « compétence » de ses délégués… Dans ces conditions, les enseignements sur l'état d'esprit du moment du monde salarié seront difficiles à déduire du scrutin !
On objectera que les élections prud'homales sont essentielles pour la légitimation de l'institution des conseils de prud'hommes. Encore faudrait-il, comme le propose Lolik, que les élections soient personnalisées et non pas des scrutins de listes. L'argument ne tient pas car il impliquerait d'élire tous les représentants locaux des pouvoirs publics, les juges, les policiers, les responsables de toutes les administrations d'Etat… La légitimité d'une institution est liée à la nature de ses missions telles qu'elles sont définies par la Loi et du droit qu'elle est sensée appliquer, bien plus qu'à la personne des agents qui la font vivre.
On objectera aussi que les élections prud'homales confortent la représentativité des organisations syndicales qui en ont bien besoin dans un pays où le taux de syndicalisation ne dépasse guère 8 % L'argument est à double tranchant, car l'absence d'enjeu réel induit des taux de participation très faibles.
En outre, c'est bien dans l'entreprise ou dans les branches, là où les combats se déroulent, que les syndicats doivent prouver leur représentativité. Telle est d'ailleurs la solution qui a été retenue par le législateur pour déterminer les nouvelles règles de représentativité syndicale. Initialement envisagée par le conseil économique et social dans un rapport, la détermination de la représentativité sur la base des élections prud'homales a été à juste titre abandonnée dans les négociations de crainte d'instaurer une démocratie d'opinion syndicale et afin de faire prévaloir la réalité de l'implantation et du travail syndical dans les entreprises.
Elire sur des scrutins de listes des représentants syndicaux sur la base d'un programme portant les rapports sociaux est une idée qui pourrait être intéressante. Il reste toutefois à imaginer des pouvoirs et des prérogatives à ce type de "conseils représentatifs du monde du travai". L'application de règles de droit ne saurait en tout état de cause tenir lieu de support à cet exercice de démocratie sociale qui reste pour une large part à inventer.
Les élections prud'homales d'aujourd'hui apparaissent donc comme un véritable simulacre de démocratie. A tel point qu'il est permis de se demander si leur principale fonction n'est pas d'habituer l'opinion à participer à des élections sans objet ni enjeux ; un peu comme si le peuple était appelé à élire sur le seul fondement de leur image ou de leur personnalité des gouvernants totalement privés de marges de manœuvre par les règles européennes, les traités internationaux ou les lois de l'économie mondialisée...
Malakine
D'abord c'est une bonne chose de ne publier ce billet qu'à la mi-journée du jour des élections, il y aura peu d'électeur potentiels découragés par cette note pessimite. ^^
Sinon j'ai pas vraiment compris où était le problème :
il ne semble pas que vous remettiez en cause le fonctionnement de l'institution ni le paritarisme mais uniquement le processus électoral...
C'est vrai que l'enjeu essentiel est la représentativité des syndicats. Or cette représentativité qui vient d'être réformée récemment sera basée sur des élections professionnelles. Il sera donc intéressant de comparer les deux scrutins car les prud'homales conservent un avantage : ne pas se limiter aux entreprises de plus de 50 salariés.
Puisque voter (*) devient un simulacre de démocratie, peut-être que l'idée naguère si contestée de tirage au sort va faire son chemin... ^^
(*) On a tous en tête un autre vote où les vertus de la démocratie ont mis plusieurs jours avant d'être reconnus.
Rédigé par : PeutMieuxFaire | 03 décembre 2008 à 15:00
Il faut n'avoir jamais eu besoin du recours au conseil des prud'hommes pour tenir des propos aussi démobilisateurs.L'institution prud'homale française est unique en Europe et l'élection des juges parmi les pairs en est un fondement.
Ce matin, au bureau de vote, j'ai entendu : " je vote pour la CGT parce qu'"ils" m'ont bien défendus ".Si c'est un simulacre de démocratie, alors...
Rédigé par : catalan | 03 décembre 2008 à 15:10
@ PMF
Je ne remet en effet en question ni le paritarisme ni l'institution. Du reste, il existe une juridiction de premier degré spécialisé dans les litiges de droit du travail dans tous les pays et c'est une nécessité. Ce que je contexte c'est ces élections "à blanc"
Non, les élections prud'homales ne se compenseront pas l'absence d'élection profesionnelles dans les entreprises de moins de 50 salariés. Pas officiellement en tout cas.
@ Catalan
On pourrait très bien avoir un tribunal de première instance paritaire sans élection au suffrage universel direct des juges. On ne peut pas associer ainsi le paritarisme et l'élection.
De qui parlait cette personne ? du juge pour lequel il votait ou du délégué en entreprise qui l'avait défendu ? Parce que le juge ne le "défendra" pas. Il appliquera le droit. Laisser croire que les jugements seront plus favorables aux salariés avec tel ou tel élus est une malhonneêté intellectuelle. 70% des jugements font l'objet d'appel. Les juges des prud'hommes sont tenus par la jurisprudence.
Ce billet est peut-être démobilisateur pour le vote (je serais salarié du privé, je n'aurais certainement pas été voté) mais pas pour le syndicalisme, car il propose un contre argument à tous ceux qui dès ce soir déduiront de la faible participation, un discrédit des syndicats.
Rédigé par : Malakine | 03 décembre 2008 à 15:47
Si vous considérez que les prudhommes ne servent à rien, alors, il faut proposer leur disparition.
Pour ma part, je considère que le droit est l'objet d'interprétations humaines, liées à la sensibilité de celui qui y est confronté. S'il y a la lettre, l'esprit existe. Plus la participation sera massive, plus l' esprit qui a porté le juge au tribunal sera fort.
Préférez-vous des juges nommés par le pouvoir en place. Je doute alors que les appels soient nombreux, car ceux qui auront les moyens de les utiliser pleinement seront du côté du manche, déjà satisfait par la personnalité de la cour.
Rédigé par : Jean Philippe | 03 décembre 2008 à 19:29
@ Jean philippe
Pourquoi proposer la suppression des prud'homes ? C'est une juridiction de premier niveau ! L'alternative n'est pas de maintenir l'élection ou de les fonctionnariser. On peut très bien demander aux syndicats représentatifs de les désigner pour conserver le paritarisme. Je dis seulement que faire croire aux gens que d'élire des représentants chargés de dire le droit est une escroquerie intellectuelle. Ce qui compte c'est la jurisprudence et elle n'est pas définie par eux.
Rédigé par : Malakine | 03 décembre 2008 à 20:46
Personnellement j'ai une affaire en cours aux prudhommes et ai eu quelques contacts avec un syndiqué juge au collège non-cadres. Il m'a appris par exemple que l'un des juges représentant le patronat lors du jugement de mon affaire par le collège cadre n'est directeur dans aucune entreprise, il a simplement un employé de maison, un peu fantaisiste comme situation...
D'autre part j'ai du mal à croire que la sensibilité des juges prudhommaux n'influence pas le jugement sous prétexte que la loi est la loi, idem pour la jurisprudence. Le monde économique est petit donc pour peu que le juge soit en relation par ailleurs avec le patron d'une boite il aura probablement un regard différent lors du jugement d'un salarié cadre dans la boite ce même patron.
Les liens entre cadres dirigeants se font et s'entretiennent dans toutes sortes d'organismes : MEDEF, ROTARY, Club de dirigeants de la région, Chambres de commerce, Loges maçonniques( rigolez pas je parle d'expérience, on m'a même proposé d'y rentrer ), golf, chasse, pôle d'innovation et j'en oublie certainement...
Le même tableau peut être fait pour les tribunaux de commerce.
Trop juge et partie ce système. D'autre part les juges représentant les salariés au collège cadre sont des cadres, la sensibilité des cadres je la connais, ce sont majoritairement des gens très soumis aux patrons et à l'autorité en général. Ce qui explique probablement
que les jugements du collège cadre sont bien moins favorables au salarié que ceux les jugements des salariés non cadres.
Par ailleurs, la majorité des affaires vont en appel devant un juge professionnel.
En fait les prudhommes sont une perte de temps, plus d'un an en général, en ce qui me concerne j'attends depuis près de trois mois les attendus, donc mois se sont passés. Eh oui, aux prudhommes ils mettent deux flics et un portail rayons X comme à l'aéroport mais il n'y a pas assez de greffes pour la rédaction.
Puisqu'il y a appel la plupart du temps compter plus de deux ans.
Rédigé par : olaf | 03 décembre 2008 à 21:03
« A tel point qu'il est permis de se demander si leur principale fonction n'est pas d'habituer l'opinion à participer à des élections sans objet ni enjeux »
Ou à pourvoir dire que, puisque les élections sont marquées par l'abstentionnisme, c'est la « preuve » qu'il ne faut donner aucun contenu à des élections où le peuple « ne comprend rien ». Ce n'est peut-être pas intentionnel, mais c'est le résultat !
Rédigé par : Criticus | 03 décembre 2008 à 22:10
@ Malakine
Globalement d'accord avec ton analyse même si le point de vue d'Olaf me parait pertinent :
"D'autre part j'ai du mal à croire que la sensibilité des juges prudhommaux n'influence pas le jugement sous prétexte que la loi est la loi"
J'imagine que les juges soient tous de la CGC ou tous de la CGT doit quand même faire une différence, non ?
Rédigé par : RST | 03 décembre 2008 à 22:44
@ olaf
Vous dites : "la sensibilité des cadres je la connais, ce sont majoritairement des gens très soumis aux patrons et à l'autorité en général"
Ce jugement me parait bien lapidaire. Le monde des cadres est très divers, il englobe toute sorte de gens. Enfin, la tendance actuelle dans le monde du travail est bien me semble-t-il, une prise de conscience des cadres que, contrairement à ce qu'on cherche à leur faire croire, ils ne sont pas forcément dans le même camp que les dirigeants. Cela devient assez clair pour eux au moment des augmentations et des distributions de bonus et autres stock options !!!
Rédigé par : RST | 03 décembre 2008 à 22:52
RST
Je parle de ce que j'ai vu, donc rien de lapidaire, bien au contraire hélas, il m'a même fallu pas mal de temps pour ouvrir les yeux. Chaque fois qu'il y avait contestation ce sont les salariés de base qui sont montés au créneau dans ce que j'ai vu. D'ailleurs les cadres sont dressés pour être comme ils sont depuis l'école, le lycée, les prépas, le bizutage, les thèses de Bourdieu sont éloquentes sur ce sujet de la reproduction des classes.
Qu'ils se rendent à peine compte de se faire avoir c'est très récent, mais ça fait des décennies qu'ils sont d'une mollesse complaisante car se croyant hors risque. Leur rôle ils l'ont intégré depuis longtemps, être le petit soldat servile qui leur procurera leur os pour s'acheter un pavillon.
Ce n'est pas la rémunération du patron qui change leur point de vue, c'est la menace d'éviction de leur statut qui les fait trembler et agir selon une forme de diplomatie de l'avilissement. Désolé de ne pas vous rassurer.
Rédigé par : olaf | 03 décembre 2008 à 23:33
Au fait ETDAS, où avez vous vu que les cadres étaient informés des rémunérations, primes, bonus et stock options de leurs dirigeants cadres n et n+1, personnellement j'ai encore jamais vu ça. Ce type d'information n'est surtout pas diffusé dans une entreprise. La transparence là dessus, faut pas rêver. Personnellement, je suis les coûts de mes projets sur bases de données mais mes accès à l'information sont limités afin que je ne puisse pas connaitre les taux horaires de ceux qui interviennent dans mes projets. Seul mon n+1 prétend y avoir accès.
Rédigé par : olaf | 03 décembre 2008 à 23:47
Mais je n'ai rien écrit moi!
Saludos quand même.
Rédigé par : ETDAS | 04 décembre 2008 à 09:03
@ Olaf
Ton intervention poste la question du paritarisme. Effectivement, j'ai lu que (je crois) 70% des jugements des conseils de prud'homes donnaient lieu à un appel. Donc, on peut effectivement les considérer comme une perte de temps. Ceci dit, je ne me prononcerais pas sur ce sujet.
@ Criticus
Oui, tout à fait. Une élection avec 75% d'absentention c'est toujours un mauvais coup porté à la démocratie, et en l'espèce aux syndicats. Quand j'ai entendu le chiffre de l'abstention j'étais bien content d'avoir fait ce billet hier. Je me demande même si je ne vais pas le refaire pour Marianne2 !
@ RST
C'est toute la question ! Quand tu votes pour un député socialiste ou un député UMP, tu peux anticiper sur le comportement qui sera le leur dans leur votes à l'assemblée. Là, c'est plus difficile, d'autant que tous sont encadrés par la jurisprudence. Il y a bien sûr des différences de sensibilités, mais il me semble que le facteur humain sera plus important que l'intitulé de la liste sur laquelle le juge aura été élu.
Rédigé par : Malakine | 04 décembre 2008 à 09:08
La réforme de la représentativité trainait dans les cartons depuis pas mal de temps (depuis Jospin), tout s'est accéléré en 2006 avec le rapport Hadas-Lebel et les présidentielles. En effet, le dernier livre de Jacques Cotta nous apprend que Chérèque avait bien préparé en amont la loi sur la démocratie sociale avec Sarkozy, ses conseillers et la branche service du Medef (DGS était opposé à une telle réforme):
http://nose2champagne.canalblog.com/archives/2008/11/17/11407931.html
L'idée de tout baser sur les élections en entreprises peut paraître une bonne idée mais attention aux effets pervers, la loi sur la démocratie sociale a instauré un basculement dans la hiérarchie des normes et une certaine fragilité face aux arrêts de la Cour Européenne comme l'a écrit Guillaume Duval:
"Le paradoxe dans cette affaire est que cette jurisprudence conforte l'organisation des relations sociales à la française, au moment où celle-ci est remis en cause en France-même. En effet, de nombreux acteurs font pression pour se débarasser du smic. Et les organisations patronales veulent bousculer ce qu'on appelle "la hiérarchie des normes sociales": jusqu'ici, une convention collective de branche ne pouvait prévoir que des dispositions plus favorables que les conventions collectives... Or les possibilités de déroger à ce principe se sont multipliées ces dernières années. C'est le cas en particulier avec la loi qui vient d'être adoptée "portant rénovation de la démocratie sociale et du temps de travail". Elle autorise les entreprises à fixer elles-mêmes les contingents d'heures supplémentaires effectuées au-delà des 35 heures et les contreparties auxquelles celles-ci pourront donner lieu. Si on permet de plus en plus à chaque entreprise de cuire sa propre soupe en matière de conditions d'emploi, il ne faudra pas s'étonner de subir le dumping social des "plombiers polonais": notre propre gouvernement aura introduit lui-même le loup dans la bergerie du droit social français. Mais ni la Cour ni les Traités européens n'y seront pour rien".
Enfin, un petit mot sur "notre faible taux de syndicalisation", c'est vrai c'est pas la panacée... mais force est de reconnaître qu'un salarié français n'a rien à gagner en se syndiquant (ni Mutuelle comme en Scandinavie, ni cotisation chômage comme en Belgique, ni services et cogestion de l'entreprise comme en Allemagne).
Le syndiqué français est avant tout un militant... ce qui explique que nos manifestations font plus le plein chez nous que dans des pays au taux de syndicalisation de 80% et dont les syndiqués ne sont que de simples "adhérents".
Todd a bien montré dans ses livres que cette relative "faiblesse" des corps intermédiaires était constitutive de notre identité.
Rédigé par : René Jacquot | 04 décembre 2008 à 18:54
@ Olaf
Vous avez raison, l'information sur les primes et les stock options ne sont pas faciles à obtenir,pas plus que celles sur les salaires d'ailleurs. C'est bien le paradoxe de ce système qui prétend que tout le monde est payé au mérite mais refuse de publier les salaires.
Par contre, les cadres quand ils ont 0 à la fin de l'année ils se rendent compte qu'on les b....
Rédigé par : RST | 04 décembre 2008 à 20:07
Je me permets de laisser un lien sur votre blog pour connaître votre avis sur la nécessité ou non de revenir sur la charte d'amiens après les élections prud'homales de jeudi
http://www.jeune-garde87.org/2008/12/05/faut-il-revenir-sur-la-charte-damiens/
Rédigé par : Pazmany jeune garde 87 | 05 décembre 2008 à 22:45